Peut-être

Peut-être qu’il y a pas mal d’habitude, peut-être un soupçon de cette conscience qui tiraille, peut-être un pied-de-nez à la mort, celle à laquelle on croit échapper un peu, nous, encore un peu.

Je ne sais pas ce qui pousse les gens à prendre ce temps d’aller mettre une belle potée de chrysanthèmes sur les tombes. Sur leurs tombes. Celle du grand-père, celle de la vieille cousine, celle de la sœur tant aimée. Celle de ce gamin foudroyé en pleine jeunesse, celle de cette petite qui ne voulait plus vivre, celle de Manu mais c’est bien trop jeune pour mourir d’un cancer.

Je ne sais pas mais les cimetières de ce temps de Toussaint me touchent.
Ils m’ont toujours touchée à ce moment de l’année, là où les peines encore vives croisent les vieux souvenirs délavés par le temps.

Il pleut. Si souvent ces jours-là.
Parfois un rayon de soleil sur les pierres humides fait perler les gouttes restées sur les pétales jaunes vifs, fait briller les orangés devenus éclatants, fait presque oser les rose pâle qui alors s’étalent.
Il pleut. J’aime les voir passer, les gens emmitouflés dans leurs souvenirs se racontant celle ou celui qui n’est plus.
J’aime écouter leur silence aussi. Ils ne prient pas.
On dirait qu’ils prient pourtant.

Je ne sais pas ce qui pousse les gens à venir fleurir les tombes.
Je ne sais pas si cela se fait moins qu’avant. Chez moi, les cimetières sont couverts de couleur. On vient nombreux. En famille. Peut-être qu’il y a pas mal d’habitude, peut-être un soupçon de cette conscience qui tiraille, peut-être un pied-de-nez à la mort, celle à laquelle on croit échapper un peu, nous, encore un peu. Un jour, ce sera nous. Aussi.
Je crois qu’il y a cette question. Celle qui accroche nos vies à l’âpre de notre existence.

 

Et après ?

 

Qu’on ose espérer ou qu’on ne croit pas, il reste que tous les lits de granit fleuris des soleils d’automne me font sourire, sourire très doucement.
Peut-être parce que j’ai toujours l’impression, à ce moment-là, qu’ils donnent à l’absurdité de nos vies une petite, une vraie, une audacieuse raison d’espérer.

 

Comme une pierre de Rosette

Il y avait ses 20 ans tout neufs à fêter alors on s’était dit que Londres pour 5 jours pendant les vacances de Toussaint à retrouver notre petite grande Marie, ce serait bien.

C’était bien comme une petite bulle d’air au-dedans d’un monde qui ne cesse d’avancer, vite, qui ne s’arrête ni de rire ni  de souffrir presque dans un même souffle. J’ai déambulé les rues avec les mêmes lumières et les mêmes ombres et ce soir-là, à Covent Garden, au sortir d’un Pub empli de chaleur et de joie, je me suis retrouvée presque nez à nez avec la très trop terrible longue file vers la soupe populaire. Je ne peux jamais traverser la ville légère. Pourtant, mon cœur était léger, nul doute, léger de tout l’amour qui le remplit. Petite bulle au-dedans d’un monde un peu fou. Mais beau, beau pourtant.

Et il y a eu ce moment, le lendemain, moment mêlé de souvenirs et de rêves d’enfant. De cet espoir trop fou, de cette foutue Espérance.

Mademoiselle Jeanne accrochait le panneau couvert d’un carton légèrement glacé qui donnait aux couleurs pastels un éclat particulier. C’était toujours en fin d’après-midi, au retour de la récréation, à cet instant où la journée commence à se faire longue. Je me souviens de ce temps comme un temps très calme mais aussi fait de cette curiosité d’enfant qui ouvre grand les yeux, les oreilles, qui tend tout le corps lorsqu’il est prêt à recevoir, apprendre, découvrir. Elle écrivait juste à côté, à la craie blanche, le thème du jour. Une nouvelle leçon d’histoire.

Champollion et la pierre de Rosette

Et je buvais ses paroles.
Je n’étais pas de ces bavardes, main toujours levée à questionner. Non, j’écoutais. J’écoutais ce que mademoiselle Jeanne racontait et ses mots, mêlés aux couleurs des images, prenaient vie dans ma petite tête de petite fille.
Je me souviens encore de mes rêves d’archéologue-aventurière-Indiana-avant-l’heure. Je me souviens que je voulais un chien et l’appeler Champollion. Je me souviens avoir recopié dans Tous les trésors de l’Egypte reçu au Noël suivant les lettres grecques de la pierre de Rosette.
Et cet instant. Vif encore.
Cet instant où je me suis dit qu’il suffirait de traduire tous nos mots les uns aux autres pour tous nous comprendre.
Rêve d’une nouvelle Babel, indestructible, qui dépasserait les lois humaines, la pierre de Rosette est restée pour moi comme le souvenir d’un monde meilleur possible. Un rêve possible. Loin de tous les silences, loin de tous les non-dits, loin de toutes les incompréhensions, Rosette révélait le sens, éclairait ces drôles de signes incompréhensibles, me donnait à croire que le monde était fait de beau. Qu’il était aussi fait de beau.

Il y a eu ce moment, le lendemain, moment mêlé de souvenirs et de rêves d’enfant.
Je suis entrée dans le British Museum, pour la troisième fois de ma vie, avec la même émotion.
Plantée devant la pierre de Rosette.
Retrouver Champollion et rêver en une petite prière au beau d’un monde à décrypter, à comprendre, à aimer.
Dans nos vies, dans ma vie, dans les rues, parmi la chaleur et les sourires, auprès des longues et très et trop tristes files d’attente pour une soupe ou un café. Aimer ce monde. Le comprendre. Ne pas le comprendre. Essayer. N’y rien comprendre. Essayer encore. Ne jamais baisser les bras pour l’aimer. L’embrasser, embrasser ce monde, toujours. Le cœur grand ouvert, les yeux levés. L’aimer. Sans nul doute.
Comme une pierre de Rosette.

Bruissement

Il y a la persévérance qui résonne ce matin dans les mots d’évangile.
Peut-être que nos cris sont aussi de ceux qui ne font pas beaucoup de bruit. 

 

 

Ma prière ne fait pas de bruit
Elle ne chante pas dans les églises
Elle ne se récite pas à haute voix
Elle ne lève pas les bras au ciel

Elle est un souffle
Elle est une vague
Elle est un murmure
Elle est un bruissement

Et Tu l’entends.

 

 

Regarde ce ciel…

C’est peut-être le gris de l’automne, les pluies qui traversent les jours sans s’arrêter, le vent mouillé qui s’infiltre dans nos maisons.
Je ne sais pas. Mais que l’air du temps est maussade! Plus que d’habitude ? Je ne peux jamais mesurer ça, je ressens seulement qu’il est maussade dans le bonjour de la boulangère qui se plaint d’un mal de dos lancinant, dans les bagarres de récré qui redisent le compliqué de vivre ensemble, dans les écrans qui ne voient que du noir lorsqu’au matin,  j’ose encore les regarder.

C’est peut-être les gris de l’automne qui estompent les traits de lumière.

Pourtant.
Je veux les voir ces traits-là, non par naïveté ni manque de lucidité sur le monde qui tourne, non, je veux les voir parce qu’ils existent. Nombreux.
On me dira c’est bien facile, toi tu peux., c’est facile ta vie…  ils ne savent rien mais je répondrai  je ne peux pas plus qu’une autre, mais je le veux.
Je veux voir le joli de ce monde dans tous les gris de l’automne.
Je veux le regarder. Bien davantage.

Il y a ces gamins qui ne trouvent pas le bon ton pour vivre ensemble, ces classes où rien n’est facile. Et puis, cette petite qui les scotche pendant 30 minutes, qui les fait taire, qui les fait écouter surtout. Elle raconte son pays, Haïti. Elle raconte sa vie. Elle leur dit surtout l’espoir d’être heureux si on ne baisse pas les bras. Et on dirait que le ciel s’éclaircit un peu.

Il y a cette indifférence au coin des rues, ces cafés qu’il faudrait multiplier aux mains tendues, ces abandons des plus pauvres. Et puis, le projet un peu fou des amis qui veulent encore y croire à ce plus de partage, à ce plus de justice. Une maison encore une pour se poser, retrouver un travail et une vie décente. Elle nous dit le possible d’un toit qui abrite, réconforte, donne du sens à la vie. Et on dirait que le ciel est moins gris.

Il y a nos diversités, nos choix et Dieu dans tout ça. Difficile d’être catholique aujourd’hui dans une Eglise aux fêlures fragiles. Et la guitare de l’ami chanteur qui nous réunit, quelques-uns, tellement différents, pour faire un album ensemble. Il chante la vie. Il nous chante Dieu. Il nous dit surtout d’être heureux à se retrouver. Et on  dirait que le ciel s’éclaircit un peu.

Il y a sa solitude, sa maladie, sa tristesse. Et puis, un après-midi à bavarder, une rémission de quelques jours sans douleur, une visite qui fait sourire.

Je voudrais faire une petite liste qui ne s’arrête jamais.
Celle de tous mes cailloux blancs posés sur mon chemin. J’aurais l’allure de celle qui ne voit que le joli, inconsciente du monde. Peut-être.
Peu importe. J’aurais peut-être bien l’allure de celle qui ose dire ce qui va bien quand il est de bon ton de répéter en boucle tout ce qui va mal.
Tant pis. Tant mieux.
Je veux regarder ce Ciel.

C’était un peu après 18 heures.
La journée n’avait été que pluie, énervement, fatigue, sanctions. Le cœur triste de ne pas réussir à avancer. La conscience, celle un peu lourde, de ne pas avoir fait les bons choix, de ne pas avoir dit ou écrit les bons mots.
J’allais quitter le collège le cartable plein de tout ce qui n’allait pas, ici et là.

La pluie a cessé.
Le goudron de la cour a déroulé un tapis brillant comme une place pour faire danser nos pieds.
On a ouvert la fenêtre, regardé juste avant de quitter la salle.

Elle m’a dit:
– Regarde ce ciel, ce bleu…encore!

 

Porte ouverte

Vous savez à quoi ça ressemble quelqu’un ou plutôt quelqu’une, jeune – enfin bientôt la trentaine mais c’est bien jeune -, presque prof, avec une vie qu’elle a voulu d’abord ailleurs, dans un pays un peu loin, et puis le concours de prof, et hop dans le bain, et ça lui plaît vraiment, avec sa vie entre un mari enfin elle n’est pas mariée mais c’est pareil, c’est ce qu’elle dit et je la crois en regardant les photos qu’elle me tend d’un bout’chou de 2 ans trois quarts qui la réveille souvent la nuit.
Vous savez à quoi elle ressemblait lorsqu’elle m’a demandé à la fin de la formation de ce jour-là, en s’approchant de la table où j’avais posé tout mon bazar:
– Je peux regarder ?
Evidemment.
C’est drôle qu’elle ait demandé à regarder parce qu’elle pouvait le faire sans demander.
Et ses mains posées délicatement – oui je crois que je peux écrire délicatement-  sur la couverture.
– C’est la première fois que j’ouvre ce livre-là.

Elle ressemblait à une madone.
Mais c’est mon imagination et peut-être ses cheveux je ne sais pas, ou la lumière à cet instant, ou son regard baissé sur le livre.

On a parlé un tout petit peu.
On se revoit dans un mois alors j’ai bien fait d’oser lui dire qu’elle pouvait l’emporter.

Elle pourra me dire comment c’était ses premières lectures dans ma petite Bible.

 

 

La vie, en entier

Ça me surprend toujours un peu et exactement dans le même temps, je ne suis pas très étonnée.
C’est étrange à dire, paradoxe que je cultive me direz-vous, peut-être, mais il y a du joli à le raconter.

Un matin de classe, un mercredi bien ordinaire. Dans l’automne, sous la pluie, le terrain en herbe est trop mouillé, pas le droit au ballon de foot avant la classe. Ils me racontent les p’tits gars de 6è en montant les escaliers pour rentrer en classe “on n’a pas pu s’défouler m’dame mais on s’ra sages quand même.” Leurs promesses sourient et le cours commence, tranquillement. La boîte à défis leur a demandé ce matin ‘de faire une petite liste des choses qui font peur’. Deux minutes de ce jogging d’écriture quotidien qui me permet d’enregistrer tout aussi tranquillement les absents du jour sur l’écran de l’ordinateur pendant que, concentrés, ils écrivent.
Je relève la tête, la leur est penchée, ils écrivent vraiment.
Ils vont sûrement parler monstres, araignées peut-être, ogres qui sait, ceux d’aujourd’hui. On est entrés dans les contes mais pas seulement.

“C’est la mort qui me fait peur”. “Moi, celles de ceux que j’aime.” “Moi, je voudrais pas perdre mes amis.” ” C’est les gens qui font du mal.” ” Et la mort aussi, ça me fait peur.”

Ça me surprend toujours leurs réponses et le silence qui se fait tout autour. C’était deux minutes d’une petite écriture. Et soudain ce début d’heure se fait profond.

Le cours continue. Il y aura la sonnerie et “on se retrouve au foot cet aprèm! ”
Et exactement dans le même temps, je ne suis pas étonnée. Ces enfants de 11 ans ont en eux déjà tout ce qui fait la vie.

 

Un après-midi de partages, un mercredi presque ordinaire. Dans l’automne, à l’abri, j’ai retrouvé ces jeunes profs autour d’un café. Ils me racontent les outils, les chapitres, les trucs pour l’autorité, et ces modèles de cours ‘ merci, ça nous donne des pistes, on s’demandait si on pouvait faire comme ça…’ Leurs idées me questionnent et l’explication commence, tranquillement. Leurs ordinateurs s’ouvrent, on reprend ce padlet, “et ces textes sur le déluge c’est au programme mais on peut y ajouter… ”

C’est parti.
Je relève la tête, la leur est penchée, il créent.
Ils vont sûrement écrire Noé, sans doute Gilgamesh, le Coran, creuser encore qui sait.

“C’est La Bible. Je ne connais pas, je n’ai jamais lu, rien, ça me questionne.” ” Et moi je ne me sens pas capable de parler textes fondateurs sur des textes religieux.”  “Et comment tu fais toi pour distinguer ta Foi et le texte littéraire devant les gosses, ça n’est pas si simple.” ” Dis, tu sais où je peux la lire la Bible en entier pas que les extraits des manuels ?”

Ça me surprend toujours leurs échanges et le silence qui se fait attentif. C’était une petite heure d’une séance à fabriquer, presque simplement. Et soudain des questions à côté. Ou peut-être au-dedans. La formation se termine. Il y aura le dernier café et “on retrouve notre classe demain avec toutes ces idées!”
Et exactement dans le même temps, je ne suis pas étonnée. On est et on retourne dans nos vies.

 

Je crois toujours que nos intérieurs, nos au-dedans vont rester à l’intérieur, bien au-dedans. J’ai l’impression que ça ne va jamais sortir tout ça, toutes leurs questions, tous nos chemins. Et ça me surprend toujours quand le profond surgit là, au milieu d’un cours, ordinaire, quand les questions plus intimes jaillissent là, au cœur d’une formation pédagogique.
Et je regarde, je souris, j’écoute et je me dis, à chaque fois mais non, je ne suis pas étonnée. Il n’y a rien d’étonnant.
C’est la vie, en entier.

 

Rien qu’un petit Clin Dieu

L’église était pleine ce matin et si je dis à craquer je ne mens pas mais rentrée du caté et rentrée paroissiale, ici, ça rime avec joie et puis ça réunit les enfants, leurs familles et les paroissiens plus habituels. Chez moi, ça fait du monde, une église pleine à craquer quoi.
L’église était pleine ce matin et les tout-petits nombreux pendant le temps de liturgie adaptée qui leur est proposé.
Ce matin, même si on sortait de l’église pour se retrouver juste en face dans une salle du centre pastoral, on avait décidé d’en parler de cette église. Le bâtiment hein parce que la majuscule avec eux c’est un peu compliqué.

Quoique.

On avait étalé sur notre table un chouette dessin d’église avec plein de trucs vraiment, à regarder. Les paroles des grandes sections ont fusé. Sur ce qu’y faisaient les grands dans cette église: “prier” “chanter” “chanter fort” “et danser un peu” “s’asseoir” “se mettre debout” ” s’asseoir sur des bancs” “se marier” “faire des baptisés” ( ce sont leurs mots je vous les laisse tels quels ) “et il y a le prêtEEE” ( la petite a insisté sur la dernière syllabe, même après correction de son voisin qui a lâché son pouce pour la reprendre, peine perdue).
On avait fait le tour et de “la table où y a les petits ronds que les grands mangent” “mais c’est pas des ronds mais des hostiiiies” ( ici ce fut la voyelle grandement appuyée), “les fenêtres pleines de couleurs” et “la bougie rouge toujours allumée” quand  j’ai dû dire un mot dans le genre “c’est chouette les enfants parce que vous savez tout ce qu’on fait dans l’église”. Alors, une voix a lancé – relancé plus exactement, je croyais bien l’avoir entendue au début:
“On y fait rien, c’est bien.”
Il a souri.

J’ai souri aussi.

Et je suis restée avec ce “rien”.

Pas celui qui délaisse, qui oublie, qui fainéantise même. Non, il y avait dans ce “rien” comme le résumé de tous leurs  petits mots: on prie, on chante, on danse un peu, on mange Le Pain. Rien qui ressemble à un travail, rien qui ressemble à des jeux, rien de nos ordinaires qui “font”, mouvements de nos vies, de leurs vies si petites, sûrement déjà bien agitées.

Je suis restée avec ce “rien”.

Un rien comme le silence précieux de nos têtes, de nos vies, de nos cœurs qui dans l’église, quelques petits instants d’un dimanche, savent encore prendre le temps de s’arrêter.

Je suis restée avec ce “rien” le midi à partager un repas de rentrée paroissiale puis un peu de temps à discuter.
Nous sommes repartis, chemin à pieds, main dans la main, à se redire le bon d’une Église, celle qu’on connaît ici, celle qu’on anime, celle qu’on aime aussi, petite paroisse au cœur d’un diocèse dynamique.
Et nos copies joyeusement retrouvées ont rempli notre fin de journée. Et ça, ce n’était pas rien.

 

Jusqu’à il y a un instant, ce petit message en forme de quelques mots sur mon écran de téléphone.
“Merci de ce temps ce midi avant le repas, merci de cette jolie conversation, c’était rien, enfin pas grand chose …mais c’était bien et ça m’a fait du bien.”

 

Puiser

Longtemps, j’ai cru que seuls les vieilles personnes, les religieuses, ceux qui vraiment ont du temps y allaient.
Un peu plus tard, de toutes les  façons, c’était impossible parce que 18h30, c’était l’heure du bain de mes petits.
Après, c’est devenu l’heure de leur filer un coup demain pour leur recherche avec madame Machin qui demandait la veille pour le lendemain un truc à trouver dans l’internet si les parents voulaient bien.
Plus tard,  ce fut le moment où on se posait parfois sur un bord de lit pour causer un peu. Ce n’est pas toujours si simple de grandir.
Et puis, ils ont grandi et il n’y a plus eu vraiment de raisons pour que 18h30-le-jeudi soit occupé, sauf quand il y avait conseil de classe mais c’est pas tous les jeudis.
Alors un jour ou plutôt un soir, un jeudi soir, je me suis dit pourquoi pas.

Je ne sais plus il y a combien de temps. Ce que je sais c’est que j’ai eu l’allure un peu idiote, moi qui vais quand même à la messe le dimanche, l’allure idiote de chercher l’entrée de celle-là.

La p’tite messe de 18h30 dans la crypte de l’église, l’autre église, pas celle du dimanche.

Je m’en souviens très bien même. J’ai attendu de voir si quelqu’un venait et je l’ai suivi. En fait, c’était quelqu’une. Même qu’elle m’a souri en me disant qu’elle venait tous les jeudis. Forcément, elle a compris que j’étais là pour la première fois. J’ai compris ce jour-là que ça devait pas être très fastoche le premier pas dans une église parce que quand même on est un paquet d’habitués. On les repère un peu les nouveaux. Et  même si on leur sourit un max, ils ne se sentent pas chez eux tout de suite, pas très à l’aise parfois.

Elle m’a souri un max quand je me suis assise là, sous la voûte de tuffeau. C’était beau.
Après, c’était une messe, une petite messe de semaine, ça, je savais.

 

18h22 ce soir, j’y file, allez. Depuis la rentrée, mes jeudis soirs avaient été bien occupés ici et là.
18h23 ce soir, ces copies qu’ils viennent de me rendre, hâte de les lire quand même…
18h25, ce soir, enfin allez, j’y retourne.

La crypte, sa lumière. Le Christ, son bois brut que j’aime à regarder.
Les amis, une petite vingtaine ce soir.
Notre chouette curé François. Ses mots. Nos prières.
Sa paix.

19h01. On s’est dit bonsoir, bon courage ou bonne fête. J’ai murmuré merci aussi.

 

Longtemps, j’ai cru que seuls les vieilles personnes, les religieuses, ceux qui vraiment ont du temps y allaient. Maintenant, quand je peux, je ne la loupe pas ma p’tite messe de semaine. Je ne suis pas si vieille, encore moins religieuse et je n’ai pas toujours le temps. Mais c’est comme si …comme si Jésus me donnait un peu plus de son amour ces soirs-là.
Non… Ce n’est pas ça.
C’est moi.

C’est Son amour.
J’y puise davantage.

Ces petits…

“Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits…”

Un jour, il y a longtemps déjà, un prêtre m’a dit: “Tu reviens me voir quand, dans les évangiles, tu auras trouvé le visage de Jésus qui te parle, te touche, te remue, t’interroge, te donne envie d’avancer…que sais-je… reviens quand tu auras trouvé “ton” visage de Jésus.”

J’ai parcouru les lignes, j’ai cherché, j’ai tourné les pages, on peut voir la pliure de certaines encore que j’ai cornées.
J’ai hésité, plusieurs paroles me touchaient, beaucoup me parlaient.
Je me suis arrêtée sur ses mots.

“Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits…”

J’ai enlevé un peu l’autour, je n’ai gardé que le petit enfant.
J’avais un peu plus de 20 ans.

30 ans plus tard, je me rends compte que si d’autres paroles m’ont touchée depuis, si je puise encore chaque jour dans la Bible et découvre sans cesse au détour d’un mot un autre que je n’avais pas encore remarqué, si j’essaie de me nourrir de son Verbe, inépuisable source, je me rends compte que ces mots-là, moins de dix mots en vérité, ces mots, oui, ont construit ma vie.
D’un foyer que je voulais bâtir autour d’enfants, les miens sont venus. D’un métier que j’ai choisi pour être avec les plus jeunes, les élèves sont là. De mes choix de partages en atelier d’écriture ou en paroisse, les enfants toujours au premier rang. J’ai fait de tous “ces petits” le beau de ma vie. Ou plutôt non. Ce sont eux qui ont rendu et rendent encore ma vie plus jolie.
Je crois même que j’ai tellement d’amour pour cette Parole que je manque souvent d’humour – c’est dommage – à leur sujet et qu’il est rare de me voir sourire lorsque circulent des blagues de potache sur les “bêtises” des enfants ou des jeunes. J’ai toujours peur que le mépris s’empare des mots.
Mais c’est sans doute un autre sujet.

Si ce billet s’écrit ce soir, ce n’est pas à cause de l’évangile de demain. Pas tout à fait.

 

C’est une phrase, retenue depuis vendredi, dernière heure, caté avec mes collégiens. La sonnerie avait déjà retenti.
– Mais vous, pourquoi Jésus est votre ami ?
Ma réponse est venue trop vite. C’est après qu’on médite, souvent.
– Parce que grâce à Lui, je suis là, avec vous.
– Comment ça grâce à Lui ?
– Je ne sais trop comment te dire…

Je n’ai pas vraiment eu le temps.

“Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits…”
Il faudra que je leur dise.

Et puis ça aussi:
“On va le chercher le visage de Jésus qui vous parle, vous touche, vous remue, vous interroge, vous donne envie d’avancer…que sais-je…”

 

Octobre déjà

Le chanteur l’a soufflé, le vent fera craquer les branches. Les poètes ont joué de toutes ses nuances avant lui mais c’est bien de l’écouter encore, d’écouter cet octobre qui bruite nos pas dans l’allée, qui annonce qu’on est bien là. Il y a dans l’octobre qui vient le goût de l’automne qu’on aimerait retarder un peu. La douceur, les orangés qu’on regarde émerveillés, le soleil endormi oui, mais le triste aussi. Le triste des jours trop courts pour y ranger tout ce qu’on aime. Tous ceux qu’on aime, j’ai failli l’écrire presque. Le violon d’Elise le jouait, elle encore petite, aujourd’hui on y pose un peu de rose. Peut-être pour éclater les gris. L’amie nous y invite, octobre des femmes, on hésite un peu, il y a pourtant dans cet octobre rose la volonté de faire une course pour la vie, pas contre la montre, on y sera  à ton octobre pour poser un peu de rose sur tes joues trop pâles.

Le chanteur l’a osé, la brume viendra dans sa robe blanche. Clin d’yeux de l’ami de Jérusalem qui m’envoie la photo d’un désert doré, aux pierres orangées comme les feuilles de mes chênes, bientôt, embrumé d’un matin sans frontières. La douceur des souvenirs d’un voyage. Deux ans déjà. Hâte d’un retour là-bas. Clin Dieu.La joie des jours qui courent, qui comptent encore les heures pour ajouter un autre voyage. La chanson de Marie la disait petite, octobre c’est elle, aujourd’hui on attend ses 20 ans. On s’y invite, on n’hésitera pas à traverser la mer, la brume blanche ne nous arrêtera pas, il y a dans nos chemins la volonté de faire d’octobre un mois plein de vie, pour nous, on se retrouvera.

Le chanteur l’a écrit, y aura des  feuilles partout couchées sur les cailloux. J’aimerais lire dans les évangile les saisons. Et leurs couleurs surtout. J’aimerais savoir les automnes de Jésus, connaître ses parfums, retrouver sa lumière. J’aimerais poser mes mains près du feu de Joseph quand il y apportait les copeaux de son bois. J’aimerais voir Marie préparer le pain quand elle attendait qu’Il revienne à sa table. Il y a dans les soirs d’octobre mes prières familières qui semblent les connaître. Il y a mes mots tout simples qui Te disent merci d’ajouter à l’automne un peu du jour encore, il y a mes sourires silencieux qui essaient les pardons, il y a mes mains qui regardent un instant le ciel avant de fermer tous les volets.
Devant le monde qui s’incline.

Octobre déjà.

 

Oh et puis… l’image a vieilli mais c’est bon à écouter. 🙂

 

https://www.youtube.com/watch?v=4otD9PUSU2E