Le goût des Lettres

Et revenir aux premières amours des archives de ce blog: oser raconter les lectures et les films, comme je les lis, comme je les vois et toujours – et seulement- comme je les aime.

 

Madeleine m’a redonné le goût des lettres.

C’était un gros cadeau de Noël. J’ai senti en retirant le papier qui l’enveloppait que l’épaisseur aurait quelque chose à y voir.

Deux gros tomes de Lettres, avec la majuscule qui distinguerait le genre de l’écriture. Pourtant, du presque minuscule. Rien d’exceptionnel au commencement. Du quotidien, des mots d’amie, des nouvelles de sa santé, de son travail, de ses études, de sa famille. La correspondance de Madeleine Delbrêl n’a pas la puissance d’un témoignage religieux, théologique, mystique, non. Ses Lettres ont le goût de ces petits riens qu’on peut écrire dès le plus jeune âge, puis celui des confidences d’une jeune fille jusqu’aux premiers engagements d’une femme. Rien d’exceptionnel dans cette écriture simple aussi, parfois même maladroite de simplicité, et qui peu à peu pourtant trouve des mots pour dire Dieu.
Et c’est peut-être justement ce qui m’a plu.
Le simple du quotidien livré sans ambages, non pour être publié mais lu par des amis. J’ai lu les lettres de Madeleine Delbrêl comme on lirait les lettres d’une amie.
Je trouve toujours ça étonnant la lecture d’une correspondance. Ce n’est pas un genre que j’affectionne en réalité peut-être parce que justement, la sphère de l’intime qui les entoure est dévoilée au grand jour, presque sans filtre. Mais les mots de Madeleine m’ont emportée avec elle pourtant.

Il y avait bien de l’épaisseur.

Pas celle des 700 pages sorties d’un joli papier-cadeau et dévorées en peu de jours mais l’épaisseur d’une Foi, imperceptible, puis bavarde et enfin, étonnamment racontée.

Une dernière chose. La lecture terminée, j’ai pris mon papier à lettres – celui que je n’utilise plus ou, plus exactement, seulement pour écrire à Soeur Natalie qui refuse de me lire “par mail”.
J’ai repris mon papier à lettres, posé les lignes noires derrière la première page blanche, et écrit avec la lenteur de l’encre des nouvelles à une lointaine amie.
J’ai reçu sa réponse aujourd’hui. Une lettre bleu pâle qui m’a fait sourire.

“Madeleine m’a donné envie de te répondre à mon tour, sur un vieux bloc aux couleurs adolescentes, pardon,… et tu sais, j’ai acheté “Éblouie par Dieu” : c’est comme des confidences d’amour ce livre-là.”

De la farine et de l’eau

“Je prie dans ma cuisine.”
C’était juste, c’était beau. Dans la bouche d’une Grand-mère qui faisait valser les ronds de soleil dans sa crêpière, dans le silence d’un matin, c’était le vrai de Dieu, assis juste à côté de la cuisinière sûrement, à l’écouter chanter des psaumes.

Je prie dans ma cuisine.
Petite, les mains dans la farine, je crois que mon silence, entre le bord de l’évier et le vaisselier, parlait un peu à Dieu. J’ai oublié l’endroit jeune fille et préféré l’aventure des mots dans les livres. J’ai évité l’endroit jeune femme mais dis, à trop en faire tu pourrais oublier d’être moderne. J’ai partagé l’endroit jeune mariée parce que dis, il peut bien faire la cuisine lui aussi. J’ai retrouvé le chemin de ma cuisine jeune maman à vouloir leur faire danser des ronds de soleil dans ma crêpière. Comme elle.
Je ne l’ai plus quittée sans quitter pour autant les mots de mes livres, le moderne je m’en fiche, le partage avec le p’tit mari.

Je prie dans ma cuisine et j’aime ça.
Il suffit d’un peu de temps, d’un peu de farine et d’un peu d’eau. Le silence du matin c’est bien aussi. On peut ajouter le sucré d’un après-midi parfois. Ou même l’après-midi tout entier à épicer un dîner pour des amis.

Je prie dans ma cuisine et j’aime l’endroit pour entendre ce qu’Il peut bien me dire.
Trop, pas assez, parfait. Les ingrédients…
Laisser là la métaphore.
Ne rien dire.
Casser, battre, mélanger, étirer, fouetter, faire des verbes des temps volés au temps, des petites prières en suspens.
De la farine, de l’eau. Presque rien.
Je prie dans ma cuisine. Je L’entends, là aussi.
Il est assis sur le bord de l’évier sûrement, à m’écouter fredonner Ses mots.
Et c’est bien.

Petite prière de rien

Il suffit d’ouvrir la porte peut-être un peu plus que d’habitude, poser un pied au dehors, se rappeler les parfums de la terre et avancer sur le chemin.
Il suffit de regarder au loin peut-être un peu plus loin qu’hier, puis s’agenouiller au plus près, salir ses mains posées sur la terre mais on s’en fiche on est drôlement bien.

Se rappeler un petit garçon qui disait qu’avec le mot aimer on écrit merci rien qu’en ouvrant les bras … de son petit “a”.

Et dire merci sans rien dire.
Sourire.

Premier crocus
la vie renaît           toujours.

 

Laisser pour aimer

“Laissant tout, ils le suivirent.”
Parfois je ne comprends pas bien Dieu.
En vrai, ça me fait plutôt sourire aujourd’hui parce que c’est la même question que lorsque j’étais petite. La même. Exactement.
Ce n’est pas la pêche miraculeuse, ce n’est pas Simon-Pierre à genoux, ce n’est pas le grand effroi de ceux qui étaient là qui m’impressionnaient dans cet évangile, non.
C’était le “tout” qu’ils laissaient pour Le suivre.

Je me souviens très bien de l’image de mes évangiles d’enfant qui interrogeait la petite fille. Leurs ombres sur le chemin, leurs corps qui partent ailleurs.

– Mais comment ils peuvent TOUT laisser ? Leurs parents, leur métier, leur ville.
Et je ne comprenais pas bien Dieu.
Peut-être bien que je trouvais qu’Il en demandait beaucoup.
Beaucoup trop.

 

On a pris la route un peu tôt ce premier dimanche de vacances pour retrouver les vieux amis, ceux d’il y a longtemps, ceux qui ont vu grandir nos enfants et dont les enfants maintenant sont grands. Vous savez, il y a toujours une petite place pour Dieu dans mes voyages, je ne sais pas trop pourquoi mais je crois que la voiture, c’est un truc qu’Il aime bien pour prendre sa place dans mes pensées, dans mon cœur un peu aussi.
Alors j’ai filé vers les amis avec les images des bords du lac et des filets et de leur chemin dans ma tête.
Et puis il y a eu la belle table de Flo, le bon vin de Philippe, les fous rires de Christophe, les sourires d’Isabelle, le bel humour d’Edouard, les histoires de Laurent et de Marie. Nos vies d’aujourd’hui, nos joies, nos gris aussi, les nouvelles de tous nos “petits”.
Et nos souvenirs.
On s’est rappelés les grands soleils d’été, les longues balades, les excursions improbables et nos enfants dedans tout le temps. Presque tous partis aujourd’hui de nos maisons, à construire leur vie ailleurs. Et le projet encore de les rassembler tous pour arrêter un peu le temps qui ne cesse d’avancer. Revivre encore tous ensemble et avec eux encore un de ces temps qu’on a aimés.
Avec nos enfants tout le temps.
On a repris la route, gorgés du bon de tout ce qui est partagé. Simplement.

– Mais comment ils ont pu TOUT laisser ?
J’interrogeais encore Dieu au gré de la route du retour. Quand pour la première fois, je crois, j’ai aperçu un bout de réponse.
J’ai repensé à nos histoires d’amis, nos vies, les détours et les heures croisées, toutes celles qui nous ont fait avancer, comme on a pu. Et nos enfants avec, avec nos enfants tout le temps, nos enfants qui prennent aujourd’hui d’autres chemins.
J’interrogeais Dieu au gré de la pluie du retour.
Ce “tout” c’était ce qu’ils connaissaient, Pierre et Jacques et Jean, ce qui les avait fait grandir un peu, ils l’ont quitté pour vivre leur vie, celle d’un amour à vivre, avec Lui. Leur chemin.

Ils n’ont pas “tout” laissé non: ils ont “tout” laissé pour.
Comme nos vies qui avancent pour, nos enfants qui partent pour, ce qu’on laisse pour. Vivre, aimer, vivre encore.

“Laissant tout, ils le suivirent”. Pour aimer.