VOIR – épisode 1
– Vous passerez bien nous voir ?
Je ne suis pas certaine de l’interrogation. Je crois même que la voix s’est plutôt éteinte en pointillés, n’imposant rien.
– Vous passerez bien nous voir….
Il y a eu le temps appuyé sur le “bien” qui sonne davantage comme une invitation, pas le moindre reproche, et qu’on peut difficilement refuser.
Comment le faire d’ailleurs ? Ils sont notre famille et nous sommes désormais en vacances. Bien sûr les manuels sont encore ouverts et les dossiers de l’ordinateur ne sont pas éteints, bien sûr la semaine prochaine je retrouve les collègues pour baliser l’année et il y a toujours des idées qui s’emmêlent avant de fermer mon cartable pour un temps, bien sûr le petit mari filera vers la ville pour rattraper quelques bacheliers encore, bien sûr la maison à ranger, bien sûr. Mais nous sommes en vacances, malgré tout, alors passer les voir fait partie de ces rituels de nos débuts de juillet. Ceux qu’on ne voit pas dans l’année faute de temps à donner, faute de temps à s’accorder peut-être.
On prendra les vieilles routes de l’enfance, celles qui traversent les bois ou longent les côtes. On ira à l’improviste parce que de toute façon, à cette heure creuse des après-midis, ils sont toujours chez eux. On sera déjà autour de la toile cirée, le café fumant dans les tasses, les petits gâteaux secs dans une assiette creuse – celle qu’on aimait regarder, petits, avec ces dessins tout autour comme une bande dessinée qui nous racontait une histoire d’autrefois – on sera déjà bien installés oui, avant même qu’on ait donné des nouvelles de la santé, des enfants, de nos vies un peu.
Et les heures passeront, parenthèses de nos souvenirs de gamins à traîner dans cette vieille grange ou à galoper sur ces chemins. On se rappellera un temps d’insouciance et cela donnera comme un peu de légèreté à ce début d’été.
Le soir s’approchera doucement des fenêtres et déjà les assiettes sortiront des placards. Vous resterez bien dîner. Cette fois c’est sûr il n’y aura pas de question. Ce serait les blesser de refuser. Les œufs sont cassés en un tour d’omelette, la salade est cueillie, le fromage est posé sur la table. On se souviendra encore de ces tablées où le grand-père regardait ses enfants et petits enfants avec la certitude que son histoire pourrait continuer pendant que l’oncle racontait ses blagues et que les petits attendaient le oui, clé pour se libérer des grands et pouvoir enfin aller jouer. On parlera d’aujourd’hui aussi, regardant nos rides au coin des yeux et nos cheveux blancs avec les sourires du temps qui avance inexorablement. Et de demain, de demain encore, la vie continue.
La nuit tarde à venir mais il est temps pourtant de retraverser les bois ou de longer à nouveau les côtes.
Au retour, on se redira simplement un “on devrait venir les voir plus souvent…” laissant aux pointillés le soin d’emporter nos morceaux d’enfance mêlés à nos partages du jour.
Et puis, avant le silence de la route à refaire dans l’autre sens, il y aura ces derniers mots, chacun gardant le doux des retrouvailles.
– C’est tellement bon de retourner les voir.
Joli !
Merci !