C’est peut-être à cause du petit carton de vaisselle à peine déballé un brin désolé déposé à l’entrée de son appartement.
Hier, je me suis rappelée que dans chaque déménagement, dans chaque emménagement, il y avait là aussi une petite part de nos renoncements. Redondance au matin en entendant l’évangile : suivre le chemin de nos vies c’est souvent conjuguer le verbe quitter. Pas simple ce chemin, pas un simple chemin de disciples. Jésus nous parle à chacun, à tous, tout au long de nos vies.
C’est peut-être à cause de ce petit carton.
Samedi, nous avons à nouveau emménagé notre grand fils de retour de l’étranger pour ses deux dernières années d’étude. Je me suis rappelée au sortir du bac, le petit serrement de cœur de les voir partir l’une, l’un, l’une après l’autre et en même temps – intensément – la joie de les voir grandir, de les croire heureux. Un départ très prochain de notre “petite” dernière pour l’étranger encore à vivre. Chemin de maman, chemin de parents à savoir qu’ils sont là pour nous quitter.
Il y a dans chacun de leur déménagement un peu de nous qu’on laisse.
Et se souvenir de nos premiers départs, ceux qu’on n’a pas choisis, enfant. Nouvelle maison, nouvelle ville parfois. Il y a dans mes classes chaque année ces jeunes élèves qui arrivent d’ailleurs. Des histoires de parents parfois compliquées, des histoires de vie poignante, de belles histoires aussi.
Il y a dans chaque déménagement un peu d’eux qu’ils ont laissé.
Et repenser à notre premier appart’. Le premier chez soi loin des parents, loin de la famille. Je me souviens très bien du mien. Je pourrai encore le dessiner les yeux fermés. L’impression d’être enfin dans sa vie et non plus dans celle de ceux que l’on aime et que l’on quitte. Sentiment étrange de grandir sans en avoir toujours vraiment envie.
Il y a dans chacun de mes déménagements un peu de moi que j’ai laissé.
Et regarder notre maison, notre foyer, celui qu’on construit. Que l’on veut pour toujours. Notre maison a 10, 20 puis 30 puis 40 ans… C’est beaucoup et en même temps on le sait bien que chaque pierre posée est une construction de chaque jour. Ce n’est pas une image d’Épinal ni de jolis mots répétés ni des phrases en l’air. On le sait trop bien quand on le vit qu’un couple se construit et pas en un jour, pas en un mois, pas en un an. Je pense aux amis séparés, foyer démoli après tant et tant d’années, et me souviens encore plus vivement de leurs déménagements.
Il y a eu dans chacun de ces cartons déballés un peu de nous qu’on a laissé.
Nos départs, les derniers, le dernier. Je repense à Mado rentrant à l’Ephad, j’entends Marcel refusant jusqu’au bout d’y aller. J’admire souvent un vieux couple ami “encore chez eux.” Je ne sais quand viendra l’heure.
Il y aura bien dans ce dernier voyage un peu de nous qu’on laissera.
C’est peut-être à cause de ce petit carton de vaisselle. Fragile. À peine déballé, un brin désolé, déposé à l’entrée de son appartement.
Il y a dans chacun de leur déménagement un peu de nous qu’on laisse.
Il y a dans chaque emménagement un peu de nous qui espère.
Nos petits cartons déballés, un brin désolés, déposés. Prêts à vivre, à revivre – encore.
Dessin ©Toutembal
C’est tellement ça. Laisser un peu de soi à chaque fois, dans chaque endroit, dans chaque départ et en même temps, ajouter à sa vie un peu des autres, des rencontres. On laisse, on reçoit, on garde.
Il est encore bien joli ton billet, merci Corine
🙂
Encore un très joli texte. Merci Corine !
Merci Chère Agnès!