Deux semaines de Carême et je me rends compte que je vous raconte presque seulement mes regards. Je n’oublie pourtant ni les musiques, ni les peintures, ni les mots. Je garde les parfums et les goûts. La beauté effleure tous mes sens.
Mais aujourd’hui encore, ce sont mes yeux qui l’ont vue… enfin presque.
Il faut que je vous dise avant…
J’étais une petite fille calme, on me disait sage, je crois que j’étais docile, vraiment. Rarement, je fus punie. Punitions qui ne paraissent même pas en être aujourd’hui.
Assise sur une chaise, près de la fenêtre de la cuisine, à méditer le pourquoi, avouer une bêtise, préparer un pardon, voilà l’endroit où je pouvais être consignée pour une heure. Et je regardais le ciel. En attendant qu’on revienne vers moi, je regardais le ciel. Et je m’inventais des histoires dans les nuages, sous les vents ou même avec la pluie qui glissait sur les carreaux.
Je vous dis ça parce que lorsque j’attends quelque part – non plus punie 😉 – lorsque j’attends, je cherche souvent le ciel.
Il était 16 heures passées et j’avais promis aujourd’hui à Sandrine de l’emmener faire quelques achats. Sandrine n’a pas de voiture et moi, pas de machine à coudre, alors toutes les deux, on échange nos petits services.
Je l’attends souvent Sandrine, peut-être bien qu’elle n’a pas de montre non plus.
Facile de trouver le ciel dans une voiture.
J’ai levé le nez.
Et j’ai vu l’océan.
Au bout de la route, au loin.
J’ai souri.
Vraiment. Déjà partie sur le long du sable à marcher, déjà enroulée dans mon écharpe à regarder les vagues, les mains plongées dans le fond de mes poches déjà à respirer le vent. Son vent.
– oh oh…!
Elle a frappé à la vitre. J’ai déverrouillé ma porte.
– Tu rêvais dis donc, désolée j’suis un peu en retard ça va toi ? tu sais que j’étais au téléphone avec le réparateur tu sais pour mon chauffe-eau et bien bon bref ça va toi ?…
– Très bien. Grâce à toi je viens de passer dix belles minutes au bord de l’océan.
Sandrine est entrée comme une bouffée d’air frais. Elle a ri à mon histoire de ciel. Non mais c’est le ciel, bizarre mais le ciel. Elle s’est moquée doucement de moi. J’ai ri avec elle.
Il suffit de presque rien, dix petites minutes parfois, pour que ce soit beau, le monde, juste là.