Champ de bataille

On a beaucoup parlé batailles ces derniers temps.
On parle beaucoup de batailles tout le temps.

Il faut se battre pour son avenir, il faut se battre pour une meilleure vie, il faut se battre pour nos libertés.
Il faut se battre pour exister, il faut se battre pour son couple, il faut se battre pour sa famille.
Il faut se battre.
J’ai toujours l’impression, à les entendre autour, que la vie doit s’armer de poings tout le temps.

Je ne suis pas certaine d’être une fille de ces batailles mais je suis sûre d’une seule chose: oser la joie est mon plus âpre et mon plus beau combat.

Un peu plus vrai encore depuis  huit mois et quelques poussières de jours à voir grandir l’enfant de mon enfant. Dans quelques autres mois, l’enfant de mon garçon naîtra à son tour.

C’est comme d’un autre ordre, comme un nouveau chemin de vieillir en laissant la vie peu à peu grandir derrière soi.
Que restera -t-il de moi si ce n’est cette joie de vivre à donner, à transmettre, à aimer ?

Petite fille déjà, quand tes rires aux éclats résonnent, la vie elle aussi a un autre éclat.

Il est des combats qui demandent de sourire et ce combat sur ce champ de bataille là, c’est ma joie.

 

Ses petites mains

Je sais qu’elles peuvent blesser, faire le mal, trahir.
Je sais qu’elles peuvent repousser, gifler, griffer.
Je sais qu’elle peuvent juger, accuser, pointer du doigt.
Mais, depuis toujours, nos mains restent pour moi les possibles du bon et du bien.

Et j’aimerais bien qu’on retrouve nos mains.

 

Celles qui soulagent, soutiennent, réconfortent.
Celles qui se serrent, se tendent vers l’autre, s’accompagnent.
Celles qui pardonnent, celles qui se réconcilient.
Celles qui s’engagent.
Celles qui embrassent.
Celles qui aiment.

Ils semblent dérisoires mes mots, pas vraiment nouveaux, mais tant pis, moi, j’aimerais bien qu’on retrouve nos mains.

 

Je crois que j’ai trop regardé  les menottes de ma petite-fille ces derniers jours. On dirait qu’elle me raconte le chemin à suivre lorsque sa paume découvre pour la première fois le toucher de l’herbe.
Fraîcheur, douceur, picotements.
Elle regarde les curieux fils qui s’élèvent devant elle, elle avance la main, confiante, referme le pouce et l’index, prend délicatement un premier brin puis doucement laisse filer le doux entre ses doigts.

 

Comme elle, j’aimerais bien qu’on retrouve nos mains.
Fermées, ouvertes, priantes.
Aimantes au point d’attraper la joie, au point de garder la vie.

 

Regarder

Quitter le temps qui presse pour celui qui se laisse regarder.

Les vacances m’ouvrent leurs bras et je n’ai jamais senti autant d’urgence à attraper – presque goulûment – ce temps qui s’offre.
Il me faudra encore répéter que c’est ma chance et que j’aimerais bien que chacun puisse l’avoir : non pas seulement avoir du temps mais bien plus avoir le temps de s’arrêter pour regarder.
Il me faudra répéter que c’est ma chance et que d’autres ne l’ont pas comme pour m’excuser encore d’un privilège, celui d’avoir du temps parce que je sais que pour en prendre, il faut véritablement en disposer.

Alors ça y est, le temps, mon temps, va enfin se poser.
Au matin, il gardera un peu plus longtemps la tasse de café dans la main, traînera son regard sur le jardin qui se lève, taquinera le chat qui, lui, dormira encore.
Mon temps va enfin se reposer. Aux heures qui s’allongent à lire ces livres qui n’attendent que ça, à cuisiner les bons petits plats, à coudre la jolie robe pour l’automne de petite-fille peut-être, à écrire des mots qui le racontent ce temps qui passe, sans nul doute.
Mon temps va enfin faire une pause. S’accorder des balades improvisées qui frappent aux portes voisines, retrouver l’océan et les coins familiers, embrasser l’amitié, la famille et rester bien plus qu’il n’est permis à rire, refaire un peu le monde qui n’en peut plus d’être défait autour des promesses de nos tablées.
Il sait si bien faire le temps avec la vie quand elle sourit.

Au soir, il saura encore dire qu’il est là, qu’il y a encore le temps d’y penser, qu’il y a encore le temps d’espérer, qu’il y a encore le temps simplement.
Au soir, il redira ses peines et ses joies en croisant ses mains sur une petite prière au temps de son humanité, il murmurera des mercis aux heures, aux minutes, aux secondes qui le tiennent en vie.
Et le temps regardera encore par-dessus son épaule son oeuvre doucement accomplie.

Bel été les amis.