Couleurs (5)

Une histoire de vermillon

 

Il est des tout petits moments en classe de français qui ressemblent à des pépites. 

Au détour d’un texte, mes 6è ont rencontré l’adjectif vermillon et comme il s’agissait de qualifier un vêtement, je leur ai demandé sa couleur. Le vert a fusé. Vert millon dans leur tête sûrement. Des mains levées, toutes du même avis. Au milieu de leur acquiescement – que j’ai cru un instant unanime – pour un vert sans doute un peu clair, une main timide s’est levée, hésitante. Une main qui ne se lève jamais.
– Je crois que c’est rouge plutôt. Je crois qu’on dit rouge vermillon.

La classe s’est tue, scrutant mon regard puisqu’il n’y a plus que le coin de mes yeux qui se plisse légèrement pour sourire.
Alors, félicitant ma jeune élève, j’ai raconté le vermillon, l’origine latine du pigment, son rouge éclatant aux frontières d’un orangé en sortant de ma trousse ma panoplie de crayons de couleur.

Un adjectif de plus dans leur sac de mots qui peu à peu grossit de leurs échanges. Et le rappel que chaque parole compte et que, parfois, 29 réponses identiques ne savent pas ce que la 30ème ose dire.

 

J’ai repensé à ce tout petit moment de classe ce matin. Cette presque unanimité qui parlait fort et sa petite voix qui disait la vérité. Et je crois bien que cela m’a rassurée un peu en traversant rapidement les réseaux de me rappeler que les vérités tout comme les jolis mots, les petits instants de paix, les presque riens qui donnent du sens à nos existences, ce ne sont pas souvent les paroles les plus bruyantes. 

Il est des tout petits moments de classe qui me font – les font je l’espère aussi – sourire. Un peu plus.

 

 

Couleurs ( 4)

La couleur d’un dimanche

Je ne sais pas trop quelle couleur colle à la peau de mon dimanche, je sais seulement qu’il était joli. Comme cette chanson que j’aime toujours fredonner, toujours autant. 
Je l’ai mise dans mes oreilles, en boucle, et je suis partie, à pied. Seule. La petite famille occupée au jardin et ailleurs m’a souhaité une “bonne petite sortie d’une heure”. Il est drôle ce temps limité.
Une heure, une heure seulement, ça oblige à choisir son chemin.

J’ai pris celui vers l’église. Il descend doucement.
Il y a le soleil, le ciel vraiment bleu, on dirait un début de printemps. Un début de printemps en novembre. Il est drôle ce temps bouleversé.

J’ai poussé la porte laissée entrouverte. J’ai éteint la musique dans mes oreilles. J’ai respiré un peu au-dedans les parfums des bancs de bois. Personne.
Je ne suis pas certaine d’être déjà entrée dans mon église sans personne et d’y être restée seule. Il est drôle ce temps confiné.

Je me suis assise. Devant. J’ai souri en Lui disant que je ne venais pas prier mais que j’avais juste envie d’être là, avec Lui. Chez Lui.
J’ai jeté un regard à droite, vers notre coin pour les enfants. Livres et coloriages bien rangés.
La lumière était belle. Je l’ai attrapée sur mon portable. Comme pour Le garder, Lui.

Je me suis levée. Et avant de repartir, j’ai fait le tour de l’autel. Petite lumière rouge. Je suis restée là, sans bouger, à Le regarder. Je lui ai souri, encore. Il est drôle ce temps d’Église. 

15 heures a sonné. Je suis repartie. Comme j’étais venue, sans rien dire. Comme on passe voir un ami, parfois, juste pour lui dire tu sais, je suis toujours là, moi aussi.

Il y a toujours le ciel vraiment bleu et le soleil, dans les yeux cette fois. 

Je descends encore. La boulangerie est ouverte. Je vais leur rapporter des pains au chocolat. On reste un peu à bavarder oh…de rien, juste du soleil comme un printemps. Il est drôle ce temps de novembre décidément.

Il faut remonter maintenant. Je remets la musique dans mes oreilles. Je souris au doux de ce dimanche qui ne ressemble à rien.
Je ne sais pas trop quelle couleur lui colle à la peau d’ailleurs.
Je sais seulement qu’il était joli.

 

Couleurs (3)

Aux couleurs de nos p’tits riens et de leurs prières

Le lundi est toujours rempli. Ce lundi de reprise l’était encore davantage. Rempli de la joie de retrouver nos élèves, de nos premiers échanges suite aux attentats, de nos idées encore pour vivre le quotidien le mieux possible. Et puis, entre collègues, de notre soutien, notre écoute, notre bienveillance. On est bien loin de Paris et des grandes villes. Et même si on comprend l’ailleurs, on ne peut pas vraiment au fond. Parce qu’ici l’envie d’être là, ensemble, malgré tout, est toujours la plus forte.
Et parce qu’elle est possible.

Au soir, rentrée fatiguée, inquiète de l’avenir mais heureuse.
Et trouver sur mon bureau un mot doux. Un faire-part de naissance tout blanc, tout beau, et un tout petit garçon me redit que la vie est belle malgré tout. Parce qu’elle est vie.

 

Et la semaine a continué. On aurait pu l’imaginer en demi-teinte, entre mille précautions et autant de soucis du monde.
Mais non. Il y a bien autre chose dans les petits riens du quotidien.
Mardi a pris la couleur de leurs idées, peut-être parce que dans la rue, juste en face, vraiment juste en face du collège, il y a l’Ephad. En temps normal, c’est l’occasion de quelques blagues sur notre devenir de vieux profs dans la salle du même nom. ” Et si ça continue, on aura plus qu’à traverser la rue.” On ne rit plus trop de ça aujourd’hui. Mais au matin, en ouvrant les fenêtres de ma classe, je ne peux m’empêcher de regarder les lumières en face et leur dire “on pense à eux.” Certains savent que, là, leur arrière grand-mère aimerait bien les voir. Il suffirait de traverser cette rue. On ne peut plus.
–  Mais …on pourrait leur écrire des lettres pour Noël madame ?
– Avec des décos !
Et il suffit de croiser Marie-France en arrivant le mercredi matin qui me dit que c’est possible. L’infirmière jouera la factrice pour nos lettres colorées.

 

Et la semaine se termine. Elle aurait dû s’étirer en longues soirées de rencontres avec les parents, elle a finalement filé un peu autrement. Et au dernier jour,  j’ai retrouvé mon groupe de caté 5è. Ils voulaient parler de Dieu et du mal, de Dieu et de la guerre, de Dieu dans tout ça et finalement, au soir de ce vendredi, ils n’avaient plus très envie. 
– On en parle beaucoup de ce qui va mal madame, moi j’aimerais mieux prier. 
J’ai cru que sa parole tomberait à l’eau au milieu des vingt jeunes réunis avec moi. C’était oublier trop vite que lorsque nous sommes réunis…Il est là, Lui aussi.

– M’dame, on fait comment si on veut prier ?
L’un a dit son coin prière mais qui ne lui “sert” plus, “c’était quand j’étais au primaire”. Lui, l’église de ses dimanches à servir l’autel. Mais pour tous les autres, pas de prières non.
– D’abord, on ne sait pas comment faire.

Alors.
Alors, il y a toujours cette musique sur ma clé USB. Des couleurs dans mon sac de caté. En crayons, en papiers. Des icônes imprimées.

J’ai sorti mon bazar. Souri secrètement en repensant à Mary Poppins et son grand sac.
– Moi, mes p’tites prières, je les écris à Dieu. En couleurs. Si vous voulez je vous montre un peu…
Ils ont eu l’air de sourire. Leurs mots ont dit un chouette que j’ai reconnu.
On a baissé un peu les volets. Laissé la musique se dérouler. Et dans un silence improbable dans une classe de 5è, un vendredi en dernière heure, il ont posé les mots de leurs prières sur le papier.
Ils ont prié, je crois.
Et moi avec eux.

 

Couleurs (2)

Parfois la couleur de mes jours est musicale.
Elle sonne dans mes oreilles depuis le réveil.
Première chanson sur ma playlist au matin, clin Dieu sûrement.  😉
Demain peut-être oui, mais c’est dès aujourd’hui que Dieu met dans nos vies l’adjectif “heureux”,
adjectif aux contours bien naïfs que Lui seul sait rendre immensément profond.
Bonne fête de la Toussaint à vous qui passez par ici !

Toussaint I, 1911, Vassily Kandinsky

 

Couleurs (1)

Dans les gris de novembre et du monde, il est difficile d’apercevoir les couleurs. Aucune nuance ou si peu. C’est souvent ainsi mais nul doute que cette année, la noirceur semble estomper la lumière.
Alors, peut-être pourrais-je essayer d’en poser ici des couleurs, celles que j’attrape d’un regard, celles que je touche du doigt, celles qui embaument un peu l’espace de mes jours. Au fil de novembre et avant un Avent de possible douceur.  😉

 

Un rond de soleil

J’ai travaillé toute la journée.
Me replonger dans la poésie pour mes 3è, dans des contes merveilleux pour mes 6è, dans des montages audio pour mes latinistes. Oh… qu’elles m’ont fait du bien ces heures à lire, chercher et écouter à nouveau leurs voix ! Oui, qu’elles m’ont fait du bien. Je ne voulais plus rien entendre du monde. Rien. Surtout pas tous ces profs qui ne cessent de tempêter contre un pouvoir qu’ils critiquent mais dont ils attendent Tout pendant que mon petit collège silencieux – et beaucoup d’autres comme lui je le sais –  travaille d’arrache-pied ce vendredi de vacances pour prendre à bras-le-corps le retour des élèves et leur préparer un temps de parole et d’écoute. Et c’est prêt. Et cela se fera, comme d’habitude, à la seule force de notre bienveillance, de notre imagination  et de notre temps donné. 
J’ai travaillé toute la journée.
Par la fenêtre de mon bureau, le noir du ciel annonçait la pluie. Je l’ai aperçu lui aussi, cherchant à occuper son temps ailleurs que derrière son écran, ramassant les feuilles mortes, allégeant la terre de son potager, sciant les rondins pour le feu qui bientôt nous réchaufferait. Oh… qu’il m’a fait du bien son sourire, son clin d’œil par la fenêtre ! Oui qu’il me fait du bien. Je ne voulais plus entendre les cris du monde. Plus aucun. Surtout pas tous ces gens qui savent mieux que personne ce qu’il faut dire ou ce qu’il faut penser quand je ne sais pas ce qu’il faut répondre au mal, quand  je ne sais que les larmes et si peu la colère, quand je crois seulement au verbe aimer.
J’ai travaillé toute la journée. J’ai rempli l’espace de mon temps pour oublier.
Mais rien ne s’est vraiment apaisé.
Puis l’heure s’est approchée. Celle qui mène doucement mes pas vers la cuisine. Celle où je travaille autrement de ma tête et de mes mains.
J’ai fait bouillir l’eau, jeté le riz en pluie, mélangé le lait à la crème et aux raisins blonds, laissé frémir le dessert à petits bouillons. 
J’ai attrapé le potiron, caressé un peu ses joues dodues et orangées, coupé sa chair en morceaux. J’ai préparé une soupe à la douceur du velouté en ajoutant quelques herbes, un peu de crème encore. Les odeurs se sont entremêlées, parfums prometteurs d’une belle fin de journée. Un rayon de soleil par la fenêtre a percé les nuages. J’ai sorti les assiettes et dressé joliment ma table. Comme si je m’invitais à être heureuse. Un peu.

Et curieusement, le verbe aimer a enfin pris du sens, autour d’un petit rond de soleil.
Premier jour orangé.