Une p’tite claque

Ils sont partis en stage alors on s’est dit au revoir mardi. Dernier cours, j’ai échangé une petite série de bouquins à leur prêter contre leurs carnets autobiographiques à lire.
Pas sûre d’un échange équivalent.

Parce que moi, au soir, j’ai passé deux heures à les lire sans pouvoir décrocher mon regard de leurs mots.
Un petite claque.

Ils ont répondu à mon questionnaire de Proust un peu revisité.
Ils ont dit leur défaut, leur qualité. Justesse des mots.

Ils ont dit leurs couleurs, leur animal, leurs héros de fiction préférés.  Tendresse.
Ils ont écrit leur état d’esprit, celui du moment. Avec humour, souvent.

 

Ils ont collé des photos. Jolies.
Ils ont dit leurs dégoûts aussi. Pour les insultes, les injustices, les manques de confiance qu’on avait en eux.
Et le don de la nature qu’ils voudraient avoir. Voler au secours, soulager, guérir.
Arrêter les catastrophes.

Et leurs héros de la vie réelle. Des stars parfois. Leurs parents souvent. 
Et sa p’tite soeur, pour Lui qui n’a plus qu’elle.

Et leur rêve de bonheur. Être et rendre heureux. Tous. Bluffant.

Et pas un mot, un seul, sur le virus, les masques, les râleries du monde, les bêtises des grands.
Ils m’ont fait sourire. Ils ont 14 ans.
Merci.

Une jolie p’tite claque.

Ces petits instants et leurs voix

On continue.
Le collège ne se porte pas si mal. On égratigne un peu nos habitudes, beaucoup certains jours. C’est tout.

Je continue.
Avec le même plaisir de les retrouver, avec peut-être bien une envie plus vive encore de ne pas les quitter, de ne pas les perdre, de ne pas se reconfiner.
Avec des idées qui s’enchaînent à tout-va pour rendre ce temps masqué juste plus joli à vivre.

Ils continuent.
À avoir 14 ou 15 ans, à s’amuser – mais pas tout à fait comme avant- à se regarder, à se rechercher.

On continue.
Ensemble.

 

J’ai une chouette classe de 3ème encore cette année.
L’autobiographie- ce joli bout de programme- nous entraîne dans quelques confidences. Ils les écrivent, les partagent parfois.
J’aime bien ces petits instants.

Je me suis dit cette fois je vous enregistre. Ils ont aimé, même s’entendre.
Un petit magnéto. Quelques bruits de classe, juste au-dessus je crois.
Un montage qui efface les temps morts mais pas les hésitations, les tout petits ratés, les souffles ténus qui font que c’est bien eux.
Ils ne lisent pas, ils ont appris par cœur.
J’aime bien leurs écorchures de phrases. Et leurs voix, derrière leurs masques, sont bien là.

 

Ces petits instants de classe.
Leurs voix.
Et leurs souvenirs qui espèrent des souvenirs à enchaîner.

Et je vous partage 3 petites minutes 10, avec eux, à écouter.

 

 

La gentillesse

L’année n’est pas terminée mais nous avons dit au revoir à nos groupes de 6è ce soir. Drôle de fin de première année de collège. Sans notre grande fête traditionnelle.
Alors on s’est rappelé tout ce qu’on a fait avant, pendant et après le confinement, et vraiment, oui vraiment, ça avait l’allure de plein de jolis instants.

Et est venu le temps avec “notre” classe, celle avec laquelle toute l’année on prend des heures pour être un peu plus qu’un simple professeur.
On s’est quittés avec mes mots pour leur souhaiter un été “un peu chouette”, avec leurs mots qu’ils m’ont laissés sur des bouts de feuilles bleu ciel.
Ils ont posé là des petits mercis.
Des mercis qui touchent beaucoup parce qu’ils ne sont jamais de simples formules de politesse.

Il y a la simplicité de leurs mots qui font du bien et de leurs petites fautes pour lesquelles j’ai toujours plein de tendresse.
En rentrant à la maison, j’ai déplié les feuilles.
J’ai lu.
Et souri.

Et là, dans un coin, juste au bord, exactement là où il s’est tenu une bonne partie de l’année – dans un  coin de classe et de cours où on ne se fait pas trop remarquer –  il y  a le mot de ce petit bonhomme.
Ce petit gars un peu en marge qui déborde d’intelligence mais qui n’a pas la chance d’une vie facile et qui n’a pas les mots pour le dire.
Et qui, hélas, ne sera plus parmi nous à la rentrée prochaine.

Son mot, c’est un peu plus qu’un merci je crois.
En vrai, ce qu’il garde de son année, c’est ce que je pouvais lui donner de meilleur.
Merci bonhomme.

 

Croire au jour (1)

“J’ai cru au jour la première aujourd’hui.”

Il y a dans chaque matin cette parole d’Antigone.
Quand le monde dort encore, croire au jour est possible. Comme une espérance.
Le plus difficile, souvent, est de continuer à y croire quand le monde se réveille.

En plein jour.
Quand les couleurs se font plus franches, quand les dilués se révèlent, quand chaque minute affiche son éclat.
Et ses revers de gris.

 

Mes élèves de troisième sont revenus, depuis quelques temps déjà. En petits groupes, presque tous là.
On essaie de continuer, de faire comme avant. On y arrive à peine. Leurs masques retiennent leurs sourires et leurs bêtises. Et me manquent ces cours où je faisais virevolter mes mots et où ils jouaient avec.
Mais malgré cela, on est encore un peu ensemble, et c’est bon.
Et puis il y a eu ce petit bout d’heure.

Le théâtre et Antigone, on ne peut pas trop s’y coller. Sauf avec nos voix. Le jeu consistait à trouver le ton.
Et à choisir. Avec ou sans masque ?

Avec son masque, R. a lu un Créon qui étouffait sa colère.
Beau.
Avec le sien, M. a caché la tristesse qui emplissait Hémon.
Beau.
Est venu le tour de R. 
– Madame…je vais tout au fond de la classe et j’enlève mon masque, je peux ?
– Oui…tu peux dire pourquoi ?
– Antigone…elle sait qu’elle va mourir mais parle d’espoir. On ne peut pas dire qu’on aime la vie en baissant la voix ou même en la forçant derrière un tissu. J’ai besoin d’une voix claire: tout le monde dort et elle, elle est réveillée. Tout le monde semble mort et elle, elle vit. 

J’ai cru au jour la première aujourd’hui.

R. a osé monter sa voix pour terminer en une voyelle qui crie.
Notre aujourd’hui. La vie. 

 

Croire au jour est possible.
Quand les couleurs se font plus franches, quand les dilués se révèlent, quand chaque minute affiche son éclat.
Quand les voix se font claires pour aimer la vie, malgré tout.