Au ciel

Un mercredi qui court encore entre les classes du matin et l’après-midi trop occupé. Enfin le temps qui s’arrête, essoufflé. Rentrer à la maison en sachant que je vais pouvoir grappiller un peu de temps au temps.

Je grimpe dans mon bureau.
La pièce fermée depuis l’aube a besoin de respirer. J’ouvre sa fenêtre. On dirait que la vigne vierge élance ses bras, empoigne le premier nuage qui passe, fait un pas de deux, et valse, valse, valse. Les nuages bombent leur torse, peut-être bien que leur cœur bat un peu plus fort. Leurs contours en fil d’argent me sourient.
Le ciel raconte le beau quand nos yeux s’y accrochent.

Je m’assois enfin à mon bureau.
Il faudrait se mettre au travail. Juin demande encore, juin demande beaucoup. Peut-être même davantage auprès des jeunes fatigués, démotivés parfois, avec les collègues fatigués eux-aussi. Il faut être là. Encore.

Je souris. Je lève le nez.
Le Ciel pourrait bien avoir des réponses à mes questions et mes yeux l’interrogent encore.
Mais le ciel aujourd’hui semble seulement me dire que la vie est jolie vigne amoureuse qui virevolte dans des bras qui dansent tout ronds de douceur.

Il faudrait fermer la fenêtre maintenant, se concentrer un peu.

J’ouvre mes cahiers, j’allume l’ordinateur. Il faut préparer.
Un regard encore.
Le Ciel nous dit d’aimer la vie. Cela n’a rien de naïf.
Le Ciel nous dit d’aimer. C’est sûr.

Le reste, peu importe

C’est drôle la vie.
Ça fait pas mal d’années, beaucoup oui, que je me demande où a bien pu passer ce petit cahier bleu clair. Il y a le rouge, l’orange à la couverture glacée, le bleu mais plus foncé, le vert un peu délavé. À chaque fois que je terminais un petit cahier, je voulais que le prochain ait une couleur différente. Rouge, orange glacé, bleu foncé, vert un peu délavé. J’en avais cinq et ça fait pas mal d’années que je ne sais pas où a disparu le bleu clair.
Je les achetais gros et à grands carreaux. Gros, ça veut dire 96 pages. J’ai toujours trouvé ça étrange 96. Pourquoi pas 100, un nombre tout rond. Mais peu importe parce que 96 pages multipliées par 5 cahiers, ça fait un joli nombre de petites prières.
Ça fait pas mal d’années que j’ai perdu un de mes cinq cahiers de petites prières d’enfant. Oh…des petits bouts de mots, souvent de pas grand chose mais peut-être bien que je n’ai jamais écrit mieux depuis. Et souvent je les relis, avec tendresse, et elles font parfois mes prières d’aujourd’hui.

C’est drôle la vie.
Je ne savais plus ce qu’il y avait dans ce cahier bleu clair. Celui entre mes 11 et 13 ans.

 

Il y a un mois, je l’ai retrouvé.

Je rangeais une pile de livres et j’ai dû déplacer de vieux magazines, abonnements de petite fille. Le cahier bleu clair glissé entre deux Fripounet est presque tombé à mes pieds.

C’est drôle la vie. Aussitôt, je me suis dit c’est drôle la vie j’ai bien envie de le raconter ce petit morceau d’aujourd’hui.
Mais je n’y arrivais pas. Je trouvais ça un peu ridicule au fond et puis, qu’est ce que je pourrais bien en dire, ça n’intéresse personne un petit cahier bleu d’enfant.

C’est drôle. J’ai tous mes cahiers, je les ai relus, d’une traite. Ce soir. Des centaines de petites prières. Je les trouve jolies non pas parce qu’elles le sont mais parce qu’elles parlent de mon chemin et que ce chemin raconte quelque chose de moi et de Dieu.
Et c’est peut-être juste ça, ce que je peux dire. Ce que je veux écrire.
Le plus important c’est le chemin. Ton chemin. Il t’appartient.
Le reste, les autres, ce qu’ils en pensent, finalement peu importe.

C’est drôle la vie. Le petit cahier bleu clair s’est arrêté à la page 82.
Il ne voulait plus parler à Dieu. Il avait 13 ans et ses raisons.
Et puis il y a eu le bleu foncé, et le vert délavé. Et des grands cahiers ensuite avec des pages blanches et des pages blanches tapées à la machine à écrire et des prières enfin gardées dans un dossier d’ordinateur.

Ton chemin. Le reste, peu importe.

 

Le soleil timide

Le soleil timide m’a réveillée.
J’aime bien m’endormir en regardant le ciel, compter les étoiles parfois, inventer des histoires pour là-haut en faisant semblant d’oublier de fermer les volets.

Le soleil timide m’a réveillé.
J’ai descendu les escaliers pieds nus. Le cœur un peu plus léger.
Tu sais ça va ensemble le doux des pieds nus sur le bois des escaliers et le cœur qui redevient léger. Comme lorsque j’étais petite, c’est étrange ce temps qui file et qui au fond ne nous change jamais vraiment.

Le soleil timide, le café.
J’aime toujours la cuisine au matin, ses musiques surtout. Le bol qui s’échappe de la pile en caressant les autres peaux de faïence, la cuillère qui sort du tiroir comme un secret, la musique du jardin déjà bavard, la chanson gardée d’un vieil album qui revient aux lèvres et puis, le café qui coule, gouttes, douces gouttes .

 

Je vous donne un commandement nouveau :
c’est de vous aimer les uns les autres.
Comme je vous ai aimés,
vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Le soleil timide, ma Bible.
C’est drôle de lire “nouveau”. Je souris. Ils ne sont pas nouveaux ses mots. Je les entends depuis le début de ma vie, presque. Je n’y comprends pas toujours grand chose pourtant. Et j’aimerais tellement, j’ai aimé si souvent, je veux aimer encore. C’est comme si tous les malgrés emplissaient les petits espaces entre les mille et un ratés. Parce que la vie s’acharne à vouloir être jolie, à être aimée malgré nous.

Le soleil timide, la messe. On est prêts. Ce dimanche, nous quittons notre ville pour le village d’à côté. La paroisse en fête une fois de plus pour la première communion de ses enfants. 24 autres après les 56 de la semaine dernière. On compte mais je m’en fiche des chiffres en vrai. Ils sont là. C’est l’essentiel.

Le soleil timide, sur le parvis. Des mercis, des sourires, ce merci. Une maman, les yeux qui brillent. J’aime tant leur dire mon amour de Jésus. J’aime surtout les voir être là ceux qui ne viennent jamais, ceux qui sont à mille lieues de Dieu et aujourd’hui si près. Peut-être qu’Il peut les toucher, juste là, Sa main sur leur épaule. Va.

Le soleil timide, notre déjeuner. C’est lui qui cuisine, c’est bon. Petite Marie a terminé son année d’étude, déjà. La savoir là, parler de nos vies, penser aux grands, préparer de belles vacances. Réunis. Mesurer l’amour à l’aune de ce que nous avons construit.

Le soleil timide semble se réveiller.
Attraper les chaussures de marche, poser la musique sur mes oreilles, glisser ma main dans la sienne.
Filer.
Vers un bord de Loire qui fera défiler mes petites prières, en longs rubans dorés.

 

Le monde a tellement de regrets, tellement de choses qu’on promet.
Ton commandement pourtant.
L’amour comme s’il en pleuvait, aimer, mon unique projet.

Précieuses

– Précieuses.

 

Je ne sais pas comment ni pourquoi l’adjectif m’a paru évident quand ma collègue m’a demandé:
– Et ça se passe comment les heures là-bas…je veux dire… elles sont comment ?
– Précieuses.

Voilà. Il suffisait d’un mot un peu désuet peut-être même démodé, un mot qui ne dit pas exactement quoi mais un mot qui renferme de l’or.
Parce que ces heures renferment de l’or.
Précieux.
Comme un temps à retrouver et un temps à perdre.
Un temps hors de notre temps si bruyant si malmené si difficile et en même temps où l’on est bien dedans.
Un temps à la fois plein d’évidences et de contradictions. Comme essentiel.

 

Voilà. Je ne compte plus le nombre de virées  avec mes collégiens dans ce monastère niché dans un coin de ma campagne. Je ne sais plus vraiment pourquoi un jour j’ai décidé de les y emmener. Je ne mesure pas ce qu’ils y trouvent ni ce qu’ils y cherchent.
Je sais seulement leurs mots d’enfant en prière, leurs mots qui ne savent pas, leurs mots qui osent questionner. Je sais leurs pas sur le chemin entre les vignes, leurs rires auprès de Sœur Renée, leur simplicité. Je sais leurs yeux quand ils découvrent la chapelle, leur étonnement, leurs sourires. Je sais leurs silences, leurs mains qui allument un grand feu dans la vieille cheminée, leur joie. Je sais leur soif et Dieu qui est là.

Je sais seulement que demain soir, on part pour 24 heures, précieuses.

Quand une mouche me pique

Il y a des matins où je laisserais bien tout tomber. Tomber les projets et celui-là  d’emmener encore une fois des élèves en monastère. Quelle mouche l’a piquée, elle si convaincue tout le temps et la joie au cœur et le sourire en grand, je vous entends de là.
Ce qui m’a piquée:
– l’élève qui ne veut plus venir 8 jours avant parce que “je n’ai plus très envie”.
– l’info mal passée et pas enregistrée sur le bon timing.
– la Sœur hôtelière qui s’empêtre dans ses mails de réponse et remet en cause le séjour.
D’accord, la liste pourrait être plus longue, plus grave. Moi ça m’a suffit après les heures passées à organiser.
En vrai, vous savez, la joie ce n’est pas un truc naïf qu’on a au cœur et qu’on affiche en sourires tout le temps. Parfois, ça pique un peu au dedans.
Et souvent, je me dis mais ça, ne leur raconte pas, ne dis que le joli.
Sauf qu’ils existent ces matins où je laisserais bien tout tomber.
Et à deux doigts d’envoyer balader tous ceux que je croise.
Zut c’est moche.

Et puis non, je m’accroche un peu.
L’info mal passée suivie une heure après d’un “pardon, mille pardons” et je ne sais même plus s’il y avait un truc à pardonner.
La Sœur hôtelière a retrouvé le fil aussi, prend son téléphone cette fois et se confond en excuses si bien qu’à l’autre bout, j’ai presque l’air idiote.
L’élève, ce n’est pas si grave. Mais c’est étrange ce pas envie, elle qui était si enthousiaste, faut que je creuse.
Zut, ça a failli être moche, ça redevient presque joli.

L’élève encore. Il faut que je creuse. Vraiment.
Je l’attrape sur la cour.
C’est un peu grave. Ce n’est surtout pas une question d’envie.
Et c’est moche de m’être emportée sans vraiment savoir. En même temps ces ados qui changent d’avis comme de chemise zut.
Mais elle, si je pouvais, j’aimerais l’emmener pour lui changer les idées.

Je fais bien de m’accrocher.
Tout est prêt maintenant. Calendrier, accueil là-bas. J’étais à deux doigts de faire tout voler.
Pour rien.

Et la journée file jusqu’à ce petit instant. 17h20. Sortie. L’élève a dû raconter.
La maman m’appelle.
Tout s’arrange, elle vient. Je ferai que tout se passe bien, oui. Vraiment.

Il y a des soirs où je sais pourquoi je m’accroche. Pourquoi la joie au cœur et les sourires tout le temps.
Il y a des soirs où je sais Te dire merci. Il y a des soirs où je T’entends me donner Ta paix.
Je peux leur raconter, maintenant. 😉

 

Avec leurs mains

Leurs doigts posés, glissés, ajustés
leur mots pesés, rares, précieux
le silence qu’ils osent garder
le temps retenu, ensemble.

Aujourd’hui, ils ont prié avec leurs mains, les unes près des autres, proches.

Je me suis nourrie de leurs gestes d’enfant,
Infiniment justes.
Infiniment vrais.

De leur silence aussi
Rempli d’amour.

 

Ateliers “pardon” et “mosaïque”. Préparation à la première Eucharistie.
Eglise du Fief-Sauvin. 24 avril 2019

 

Clin Dieu (3)

On the road.

Dieu a de l’humour.
Celui qui ne se moque pas, celui qui aime, qui sait aimer en vérité et me montrer le chemin.

J’ai posé le MP 4 sur mes oreilles, fermé les yeux.
Choix aléatoire.
La chanson que petite Zoé aimait écouter en boucle comme pour nous dire au revoir.
Et tout revient au cœur.

Les rires. La douleur. Les sourires enfin.
Savoir que je retrouverai tous ceux que j’aime, ceux que je n’ai pas bien aimé, qu’ils sont vivants en Lui.
Et sourire en vrai.

De l’amour, des bigoudis et Dieu

Je me demande ça, souvent : est-ce que Dieu Il vient là aussi ? Est-ce qu’Il vient entre les parfums des filles, les magazines people et les shampoings au parfum d’amande ?

Sophie, en posant la serviette sur mes épaules, m’a demandé:
– Alors que fait-on pour être belle pour la saint-Valentin?
Bon d’accord c’était le jour. Mais en absolument vrai, le petit tour chez la coiffeuse c’était juste parce qu’on filait en Bretagne juste après et que je n’avais pas eu le temps avant.

Je l’aime bien ma coiffeuse.
Elle garde dans ses mains et dans sa voix un peu de douceur qu’elle nous donne en plus, simplement.
C’est peut-être à cause de Valentin, je ne sais trop, mais il y a eu du joyeux juste après, comme une petite effervescence de confidences entre deux ou trois coups de ciseaux. Simone et ses jolies mèches gris clair sur la tête a commencé à raconter ses presque 60 années de mariée. Margot du haut de ses 20 ans tout neuf a déplacé le sèche-cheveux en lui disant qu’elle faisait drôlement jeune.
– Mais je le suis! Mariée à 18 ans…avec l’autorisation de mon papa, obligatoire!  Tu sais à cette époque on ne vivait pas comme ça… à deux.
La tête sous la mousse, j’ai repensé à cet article un peu propret sur une rencontre en abbaye, aux pubs valentines du jour, aux trucs qu’on affiche pour dire qu’on s’aimait, qu’on s’aime et qu’on s’aimera, aux amies séparées aussi.  Je me suis demandée comment Dieu veillait sur nous toutes, et nos mariages, et nos amours, et nos vies comme elles sont, et est-ce qu’Il était là, maintenant, entre les parfums, les magazines et les shampoings ?

À ce moment-là, Pauline est arrivée avec sa trentaine joyeuse et le petit resto du soir à raconter avec son amoureux.
Simone a souri.
– Vous savez quand j’ai rencontré mon époux, on n’avait pas grand chose surtout pas de quoi aller au restaurant pour fêter notre anniversaire de mariage …
C’est joli de dire époux surtout comme elle l’a dit Simone, en appuyant sur la dernière syllabe comme pour le rendre plus doux.
– … alors on préparait un peu plus à la maison pour le dîner et je me coiffais bien, avec des bigoudis sur la tête tout l’après-midi… Marcel remettait son costume, et c’était bien.

Je ne sais pas si Dieu était là, entre nos parfums, nos magazines et nos shampoings.
N’empêche. Maintenant, je suis certaine qu’Il sait que les bigoudis, ça va un peu avec l’amour.