Il pleut

Il pleut.
Demain, dernière balade océane avant de retrouver mes cahiers.
Je suis heureuse. Je n’ai pas trop écouté les rabat-joies ni les coléreux cet été. J’ai même souvent fermé mes oreilles. Et j’ai regardé le monde, sans rien dire. 
Je voulais voir. Et j’ai vu.
Des sourires d’enfants, des morceaux de soleil, des tristesses à consoler, des mains tendues, des poings fermés, des envies de vivre, des éclats de rire, des yeux qui brillent, des mots à retenir.

Il pleut.
Demain, il faudra prendre le ciré qui n’a pas servi depuis longtemps.
Je suis heureuse. J’aime la pluie qui frappe les carreaux et qui semble me dire regarde encore un peu, est-ce que tu vois septembre au loin qui t’attend.
Je veux voir. Encore.
Des sourires d’élèves, des rayons de soleil, des larmes à sécher, des mains qui se croisent, des poings serrés, des envies de courir, des éclats de vie, des yeux qui rient, des mots à lire.

Il pleut.
Demain, dernière balade océane avant de recommencer.
Je suis heureuse et il faudra oser, encore, dire la joie  – infiniment, au-delà de toute tiédeur, par-delà la grisaille, à contre-temps souvent –
de vivre.
Puisqu’Il est là. Même sous la pluie.

 

Voir au loin

VOIR – épisode 7


Il faudra garder un peu du beau de cet été alors, déjà, on a coupé des hortensias, lié et suspendu leurs pieds pour les faire sécher sous le ciel presque trop bleu en songeant aux bouquets d’hiver.
Sans trop y penser cependant.
Ne pas voir trop loin.

Juillet étire sa fin et août nous tend les bras. La Bretagne d’Élise nous attend, celle des terres du milieu, celle qui ondule ses collines faute de vagues, celle qui renferme dans sa forêt de Brocéliande des contes à réveiller l’enfance. On a hâte d’y être, de se retrouver encore, de parler de son mariage et en même temps on a appris avec ce printemps à ne pas se hâter, à ne pas penser trop loin, à vivre un peu plus au présent. Ce virus a fait de nous des spécialistes de l’aujourd’hui, ce temps pour tout et pour chaque chose au rythme de l’Ecclésiaste.
Ne pas voir trop loin.

Deux semaines que j’ai quitté le collège et les habitudes du quotidien. Deux semaines que j’ai retrouvé l’été et ses précieux silences, ceux du soir qui s’éteint doucement sur les rives, ceux des jours qui m’entraînent loin, ailleurs. Deux semaines et l’impression que le temps prend de la distance, qu’il agrandit l’espace entre hier et maintenant, qu’il enlève aux heures ses secondes.
C’est étrange le temps. Dans quelques semaines, tout reprendra.
Mais ne pas voir si loin.

Il faudra garder un peu du beau de cet été, alors j’écris encore des mots sur un cahier, déposés. Je ne sais plus très bien si ce sont des prières. Peu importe, je les écris.
Peut-être que Tu lis.


Peut-être.

J’essaie de ne pas voir au loin.

 

Sous le vernis un peu trop foncé

VOIR – épisode 6


– Elle ne peut pas être mauvaise, elle est née dans un atelier de Plancoët.

Je revois encore Jacques nous parler de cette table quand au moment de nous laisser sa petite maison en location, il laissait aussi sa salle à manger et cette énorme table au vernis foncé. Nous étions jeunes et sans beaucoup de meubles. Et même si cette table et ce buffet nous ont paru un peu trop bretons pour notre goût, il y avait sans doute un petit bout d’histoire qui n’était pas pour nous déplaire.

Ce qui fait que la table, massive et au vernis que je trouvais toujours trop foncé, nous a suivis dans nos déménagements successifs. Et le buffet aussi.

Et puis la vie a filé. Les enfants sont nés. On a fêté leurs anniversaires autour de la table solide. Il y avait encore nos grands-mères, mon grand-père et je le revois, lui, assis au bout, caressant d’une main qui ne pouvait plus faire beaucoup, le bois au vernis trop foncé.

Et puis la vie a continué. Sans eux et la table, fière et robuste, est restée là malgré nos “il faudrait qu’on en change… “, jamais vraiment convaincus.

Et puis le confinement nous a encore rassemblés autour d’elle. Chaque midi et chaque soir, en famille. Et avec lui, l’idée que finalement même avec son vernis trop foncé, je n’étais plus très sûre de vouloir en changer. Non pas que je m’attache aux choses mais j’ai pris conscience que cette table et ce buffet n’étaient plus seulement des choses. Pas même des meubles. Ils étaient, ils sont, une partie de notre petite histoire. Et je crois même qu’en les voyant, ils sont capables de nous raconter un peu.

– Elle ne peut pas être mauvaise…
et si on lui enlevait juste son vernis trop foncé !

On a rangé nos cahiers vendredi midi et dès ce lundi matin, on est allés s’acheter une ponceuse et de la toile émeri. Je crois que la vendeuse a souri à nos questions derrière son masque. Mais on s’en fiche un peu d’être des bricoleurs du dimanche. On a poncé, frotté, aspiré tout l’après midi et au fur et à mesure que le travail avançait, on pouvait voir réapparaître le beau du bois au-dessous du vernis trop foncé. Ses nœuds. Son cœur. Son fil de vie je crois.

De nouvelle vie ?
Je ne sais trop.

Même avec une huile très claire pour protéger son bois – plus de vernis trop foncé ! – et un peu de peinture sur ses jambes pour les rajeunir, ma table reste la même, au fond.

Et ça me plaît bien cette idée-là. Sans son vernis trop foncé mais toujours avec son air un peu trop massive, je peux voir encore les bougies des anniversaires qu’on a soufflées autour d’elle, voir encore sa main qui caressait doucement le bois, voir encore nos années qui se sont aimées à l’entourer de nos vies.

 

         

Que du feu

VOIR – épisode 4


Je n’y ai vu que du feu
Peut-être bien que ma tête était souvent ailleurs
Peut-être que mon cœur parfois aussi

Je n’y ai vu que du feu
La nièce a 20 ans et les enfants tous réunis
quelques mois, quelques années de plus
déjà

Je n’y ai vu que du feu
à ce temps de maman qui passe et laisse derrière lui des traces
des joies, des promesses
d’amour

Je n’y ai vu que du feu
à cette vie qui court et emporte et court encore après quoi
des joies, des promesses,
la vie toujours

Je n’y ai vu que Ton feu
dans ces heures qui filent et me laissent sur le fil
des jours, des mois, des années ?
encore

le temps d’aimer  🙂

 

En s’approchant

VOIR – épisode 3


Au détour de quelques branches à tailler, je l’ai aperçu. Curieuse mais discrète, je me suis approchée. Silencieuse.
S’il y a des petits habitants, j’arrête net mes élans de jardinière.
Mais point.
Vide. 

Non, à peine.

J’ai vu au creux un vieux joli bout d’étoffe fait de tout petits fils dorés. 

 

On voit mieux en s’approchant.
En se faisant proches.
En osant être ce prochain.

On voit mieux ces tout petits fils précieux qui tapissent chacune de nos vies.

 

 

Vous passerez bien nous voir ?

VOIR –  épisode 1


 

– Vous passerez bien nous voir ?

Je ne suis pas certaine de l’interrogation. Je crois même que la voix s’est plutôt éteinte en pointillés, n’imposant rien.

– Vous passerez bien nous voir….

Il y a eu le temps appuyé sur le “bien” qui sonne  davantage comme une invitation, pas le moindre reproche, et qu’on peut difficilement refuser.
Comment le faire d’ailleurs ? Ils sont notre famille et nous sommes désormais en vacances. Bien sûr les manuels sont encore ouverts et les dossiers de l’ordinateur ne sont pas éteints, bien sûr la semaine prochaine je retrouve les collègues pour baliser l’année et il y a toujours des idées qui s’emmêlent avant de fermer mon cartable pour un temps, bien sûr le petit mari filera vers la ville pour rattraper quelques bacheliers encore, bien sûr la maison à ranger, bien sûr. Mais nous sommes en vacances, malgré tout, alors passer les voir fait partie de ces rituels de nos débuts de juillet. Ceux qu’on ne voit pas dans l’année faute de temps à donner, faute de temps à s’accorder peut-être.

On prendra les vieilles routes de l’enfance, celles qui traversent les bois ou longent les côtes. On ira à l’improviste parce que de toute façon, à cette heure creuse des après-midis, ils sont toujours chez eux. On sera déjà autour de la toile cirée, le café fumant dans les tasses, les petits gâteaux secs dans une assiette creuse – celle qu’on aimait regarder, petits, avec ces dessins tout autour comme une bande dessinée qui nous racontait une histoire d’autrefois –  on sera déjà bien installés oui, avant même qu’on ait donné des nouvelles de la santé, des enfants, de nos vies un peu.
Et les heures passeront, parenthèses de nos souvenirs de gamins à traîner dans cette vieille grange ou à galoper sur ces chemins. On se rappellera un temps d’insouciance et cela donnera comme un peu de légèreté à ce début d’été.

Le soir s’approchera doucement des fenêtres et déjà les assiettes sortiront des placards. Vous resterez bien dîner. Cette fois c’est sûr il n’y aura pas de question. Ce serait les blesser de refuser. Les œufs sont cassés en un tour d’omelette, la salade est cueillie, le fromage est posé sur la table. On se souviendra encore de ces tablées où le grand-père regardait ses enfants et petits enfants avec la certitude que son histoire pourrait continuer pendant que l’oncle racontait ses blagues et que les petits attendaient le oui, clé pour se libérer des grands et pouvoir enfin aller jouer. On parlera d’aujourd’hui aussi, regardant nos rides au coin des yeux et nos cheveux blancs avec les sourires du temps qui avance inexorablement. Et de demain, de demain encore, la vie continue.

La nuit tarde à venir mais il est temps pourtant de retraverser les bois ou de longer à nouveau les côtes.
Au retour, on se redira simplement un “on devrait venir les voir plus souvent…” laissant aux pointillés le soin d’emporter nos morceaux d’enfance mêlés à nos partages du jour.
Et puis, avant le silence de la route à refaire dans l’autre sens, il y aura ces derniers mots, chacun gardant le doux des retrouvailles.

– C’est tellement bon de retourner les voir.

 

 

 

à voir

Juillet croustille en son cœur d’un nouvel été à venir
Juillet brille des vieux feux allumés sur des plages
Juillet liste les projets sur une fin de cahier

Juillet espère les demains et se souvient parfois des étés d’avant. En même temps.

S’il est vrai que je n’aime pas les fins d’année au collège – dire au revoir, ranger, terminer – j’aime déjà les projets qui s’annoncent pour septembre. Mais, auparavant, cette chance – infiniment consciente – d’un long temps qui m’est donné sans que presque plus rien ne le contraigne. Quelle chance oui.
Alors je liste à n’en plus finir les détours, les chemins, les idées des semaines à venir.

Et drôlement, depuis hier, au hasard de lectures, de rencontres et de jolis brins de conversation, il y a un verbe qui revient, s’entête, s’obstine.

Voir.

Non pas regarder, mais voir. Beaucoup moins subtil, un verbe présent sans acuité, sans audace, presque désinvolte.
Voir.
Voir le beau. Voir le précieux. Voir Sa présence. Ou mieux, voir.
Simplement, sans compléments, un verbe d’été, à laisser vivre.

Je ne sais s’il portera les fruits espérés de mes détours, de mes chemins, de mes idées. Il est possible que je vienne le conjuguer ici, sans aucune certitude aujourd’hui du nombre de fois… à voir, on verra bien.  😉

Voir.
Avec des mots qui donneront la parole à mes yeux. J’aime bien l’idée.

Bel été pour vous tous, je l’espère, je vous le souhaite.
Et à vous voir ici très bientôt !

Corine

Voir… le beau d’un bord du Bélon (Finistère)