Gravés

Bien regarder les petits fils argentés qui colorent l’espace de notre monde, de nos vies, de nos cœurs. Parce qu’ils existent, en vrai. 

Jour 11

On peut y aller à pieds après le déjeuner. La rue à gauche, on longe plusieurs maisons, et c’est au bout du chemin. Il pleut mais on n’est pas loin. La grille en fer forgé me semble rouillée par endroit, la porte grince un peu. On dirait qu’elle sépare deux mondes. Pourtant, de l’autre côté, le décor est presque le même: le chemin goudronné, les allées, les pots de fleurs, comme un autre quartier. On avance jusqu’au bout, c’est souvent la même ritournelle des prénoms qu’on peut lire sur les pierres, tour à tour.

On peut y aller à pieds par n’importe quel temps, c’est tout près. La route descend doucement mais ce ne sera pas trop difficile pour remonter. On prendra notre temps. Là, personne ne nous attend vraiment. J’aime bien lire les prénoms, surtout ceux d’il y a très longtemps. J’aime bien aussi quand deux prénoms, elle et lui, sont réunis sur le même granit.

On remonte à pieds, tranquillement. On se rappelle certains noms parfois, des bouts d’histoire. Ce sont les prénoms qui reviennent d’abord, comme s’ils étaient encore là. Vivants.

C’est toujours un peu étrange un cimetière.
J’aime bien l’idée que leurs prénoms soient gravés sur leurs lits de granit pour le reste de leur vie.

 

Petite prière pour vous aujourd’hui et ceux que vous aimez qui ne sont plus.

 

Au fond d’une petite prière

Bien regarder les petits fils argentés qui colorent l’espace de notre monde, de nos vies, de nos cœurs. Parce qu’ils existent, en vrai. 

Jour 10

Dix jours. Un quart de Carême. Oui, je sais, je compte les jours parce que c’est toujours… long. 😉

En relisant ma semaine, je me dis que ce chemin de visages aux noms qui colorent l’espace de nos vies, ici, ne raconte pas beaucoup Dieu, enfin si, mais pas directement. Et là, ce matin, en lisant l’évangile du jour, j’ai eu l’impression qu’Il me rejoignait dans mes histoires de prénoms.

Bizarrement , c’est à cause de Son “Aimez vos ennemis”. Je n’ai pas décidé d’entreprendre un commentaire d’évangile, non, rassurez-vous. Allez, je vous raconte.

Voilà.
Je n’aime pas mes ennemis, non.
En vrai, je n’ai pas d’ennemis personnels comme ce mot pourrait s’entendre mais si j’en avais, je ne les aimerai pas. Oui, je les haïrai même.
Je n’ai pas d’ennemis. Pourtant je n’aime pas les quelques-uns et quelques-unes qui, au cours de ma vie, ont pu me faire du mal, sciemment, en sont restés là souvent sans explication aucune et basta. Une chance, cela ne m’est pas arrivé souvent . Et cela ne m’est pas arrivé aussi gravement qu’un véritable ennemi pourrait agir. Vous savez, quand je repense à ces quelques-uns et ces quelques-unes, et bien, je me rends compte que si j’ai pu estomper les blessures avec le temps, je n’ai pas oublié leurs prénoms.
On y est.
Leurs prénoms à jamais dans ma mémoire exactement comme ceux des gens qui m’ont fait du bien.
C’est bête ce truc qu’est la mémoire.
C’est vrai, avec le temps, ça s’estompe un peu mais il reste leurs prénoms.

La vie a continué, elle continue, on se construit, on grandit, on aime, on tombe, on avance. Bref, la vie. Et les prénoms, on ne les oublie jamais.

Voilà.
C’est peut-être ça qu’Il me dit au fond dans son “Aimez vos ennemis”.
En tous les cas, c’est ce que j’entends aujourd’hui dans cette parole-là.
Ne pas les oublier tout à fait pour, peut-être un jour, murmurer en petits mots qui pardonnent leurs prénoms au fond de ma petite prière.

Je sais qu’il est des douleurs qui ne se pardonnent pas et je prie ce matin pour celles et ceux cruellement blessés, à jamais.

 

Bon deuxième dimanche de Carême les amis, à lundi.

 

Elle détestait son prénom

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Jour 9

Elle détestait son prénom. Au long des années de collège que nous avons partagées, je l’ai toujours appelée Momo et il n’était pas question de l’appeler autrement. Elle ne voulait pas l’entendre son prénom. D’ailleurs, je me souviens que c’était assez facile de ne jamais l’entendre car, à cette époque, les professeurs eux-mêmes ne l’appelaient pas autrement que mademoiselle T. parce qu’ils nous nommaient facilement par nos noms de famille, surtout si on le souhaitait ardemment. Et Momo le souhaitait.

Elle détestait son prénom. Nous, on s’appelait Stéphanie, Christelle, Carole, Laurence, Nathalie, Corine ou encore Valérie. Vous avez des prénoms normaux, pas moi. Elle voulait dire de notre époque sans doute. Cela pourrait me faire  sourire aujourd’hui mais je me souviens que son prénom, tout le monde, en réalité, s’en fichait. Elle nous avait raconté une seule fois que c’était une histoire un peu bizarre d’une petite sœur de son papa qui avait porté ce prénom, vingt ans avant sa naissance à elle, juste à la fin de la guerre, nous n’avions pas bien compris mais nous savions qu’elle n’aimait pas du tout ce drôle d’héritage.

Elle était Momo et on l’aimait beaucoup. Je me souviens de son visage toujours souriant, de ses cheveux courts souvent ébouriffés, de son audace aussi. Momo aimait les blagues, sans méchanceté. Elle avait des tonnes d’idées pour animer nos récrés. Elle était drôle.
Elle détestait son prénom. Nous, on l’aimait bien, elle. Peut-être qu’elle prenait toujours les devants à cause de ce prénom qu’elle n’aimait pas, faisant facilement le clown sur la cour, attirant l’attention de l’une ou de l’autre. Peut-être que cela lui avait donné envie d’être quelqu’un dont on se souviendrait.

J’ai quitté le collège pour un autre lycée qu’elle et j’ai revu Momo, longtemps, très longtemps après. Elle était devenue maman de deux petites filles alors que j’attendais mon aînée. Je ne sais plus vraiment comment on s’était retrouvées là, toutes les deux, lors d’une escapade d’un été. On s’est reconnues tout de suite. Momo avait toujours ses cheveux courts, plus du tout ébouriffés et son sourire semblait un peu plus sage. Mais c’était bien elle. On ne change pas vraiment.
Oui, je vais bien. Je ne travaille pas pour le moment, avec Marion et Pauline qui n’ont que 16 mois d’écart, c’est du boulot.

Il m’a semblé qu’elle avait prononcé les prénoms de ses deux filles avec beaucoup de joie, un peu de fierté même mais je me suis peut-être imaginée une histoire. Une chose est certaine c’est que c’était deux prénoms phares des années 90. Marion et Pauline. De cette époque. Normaux, aurait-elle pu dire.
On s’est quittées après un long bavardage.
Je me souviens ne pas avoir su comment l’appeler. On ne s’appelle plus Momo à presque 30 ans. Un simple au revoir. Et je me suis longtemps demandée si, devenue adulte, elle avait accepté le prénom de Monique.

 

Ma p’tite prière aujourd’hui pour les jeunes de collège qui m’entourent avec leurs complexes, leurs fragilités mais aussi, inévitablement, leur force.

 

 

J’ai oublié

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Jour 8

Il est 15 heures. Il lui a apporté un café, deux petites galettes Saint-Michel enfermées dans un sachet plastique et a retapé le coussin dans son dos. Il lui a demandé si tout allait bien, et oui, quelle pluie depuis deux jours, en même temps, c’est la saison et est reparti, souriant, vers la chambre suivante.
Elle a mis un peu de temps à ouvrir le petit sachet de galettes. Mes doigts sont de moins en moins agiles mais je peux encore tricoter, c’est l’essentiel. Ça occupe bien les heures de faire des petits carrés de couleur au crochet pour les couvertures de Lourdes.
Elle a trempé doucement la galette dans son café et a dégusté son goûter, tranquillement. Un petit instant suspendu à se rappeler sa maison et les cafés avec les copines. Elle les nomme une à une et avec chaque prénom, une anecdote.
Elle s’arrête juste au milieu d’une phrase, comme perdue. Elle semble remonter le fil de ses souvenirs, cherche encore. Ses sourcils se froncent. On dirait que la colère va l’envahir mais non. Les paupières s’affaissent, elle soupire, doucement.
– Ah c’est terrible…lui, pourtant je le revois bien. Il était de toutes nos balades. C’était un cousin éloigné. Il nous emmenait dans sa voiture, oui, il avait une voiture. Une belle Simca grise avec de beaux sièges, pas en cuir, mais ça y ressemblait. Le dimanche, quand il faisait beau, on filait souvent pique-niquer sur les bords de la Loire. On se mettait à l’ombre de la petite chapelle quand il faisait trop chaud. J’avais une robe que j’aimais bien, jaune pâle, je me l’étais faite moi-même.
Elle ne tarit pas de détails. Les boutons de nacre, la ceinture qui marquait sa taille, la couverture jetée sur l’herbe pour ne pas salir la robe soleil de printemps.
– Ah c’est terrible… lui, pourtant…
Elle reste là, sa tasse vide dans les mains, triste.
–  Pas moyen de retrouver son prénom… J’ai oublié son prénom. C’est terrible d’oublier.

 

Ma petite prière, aujourd’hui, pour nos vieux parents, nos vieilles amies, souvenirs de nos jeunes vies, dont la mémoire, sans crier gare, s’enfuit.

 

Leurs prénoms sur leurs blouses

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Jour 7

Catherine. J’ai lu son prénom sur sa blouse quand elle s’est penchée pour caler un oreiller sous mon cou. Vous serez mieux ainsi m’a t’elle dit, encourageant d’un regard, d’un sourire, de quelques mots mon souffle, mon cœur, mes efforts. Je l’ai vue là, constamment. Elle a veillé quelques heures. Elle avait pris la relève de garde au tôt du matin.
Catherine. C’est elle qui a posé mon bébé sur mon ventre.
Je l’ai revue souvent par la suite, au détour d’un rendez-vous, parfois dans un rayon de magasin, un soir de spectacle même. Elle habitait ici elle aussi. À chaque fois que je croisais son regard en un bonjour, le souvenir du prénom écrit sur sa blouse me revenait comme un sourire.

Stéphanie. Je n’ai pas oublié son prénom sur sa veste quand elle lui a donné le sandwich. L’aire d’autoroute ce matin de vacances de printemps n’était pas encore bondée de touristes, il était trop tôt sans doute. Murielle avait décidé de me faire découvrir Firenze – elle ne disait pas Florence, jouant de son bel accent italien-  et elle avait arrêté sa vieille super 5 essoufflée  le temps d’un bon café avant de passer la frontière. Je crois que mes presque 20 ans oubliaient le monde autour parfois, bercés de la douce illusion qu’il n’existait qu’entre littérature et Botticelli.
Stéphanie me l’a rappelé en un geste, un regard, un sourire. Devant moi, une femme à l’accent qui n’était pas italien mais qui venait de loin. Ses mains vides lui ont montré qu’elle n’avait rien, seulement faim. Stéphanie a jeté un regard rapide autour pour voir si aucun autre employé ne la voyait, a attrapé un sandwich, s’est dirigée vers sa caisse pour faire comme si et lui a tendu le repas sans rien attendre en retour.

Annie. Je ne peux pas l’oublier. C’est le premier prénom que j’ai croisé, épinglé sur le revers de sa blouse. – Je suis chargée de l’accueil des nouvelles hospitalières. Enfin, l’idée est de vous donner envie de le rester ! Elle a éclaté de rire et cette première année ne fut que joie.
Yann. Je ne peux pas l’oublier. Son prénom en lettres rouges devant un nom impossible à prononcer sur une blouse jamais bien boutonnée.
Isabelle. Aurélie. Line. Leurs prénoms, dans les gardes de nuit, sur leurs blouses d’infirmières.

 

Une pensée aujourd’hui pour tous les visages que vous croisez sur vos chemins,  lorsque vous levez un peu les yeux au-dessus du prénom écrit sur leur blouse.

 

On ne l’appelait pas

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Jour 6

On ne l’appelait pas. On passait de l’autre côté du trottoir, on lui faisait un bonjour d’un signe de la tête, de la main ou de la voix et on continuait nos bavardages. Cartables sur le dos, on rentrait à trois ou quatre de l’école primaire parce qu’il n’y avait que 800 mètres à faire, qu’elle allait chercher les plus petits à la maternelle, qu’on l’attendrait sous le porche tranquillement qu’elle revienne avec la marmaille pour nous offrir un goûter le temps que tous les adultes de nos maisons viennent nous chercher. Ce temps chez Tatate, comme on la nommait, est longtemps resté précieux.

On ne l’appelait pas. Il était toujours assis là, sur le pas de sa porte comme ça pouvait se faire encore autrefois. Ce n’était pas vraiment sa porte, je l’ai appris beaucoup plus tard quand Blanche m’a raconté son histoire. Blanche le logeait ici seulement l’hiver quand il ne pouvait plus partir sur les routes. Il y avait une pièce au fond de son jardin, oh pas un vieux cabanon non, une vraie pièce joliment repeinte en vert pâle, avec un bon lit, des tonnes d’édredons, un petit réchaud et du café. Un toit.

On ne l’appelait pas. On avait l’habitude de savoir que le printemps revenait quand il disparaissait. La douce saison passait et l’été nous faisait oublier le chemin de l’école. Quand septembre arrivait, et ce jusqu’en fin de primaire, nous reprenions le chemin entre l’école et le goûter. C’était souvent un premier jour de pluie d’octobre qu’on le revoyait. Je crois qu’il connaissait les heures de classe par cœur et celle de la sortie. Il répondait toujours du même geste de la main et des mêmes mots, jamais inchangés, ” Bonsoir les gamins !” Il ne connaissait pas nos prénoms lui non plus.

J’étais étudiante depuis quelques années je crois quand j’ai appris qu’il ne venait plus chez Blanche l’hiver. Tatate, à qui je continuais de rendre visite, a pris le temps de me raconter un peu son histoire. On ne lui avait jamais demandé auparavant, il faisait juste partie de notre chemin d’écolier. Indifférents à ce qu’il pouvait être, préoccupés par nos jeux d’enfants, nous étions passés des années devant lui en l’appelant entre nous Cloclo. Peut-être bien à cause de “clochard”, sans moquerie – je ne me souviens pas qu’on se soit, un seul jour, moqué de lui-, sans amitié non plus, Cloclo était simplement là, sur notre chemin, de l’autre côté du trottoir, au long des jours de pluie ou de froid.

Il s’appelait Paul.

Une pensée aujourd’hui pour toutes les Blanche qui le temps d’un hiver, parfois davantage, offre du temps, du chaud, un toit.

 

Les prénoms des matins

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Jour 5

J’aime les matins. J’aime le tôt des matins quand le jour n’a pas réveillé la nuit qui sommeille encore et l’impression que ce monde endormi peut être paisible.
Je crois qu’on peut aimer pareillement le très tard des soirs lorsque le presque silence d’un monde qui s’endort commence à s’installer.

J’aime le tôt du matin, son café, quelques pages de ma Bible. Le silence du monde tout autour et doucement, les premiers bruits des réveils.
Celui du journal glissé dans la boîte aux lettres par Philippe qui fait sa tournée, fidèle, chaque jour.
La voiture de Linda qu’elle fait toujours ronronner un peu avant sa longue journée de travail.
La voix de Jessica qui calme les pleurs de sa petite dans la poussette qui la mène à pied chez sa nourrice.
La moto de Laurent, la camionnette de Matthias. C’est drôle comme je deviens experte des démarrages.
Parfois, Marina m’envoie un SMS qui me raconte un joli moment comme je les aime avant de rentrer de sa nuit de garde à l’Ehpad.
Juste après, il y aura ma vie qui se réveille. Mais avant, il y a ces bruits familiers et quelques autres que je peux, sans rien dire, glisser dans  ma petite prière.

Ils sont debout celles et ceux qui font le monde avant même que je n’ai posé un pied au-dehors.

J’aime le tôt des matins quand le jour n’a pas encore réveillé la nuit qui sommeille et les premiers bruits d’un monde qui me redisent combien, malgré absolument tout, je l’aime.

Bon chemin, matins et soirs, pour cette deuxième semaine de Carême.  🙂

 

 

 

Modèles

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Jour 4

On m’a dit qu’il y avait eu Nicolas et Pimprenelle mais je n’en ai aucun souvenir. Non, je crois que tout  a commencé avec Julie et François sur une petite île faite pour les enfants et seulement eux, puis, assez vite, c’est Claude et son Club des cinq qui ont pris le relais pendant quelques années. Ensuite, Alice, un peu, mais elle n’a jamais vraiment rivalisé avec les quatre cousins et Dagobert.
Et après ?
J’ai passé la dizaine d’années et mes héros et héroïnes ont quitté le petit écran ou les pages des romans pour porter les prénoms de vraies vies que je trouvais extraordinaires. Il y a eu Teresa, Emmanuelle et Pierre, oui surtout Pierre. Une mère, une sœur, un abbé, me voilà bien partie. 😉 Oh mais pas seulement. J’ai dévoré les aventures d’un commandant Cousteau dont je ne sais pas le prénom d’ailleurs, d’un Christian qui voyageait appareil photo en main dans les coins les plus reculés des savanes ou encore d’un Paul-Emile parti seul aux confins des grands froids. Coincée dans ma chambrette, allongée sur mon lit en chaussettes et pyjama, les mains enfouies dans mes joues, je me rêvais la plus grande des aventurières.
Puis, il y a eu ces temps où le monde a touché ma vie, c’est peut-être là, juste à ce moment-là, que l’enfance se termine. Indira, Lech ou Vaclav ont jalonné mes heures étudiantes et la vie a continué, ponctuée de prénoms qui font nos convictions, nos avis, nos idées.

Je crois bien que nos vies sont tissées de ces liens-là : modèles imparfaits parfois ou, au contraire, beaucoup trop lisses je ne sais pas, personnages imaginaires ou non, il est des prénoms qui nous donnent simplement envie d’être là, d’avancer, de chercher. Je n’ai pas oublié Jésus, Joseph, Tobie. Ils sont là, eux aussi.

Depuis ce début de Carême, juste commencé, je tire de ma mémoire et de mes jours présents les petits fils d’argent qui la rendent plus belle. Je me suis vite rendue compte dans cette entreprise nouvelle d’écriture qu’il me serait difficile de poser là quelques prénoms importants de ma vie.
Pudeur.
Pourtant, je sais que d’une façon ou d’une autre, je ferai le tour du joli de ces liens-là.

Puisse ce premier dimanche de Carême écrire dans nos petites prières les prénoms de ceux que nous aimons – ceux que nous n’aimons pas assez, oui, peut-être aussi.  😉
Bon dimanche mes amis, à lundi                                 .

 

 

 

Ces prénoms de rue

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Jour 3

Il y a cette habitude que même la voiture connaît par cœur : le petit rond point, la rue qui commence et ce virage serré, quelques mètres encore et la maison. Tiens, le bureau de Béa est encore allumé, elle doit corriger des copies elle aussi. Chez Greg, les volets sont déjà fermés. Je ne sais pas s’ils sont là ou partis en week-end à la mer. Olivier rentre ses poubelles. Il n’oubliera pas le grand signe de la main  quand je baisserai ma vitre pour un bonsoir.
-Bonne soirée Coco, tout va bien ?

Il y a des habitudes, des mots bienveillants, pas vraiment l’intimité de l’amitié non, une présence. Oui, c’est ça, une présence. Leur présence.
Quand on a l’habitude d’une maison, d’une rue, d’un quartier depuis presque 25 ans, il y a quelques prénoms en plus de la maison, de la rue, du quartier, comme gardés au fond de ma poche. Toujours là.
Celui du voisin qui me dépannera un dimanche après-midi de trois œufs parce qu’il fait gris, qu’on va faire des crêpes pour se réchauffer mais je n’ai pas pensé à racheter des œufs, quelle idiote. Mais lui, il  en a toujours. En plus des œufs, j’aurais droit au café avant de repartir à l’ouvrage de ma cuisine.
Celui de la voisine que je croiserai en revenant à pied de la bibliothèque, elle s’arrêtera d’arracher l’herbe de ses parterres et nous reparlerons travail, élèves et quelques lectures mais nous les quitterons vite pour des nouvelles de nos grands enfants qui… Dis, c’était hier qu’ils jouaient ensemble sous les grands arbres de ton jardin non ?
Ceux des voisins retraités, ceux qui ont racheté il y a quelques années la petite maison du bout de la rue parce que la leur sans enfants était devenue trop grande. Ils ont changé de quartier. Il sont bien ici. Elle vient frapper à ma porte pour des nouvelles et avant même d’entrer “Non, non, je ne veux pas te déranger, tu as du travail mais passe, toi, si tu veux, viens prendre un café.” Le rendez-vous est pris pour une parenthèse à s’écouter. Et c’est bon

Je me souviens, il y a quelques années, que notre ancien curé nous avait invités, nous, gens de la paroisse, à créer des fraternités de quartier. Pour se rencontrer, créer du lien, des liens et, surtout, mine de rien, pour parler de Dieu. Mon Dieu. J’avais rejeté l’idée en disant que les voisins de ma rue étaient déjà mes frères et sœurs depuis une bonne vingtaine d’années mais que Dieu, non, je ne me voyais pas leur en parler. Parce que je ne l’avais jamais fait. Ils sont à mille lieues tu sais et ils sont bien là où ils sont, avais-je répondu pour clore la discussion avec une amie paroissienne. Depuis, je n’ai fait que songer à ça. Je ne parle jamais de Dieu avec eux, c’est vrai. Ils me connaissent, pas besoin de leur faire un dessin. Mais dans chacun de nos services, dans nos partages, dans les nouvelles que nous prenons des naissances, des maladies, des décès, dans nos joies et nos peines, est-ce que j’ai besoin de ramener ma fraise sur Lui ? Non, évidemment non. Il est là, infiniment là, en très grand dans tous ces petits riens.

Oh… attendez ! N’allez pas croire pas que c’est un quartier, une rue, une petite ville différente de la vôtre. Ça n’a rien d’un joli p’tit village d’Épinal à l’allure guimauve d’une île aux enfants. Rien d’idyllique, absolument pas. Il y a aussi parfois des mots qu’on préférerait ne pas entendre.
C’est du simple quotidien mais, dans ma rue, il fait souvent du bien. Il se passe parfois des semaines sans que je n’aperçoive un de leurs visages, sans leur parler, menant ma vie loin d’eux mais je sais qu’ils sont là, proches.

Il y a ça aussi. Les soirs d’hiver, quand nous sommes tous, volets fermés, au coin de nos feux, de nos tables, de nos bureaux, je pense à chacun d’eux, juste autour. L’espace d’un fugitif instant, se savoir entourée d’un monde qui n’est ni indifférent, ni menaçant, a quelque chose de réconfortant.
Je crois que ça rend le monde un peu plus doux de penser que des petites bulles de fraternité existent un peu partout. Parce qu’elles existent, en vrai.

Puisse ce temps de Carême les rendre encore plus vivantes, ici et là.

 

Et plus de 5000 prénoms

Bien regarder les petits fils argentés qui colorent l’espace de notre monde, de nos vies, de nos cœurs. Parce qu’ils existent, en vrai. 

Jour 2

J’ai fait quelques calculs pas très savants mais qui cependant doivent s’approcher de la vérité.

À quelques années (encore) de ma retraite, je dois pouvoir dire que j’ai inscrit au moins 5200 prénoms d’élèves sur mes cahiers de rentrée, fameux “agendas de bord”, ceux où l’on va ensuite égrainer leurs notes et leurs différents résultats.
5200, ça pourrait plonger dans l’oubli le plus grand nombre. Bien évidemment, nos mémoires -la mienne, surtout en vieillissant, – peuvent estomper quelques contours. Pourtant, je peux l’affirmer, si je ne me souviens pas de tous, je sais que j’ai écrit le prénom de chacun dans quelques années de ma vie. Et ce n’est pas rien.
Oui ce n’est pas rien.
Ils comptent.
Chacun d’eux a compté.

Il serait faux aussi de dire que tous m’ont laissé de bons souvenirs. Il y a eu quelques heures plus difficiles, certaines parfois douloureuses mais la plupart, s’il faut déjà faire des comptes, ont été joyeuses, riches, et souvent vraiment drôles ! Beaucoup d’entre eux ont réellement tissé de petits fils d’argent au fil de nos heures. Ce sont elles aussi qui ont rendu – et rendent encore- ma vie de prof plus que jolie.
Mais ce n’est pas l’heure d’un hommage à ces quelques têtes blondes, rousses ou brunes, non. Si je parle d’eux, c’est que je suis intimement convaincue que derrière chaque prénom d’élève, il y a un enfant, un jeune qui peut, même s’il ne le veut pas toujours, grandir. Devant eux, c’est vrai que souvent il faut s’en convaincre !
J’en suis convaincue.

5200 prénoms. Avec des modes qui me font encore sourire, avec quelques originaux que je n’ai pas oublié, et tous avec la même vocation: donner à chacun sa particularité.
5200 prénoms et je pense à l’aujourd’hui, à mes listes actuelles, souriant de savoir qu’entre de simples prénoms copiés à la fin de l’été et aujourd’hui, il y a derrière chaque lettre, un visage, des sourires, des moues. Une vie.
5200. Un peu plus, un peu moins, ils ne sont pas que des prénoms sur une liste d’appel.

 

Puisque ce Carême commence, je porte en ma prière tous ceux qui passent leur vie à les appeler, les reprendre, les encourager, les aimer. Je porte dans ma prière tous mes amis enseignants et celles et ceux qui travaillent auprès d’enfants et de jeunes.

Puissions-nous trouver assez de confiance, de soutien, d’enthousiasme aussi à faire grandir ceux qui traversent nos vies.