Il y avait un vieil homme quand j’étais petite, un bon vieil homme qui habitait sur le chemin de l’école et quand je revenais à pied, je m’arrêtais toujours pour le saluer. Je crois qu’il sortait sur le pas de sa porte simplement pour ce moment de la journée. Et inlassablement, peut-être parce que sa tête s’était perdue quelque part dans son enfance et y était restée, inlassablement, il répétait ce même bout de phrase. “Le temps décide… le temps décide…” Cela ne voulait rien dire mais curieusement, ce bout de phrase répondait assez bien à mes “à demain, p’tit Claude!” – le temps décide, le temps décide… ou à mon “bonjour p’tit Claude, ça va aujourd’hui ? – le temps décide, le temps décide…
Dialogues qui auraient pu paraître un brin absurdes mais qui finalement faisaient sourire à l’unisson le vieil homme et la gamine qu’il regardait passer.
C’est étrange les souvenirs parce que les mots du p’tit Claude, gardés avec lui dans un coin de mon cœur sont remontés à la surface aujourd’hui.
Le temps décide.
J’ai parfois un peu cette impression. Je l’ai encore eu ce matin. Une année ajoutée à mon réveil, à ma vie qui file sans s’arrêter.
54 ans. À l’écrire, je sens toutes les années ajoutées à ma vie en autant de joies, de peines, de douceurs et de difficile.
54 ans. À l’écrire je mesure la chance d’être là.
54 ans. À l’écrire, je sais la joie de vieillir.
54 ans.
À l’écrire, je ne sais plus très bien quel âge j’ai.
En vrai. Bien sûr, je sais les compter les années mais ce nombre n’est rien si je n’y ajoute chaque minute de ma vie et comment le faire, chaque minute file tellement vite. Tellement lente pourtant à certaines de nos heures.
Le temps décide de tout dépasser ou de ralentir le pas. Et je ne sais plus parfois quel âge compte vraiment.
Et puis, j’ai croisé au long de la journée des mots, des jolis souhaits, des sourires et aucun ne semblait regarder le temps de la même façon.
Petit élève de 11 ans qui me demande mon âge, s’arrête un peu sur ma réponse et me souriant dans un ” c’est bien…quand même !” me fait éclater de rire.
Mes enfants pour qui je ne serai jamais vieille parce que vieillir tutoie sans doute d’un peu trop près ma fin.
Jolie collègue de la juste quarantaine qui ne veut surtout pas regarder son âge et encore moins parler de celui des autres plus âgées.
Les amis pour qui on ne change pas.
Les vieux amis de plus de 80 ans pour qui on est “la p’tite jeune qui n’a pas encore la moindre ride”.
Le temps décide, il décide d’être regardé de près ou de loin.
Etrange chassé croisé entre hier et demain, le temps décide.
Et je suis là, ce soir, avec mes 54 petits balais qui grisent mes cheveux, soulignent la fatigue des journées trop pleines, espèrent des demains de grand-mère à raconter des histoires à des petits-enfants que j’aime déjà, avant.
Et je suis là, ce soir, à relire un petit bout de mes 10 ans. P’tit Claude dit toujours la même phrase parce que peut-être que pour lui le temps a décidé de s’arrêter.
Le temps décide. De s’arrêter aussi ce soir sur un dernier bout de prière qui te regarde mon Dieu avec ta frimousse attendrie sur une petite que tu as vu grandir, une petite qui vieillit, une petite toujours.
Et la vie continue. Et le temps décide.
Merci pour ces jolis mots Corine et très joyeux anniversaire. Tu sais chaque jour je me rends compte combien vieillir est une grâce . Chaque jour qui passe apprend à accueillir un peu mieux l’autre et le Tout Autre, à creuser au plus profond de nous pour y trouver l’essentiel, à arrondir nos aspérités et surtout à avoir du temps pour aimer. Très belle journée.
Merci ma chère Chantal , et pour tes mots toujours bien à propos. Je t’embrasse !