Il faut

Jésus disait à ses disciples :
« Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite. »
Luc, 9, 22

Je me suis longtemps battue contre ce “il faut“.
Petite, je ne voulais pas l’entendre. Mes crayons griffonnaient rageusement les grands prêtres et les Romains, mes ciseaux découpaient sa couronne d’épines et ses chaînes, ma gomme voulait effacer les larmes de Marie et de ses amis.
L’audace de l’enfance croit parfois que tout aurait été possible autrement.
Je ne voulais pas de cette mort.
“Et Dieu, pourquoi Il a fait ça ?”

Comprendre que c’est Lui, Dieu, justement, qui vivait la souffrance dans sa chair, ce n’est guère possible à 7 ans. Et même après. Même quand on sait le troisième jour. Il y a toujours au fond de moi une colère sourde plus forte que la tristesse, plus forte que l’Espérance parfois, quand j’entends le récit de la Passion. Il n’y a pas de mots mais un silence qui s’épuise contre cette humanité capable de tant d’horreurs et de tellement d’absurde envers elle-même.

Ce matin, deuxième jour seulement de Carême et les mots d’évangile me redisent à nouveau ce rude et j’ai envie de vous en parler avant que la journée ne commence.

Il faut.

Dans l’éveil à la foi, il est toujours difficile le moment pour moi de raconter la mort de Jésus aux petits. Avec les ados aussi, rien n’est simple et leur incompréhension est à la mesure de mes silences souvent.

Je n’ose pas leur dire ces mots-là. Pourtant ce sont peut-être ceux qui ont su apaiser ma colère aujourd’hui et qui enfin peuvent dire mon Espérance, ma joie de vivre. Et de croire aussi.

C’était il y a 7 ans.
J’ai connu un petit garçon, très malade, dans un atelier d’écriture. Un petit garçon extraordinaire qui a su éclairer ma Foi avec ses mots d’enfant.

“Il s’est mis à ma place tu comprends ?”

Petit bout de garçon fragile qui supportait sa souffrance sans se plaindre, il me demandait de comprendre autre chose que la souffrance elle-même.
Devant l’impossible soulagement de la médecine, face à l’impossible baume que pouvait être la présence de ses parents et la nôtre, ce Petit bout d’homme osait une Foi immense dans un “mais Lui, Il sait. Jésus sait. Il peut être vraiment avec moi.”
Et il parvenait à sourire encore et toujours.
Et nous prenions tous, à chaque fois, une grande claque d’amour.

C’est peut-être là, oui, que  ce “il faut” tant détesté a enfin pris le sens de Son Amour à Lui. Donné.
Infini.

 

 

Bien sûr nos peines sont là, nos souffrances aussi. Physiques, morales, nous les portons comme nous pouvons. Personne n’est épargné.
Bien sûr celles des autres. Nous essayons d’aider parfois à les supporter.
Et l’inadmissible, l’impardonnable, la folie des hommes. On peut les entourer de cris ou de silence mais les comprendre – les prendre avec nous – jamais.
Seul Dieu le peut.

À chaque Carême, la voix de ce petit garçon me redit que dans la solitude de nos faiblesses, dans l’incompréhension du mal, dans l’infini de nos blessures, Il est là. Lui.
Et j’ose sourire parce que cette voix est celle qui me parle d’Espérance et me fait aimer la vie. Malgré tout.
Absolument malgré tout.

En ce deuxième jour, ce “il faut” c’est peut-être oser regarder nos vies, pleinement, dans ce qu’elles ont de rude et dans ce qu’elles ont de doux, et entendre, au-delà de tout, la promesse de Dieu.

 

2 réflexions au sujet de « Il faut »

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