– On a combien de temps, madame ?
La question fuse souvent avant même que je ne commence à présenter un exercice de conjugaison, un atelier d’écriture, un texte à découvrir. La question se répète au fil des heures, des évaluations, des leçons. Parfois même, dotée d’un chronomètre qui s’affiche dans un coin de tableau, j’ai l’impression d’exercer un peu de mon pouvoir, non sur eux – jamais, mais sur ce temps qui défile. Et, à force de le saucissonner en tranches d’exercices, le rendre presque docile.
Mais le temps ne l’est pas.
La question s’est figée, suspendue à nos lèvres, lorsque nous avons appris en ce début d’année que ce trop jeune papa était condamné. Combien de temps encore pour que cette tumeur le… ? La question rougit de son indécence, on voudrait ne pas pouvoir la poser. Parfois même, les souvenirs si proches, les photos si vivantes donnent l’impression qu’on s’est trompé. Et, à force de vouloir oublier, rendre le temps qui reste un peu plus doux.
Mais le temps ne l’est pas.
La question rythme les écrans, attrape les nouvelles, écrase notre insouciance. Depuis combien de mois déjà ? Et ça fait combien de temps que cette guerre a commencé ? C’était avant l’été, dis…, c’était quand ? On ne sait plus très bien. La question s’insurge devant des images, des phrases ou des chiffres, on voudrait qu’elle réponde c’est fini, enfin. C’est fini. Parfois même, on ose espérer, on se surprend à des hypothèses stratégiques, on jouerait presque aux petits soldats. Mais, eux, ils ne jouent pas. Ils meurent. Et, rien ne semble pouvoir apaiser ce temps nouveau.
Et ce temps ne l’est déjà plus.
Je repense parfois à ce temps pour tout, pour chaque chose.
Je continue la vie comme je l’aime, j’essaie. Remplie d’enfants, de rires, de peines à consoler, de joies à chanter. Et, quelquefois, l’espace d’un instant, je peux arrêter le temps. Oui, je peux. Non pas ce temps qui défile sans compter mais celui des larmes, tout près et des cris, pas très loin.
Je repense à ce temps pour chacun, pour tous.
Ma grande fille s’est mariée, des petites filles naissent autour de moi, Anne-So me rappelle un déjà vieil Avent en retrouvant un vieux texte d’ici, dans ses mains déplié.
Je souris.
Et, sous la pluie d’automne, Dieu me murmure de souffler encore un peu de lumière sur les heures, les minutes, les secondes, de souffler la vie sur ce temps tout gris.
Pluie d’étoiles.
Et le temps m’écoute, un instant.