Elle détestait son prénom

Bien regarder les petits fils argentés qui colorent l’espace de notre monde, de nos vies, de nos cœurs. Parce qu’ils existent, en vrai. 

Jour 9

Elle détestait son prénom. Au long des années de collège que nous avons partagées, je l’ai toujours appelée Momo et il n’était pas question de l’appeler autrement. Elle ne voulait pas l’entendre son prénom. D’ailleurs, je me souviens que c’était assez facile de ne jamais l’entendre car, à cette époque, les professeurs eux-mêmes ne l’appelaient pas autrement que mademoiselle T. parce qu’ils nous nommaient facilement par nos noms de famille, surtout si on le souhaitait ardemment. Et Momo le souhaitait.

Elle détestait son prénom. Nous, on s’appelait Stéphanie, Christelle, Carole, Laurence, Nathalie, Corine ou encore Valérie. Vous avez des prénoms normaux, pas moi. Elle voulait dire de notre époque sans doute. Cela pourrait me faire  sourire aujourd’hui mais je me souviens que son prénom, tout le monde, en réalité, s’en fichait. Elle nous avait raconté une seule fois que c’était une histoire un peu bizarre d’une petite sœur de son papa qui avait porté ce prénom, vingt ans avant sa naissance à elle, juste à la fin de la guerre, nous n’avions pas bien compris mais nous savions qu’elle n’aimait pas du tout ce drôle d’héritage.

Elle était Momo et on l’aimait beaucoup. Je me souviens de son visage toujours souriant, de ses cheveux courts souvent ébouriffés, de son audace aussi. Momo aimait les blagues, sans méchanceté. Elle avait des tonnes d’idées pour animer nos récrés. Elle était drôle.
Elle détestait son prénom. Nous, on l’aimait bien, elle. Peut-être qu’elle prenait toujours les devants à cause de ce prénom qu’elle n’aimait pas, faisant facilement le clown sur la cour, attirant l’attention de l’une ou de l’autre. Peut-être que cela lui avait donné envie d’être quelqu’un dont on se souviendrait.

J’ai quitté le collège pour un autre lycée qu’elle et j’ai revu Momo, longtemps, très longtemps après. Elle était devenue maman de deux petites filles alors que j’attendais mon aînée. Je ne sais plus vraiment comment on s’était retrouvées là, toutes les deux, lors d’une escapade d’un été. On s’est reconnues tout de suite. Momo avait toujours ses cheveux courts, plus du tout ébouriffés et son sourire semblait un peu plus sage. Mais c’était bien elle. On ne change pas vraiment.
Oui, je vais bien. Je ne travaille pas pour le moment, avec Marion et Pauline qui n’ont que 16 mois d’écart, c’est du boulot.

Il m’a semblé qu’elle avait prononcé les prénoms de ses deux filles avec beaucoup de joie, un peu de fierté même mais je me suis peut-être imaginée une histoire. Une chose est certaine c’est que c’était deux prénoms phares des années 90. Marion et Pauline. De cette époque. Normaux, aurait-elle pu dire.
On s’est quittées après un long bavardage.
Je me souviens ne pas avoir su comment l’appeler. On ne s’appelle plus Momo à presque 30 ans. Un simple au revoir. Et je me suis longtemps demandée si, devenue adulte, elle avait accepté le prénom de Monique.

 

Ma p’tite prière aujourd’hui pour les jeunes de collège qui m’entourent avec leurs complexes, leurs fragilités mais aussi, inévitablement, leur force.

 

 

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