Jour 15
Je fais une croix dessus.
Je déteste ces mots. Peut-être parce que je n’aime pas renoncer, au risque parfois d’un entêtement ridicule, au bénéfice souvent de petites victoires sur ce qui aurait pu échouer.
Je fais une croix dessus.
Je déteste ces mots aussi dans la bouche de celles et ceux qui me sont chers. Je n’aime pas davantage leurs renoncements quand cela les rend malheureux.
Mais parfois il y a ce qu’on appelle “la force des choses”.
Celle de Mado – sa force- m’étonne, m’épate, m’époustoufle. Mado est une vieille amie pas si vieille qui a perdu la vue suite à une maladie de ses nerfs optiques.
J’ai connu Mado quand j’étais étudiante. Elle avait une bibliothèque qui me faisait rêver et Mado me faisait dévorer les livres qu’elle dévorait elle-même. Une histoire de nourriture que nous complétions, amusées, en cuisine. Car Mado et son mari tenaient aussi un petit restaurant. Et Mado n’avait pas que des yeux pour dévorer les livres, elle dévorait les journées de sa vivacité, naviguant entre les tablées sans cesse débordée, débordée de sourires, débordante de vie.
Parfois, oui, on fait une croix sur les choses par la force des choses.
Mado a renoncé au début à tout ce qui faisait sa vie. Mais très peu de temps.
Très vite, elle a utilisé ses mains, son nez, ses oreilles pour continuer à naviguer entre les tables de son restaurant.
Très vite, elle a cherché tout ce qui lui permettrait d’écouter les pages que ses yeux ne pouvaient plus déchiffrer.
Elle a trouvé. Bienheureuse heure des podcasts et des livres audios qui lui ont facilité sa nouvelle vie.
Mado vient de m’écrire ce matin. Parce qu’elle n’a pas renoncé non plus à m’écrire. Sa voix dicte des mots toujours aussi doux et ses mails arrivent tout en douceur dans le tôt de mes matins.
Et en la lisant une nouvelle fois, je me suis dit qu’elle n’avait pas fait de croix sur la vie. Bien au contraire.
Jour 15 – Puisse ce Carême nous redire aussi que Sa Croix portée, soulevée, soufferte n’est jamais un renoncement. Que Dieu n’ a jamais fait une croix sur la force de l’amour, ni sur la Vie.
à demain,
Corine