Vendredi.
Quelques jours de classe seulement mais l’énergie d’une rentrée qui demande un peu plus que d’habitude ralentit chacun de mes mouvements. S’ajoutent les heures chaudes d’une fin d’après-midi. Et la fatigue m’a prise à bras-le-corps en rentrant à la maison. Le jardin encore rempli d’été m’attend, la chaise longue offre un peu de repos et je regarde sur mon téléphone les dernières nouvelles du Tour. La victoire d’un jeune prodige belge qui rappelle des victoires de l’enfance me fait sourire. Je repense aux routes bretonnes tracées sur une carte, aux petits vélos de plastique à faire avancer dans le sable, aux commentaires des grands que je ne comprenais pas toujours. Je m’assoupis un peu sur le transat. La chaleur. Je laisse aller dans mes oreilles un résumé du Tour. On dirait un début juillet qui commence quand le corps fatigué d’une année pleine de projets savoure le temps qui s’arrête. Réveil en sursaut. Les étudiants vont rentrer de leur première semaine de cours. Le temps ne s’arrête surtout pas. Ce n’est pas juillet, septembre est bien là. Mais ce temps, savouré pourtant, n’est pas le même.
Le temps continue, bousculé.
Samedi. On s’est donné rendez-vous tôt. Il faut organiser au mieux l’arrivée des enfants pour le dernier temps fort de leur première communion. Il fait beau. Les imprévus de la veille trouvent doucement leur solution. Une animatrice confinée et tout est un peu dépeuplé. Tout va bien aller. Quand même. Même si d’habitude c’est avril. Même si d’habitude on les accueille à plus de cent. Même si aujourd’hui on va se partager en petits groupes et garder nos distances. Ce n’est pas avril, ce n’est pas comme d’habitude. Dieu est bien là, Lui, au creux de nos prières, de nos chants, de nos activités et au cœur de chaque pardon demandé. Mais ce temps, savouré pourtant, n’est pas vraiment le même.
Le temps continue, bousculé.
Dimanche. L’église se remplit, doucement. On espace nos corps mais nos bonjours se rejoignent. Les enfants ont apporté leurs cartables pendant que les grands tiennent en main leurs rameaux. On a béni les temps mêlés de septembre et de Pâques en une même brassée d’amour. Et même acheté les œufs de l’ACE à la sortie, sur le parvis ensoleillé, se racontant, masqués, les douceurs de nos étés. Et ce temps, savouré encore, n’est pas le même. Peu importe. Dieu est là.
Le temps continue, bousculé.
Lundi. Le collège ouvre ces fenêtres en grand dès la première heure. On aère. On fait rentrer le bon air en se disant qu’il saura chasser le moins bon. Ils sont masqués mais je les reconnais. D’habitude, c’est leurs sourires que je croise. Aujourd’hui, ce sont leurs yeux qui parlent davantage. On désinfecte les tables, on hydroalcoolise les mains, on masque les sourires. Et dans les habitudes qui commencent, se glissent des “c’est pas marrant”. On va s’habituer mais “c’est pas drôle”. On ne peut pas ci, on ne peut pas ça, on ne peut pas comme avant. Jeunes ou adultes, on râle un peu contre ce temps qu’on ne peut maîtriser. C’est peut-être vrai tout ça mais on va arrêter de se plaindre, dis ! Parce que ce petit bonhomme que j’avais en classe l’an dernier, je crois qu’il aurait bien aimé être là, en rentrée de 5ème, à désinfecter sa table, à laver ses mains au gel hydroalcoolique, à masquer son sourire, à faire pas comme avant mais à faire cependant. Une leucémie déclarée en fin d’été va lui rendre la vie autrement plus compliquée. Et ce temps de classe, savouré avec eux, n’est plus le même.
Le temps continue, bousculé.
Mardi. J’aurai du temps le mardi cette année, plein de temps. Une chance. Ma chance. Un temps différent, mais toujours un temps à donner.
Demain est là, dans nos mains.
Et le temps continue, bousculé. Mais avec Lui, tout près.