Tant mieux

J’oublie souvent que Jean-Baptiste s’est fait trancher la tête.
J’oublie souvent que la bêtise, l’ignorance et la haine sont de ce monde depuis la nuit des temps.
Certains diront tant mieux si tu oublies un peu, d’autres crieront que je suis bien trop naïve et que c’est dommage. Je crois que les deux camps ont raison.

Mais tant mieux si le soleil de ce dimanche m’a fait secouer la nappe du jardin, ouvrir ma table aux bavardages des voisins, ramasser les premières fraises et courgettes du potager, allumer ( enfin non, ça c’est pas moi) le barbecue pour quelques grillades. Tant mieux la joie de vivre.
Mais tant mieux si les sourires des élèves et leurs petits mots gentils remplis de fautes m’ont fait oublier une année parfois difficile. Tant mieux la gentillesse au fond.
Mais tant mieux si l’été qui vient et les promesses de repos me font laisser de côté le sérieux de quelques projets à travailler. Tant mieux le bon temps qui passe.
Mais tant mieux l’amie qui m’appelle pour un petit ciné et qui me fait oublier la réalité l’espace d’une heure et demie. Tant mieux les rêves, oui tant mieux.
Mais tant mieux si je regarde en boucle la dernière vidéo de ma petite-fille qui grandit sans me faire trop penser à l’avenir. Tant mieux le doux présent.

Tant mieux la joie, la gentillesse, le doux du temps, mes rêves et l’amour.
Tant mieux la fragilité, nos petitesses, le presque rien, l’invisible et la vie comme elle est.

J’oublie souvent que la bêtise, l’ignorance et la haine sont de notre humanité.
Mais, au fond, je n’oublie jamais les femmes et les hommes de bonne volonté qui se sont toujours levés pour un peu plus de justice et de paix.
Tant mieux si je n’oublie jamais qu’aimer existe.

Petits mots

 

Son petit garçon a cinq ans je crois, peut-être presque six, je ne sais plus exactement. De retour au collège mardi, nous déjeunions ensemble et elle a raconté ce petit mot que j’ai trouvé amusant et tendre à la fois.
Elle l’emmenait pour la première fois à une messe de Pâques dimanche en lui expliquant qu’ils allaient dans la maison de Jésus. Le petit bonhomme s’est simplement interrogé en entrant dans l’église :
– Maman, elle est où sa salle de bain à Jésus ?

Amusants oui, comme le sont souvent les petits mots d’enfants lorsque ces derniers collent à leur monde les paroles des grands juste comme elle sont.

Au-delà du sourire, je me dis souvent que le petit enfant a cette faculté qui semble tellement simple de parler de Dieu comme de quelqu’un de proche, de presque semblable et à chaque fois, ça me fait du bien. Si j’aime les ouvrages, même ardus, qui creusent Sa Parole, j’aime tout autant les mots qui Le racontent dans son extrême évidence.

 

Ma petite-fille a cinq mois aujourd’hui et j’avoue avoir presque hâte de vous raconter des petits mots d’elle lorsque je lui lirai des histoires d’évangiles ou même lorsqu’elle voudra bien me suivre un peu… au détour d’une église.

 

Eblouie

Je suis toujours éblouie, oui éblouie c’est bien le verbe, je suis toujours éblouie par ce matin où les femmes rencontrent Jésus ressuscité.

Il y a dans cet impossible à penser le même éblouissement de mon enfance à chaque fois que je découvrais ce que je ne connaissais pas quelques minutes plus tôt.

Je suis toujours éblouie par ces femmes au pied de Jésus et aussitôt abasourdie par la volonté de quelques-uns à cacher la nouvelle, la bonne nouvelle, la joie incommensurable de cette Bonne Nouvelle.

 

Et au matin, je me dis que rien ne change vraiment dans notre humanité, dans cet acharnement souvent à ne pas laisser le beau et le bon agir, ou être simplement.

Puissent ces femmes nous montrer à nouveau le chemin. Pas seulement celui qui voit et croit mais surtout celui qui se réjouit, celui qui aime.

Drôle de Carême

 

Il faudrait commencer par un pardon.
Pardon de n’avoir pas été là comme promis au long de ce Carême.
Arrêtée comme en plein élan par une santé qui défaille, on dirait que Dieu sait me redire l’imprévu de ce chemin qu’est la vie, celle qui doit parfois s’écouter et se taire. Et de ce Carême. Drôle de Carême.

Drôle de Carême. Je crois que je l’ai aimé encore davantage en cette deuxième moitié, celle qui a emprunté les sentiers détournés, les doutes et les silences. C’est là que la fragilité de Dieu-fait-homme approche les miennes, c’est là que je crois, c’est là que j’espère.

Drôle de Carême. Je crois que je ne me suis jamais sentie aussi vivante, non pas bonne vivante mais vivante à en mourir. De cette vie qu’on ne voudrait jamais voir finir et dont la fin pourtant nous semble être un commencement. Paradoxe infini, mystère insondable de notre destinée.

Drôle de Carême. Je crois que jamais une semaine sainte ne fut aussi fragile et forte à la fois. J’ai l’impression d’avoir suivi chacun de Ses pas, des plus acclamés sous les Rameaux aux plus humiliés sous les épines, les crachats, les jurons.

Drôle de Carême. Il a pris fin. De cette fin qu’on sait infiniment riche de Lui.

La vie continue.

Ces derniers jours, elle a résonné des babillements de ma petite-fille, des sourires de mes enfants et de mon mari, des rires d’une amitié de 30 ans.
Et Dieu semble me murmurer ce soir que jamais la Vie ne s’arrêtera.

Jamais.

C’est drôle de croire, de ce drôle que je répète en anaphore, drôle à en rire parfois, drôle à ne rien y comprendre, drôle d’espérer encore et encore.

Et je vais bien parce que c’est la vie qui m’aime. Infiniment.

à très bientôt les amis et merci.
Corine

Smita, Giulia et Sarah

Bien regarder les petits fils argentés qui colorent l’espace de notre monde, de nos vies, de nos cœurs. Parce qu’ils existent, en vrai. 

Jours 13 et 14

Vous l’aurez compris. Il y a eu l’océan et les balades. Hier, je n’ai pas ouvert l’écran de mon ordinateur. C’est Carême après tout. 😉

En vrai, il y a eu aussi une lecture, d’une traite, jusqu’à très tard.
Le livre traînait sur la table du salon de ma grande fille, je l’ai attrapé parce que celui-là, j’en ai entendu parler et je ne l’ai pas encore lu.

Vous savez qu’il y a des prénoms de livres que je garde. Je sais les personnages être des personnages mais je sais aussi que derrière leurs prénoms, il n’y a qu’un pas vers un individu qui existe. Je les aime comme des amis je crois. Les romans sont des livres ouverts sur le monde, je ne vous apprends rien.

Alors cette nuit, j’ai embarqué avec Smita, Giulia et Sarah. J’ai traversé l’Inde, l’Italie et le Canada. J’ai lu les misères du monde. J’ai lu la force, le courage et l’amour du monde. Oui j’ai lu l’amour du monde, celui qui, seul, nous rend vivants. Nous sauve.
J’ai lu “La tresse” et c’était une belle étape sur ce chemin de Carême.

 

Que ce temps vous offre aussi des lectures qui font grossir vos cœurs.

 

Au coeur

Bien regarder les petits fils argentés qui colorent l’espace de notre monde, de nos vies, de nos cœurs. Parce qu’ils existent, en vrai. 

Jour 12

C’est un peu étrange.
Je regarde par la fenêtre d’un soir breton qui tombe et je me dis qu’il n’y a pas eu de prénoms aujourd’hui. Non pas qu’il n’y ait personne, bien au contraire, mais pas de mots pour raconter quelqu’un ou quelqu’une.

Et en regardant le soir qui tombe, l’horizon qui s’éteint doucement, ici ou ailleurs, j’ai toujours cette conviction, intime et profonde, sans jamais pouvoir l’expliquer, que tous nos prénoms sont réunis dans le cœur de Quelqu’un.

 

Gravés

Bien regarder les petits fils argentés qui colorent l’espace de notre monde, de nos vies, de nos cœurs. Parce qu’ils existent, en vrai. 

Jour 11

On peut y aller à pieds après le déjeuner. La rue à gauche, on longe plusieurs maisons, et c’est au bout du chemin. Il pleut mais on n’est pas loin. La grille en fer forgé me semble rouillée par endroit, la porte grince un peu. On dirait qu’elle sépare deux mondes. Pourtant, de l’autre côté, le décor est presque le même: le chemin goudronné, les allées, les pots de fleurs, comme un autre quartier. On avance jusqu’au bout, c’est souvent la même ritournelle des prénoms qu’on peut lire sur les pierres, tour à tour.

On peut y aller à pieds par n’importe quel temps, c’est tout près. La route descend doucement mais ce ne sera pas trop difficile pour remonter. On prendra notre temps. Là, personne ne nous attend vraiment. J’aime bien lire les prénoms, surtout ceux d’il y a très longtemps. J’aime bien aussi quand deux prénoms, elle et lui, sont réunis sur le même granit.

On remonte à pieds, tranquillement. On se rappelle certains noms parfois, des bouts d’histoire. Ce sont les prénoms qui reviennent d’abord, comme s’ils étaient encore là. Vivants.

C’est toujours un peu étrange un cimetière.
J’aime bien l’idée que leurs prénoms soient gravés sur leurs lits de granit pour le reste de leur vie.

 

Petite prière pour vous aujourd’hui et ceux que vous aimez qui ne sont plus.

 

Au fond d’une petite prière

Bien regarder les petits fils argentés qui colorent l’espace de notre monde, de nos vies, de nos cœurs. Parce qu’ils existent, en vrai. 

Jour 10

Dix jours. Un quart de Carême. Oui, je sais, je compte les jours parce que c’est toujours… long. 😉

En relisant ma semaine, je me dis que ce chemin de visages aux noms qui colorent l’espace de nos vies, ici, ne raconte pas beaucoup Dieu, enfin si, mais pas directement. Et là, ce matin, en lisant l’évangile du jour, j’ai eu l’impression qu’Il me rejoignait dans mes histoires de prénoms.

Bizarrement , c’est à cause de Son “Aimez vos ennemis”. Je n’ai pas décidé d’entreprendre un commentaire d’évangile, non, rassurez-vous. Allez, je vous raconte.

Voilà.
Je n’aime pas mes ennemis, non.
En vrai, je n’ai pas d’ennemis personnels comme ce mot pourrait s’entendre mais si j’en avais, je ne les aimerai pas. Oui, je les haïrai même.
Je n’ai pas d’ennemis. Pourtant je n’aime pas les quelques-uns et quelques-unes qui, au cours de ma vie, ont pu me faire du mal, sciemment, en sont restés là souvent sans explication aucune et basta. Une chance, cela ne m’est pas arrivé souvent . Et cela ne m’est pas arrivé aussi gravement qu’un véritable ennemi pourrait agir. Vous savez, quand je repense à ces quelques-uns et ces quelques-unes, et bien, je me rends compte que si j’ai pu estomper les blessures avec le temps, je n’ai pas oublié leurs prénoms.
On y est.
Leurs prénoms à jamais dans ma mémoire exactement comme ceux des gens qui m’ont fait du bien.
C’est bête ce truc qu’est la mémoire.
C’est vrai, avec le temps, ça s’estompe un peu mais il reste leurs prénoms.

La vie a continué, elle continue, on se construit, on grandit, on aime, on tombe, on avance. Bref, la vie. Et les prénoms, on ne les oublie jamais.

Voilà.
C’est peut-être ça qu’Il me dit au fond dans son “Aimez vos ennemis”.
En tous les cas, c’est ce que j’entends aujourd’hui dans cette parole-là.
Ne pas les oublier tout à fait pour, peut-être un jour, murmurer en petits mots qui pardonnent leurs prénoms au fond de ma petite prière.

Je sais qu’il est des douleurs qui ne se pardonnent pas et je prie ce matin pour celles et ceux cruellement blessés, à jamais.

 

Bon deuxième dimanche de Carême les amis, à lundi.

 

Elle détestait son prénom

Bien regarder les petits fils argentés qui colorent l’espace de notre monde, de nos vies, de nos cœurs. Parce qu’ils existent, en vrai. 

Jour 9

Elle détestait son prénom. Au long des années de collège que nous avons partagées, je l’ai toujours appelée Momo et il n’était pas question de l’appeler autrement. Elle ne voulait pas l’entendre son prénom. D’ailleurs, je me souviens que c’était assez facile de ne jamais l’entendre car, à cette époque, les professeurs eux-mêmes ne l’appelaient pas autrement que mademoiselle T. parce qu’ils nous nommaient facilement par nos noms de famille, surtout si on le souhaitait ardemment. Et Momo le souhaitait.

Elle détestait son prénom. Nous, on s’appelait Stéphanie, Christelle, Carole, Laurence, Nathalie, Corine ou encore Valérie. Vous avez des prénoms normaux, pas moi. Elle voulait dire de notre époque sans doute. Cela pourrait me faire  sourire aujourd’hui mais je me souviens que son prénom, tout le monde, en réalité, s’en fichait. Elle nous avait raconté une seule fois que c’était une histoire un peu bizarre d’une petite sœur de son papa qui avait porté ce prénom, vingt ans avant sa naissance à elle, juste à la fin de la guerre, nous n’avions pas bien compris mais nous savions qu’elle n’aimait pas du tout ce drôle d’héritage.

Elle était Momo et on l’aimait beaucoup. Je me souviens de son visage toujours souriant, de ses cheveux courts souvent ébouriffés, de son audace aussi. Momo aimait les blagues, sans méchanceté. Elle avait des tonnes d’idées pour animer nos récrés. Elle était drôle.
Elle détestait son prénom. Nous, on l’aimait bien, elle. Peut-être qu’elle prenait toujours les devants à cause de ce prénom qu’elle n’aimait pas, faisant facilement le clown sur la cour, attirant l’attention de l’une ou de l’autre. Peut-être que cela lui avait donné envie d’être quelqu’un dont on se souviendrait.

J’ai quitté le collège pour un autre lycée qu’elle et j’ai revu Momo, longtemps, très longtemps après. Elle était devenue maman de deux petites filles alors que j’attendais mon aînée. Je ne sais plus vraiment comment on s’était retrouvées là, toutes les deux, lors d’une escapade d’un été. On s’est reconnues tout de suite. Momo avait toujours ses cheveux courts, plus du tout ébouriffés et son sourire semblait un peu plus sage. Mais c’était bien elle. On ne change pas vraiment.
Oui, je vais bien. Je ne travaille pas pour le moment, avec Marion et Pauline qui n’ont que 16 mois d’écart, c’est du boulot.

Il m’a semblé qu’elle avait prononcé les prénoms de ses deux filles avec beaucoup de joie, un peu de fierté même mais je me suis peut-être imaginée une histoire. Une chose est certaine c’est que c’était deux prénoms phares des années 90. Marion et Pauline. De cette époque. Normaux, aurait-elle pu dire.
On s’est quittées après un long bavardage.
Je me souviens ne pas avoir su comment l’appeler. On ne s’appelle plus Momo à presque 30 ans. Un simple au revoir. Et je me suis longtemps demandée si, devenue adulte, elle avait accepté le prénom de Monique.

 

Ma p’tite prière aujourd’hui pour les jeunes de collège qui m’entourent avec leurs complexes, leurs fragilités mais aussi, inévitablement, leur force.

 

 

J’ai oublié

Bien regarder les petits fils argentés qui colorent l’espace de notre monde, de nos vies, de nos cœurs. Parce qu’ils existent, en vrai. 

Jour 8

Il est 15 heures. Il lui a apporté un café, deux petites galettes Saint-Michel enfermées dans un sachet plastique et a retapé le coussin dans son dos. Il lui a demandé si tout allait bien, et oui, quelle pluie depuis deux jours, en même temps, c’est la saison et est reparti, souriant, vers la chambre suivante.
Elle a mis un peu de temps à ouvrir le petit sachet de galettes. Mes doigts sont de moins en moins agiles mais je peux encore tricoter, c’est l’essentiel. Ça occupe bien les heures de faire des petits carrés de couleur au crochet pour les couvertures de Lourdes.
Elle a trempé doucement la galette dans son café et a dégusté son goûter, tranquillement. Un petit instant suspendu à se rappeler sa maison et les cafés avec les copines. Elle les nomme une à une et avec chaque prénom, une anecdote.
Elle s’arrête juste au milieu d’une phrase, comme perdue. Elle semble remonter le fil de ses souvenirs, cherche encore. Ses sourcils se froncent. On dirait que la colère va l’envahir mais non. Les paupières s’affaissent, elle soupire, doucement.
– Ah c’est terrible…lui, pourtant je le revois bien. Il était de toutes nos balades. C’était un cousin éloigné. Il nous emmenait dans sa voiture, oui, il avait une voiture. Une belle Simca grise avec de beaux sièges, pas en cuir, mais ça y ressemblait. Le dimanche, quand il faisait beau, on filait souvent pique-niquer sur les bords de la Loire. On se mettait à l’ombre de la petite chapelle quand il faisait trop chaud. J’avais une robe que j’aimais bien, jaune pâle, je me l’étais faite moi-même.
Elle ne tarit pas de détails. Les boutons de nacre, la ceinture qui marquait sa taille, la couverture jetée sur l’herbe pour ne pas salir la robe soleil de printemps.
– Ah c’est terrible… lui, pourtant…
Elle reste là, sa tasse vide dans les mains, triste.
–  Pas moyen de retrouver son prénom… J’ai oublié son prénom. C’est terrible d’oublier.

 

Ma petite prière, aujourd’hui, pour nos vieux parents, nos vieilles amies, souvenirs de nos jeunes vies, dont la mémoire, sans crier gare, s’enfuit.