Ça me surprend toujours un peu et exactement dans le même temps, je ne suis pas très étonnée.
C’est étrange à dire, paradoxe que je cultive me direz-vous, peut-être, mais il y a du joli à le raconter.
Un matin de classe, un mercredi bien ordinaire. Dans l’automne, sous la pluie, le terrain en herbe est trop mouillé, pas le droit au ballon de foot avant la classe. Ils me racontent les p’tits gars de 6è en montant les escaliers pour rentrer en classe “on n’a pas pu s’défouler m’dame mais on s’ra sages quand même.” Leurs promesses sourient et le cours commence, tranquillement. La boîte à défis leur a demandé ce matin ‘de faire une petite liste des choses qui font peur’. Deux minutes de ce jogging d’écriture quotidien qui me permet d’enregistrer tout aussi tranquillement les absents du jour sur l’écran de l’ordinateur pendant que, concentrés, ils écrivent.
Je relève la tête, la leur est penchée, ils écrivent vraiment.
Ils vont sûrement parler monstres, araignées peut-être, ogres qui sait, ceux d’aujourd’hui. On est entrés dans les contes mais pas seulement.
“C’est la mort qui me fait peur”. “Moi, celles de ceux que j’aime.” “Moi, je voudrais pas perdre mes amis.” ” C’est les gens qui font du mal.” ” Et la mort aussi, ça me fait peur.”
Ça me surprend toujours leurs réponses et le silence qui se fait tout autour. C’était deux minutes d’une petite écriture. Et soudain ce début d’heure se fait profond.
Le cours continue. Il y aura la sonnerie et “on se retrouve au foot cet aprèm! ”
Et exactement dans le même temps, je ne suis pas étonnée. Ces enfants de 11 ans ont en eux déjà tout ce qui fait la vie.
Un après-midi de partages, un mercredi presque ordinaire. Dans l’automne, à l’abri, j’ai retrouvé ces jeunes profs autour d’un café. Ils me racontent les outils, les chapitres, les trucs pour l’autorité, et ces modèles de cours ‘ merci, ça nous donne des pistes, on s’demandait si on pouvait faire comme ça…’ Leurs idées me questionnent et l’explication commence, tranquillement. Leurs ordinateurs s’ouvrent, on reprend ce padlet, “et ces textes sur le déluge c’est au programme mais on peut y ajouter… ”
C’est parti.
Je relève la tête, la leur est penchée, il créent.
Ils vont sûrement écrire Noé, sans doute Gilgamesh, le Coran, creuser encore qui sait.
“C’est La Bible. Je ne connais pas, je n’ai jamais lu, rien, ça me questionne.” ” Et moi je ne me sens pas capable de parler textes fondateurs sur des textes religieux.” “Et comment tu fais toi pour distinguer ta Foi et le texte littéraire devant les gosses, ça n’est pas si simple.” ” Dis, tu sais où je peux la lire la Bible en entier pas que les extraits des manuels ?”
Ça me surprend toujours leurs échanges et le silence qui se fait attentif. C’était une petite heure d’une séance à fabriquer, presque simplement. Et soudain des questions à côté. Ou peut-être au-dedans. La formation se termine. Il y aura le dernier café et “on retrouve notre classe demain avec toutes ces idées!”
Et exactement dans le même temps, je ne suis pas étonnée. On est et on retourne dans nos vies.
Je crois toujours que nos intérieurs, nos au-dedans vont rester à l’intérieur, bien au-dedans. J’ai l’impression que ça ne va jamais sortir tout ça, toutes leurs questions, tous nos chemins. Et ça me surprend toujours quand le profond surgit là, au milieu d’un cours, ordinaire, quand les questions plus intimes jaillissent là, au cœur d’une formation pédagogique.
Et je regarde, je souris, j’écoute et je me dis, à chaque fois mais non, je ne suis pas étonnée. Il n’y a rien d’étonnant.
C’est la vie, en entier.