Des gris

La Bretagne a dans ses gris ses histoires de pluie, de granit et de vent. De temps hors du temps.

 

Si ses couleurs peuvent paraître ternes et répondre en écho aux tristes de certains jours, c’est ne pas connaître les argentés de son océan au dernier soleil du soir, ni les gris bleutés de ses chapelles de granit qui tendent leurs croix au ciel, ni les contrastes de ses pastels cendrés de cumulus qui s’amoncellent avant l’orage.
Ici, les gris ne sont pas mélancoliques. Ils redisent simplement aux hommes qu’entre la lumière éclatante d’un jour et le sombre de leurs nuits, il y a cet interstice, toujours variable et ô combien présent, d’un mélange de blanc et de noir. C’est peut-être pour cette raison que j’aime ces gris-là. Parce que le blanc, trop lisse me fait fuir, et le noir, trop plein, me fait peur. Le gris me rassure.

 

La Bretagne a dans ses gris ses histoires de pluie, de granit et de vent. De temps hors du temps.

 

J’ai pensé à ces gris en regardant l’océan au matin. Il n’y avait rien d’éclatant, rien de bien dessiné. Aquarelle tout en fondu, en délavé, en tons mélangés. Comme nos vies. Bien et mal, sans cesse à nuancer nos jours. J’ai pensé à ces gris en relisant les nouvelles au matin. Je me suis rappelée une belle journée à l’Arche de la Rebellerie au printemps dernier, le soleil éclatant entre les pieds de vignes, la bonté des mains tendues et le vrai des sourires. Il y avait un portrait de Jean Vanier, souriant aussi. Sa chemise blanche. Le bon. L’éclatant. J’ai recherché si, dans mes souvenirs, si, dans son sourire, il y avait la moindre trace de la souffrance infligée aux femmes, victimes, qu’il a touchées. Le sombre. L’abject. Ce blanc trop vif, ce noir écœurant. Le gris me rassure.

 

La Bretagne a dans ses gris ses histoires de pluie, de granit et de vent. De temps hors du temps.

 

J’attends avec une presque impatience le gris qui sera déposé une nouvelle fois sur mon front. Croix de Cendres. Rien d’éclatant, tout le contraire même. Volée de poussières, gris de nos ténèbres. Pourtant, une vieille femme que j’aimais me disait de l’arborer fièrement au sortir de l’église. Bijoux osés, cendres de notre humanité, de nos failles, de nos blessures, de nos tourments.

Elle est galvaudée la métaphore mais il y a bien dans nos vies plus de gris que de blancs éclatants ou de noirs entêtants. Ces gris, Dieu les connaît. Jésus les a appelés. Paul, Pierre et les autres. Il ne les a pas tus dans un silence honteux et coupable. Le gris n’est pas tiède.

 

Suivre ses pas, encore une fois.
Mercredi, je commence un petit chemin ici, avec vous.
Fait de nos mains, croisées, aimées, retenues, rejetées, osées.
Des gris pâles éclats de notre lumière, des gris foncés reliefs de nos heures, un Carême aux nuances incertaines de nos vies, ombres posées à la seule Lumière de la Sienne.

 

 

11 réflexions au sujet de « Des gris »

  1. Chère Corine, ici la nouvelle nous a attristée et nous sommes tous partagés entre ce que Jean a fait de bon et ce qu’il a fait d’impardonnable. C’est tellement difficile ces deux visages opposés et bien réels. Nous aussi ce soir nous sommes dans ce gris. à très bientôt.

  2. Merci pour ce si beau texte sur les nuances incertaines de nos vies … je suis heureuse de la perspective du Carême qui vient, à la couleur de vos mots : vivement mercredi !

    1. Merci Françoise ! J’espère tenir la route… je n’ai pas plus que deux ou trois idées, je laisse toujours le temps faire, alors on verra 😉 à mercredi !

  3. Jean…. il a été un phare dans mes jeunes années j’ai tant de livres de lui, je me disais tjrs, si je n’avais pas la vie que j’ai, je me serai engagée à l’arche. Et coup de tonnerre, déception, tristesse, incompréhension… comment est ce possible, comment pardonner , ….

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