Des valises

J’ai toujours aimé faire les valises. Pas la mienne seulement, celles de toute la famille.

J’enviais, je crois, celles qui partaient sans rien ou plus exactement sans trop. J’enviais ceux qui, en un simple tour de sac, prenaient la route dans l’heure. J’enviais celles qui, sereines, pouvaient bien oublier l’essentiel parce que finalement, ça ne l’était pas tant que ça.
Mais je n’étais pas de celles-là.

J’ai toujours aimé faire les valises parce que cela me rassurait. J’étais certaine d’emporter avec moi, avec nous, tout ce dont ils auraient besoin.
Ça commençait tôt, parfois, sans exagérer je vous promets, presqu’une semaine avant les départs. Je trouvais un endroit pour ouvrir la grande valise. Je commençais mes petites listes. Et au fil des jours, je rangeais, je triais, je gardais.
J’aurais été incapable de la moindre improvisation mais je le faisais sans déranger le quotidien. Il ne s’agissait que de moi, de mes inquiétudes de partir et je m’en sortais très bien pour ne rien montrer. Chaque début d’été pourtant, j’entendais les discours pour se délester, je lisais les conseils pour partir léger. Légère, je ne l’étais que si mes valises étaient pleines.

J’aime toujours faire ma valise mais je me rends compte d’une chose aujourd’hui. Tout a changé.
Je la fais la veille, pas plus tôt. J’y mets assez peu de choses. J’oublie des trucs parfois. Je ne m’en inquiète plus. L’âge, la sagesse, la confiance ?
Non, bien évidemment que non.
Aujourd’hui, je fais ma valise et non la leur. Les enfants ont quitté la maison depuis quelques années déjà et même si on se retrouve souvent pour des vacances, je ne fais plus leurs valises ! Il y avait dans mes préparations, dans mes inquiétudes, le simple souci d’eux. Puissent-ils ne manquer de rien.

Je crois même qu’aujourd’hui, j’ai pris goût aux départs improvisés, aux vacances pas trop organisées. J’aime même les surprises, c’est vous dire.
Enfin, quand même, laissez-moi juste le temps de boucler ma valise.

Les tables d’été

Il y a sur les tables d’été des assiettes toutes simples, des grands verres de cuisine, des couleurs parfois mal accordées, on s’en fiche un peu de la vaisselle, elle peut bien être dépareillée, ce n’est plus  ça qui compte. C’est vrai qu’on a vu de jolies tables en couverture des magazines. Mais on aime bien l’hétéroclite du familier. On a sorti les serviettes fleuries, la nappe semble inutile. Il y a les grands pichets d’eau fraîche, les vins légers, les bols de salades composées de mille et une manières. Il y a les grillades qui arrivent trop tôt, tant pis, on les mange comme ça, avec le melon et les tomates. On oublie l’heure des entrées, plats, desserts des festins de nos hivers, l’été, tout s’emmêle un peu. Même la tarte aux abricots ou le gâteau aux poires qui refroidissait sur le rebord de la fenêtre s’invitent pour les enfants et les gourmands alors qu’il reste encore des brochettes à griller. Plus rien n’a vraiment d’importance. Il y a sur les tables d’été la douceur de la simplicité.

Il y a autour des tables d’été des sourires, des éclats de voix à qui veut raconter, des anecdotes à n’en plus finir. On a parfois un peu de mal à s’écouter, tout s’enflamme, tout s’emmêle. Surtout à l’heure des souvenirs. Les tables d’été ont ce chic pour nous raconter toujours les mêmes histoires. Tant pis, on a tellement envie de les entendre encore. Il y a cet été-là, tu te souviens. Oui, on croit bien s’en rappeler mais on n’en est pas si sûr finalement. Peut-être qu’on a simplement le souvenir de la table d’été où on l’entend chaque année. On s’essaie au monde parfois, jamais très longtemps. On gardera les sujets graves pour nos hivers. Il y a autour des tables d’été la douceur des futilités.

Il y a après les tables d’été le temps qui reste, suspendu à nos verres, les assiettes repoussées jusqu’au bout de la table, on enlèvera la pile juste après, là, on a sorti le jeu, celui qui nous rassemble. On a fait envoler d’un revers de main les quelques miettes qui nous gênaient. L’hiver, on aime les tables bien propres; l’été, on préfère garder leur désordre. Comme un goût de l’enfance trop pressée. On étale les cartes, on répète la règle encore une fois à celui qui l’a oubliée, pourtant on y joue chaque été, comment peut-il ne jamais s’en souvenir ? On s’amuse, on taquine, on joue. On veillera aux tricheries, attention pas comme cette partie de l’an dernier. On s’en ficherait presque de perdre. Il y a après les tables d’été la douceur des petits pardons.

Il y a sûrement, sous le gros arbre du jardin où on s’est installés à la fraîcheur du soir, comme une douce vérité qui pointe son nez. Un petit air de Dieu si on osait le dire. On murmure presque qu’il suffit de très peu pour aimer cette vie.
Juste de quelques tables d’été.

 

Il faut toujours un peu de temps

Il faut toujours un peu de temps pour s’habituer à la soudaine lenteur du temps.

Les vacances n’ont pas encore pris le chemin des balades, bientôt ! Il faudra alors prendre la route, happer les paysages, attraper les doux moments, revenir, repartir, être là, être avec eux, profiter du temps non pas pour le combler mais pour le laisser aller, librement.

En attendant, il faut toujours un peu de temps pour s’habituer à se déshabituer.

Oublier les emplois du temps, les horloges, les sonneries. Effacer doucement leurs visages, leurs sourires, leurs soucis. Les laisser partir en vacances eux aussi, le temps de la rentrée arrivera. Vite. Quand on y sera, on croisera sûrement la collègue qui nous redira mais qu’est-ce que ça passe vite finalement. On sourira à ses mots prononcés juste après, sans attendre, pour ne surtout pas laisser le doute… non mais je ne me plains pas, surtout pas ! On sera heureux de se retrouver et de les retrouver. Mais en attendant, j’efface leurs visages, leurs sourires, leurs soucis.

Il y a toujours le goût de la solitude pendant les vacances. Le goût de l’absence. Presque le goût du vide. Je ne garde que le proche, le familial, le socle peut-être. Les pauses, c’est permettre à nos essentiels d’exister. Pour moi, c’est le temps de l’été qui laisse vivre cet espace. Davantage.

Il y aura les lectures, les balades, l’écriture, un peu plus. Il y aura la cuisine pour de belles tablées. Il y aura la famille, les enfants, les petites-filles. Il y aura les amis, ceux d’il y a longtemps. Et il y aura Dieu. Non pas ajouté à ma liste, non, mais au creux de chacun de ces instants.

Il faut toujours un peu de temps pour s’habituer à nouveau à la lenteur du temps. C’est un peu comme si, entre les heures, au fil des minutes, quelqu’un m’invitait à être véritablement là ou je suis.
Il faut toujours un peu de temps.
J’y ai pensé en cuisinant tout à l’heure. Et je me suis dit à nouveau que j’aimais vraiment, puissamment, la lenteur de Dieu.