Faire-part

Il est un peu tard. J’ai rempli mes cahiers, mon cartable, mes agendas. Demain, je retrouve le collège et les habitudes qui vont avec, toutes celles que j’ai la chance de pouvoir laisser de côté le temps d’une pause parce que je suis prof.

Il est un peu tard. Je retrace les deux semaines qui viennent de s’écouler très loin des médias et un plus près du monde qui m’entoure. C’est toujours étonnant ces heures qui rapprochent et éloignent en même temps.

Il est un peu tard. Ce dimanche a doucement traîné autour d’une table avec les enfants. Ils sont repartis, chacun vers leurs vies, laissant la mienne toujours emplie d’eux.

Il est un peu tard. J’ai rangé la maison.

Sur le bord du buffet, l’enveloppe a glissé.

Je l’ai ouverte à nouveau. Lue et relue.

Caressé le doux du papier.

J’ai revu son sourire et le bord de ses yeux qui brillaient.

Je me suis dit, une nouvelle fois, que la joie était là, avec elle, en elle. Simplement.
Qu’il fallait en faire part de ce petit rien qui donne un peu de baume à mon cœur de maman, de croyante, de femme.

Ma grande fille, mon enfant, se marie dans quelques mois et chaque heure qui passe depuis l’annonce semble faire un pied-de-nez à tout ce qui me blesse, m’attriste, me révolte. Dans l’Église et ailleurs.
Ma grande fille, mon enfant.
Je ne sais pas si tu te rends compte, Jésus, que son mariage à venir, dans ton Église, c’est comme un cadeau qu’elle me fait. La certitude que Tu es là. Tellement là. Encore.

Continuer

Je ne sais pas trop ce que je vais faire de mon Église, je ne sais plus trop.

La phrase a tourné en boucle dans ma tête, les yeux rivés sur mon écran de téléphone à chercher des mots pour l’innommable. Le rapport Sauvé est tombé ce matin, fracassant ce qui n’était plus depuis quelques temps déjà seulement des doutes, dévastant comme un tsunami les Paroles d’un Jésus que je ne cesse de vouloir suivre, bouleversant les fondations d’une Église en qui, un jour, j’ai trouvé une famille.  

Et puis, il y a eu mes cours, mes élèves, des petites joies de mon quotidien de prof.

Je ne sais pas trop ce que je vais faire, je ne sais plus trop.

Chaque fois qu’un cours s’est arrêté, à chaque heure de ma journée, la phrase est revenue. Leitmotiv brisé par des témoignages de victimes cassées à vie, par des chiffres criminels, encore et encore.

Et puis, il y a eu la fin de la journée.
Et ma voiture, en rentrant, a voulu faire un détour. Marie-Jo a 90 ans aujourd’hui. Son Eugène 93. Mes bons vieux amis de la paroisse vivent toujours tous les deux dans leur petite maison. Les aides se succèdent mais ils sont toujours deux, toujours chez eux. Fervents pratiquants, Dieu est là, au cœur de leur vie depuis toujours. Marie-Jo m’a raconté sa tristesse de ne plus pouvoir aller à la messe. “Tu vois c’est compliqué pour me monter dans une voiture, et puis après, il me faut beaucoup de temps pour accéder à l’entrée…Eugène me rapporte la communion quand quelqu’un du quartier peut l’emmener… et puis, je regarde la messe à la télé…mais ce n’est pas pareil, rien n’est pareil. Je me sens un peu délaissée tu sais…”

Nous n’avons pas parlé du rapport Sauvé, ni de l’Église, elle qui pourtant m’a raconté, la voix parfois brisée, de jeunes années trop rudes auprès de religieuses, avant de croiser Eugène sur son chemin.
Nous n’avons pas parler de l’Église mais de la nôtre, petite église de nos dimanches, où elle ne va plus.

” Et si je viens te chercher dimanche ?… si le temps est beau, qu’il ne pleut pas pour que tu ne risques pas de glisser, en prenant plein de temps pour t’installer dans ma voiture, en se garant tout près de la porte avant que le monde n’arrive…on peut y aller non ?”

Je n’avais pas eu le temps de lui faire un cadeau d’anniversaire à ma Marie-Jo ce soir. Pas besoin. L’emmener à la messe dimanche prochain, ce sera plus que ça.

Et puis on a pris un p’tit café. Et avant de partir:
” Tu sais, pour dimanche, je ne veux pas te déranger…”

Oh si elle savait Marie-Jo.
Me déranger.
Ici dans ma paroisse dans tous les temps où je suis, à Lourdes en hospitalité, au collège dans mes classes, chez moi au cœur de ma maison.
Qu’Il vienne encore me déranger ce Dieu d’amour, qu’Il vienne oui.
Qu’Il continue à me pousser à regarder tous les travers en face, à oser ma parole de femme dans mon église, à voir ce qu’il faut dénoncer, à combattre le mal, à ne jamais se taire, à crier les silences lorsque je les entends.
Encore et encore.

Encore.

Je ne sais pas trop ce que je vais faire avec mon Eglise, je ne sais plus.
Ce que je sais ce soir, c’est que Dieu vient me chercher pour continuer. Ici et maintenant. 

 

 

Tous ces silences

 

Je suis restée. J’avais un rendez-vous de parents un peu plus tard. Un à un, les collègues sont partis après une réunion qui s’était déjà attardée.
Je suis restée seule. Ça arrive parfois à l’un d’entre nous, pour un rendez-vous au-delà de ce qui peut paraître la norme parce que les parents travaillent très tard. C’est possible, on a les clés. Le collège c’est un peu comme notre maison.
Il y avait le silence. Même pas le ronronnement de l’ordinateur que je venais d’éteindre. Dans un petit quart d’heure, les parents seront au rendez vous, la routine d’un début d’année pour un élève dyslexique, rien de grave.

Rien de grave.
Le silence du collège.
C’est peut-être ça qui a trotté dans ma tête.

Il y a beaucoup de choses qui trottent dans ma tête en ce moment. Ces choses qui se cognent au rebord sans pouvoir sortir.
J’ai revu son visage, petit visage de petite fille et ses longs cheveux bruns.
Et le sien, à elle, avec ses grands yeux.
Un autre, le sien à lui.
Et quelques autres encore.
Je n’ai oublié aucun des prénoms des élèves que j’ai croisés blessés, meurtris, déchirés, abimés par des adultes tout proches d’eux. Et qui auraient dû les protéger.
Le silence du collège. J’ai toujours cette peur de ne pas voir, de ne pas entendre, de ne pas savoir. Une peur viscérale. Parce que je sais très bien, au fond, qu’au fil des années, je n’ai pas tout vu, je n’ai pas tout entendu, je n’ai pas tout su. 
De ce qui était grave dans leurs vies d’enfants.

 

Je suis restée avec mes histoires d’enfants abîmés à vie. Ceux que je connais bien, ceux que j’ai croisés dans mon métier de prof. Je sais les chiffres qui disent l’ampleur. 
Et les silences autour.

Je suis restée seule.

Et le silence de mon collège vide de leurs vies m’a redit que l’abject est de laisser le silence quand on sait, insidieusement se répandre, gommer les cris, boucher tous les interstices de paroles.
Et le silence de mon collège vide m’a redit que le grave est de laisser les bruits de cour ou d’ailleurs le faire taire, le rendre invisible, l’éteindre pour qu’il ne puisse pas parler.
Au soir, ma prière, petite, minuscule même, aimerait rejoindre tous ces silences d’enfants, les entourer d’un peu loin, pudiquement, pour qu’ils puissent ne plus se taire.

 

Des parfums, des grenouilles et une prière

On métaphore souvent, trop peut-être, sur les parfums de nos vies, le goût des essentiels, la saveur de nos  partages, nos faims à assouvir, nos soifs à étancher. Et quand on met Dieu dans les histoires de nos sens, ça fait parfois de belles homélies de jolis clins Dieu dans ma cuisine.

Fin d’après-midi d’un jeudi qui me laissait un peu de place pour la petite messe de semaine à 18h30, pas si petite d’ailleurs  puisqu’elle est passée en quelques mois d’une dizaine dans la crypte à une bonne cinquantaine, parfois davantage, sur les bancs de l’église du dessus mais c’est une autre histoire. Une vraie soif à étancher. En vrai.
J’y suis, là, entre deux rayons de soleil qui jouent des vitraux juste à côté de moi sur le banc.
J’y suis, avec mes prières pour plein de gens que j’aime et que je garde dans ma tête pour n’oublier personne. 
J’y suis encore au retour de l’Eucharistie avec ma tête qui prie pour chacun et pour tous. Et mon ventre qui gargouille.
Juste là.
Au milieu du silence.
Des grenouilles même pas de bénitier s’invitent à ma fête.

Et j’essaie de faire taire mes entrailles en repensant aux mots du prophète Aggée tiens mais c’est qui lui qui me parle de mon chemin mine de rien.  Que nenni. Ni une ni deux, les grenouilles continuent leur joyeux bazar.
Je crois que j’ai faim. En vrai.

Au sortir, ma voisine juste derrière chouette religieuse très drôle qui n’a rien loupé: ” On dirait bien que Jésus vous a ouvert l’appétit…”
J’ai souri.
Je suis rentrée.
J’ai filé à mes fourneaux.

Les légumes ont vite crépité. Les parfums, le goût, le partage à venir, ma faim, ma soif. Et Dieu y a ajouté son grain de sel.
Tout en cuisinant, ça faisait ce soir une jolie prière, un bout de Sa Parole, un vrai coin de Ciel, juste là.
Les grenouilles se sont tues.
L’essentiel est resté. Une vraie faim joie de vivre.
Dans ma cuisine.

 

Et c’est l’automne

Et c’est l’automne. 
Je pourrais vous dire que je ne vois pas le temps passer entre la rentrée, le collège, les élèves, les masques encore, les cours, le retour des formations, la famille, mes grands enfants, nos parents vieillissants, la paroisse, notre nouveau curé, nos nouveaux projets, les amis, la natation, la marche à pied, la cuisine, les tout ce qu’on fait et qu’on ne dit pas. Je pourrais ajouter le monde, le souci de l’entendre souffrir sans pouvoir rien y changer, les échos sur des réseaux qui souvent m’échappent. Je pourrais vous faire entendre encore les rires sur la cour, les retrouvailles de caté, les phrases trésors de mes classes, les éclats de soleil qui réveillent les murs, la vigne vierge qui rougit en silence, le chat qui ronronne, les feux qu’on aimerait déjà faire crépiter dans le cocon de l’hiver, le froid sifflant qu’on ne souhaite jamais pour personne. Je pourrais dire je n’ai pas eu le temps de venir écrire ici et raconter les clins Dieu. Que c’est déjà l’automne.

Mais non. J’ai le temps. Je l’attrape même à pleines mains quand je saisis tous les instants de ma vie. Je le prends, je le remplis, je le garde. Il peut bien fuir, peu m’importe. Mes cheveux gris, les petits plis au coin de mes yeux, les jambes plus fatiguées certains soirs, les yeux qui piquent de ne pouvoir lire plus longtemps me redisent qu’il est bien là ce temps. Et que je l’ai. Et que je l’aime, pleinement. C’est vrai qu’il semble ne plus s’arrêter depuis que le long été a rangé ses quartiers mais c’est bien cela qui le rend visible. Le temps est là, empli d’audace. Il est bien là, tant qu’il ne s’arrête pas. 
Et chaque matin, dans les mots de ma petite prière, il y a ce merci pour le temps qui chaque jour m’est donné et s’ajoute à mes heures. Au soir, des regrets parfois de ne pas l’avoir assez pris, la joie souvent d’en avoir récolté des bribes.
Et c’est déjà l’automne.

 

Il pleut

 

Il pleut. 
On pourrait faire des crêpes, attraper un peu de soleil au creux de nos assiettes, sourire aux grains qui glissent sur les vitres. 
Il pleut. 
Les vacances s’avancent, doucement. Août a pris la mesure et déjà les lectures se jouent de moi quand au détour des pages, elles me laissent murmurer “ce serait pas mal ce passage pour mes troisièmes.” Chut! On m’arrête. Tu ne vas pas déjà parler de rentrée, dis ? Non. Presque pas, pas encore, pas tout à fait. Même si les quatre grandes semaines bien loin de mes cahiers et de mes préparations sentent que le vent va bientôt tourner. Pour un peu, septembre pointerait déjà son nez.
Il pleut.
Les enfants sont là, souvent. Et la famille, les neveux, les nièces. Et les amis. On se réchauffe autour d’un dîner, au fil des bavardages, aux éclats de rire de nos jeux, au gré de nos balades. Les montres ont oublié de regarder les heures et se défient du temps qui passe. Et du temps qu’il fait.
Il pleut.
J’ai oublié d’écouter l’actualité. J’ai fermé mes oreilles. Pas mon cœur. Mais je voulais avoir la paix. Ça fait du bien la paix.
Il pleut.
J’aime la pluie. Marcher sous la pluie. Offrir mon visage au ciel. Regarder les gris se teinter de reflets d’argent dès que le soleil d’été se décide enfin. 
J’aime la pluie. Elle raconte nos vies. Elle frappe, elle cogne, elle glisse, elle soulage, elle caresse. Elle s’arrête.
Le soleil pourrait revenir, dis ?

Il pleut.
On a fini les crêpes. Avec la gelée de mûres, il restait un pot de l’été dernier. On en refera cette année ? Peut-être, oui. Si le soleil se décide enfin.
Il revient.

Les hortensias ont saisi l’occasion d’une petite heure passagère et laissent leurs feuilles s’évaporer. On ouvre les fenêtres. Il est chaud ce soleil quand même, c’est bien un soleil d’août. On a encore plein de temps, la chance de se savoir gâtés et l’audace d’en profiter.
L’été n’est pas fini.

 

 

 

Chemins (1)

On a déposé un peu de blanc au fond de nos verres

On a osé regarder les autres couleurs de la vie

 

On a espéré le beau

On a rêvé de paix

On a partagé nos heures et nos heures mêlées à d’autres heures

 

Puis on s’est dit que Dieu avait forcément pris ce sens-là. Alors on a décidé de continuer à Le suivre. 😉

 

Un sac pour la route…

ni sac pour la route,
ni tunique de rechange,
ni sandales, ni bâton

… Comment ça, sans bagages ? …

Je sais, oui je sais bien, le voyage est tout autre. Et je ne suis pas apôtre.
Pourtant, à quelques jours de faire ma valise pour partir, je ne peux pas m’empêcher de repenser à ces mots d’évangile et ce matin encore, la liturgie me les rappelait.
Il y a chez moi – et c’est un peu l’excuse que je me donne à chaque fois- des habitudes de maman qui faisait toujours les valises des vacances avec méthode pour ne jamais rien oublier. Je crois que je n’ai jamais rien oublié et dans ma petite famille, on sait me le rappeler “maman, tu penses à tout” est peut-être bien le refrain que j’aimais, que j’aime encore, entendre.
Alors oui, il y avait le bon nombre de paires de chaussettes, le pullover pour les soirées fraîches de juillet, la crème pour la peau au soleil, les pansements pour les randos qui font mal aux pieds, et puis les jeux de société pour ne pas oublier de s’amuser, les gourdes, les lunettes, les cartes, et tous les “au cas où”.
Alors oui, il y avait des listes avant de partir tout près de mon sac de livres.

J’aimais ce moment-là, j’aime toujours ça. Quand je pourrais envier celui qui fait son sac en 10 minutes avant de prendre une longue route, certain d’emporter juste l’essentiel, j’ose dire que je ne l’envie pas plus que ça.
Parce que dans ma valise, entre son pyjama et sa jupette, entre son maillot de bain et leurs casquettes,  j’y déposais mon amour de maman.
J’y dépose toujours aujourd’hui mon amour des choses qui iront bien. On ne manquera de rien.
Et c’est comme ça, simplement, que ma tête sera libre, que mon cœur sera là, pour l’inconnu, pour l’improviste, pour le détour qu’on n’avait pas prévu, pour la rencontre qui changera le déroulé de nos heures.

Je prends mon sac pour la route
mes tuniques, mes rechanges,
mes sandales, nos bâtons
Et je sais qu’au fond, au fond de ma valise même, je sais que Sa Parole me redira Va ! … Comme tu es.  😉

 

Bonnes vacances les amis…le temps me laissera du temps – et le plaisir aussi – pour venir vous raconter des bouts de chemins j’espère, à bientôt !

 

 

Ces roses, ces gris, la vie comme ça et Lui

On a dit au revoir à nos élèves. Le souvenir de l’an dernier en catimini entre gel, masques et  demi groupe nous a, cette année, donné l’élan et l’audace du possible: adultes presque tous complètement vaccinés, masques tombés à l’extérieur, on a osé organiser des olympiades dans notre grande cour de récré. Chaque classe aux couleurs de l’arc en ciel et du rose à perte de vue. Du rose aux joues, celles qui enfin ont pu se dévoiler. Et de la joie, vraie, simple, sans faux-semblants.

On a dit au revoir à ceux qui partaient ailleurs. Parce que leur vie déménage parfois un peu trop vite, parce que le collège n’est plus l’endroit où ils peuvent vraiment grandir. On aimerait les garder encore un peu alors on s’attarde à bavarder, ils traînent auprès de nous, on leur souhaite bon vent. Et tous, au final d’une dernière sonnerie, reçoivent nos applaudissements: on n’a pas pu s’empêcher de leur faire une haie d’honneur jusqu’au portail de la sortie. Des gris et du rose. Et la vie, en vrai.

Mon retour à la maison, fatiguée, a retrouvé la joie de ma petite famille. Depuis toujours, un resto conclut notre année scolaire. Quand les enfants étaient petits, et puis, on a continué parce que les rituels et les habitudes, c’est un peu mon truc à moi. Et ça tombe bien ce soir, on a pu réserver une table. On file vers la ville, heureux. On trinque. On rit. Je renverse ma limonade maladresse de joie, je m’excuse et le restaurateur me ressert en souriant. Je crois qu’il est heureux lui aussi. On essaie de se redire encore et encore qu’on a de la chance, le rose monte aux joues malgré les gris de nos vies qu’on garde presque en secret pour Lui, petites prières au cœur, pour un frère malade, une amie aussi, un proche tout triste et les ailleurs, gris foncés de noirceur. Nos vies faites de ces deux couleurs, du rose, des gris,  irrémédiablement liées, insolublement accrochées l’une à l’autre, définitivement mêlées à nos heures.

Presque les vacances, bientôt des océans. Mais il y a encore des corrections de brevet, quelques projets à terminer, des réunions pour organiser un septembre qu’on espère normal. Normal ? Il sera fait de rose, de gris. C’est cela la vie. Et jamais, non jamais je n’oublie que Celui qui me donne le ton, la couleur à suivre malgré tout, c’est Lui.

 

Un p’tit coussin

C’est étrange. Je reviens là, écrire, comme si je revenais dans une vieille maison, un peu comme une maison d’enfance. On y retrouve les vieux murs, les parfums, les habitudes. Et tout est là, comme si on ne l’avait jamais vraiment quittée. Merci à celles et ceux qui m’envoient des petits messages. Tout va, tout va au mieux, mais le temps de cette drôle de fin d’année encore me presse et je ne prends pas celui de venir écrire ici.
C’est étrange ce soir mais je reviens là, avec joie.

 

Le temps bousculé a fait son œuvre. Juin a ramené ses sa fraises sans prendre le temps de souffler. Masques, gel, gestes barrières, on a tout attrapé en bloc depuis un an et demi au collège, au collège comme ailleurs mais pour moi, c’est là, au cœur d’une cour de récré et de mes classes, on a tout attrapé en bloc, oubliant presque les heures toutes confinées. Presque. Pas tout à fait. On n’a pas oublié de faire raconter ses vies d’ados heureuses de rester à la maison, protégées des contraintes quotidiennes, celles des horaires, des questions, des profs, allégées par un “oui oui j’ai bien fait le travail demandé aujourd’hui”. On n’a pas oublié ses vies d’ados juste à côté, presque les mêmes, qui ont souffert, elles, au contraire, d’être enfermées, coupées des plaisirs de retrouver les copains et de la bulle d’air que procuraient chaque jour les heures au collège. Le temps bousculé a fait son œuvre et juin garde ses vies aux antipodes, assises côte à côte pourtant, derrière les mêmes bureaux d’une même classe.
Et moi, je jongle avec tout ça.

Le temps bousculé a fait son boulot. Depuis vendredi, juin a autorisé leurs sourires en grand sur la cour de récré. On a fait tomber la barrière. On a fait tomber les masques. On découvre leurs visages en entier. J’avais presque oublié que leurs frimousses n’étaient pas qu’une moitié de visage. Qu’il y avait un nez à retrousser, une bouche derrière leurs voix. Une bouche pour rire, bouder, sourire encore, répondre, crier. J’ai peine à en reconnaître certains. Et puis, il y a ceux qui ne changent rien, qui ne font rien, qui n’osent pas encore. Ils gardent le masque. L’impression de se retrouver à découvert peut-être. Et ce petit surtout, qui derrière le tissu, se cache.
Et moi, je jongle avec tout ça.

Le temps bousculé a continué. Les réunions tardives à ne plus savoir finir et dont on se passait fort bien ont repris. On s’était habitués à se retrouver aux creux des après-midis ou derrière un écran. Il paraît que certains n’auraient plus très envie de sortir de leurs maisons, plus très envie de retourner au bureau, l’amie psychologue me fait part de son inquiétude grandissante à croiser des gens qui ne savent plus se parler lorsqu’ils se retrouvent côté à côte, en vrai. Et pendant ce temps, d’autres ne cessent de dire qu’ils revivent, comme s’ils avaient arrêté de vivre, accrochant aux terrasses de café l’impression que la vie c’est ça. Sans doute oui.  C’est ça la vie. Et il va falloir vivre avec toutes ces nouvelles différences, toutes les écouter, ne rien gommer dans la facilité.
Et autour de moi, on jongle avec tout ça.

Le temps bousculé continue. Je ne sais plus très bien de quel temps je suis. Le soleil, la chaleur puis la pluie, la tempête. Même la météo semble perdue cette dernière semaine. Tempête ? De celle qui bouscule les certitudes. Et dans cette tempête, vous vous rappelez ? Vous l’entendrez peut-être demain: celle-ci.

 

Je n’oublie jamais son petit coussin à Lui.
Je crois que j’ai un peu le même dans mes tempêtes, quand je jongle avec la vie en entier. 

Quand tout a été bousculé dans ce temps, je me suis rendue compte qu’un petit bout de ma vie n’avait pas bougé.
Pas changé d’un iota.

Un coin de prière tout petit. Avec un petit coussin sous mes genoux qui prient.

Non pas pour atténuer le dur de cette Terre, non pas pour me reposer, non. Mais pour être en douceur un peu plus avec Lui.
Les impossibles du monde et ma confiance en Lui. Et je jongle avec tout ça.