De nos corps et du Sien

On s’appelle, on se textote, on roule, on marche. On se rappelle, on se retextote, on roule encore, on marche encore. En boucle. Je ne sais où. Et on ne se retrouve pas. On tourne encore, on n’y arrive pas. En vrai.

Je me réveille. Ouf. Je suis réveillée. En vrai. Oui, en vrai cette fois. Premier mauvais rêve – je n’aime pas le mot cauchemar, premier mauvais rêve de confinement…ou  de déconfinement, je ne sais trop.

 

 

Le café s’attarde un peu, on est samedi après tout.  Les mains retiennent le chaud de la faïence. Elles se posent ensuite sur les pages d’une Bible. Le papier semble encore plus doux au toucher ces temps-ci. Je relis ce Livre que j’aime tant.
Puis mon corps se lève, doucement. Il n’y a pas d’urgence aujourd’hui. Je cherche des nouvelles d’A. Pas encore de nouvelles mais celles d’hier étaient bonnes.  Mon amie opérée en urgence il y a deux jours d’une rupture d’anévrisme va bien : les membres de son corps fonctionnent, elle comprend. La parole seule est encore absente. Je prie Dieu. Et Syméon, tu sais toi.

J’ai rincé la tasse et je l’ai laissée sur le rebord de l’évier. J’en reprendrai un autre tout à l’heure.
Mes jambes me mènent doucement vers la porte du jardin. La fraîcheur de la pluie nocturne sur l’herbe, je reste un peu malgré le frais sur mes épaules, ça sent bon.  Des moineaux s’attardent entre les rangs de haricots puis sur les branches du cerisier. Mais rien à chiper encore. Ils chantent  pourtant. La nature est heureuse je crois.

Pas un autre bruit au dehors.
Je repense à mon mauvais rêve.

Nos corps nous manquent. Nos mains qui se serrent en des bonjours amicaux, nos bras qui s’embrassent, nos joues qui se tendent. Nos corps nous manquent. Nos peaux qui s’effleurent dans la file d’attente, dans le métro trop serrés, dans les couloirs qui défilent. Nos corps nous manquent.

Et Son Corps ? J’ai lu encore. Leurs avis, leurs colères.
Il ne me manque pas Ton Corps à moi, non. Non et peu importe ce que les autres en pensent. J’ai Ta Parole. Tellement plus depuis des semaines. Avec ce temps presque arrêté qui me donne le temps de Te lire et relire. Dans Tes livres, oh celui-ci, et les évangiles.
Je me nourris de Tes mots.
Et Ton Corps ? Non, Il ne me manque pas. Je Te sais là. Et je repense à tes amis après Pâques. Je pense aux miens. Ce sont leurs corps qui me manquent, ceux de ma famille, de mon église, de ma vie.
Combien Ton corps de chair, disparu, a dû leur manquer.

Parce que Tu marchais, ils suivaient Tes pas, ils ont peut-être bien retiré tes sandales au soir et soulagé tes pieds fatigués.
Parce que Tu tenais le pain, ils partageaient avec Toi les repas, les sourires, les larmes. Tes mains dans leurs mains.
Parce que Ton corps avec leurs corps ne voulaient faire qu’un. Combien le vide de Toi a dû leur manquer.

Nos corps nous manquent.

Je reprends un café.
J’ouvre enfin l’évangile du jour.
« C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. »

Mais nos corps nous manquent Seigneur.

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