“Et Dieu qui ressent nos vies”

Le beau continue d’accrocher de jolis moments à mes heures. Je ne vais pas vous en priver.

Ça commence en classe de 6è. Ce matin.
Enfin, ça commence en classe de 6è avec ce texte qui me sert de transition entre le chapitre sur les textes de créations du monde, textes fondateurs, et le chapitre suivant sur la création poétique.

Ce texte donc.

« La Création »

Et Dieu se promena, et regarda bien attentivement
Son soleil, et sa Lune, et les p’tits astres de son firmament.
Il regarda la terre qu’il avait modelée dans sa paume,
Et les plantes et les bêtes qui remplissaient son beau royaume.
Et Dieu s’assit, et se prit la tête dans les mains,
Et dit : « J’suis encore seul ; j’vais m’fabriquer un homme demain. »
Et Dieu ramassa un peu d’argile au bord d’la rivière,
Et travailla, agenouillé dans la poussière.
Et Dieu, Dieu qui lança les étoiles au fond des cieux,
Dieu façonna et refaçonna l’homme de son mieux.
Comme une mère penchée sur son p’tit enfant bien-aimé,
Dieu peina, et s’donna du mal, jusqu’à c’que l’homme fût formé.
Et quand il l’eut pétri, et pétri et repétri,
Dans cette boue faite à son image Dieu souffla l’esprit.
Et l’homme devint une âme vivante,
Et l’homme devint une âme vivante…

Marguerite Yourcenar, « La Création », recueilli dans « L’Ancien et le Nouveau Testament », Fleuve profond, sombre rivière, 1964, Éditions Gallimard

 

Et je les laisse lire, observer, réagir, écrire, surligner, colorer et dire.

Observations du texte poétique faites, rimes colorées, demande d’explication de quelques mots, explications données, repérage des anaphores, ils sont forts quand on leur donne les outils. Je souris.
Mais cette classe semble s’en tenir à la forme.
J’aimerais qu’il touche un peu au fond aussi. 🙂

J’attends encore. Vous avez autre chose à partager ?

Une main se lève. Une voix qui s’applique.

– Oui. Dans le poème, Dieu se prend sa tête dans les mains, il est seul, il a l’air triste. On ressent l’émotion je trouve. Il travaille dur. On ne sait pas s’il est content mais il travaille dur pour faire l’homme. On le ressent aussi. Un poème, c’est fort pour faire sentir les émotions.

 

J’approuve. La classe aussi. Il reprend la parole.

– Et puis là ça fait tout bizarre. Parce que l’écrivain parle des émotions de Dieu. Moi, je ne m’étais jamais demandé si un Dieu pouvait ressentir des choses, enfin des sentiments.

Je laisse le silence s’installer. J’aime beaucoup leur écoute.

Une main se lève.

– M’dame, il faut le noter ça aussi que le poète peut rendre le Dieu triste ou content ou je sais pas…enfin…peut faire que Dieu il ressent nos vies ?

 

Elle a bien dit nos vies.

 

 

Vous savez, en vrai, les élèves, ils m’agacent aussi, m’énervent un peu, me désolent parfois. Je râle comme tout le monde et j’arrive à me fâcher. Si.
Mais, au milieu de tout ça, il y a le joli de ces moments-là.

Et Dieu qui ressent nos vies. 🙂

6 réflexions au sujet de « “Et Dieu qui ressent nos vies” »

  1. Merci pour ce beau texte que je ne connaissais point. Moi tu vois depuis toute petite, j’ai ce sentiment que Dieu ressent ce que nous faisons, il doit être fier de ce que nous faisons, doit être triste parfois (alors j’ai tjs dit j’essaie de me comporter le mieux possible pour ne pas le rendre triste) et parfois il doit être en colère quand il voit ce que nous faisons ici sur terre, au final comme un parent terrestre. Merci encore pour cette pépite….

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