Il faut attendre que le jour s’éteigne

Il faut attendre que le jour s’éteigne un peu. Alors, on peut entrouvrir la fenêtre de la cuisine. Le chat revient tranquillement d’une longue sieste sous le frais d’un arbuste et, avec lui, entre aussi un petit filet d’air. Très peu, il fait encore chaud. On se dit qu’on pourrait attendre encore mais c’est décidé. On a sorti tous les ingrédients. Tant pis pour la cuisson qui donnera encore de la chaleur à la cuisine qu’on a su garder fraîche tout l’après-midi en fermant les volets. Le jour va s’éteindre tranquillement. C’est l’heure du clafoutis.

Il a fallu cueillir les cerises, celles qui couvraient l’arbre avant que de joyeux merles viennent se goinfrer des restes. Le panier déborde encore malgré les poignées gourmandes attrapées au fil de ces derniers jours. Le fruit est fragile, il ne faudrait pas le perdre. Si on faisait un clafoutis ? La décision se prend sans réfléchir. Mais il fait chaud pour allumer un four. On attendra juste que le jour s’éteigne un peu.

C’est un temps silencieux. Une à une dénoyautée parce que même si la vraie recette exige de garder les noyaux, c’est bien meilleur de manger le gâteau sans risquer d’être arrêté à chaque bouchée, sans être prudent. Une à une dénoyautée et posée dans le grand plat, le même qui sert au far breton, le plat de ces deux desserts seulement, comme s’il fallait garder pour eux une place de choix. Le travail est un peu lent. Il est calme aussi comme cette fin de journée remplie de cahiers encore, de projets, de préparation d’une fête de collège demain soir. Oh, on y repense, il faudra faire un gâteau pour l’entracte. Mais pas un clafoutis. Non. Ce dessert-là est de ceux qu’on pose au milieu d’une grande table avec la famille autour, impossible de le découper comme un vulgaire cake ou une simple tarte et le manger entre deux représentations.

Le reste de la préparation se fait en un tour de main. Les oeufs, la farine, le beurre, le lait et le silence toujours. La cuillère en bois glisse sans faire de bruit. Les pensées, elles, peuvent vagabonder un peu, les mains habituées ne se tromperont pas.

Le jour est presque éteint quand le plat sort du four. Le doré embaume l’air devenu bien plus supportable. Finalement, la cuisine n’est pas irrespirable. On s’est accommodé des degrés, on a bien fait d’attendre le soir et le clafoutis offre son dos sucré et blond à nos regards, bientôt nos papilles, c’est l’essentiel.

On coupera une petite part encore tiède. On se redira qu’il n’y a rien de meilleur.
Le jour éteint, le silence d’une cuisine, le temps suspendu.

Faire un clafoutis comme on murmure une petite prière. Simplement.

 

 

 

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