P’tite prière par la fenêtre

J’ai failli la jeter, par la fenêtre.
Ma petite prière.

Gardée toute une semaine à croiser des blessés, des blessures. Dans la vie, la vraie.
Le hasard des rencontres, sans doute.
C’est étrange la vie, parfois.
Le lundi, les confidences terriblement blessées d’un élève.
Le mardi, la maladie d’une vieille amie, épuisée.
Le mercredi, les mots difficiles de mes petits écrivains-malades.
Le mercredi encore, des partages fraternels en paroisse sur la souffrance, touchée.
Le jeudi, la mort d’une maman, partie bien trop jeune.
Le vendredi, ma petite prière qui continue. En vain on dirait. J’en fais quoi. La vie, encore. Sourire. Toujours.

J’ai failli la jeter par la fenêtre.

C’est étrange la vie.

Au stop, arrêtée, il a frappé à ma vitre.
7 km et des broutilles, oui. Je veux bien vous déposer. C’est ma direction.
7 km et des broutilles. Il ne devait pas avoir grand chose à part des blessures aux pieds, des bleus au cœur, des coupures aux mains.
7 km, des broutilles et il m’a parlé de vie. De la vie. De la sienne.
” Et puis j’ai tout perdu sauf l’envie de vivre.”
Un travail, pas encore de maison à moi mais bientôt, je vais enfin pouvoir passer mon permis.
7 km, des broutilles, des confidences.
Je n’ai rien dit. Écouter. Même pas gênée par un peu trop d’inconnu.

J’ai failli la jeter par la fenêtre ma petite prière et Jérôme que je ne connaissais pas 7 km plus tôt, qui n’est plus SDF, qui vit tout près de chez moi, l’a rattrapée.
C’est étrange la vie.
Parfois, on dirait que tu envoies des clins Dieu pour que je continue à l’aimer.

 

 

Des glycines à nos fenêtres

Et on accrochera des glycines à nos fenêtres.

Je compte les jours depuis quelques jours. J’ai attrapé le gros classeur bien installé à côté de mes Bibles, plus exactement abrité entre l’une d’elle et les poèmes de frère Christophe. J’ai posé le classeur sur mes genoux comme un livre ouvert. J’ai feuilleté les pages une à une. J’ai relu tous leurs petits mots. J’ai pris mon temps.

Je compte les jours depuis quelques jours. Oh… je n’additionne pas les heures, les mois, les années comme un étendard oh non, surtout pas. Je fais plutôt le compte de tous  nos mercis, de tous nos pardons, de tous nos s’il te plaît. J’ai relu ma déclaration d’intention. Je n’y changerai pas un iota. Presque 25 ans après.

Je compte les jours depuis quelques jours. Je caresse leurs visages en photos.

Et je souris à cette phrase griffonnée ailleurs.
Il n’y a pas encore de glycines à nos fenêtres mais au seuil de notre maison les pas de nos enfants, de nos familles, de nos amis, de nos visiteurs d’un soir.
Les pas de tous ceux que j’aime et qui ne sont plus là.
Il n’y a pas encore de glycines mais le parfum de nos deux vies mêlées l’une à l’autre pour n’en faire plus qu’une.

Dans 3 jours exactement,  il y aura 25 ans que j’ai dit oui à l’homme de ma vie.
Et nous partons, maintenant, choisir une glycine pour accrocher à nos fenêtres, comme un ruban de prières pour fleurir encore le temps qui continue.

 

 

 

Et après ?

40 jours après.
Et après ?

Il y a toujours ce temps en suspension qui semble s’arrêter.
Enfin… Un temps qui murmure “on y est” et en même temps “ce bout de chemin a épuisé nos heures”.
40 jours à tenter de Lui faire un peu plus de place ou plus exactement à essayer d’agrandir son cœur pour qu’Il y trouve une vraie place.

Il y a toujours ce petit temps en pointillé qui semble s’étonner.
On n’y est plus ! Carême terminé, octave qui chante le Ressuscité.
8 jours à garder en Lui la joie de l’Espérance et agrandir mon cœur pour qu’il y trouve une raison ajoutée au verbe aimer.

Il y a toujours ce drôle temps en filigrane qui semble regarder.
On y est et pour toujours, le chemin ne fait que continuer.
Des Carêmes il y en aura d’autres et non pas parce que la liturgie l’inscrit à mon calendrier. Non. Pour me redire encore et encore que ce chemin est le chemin de vie. Peut-être bien de ma vie. Et agrandir mon cœur pour qu’il ose sourire encore.

Il y a toujours ce doux temps entre-deux.
Un espace de rencontre.
Une petite Lumière qui s’immisce.
Le temps d’un pas de deux avec Lui avant de recommencer.

Il y a toujours dans l’octave de Pâques les pas des témoins, une route d’Emmaüs, la pierre roulée qui roule encore et ne cesse de rouler sur cet ici et maintenant Il est là.
Et comme après une trop longue randonnée, la pause tant attendue, au sommet de la montagne, à regarder l’horizon avant de repartir et reprendre son Souffle, récupérer des forces, retrouver l’audace pour se préparer à marcher à nouveau.

Et après ?
La vie, toujours.

C’était un cadeau

Il est des chemins qu’on emprunte peu.

C’était un cadeau. J’avais désormais deux chiffres à mon âge et une marraine parisienne qui n’attendait que ça. “Il est temps que vous l’emmeniez à la Capitale cette petite.” Un long voyage en train, un compartiment comme une maison de poupée avec une porte qui coulissait sur un minuscule couloir, les sandwichs enroulés dans des serviettes et les crêpes de Grand-mère pour la route, les histoires de Grand-père sur une Libération qu’il pouvait me raconter parce que maintenant j’avais 10 ans.

C’était un cadeau. Une semaine à découvrir tous les trésors de la Ville. Les musées, les monuments, les rues. Les églises.
Et Notre-Dame.
Je ne me souviens pas de tout mais j’ai gardé quelques sourires en photos qui rappellent ce premier voyage et un gros livre de poche.
Mon premier livre de poche. Le premier d’une longue collection.

C’était un cadeau. Nous étions entrés dans une librairie comme jamais je n’en avais vue. Des lignes de livres comme si tous les murs ne savaient qu’écrire.

Tu peux choisir un livre pour ton anniversaire.

J’aurais pu continuer ma série de Club des cinq, puiser dans une ligne de bibliothèque verte qui semblait ne jamais s’arrêter, choisir un album en couleurs sur les grands noms de la ville. Mais non. Il y avait là des lignes de dos blancs qui captaient mon regard, des dos tout simples, rangés trop sagement par ordre alphabétique, presque austères. Et ma tête légèrement inclinée pour lire une succession de titres écrits en noir et dont je ne mesurais pas encore la richesse.
Je découvrais les livres de poche.
J’ai passé doucement mes yeux comme une main qui cherche et je me suis arrêtée là.

Notre-Dame de Paris. Victor Hugo.

Je ne sais trop pourquoi ce fut celui-ci mais je sais que de là est née une passion pour Hugo qui, quelques années plus tard, m’a embarquée dans des études tant aimées, une passion pour chacun de ses personnages et un grand amour pour Notre-Dame. Le roman et le lieu, puisque jamais les deux ne se sont séparés.

C’était un cadeau. De retour au bord de mon océan puis dans ma campagne angevine, je n’ai jamais prié au cœur de la cathédrale. Jamais. Même plus tard lorsque j’y suis, à de multiples reprises, retournée.
Peut-être que les cathédrales, trop majestueuses ou trop immenses, taisent mes mots pour Lui parler et que mon silence qui déambulait dans les allées, se posait près de la Vierge de Claudel ou sur un bout de banc priait.

Mais souvent, bien loin de Paris, j’ai ouvert mon vieux roman et c’est au creux des mots d’Hugo que j’ai murmuré des bouts de petites prières.

Hier soir, encore.
Une petite prière pour qu’elle reste debout.

C’était un cadeau.

 

 

Croire sur Paroles

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
“Demandez, on vous donnera ;
cherchez, vous trouverez ;
frappez, on vous ouvrira.”
Mat. 7,7

 

À l’impératif de nos prières, Il répond par la certitude de Son futur.

 

Une jeune amie me demandait, il n’y a pas si longtemps, ce qui me touchait le plus dans les paroles de la Bible et je lui ai répondu, sans me moquer d’elle, que depuis toujours j’aimais particulièrement “les conjugaisons”.
Elle a souri, de ce sourire un peu étonné, et m’a demandé une petite explication.
Je ne pensais pas seulement aux versets de ce jour en lui disant:
“Parce qu’à l’impératif de nos prières, Dieu nous donne à chaque fois la certitude d’un futur, non pas seulement de nos désirs mais de sa volonté, celle qui nous rend finalement profondément heureux.”
Et je lui ai expliqué un peu avec quelques autres passages.
Elle m’a rétorqué fort justement “et les souffrances, et les maladies et les morts injustes”  alors nous avons parlé des hommes et du présent dans nos vies.
J’aime beaucoup les discussions bienveillantes avec une personne qui cherche. Je cherche en même temps, je creuse, j’avance.
La discussion fut longue, trop longue  à rapporter ici et aujourd’hui mais l’amie a eu une réponse amusée et sans le vouloir d’une vérité époustouflante. Enfin, c’est de cette manière que je l’ai entendue.  😉

– Alors, tu crois vraiment sur paroles  Paroles ?

8 jours de Carême déjà: l’occasion de lire et relire encore et encore de quelle manière Il nous parle, nous nourrit et nous… touche.  🙂

 

 

20 heures 37

Samedi.
8h30.  Le centre pastoral, de bonne heure, la joie, on bouge et les tables et les chaises et nos cœurs: dans une heure commence notre temps fort pour les futurs communiants.
10h45. Une petite pause prière, leurs 9 ans sourient.
12h30. On range et les tables et les chaises pas nos cœurs, c’était vraiment bien de leur parler d’Abraham, de la Pâque, de Jésus. Du Carême aussi. Une maman nous quitte avec un “merci pour lui…et pour moi, j’ai appris.” Elle sourit. Moi aussi.
13h30. Mon étudiante est là. C’est doux.
15h00. On part choisir ses nouvelles lunettes. Elle est drôle. Et puis on s’attrape un petit pain au chocolat à la boulangerie. Comme quand elle était petite. Quelques courses pour ce soir. Dis, pourquoi les gens courent tout le temps ?
17h00. Quelques copies, des petits préparatifs pour le Carême au collège. J’ai pensé à nouveau à eux et posé quelques mots ici pour raconter le joli des temps de caté.
19h00. La cuisine, un peu. Le bon d’un petit plat à partager. Souffler d’une semaine de reprise trop remplie. Un long bavardage téléphonique avec la grande fille, le fils de passage. C’est bon d’être une famille.
19h30. Il y a même des rires. Un bon verre de Ventoux en partage d’avant Carême. On partagera pendant mais oui, aussi.
20h35. On passe à table ?
20H37. Son téléphone a vibré. Tiens c’est Jeff. J’ai failli sourire. Je l’ai vu lire le SMS. Je l’ai entendu me lire les mots de l’ami. C’est le fils de Christelle. Il s’est suicidé ce matin.
Après. Je ne sais plus trop l’heure. On n’a plus très faim. On n’a plus très envie de rire ni de sourire. Pourtant, on va dîner.
On rira encore, il y aura d’autres sourires.

 

Je ne comprends jamais le temps quand il s’arrête. Et repart. Jamais en arrière.

 

Je pose des mots dans ma prière, les mêmes toujours, ceux qui croient, ceux qui espèrent, ceux qui Te demandent de m’aider encore et encore à ne jamais oublier d’aimer.
Parce que le temps s’arrête. Et qu’il faut aimer, ne faire qu’aimer, avant.

Une petite boîte

Il y avait plein de soleil. Sur ma route, dans la cour de récré, dans la salle des profs aussi.
Il y avait une belle énergie, beaucoup de sourires, sans doute des tristesses un peu cachées aussi.
Même avec un février tout ensoleillé, on sait très bien qu’un retour au collège est pour certains parfois compliqué. Mais, là, au détour des premières heures d’un premier jour, j’ai vu surtout du léger et l’envie de recommencer.
Et ça faisait juste du bien.
Ça faisait juste du bien de retrouver leurs mines de 12 ans à peine, leurs mots sur mes textes, leurs rires sur mes lectures. Il y a dans le début du collège encore un petit reste d’enfance.

Un petit reste d’enfance qui fait juste du bien.

C’était un joli défi, lancé avant les vacances. Les volontaires s’étaient inscrits, nombreux. Plongés dans Vendredi ou la vie sauvage, on avait décidé un concours de la plus belle île. Robinson n’avait qu’à bien se tenir : à coups de crayons, de colle, de ciseaux, ils avaient décidé de lui offrir l’image de son rêve. Une île en grand.
Ils sont arrivés dès la première heure chargés de leurs maquettes. Grandes, colorées, astucieuses, drôles même. Ils les ont déposées, les unes à côté des autres, les admirant déjà, observant ceci chez l’un, cela chez l’autre. Il y avait beaucoup de joie à raconter les comment, les pourquoi et les belles heures vacancières passées à leur projet. Chacun n’avait eu qu’une même idée: créer sur tout l’espace imparti la maquette qui serait la plus visible… et on votera oui pour savoir qui a gagné.

Elle ne disait rien. Mais souriait.

Elle a sorti une toute petite boîte noire et l’a posée devant elle.
– Madame, c’est ma maquette.

Une grosse boîte d’allumettes. Elle l’a ouverte. Un petit trésor à l’intérieur.
J’ai souri.
– Vous savez, il ne manque rien… J’ai bien suivi la description de Michel Tournier.

Je voyais en effet.

– Je voulais que ce soit petit. Les choses petites, elles ne se voient pas bien, elles ne font pas beaucoup de bruit, elles sont comme un peu perdues mais ça ne les empêche jamais d’être importantes. Je trouve que ça ressemble bien à Robinson et à sa vie sur l’île, voilà, c’est pour ça le petite boîte.

 

 

Au soir, je repense à sa petite boîte et à sa jolie explication.

Je ne peux pas m’empêcher de glisser dans les mots de ma p’tite prière ses mots de petite fille. Si justes sur toutes les petites choses.
Comme les gens qu’on ne voient pas très bien, ceux qu’on n’entend jamais, ceux qui semblent loin.
Comme les p’tits riens de nos vies, ceux qui ne font pas de bruit, ceux qui paraissent dérisoires.
Comme nos heures anonymes, celles qui ne s’affichent pas, celles qui construisent en silence, celles qui nous font pourtant.

Celles que seul Dieu voit. Petit trésor au fond de nos boîtes.

Ça ne les empêche pas d’être importantes.
Essentielles.
Tellement.

Décalée

Il y a certains soirs où le fil de la journée se déroule en petite liste jolie sans ponctuation comme un souffle de verbes que je griffonne sur un cahier et je les relis au lendemain comme des promesses.      Décalées.

Prier à l’abbaye    rencontrer Josie bénévole un an à l’Arche    relire quelques pages de Jean Vannier    préparer les pâtes    faire les galettes et les crêpes avec les neveux et nièces il faudra que j’apprenne ça à mes petits-enfants    parler de nos vies et projets avec Élo    profiter encore du soleil dans le parc   préparer des cours les élèves me manquent    apporter des crêpes à Sandrine    rentrer avec un pot de gelée de coings    donner sans rien attendre en retour et recevoir encore et encore c’est fou    écrire une petite histoire   répondre à des mails il faut que j’aille rendre visite à mes vieux amis    sourire qu’est ce que j’aime la vie quand même    filer au centre pastoral    retrouver les amis   préparer le 5è dimanche de Carême j’aime bien mes amis engagés c’est vrai tu vas en monastère des fois dis raconte c’est chouette d’être un peu      décalée
Rentrer    il est tard la maison est encore pleine de vie les vacances personne n’a envie de terminer la journée   se faire une tisane   partager encore quelques mots    poser la musique sur mes oreilles   c’est drôle de vieillir   ne pas le sentir le temps qui passe    décalée
Ouvrir l’écran   naviguer un peu les nouvelles les mêmes mon Église encore et encore ses maux et leurs mots et leur pourquoi et leur comment rien ne ressemble vraiment à ce que je vis ici      décalée

Parfois j’aime assez. Parfois ça me fait peur.
Ma vie les gens de ma vie ma paroisse ma ville ça ne ressemble pas beaucoup à ce que les médias montrent en boucle à ce que les cathos pignons sur rue racontent un peu oui mais pas tant pas tout au fond pas en vrai.
Est-ce que je suis vraiment en dehors alors à côté décalée ?

 

Au matin, ouvrir ma Bible.
Lire Ses mots, à contre temps.
Décalés.

 

Sourire.

 

De la farine et de l’eau

“Je prie dans ma cuisine.”
C’était juste, c’était beau. Dans la bouche d’une Grand-mère qui faisait valser les ronds de soleil dans sa crêpière, dans le silence d’un matin, c’était le vrai de Dieu, assis juste à côté de la cuisinière sûrement, à l’écouter chanter des psaumes.

Je prie dans ma cuisine.
Petite, les mains dans la farine, je crois que mon silence, entre le bord de l’évier et le vaisselier, parlait un peu à Dieu. J’ai oublié l’endroit jeune fille et préféré l’aventure des mots dans les livres. J’ai évité l’endroit jeune femme mais dis, à trop en faire tu pourrais oublier d’être moderne. J’ai partagé l’endroit jeune mariée parce que dis, il peut bien faire la cuisine lui aussi. J’ai retrouvé le chemin de ma cuisine jeune maman à vouloir leur faire danser des ronds de soleil dans ma crêpière. Comme elle.
Je ne l’ai plus quittée sans quitter pour autant les mots de mes livres, le moderne je m’en fiche, le partage avec le p’tit mari.

Je prie dans ma cuisine et j’aime ça.
Il suffit d’un peu de temps, d’un peu de farine et d’un peu d’eau. Le silence du matin c’est bien aussi. On peut ajouter le sucré d’un après-midi parfois. Ou même l’après-midi tout entier à épicer un dîner pour des amis.

Je prie dans ma cuisine et j’aime l’endroit pour entendre ce qu’Il peut bien me dire.
Trop, pas assez, parfait. Les ingrédients…
Laisser là la métaphore.
Ne rien dire.
Casser, battre, mélanger, étirer, fouetter, faire des verbes des temps volés au temps, des petites prières en suspens.
De la farine, de l’eau. Presque rien.
Je prie dans ma cuisine. Je L’entends, là aussi.
Il est assis sur le bord de l’évier sûrement, à m’écouter fredonner Ses mots.
Et c’est bien.