Décalée

Il y a certains soirs où le fil de la journée se déroule en petite liste jolie sans ponctuation comme un souffle de verbes que je griffonne sur un cahier et je les relis au lendemain comme des promesses.      Décalées.

Prier à l’abbaye    rencontrer Josie bénévole un an à l’Arche    relire quelques pages de Jean Vannier    préparer les pâtes    faire les galettes et les crêpes avec les neveux et nièces il faudra que j’apprenne ça à mes petits-enfants    parler de nos vies et projets avec Élo    profiter encore du soleil dans le parc   préparer des cours les élèves me manquent    apporter des crêpes à Sandrine    rentrer avec un pot de gelée de coings    donner sans rien attendre en retour et recevoir encore et encore c’est fou    écrire une petite histoire   répondre à des mails il faut que j’aille rendre visite à mes vieux amis    sourire qu’est ce que j’aime la vie quand même    filer au centre pastoral    retrouver les amis   préparer le 5è dimanche de Carême j’aime bien mes amis engagés c’est vrai tu vas en monastère des fois dis raconte c’est chouette d’être un peu      décalée
Rentrer    il est tard la maison est encore pleine de vie les vacances personne n’a envie de terminer la journée   se faire une tisane   partager encore quelques mots    poser la musique sur mes oreilles   c’est drôle de vieillir   ne pas le sentir le temps qui passe    décalée
Ouvrir l’écran   naviguer un peu les nouvelles les mêmes mon Église encore et encore ses maux et leurs mots et leur pourquoi et leur comment rien ne ressemble vraiment à ce que je vis ici      décalée

Parfois j’aime assez. Parfois ça me fait peur.
Ma vie les gens de ma vie ma paroisse ma ville ça ne ressemble pas beaucoup à ce que les médias montrent en boucle à ce que les cathos pignons sur rue racontent un peu oui mais pas tant pas tout au fond pas en vrai.
Est-ce que je suis vraiment en dehors alors à côté décalée ?

 

Au matin, ouvrir ma Bible.
Lire Ses mots, à contre temps.
Décalés.

 

Sourire.

 

De la farine et de l’eau

“Je prie dans ma cuisine.”
C’était juste, c’était beau. Dans la bouche d’une Grand-mère qui faisait valser les ronds de soleil dans sa crêpière, dans le silence d’un matin, c’était le vrai de Dieu, assis juste à côté de la cuisinière sûrement, à l’écouter chanter des psaumes.

Je prie dans ma cuisine.
Petite, les mains dans la farine, je crois que mon silence, entre le bord de l’évier et le vaisselier, parlait un peu à Dieu. J’ai oublié l’endroit jeune fille et préféré l’aventure des mots dans les livres. J’ai évité l’endroit jeune femme mais dis, à trop en faire tu pourrais oublier d’être moderne. J’ai partagé l’endroit jeune mariée parce que dis, il peut bien faire la cuisine lui aussi. J’ai retrouvé le chemin de ma cuisine jeune maman à vouloir leur faire danser des ronds de soleil dans ma crêpière. Comme elle.
Je ne l’ai plus quittée sans quitter pour autant les mots de mes livres, le moderne je m’en fiche, le partage avec le p’tit mari.

Je prie dans ma cuisine et j’aime ça.
Il suffit d’un peu de temps, d’un peu de farine et d’un peu d’eau. Le silence du matin c’est bien aussi. On peut ajouter le sucré d’un après-midi parfois. Ou même l’après-midi tout entier à épicer un dîner pour des amis.

Je prie dans ma cuisine et j’aime l’endroit pour entendre ce qu’Il peut bien me dire.
Trop, pas assez, parfait. Les ingrédients…
Laisser là la métaphore.
Ne rien dire.
Casser, battre, mélanger, étirer, fouetter, faire des verbes des temps volés au temps, des petites prières en suspens.
De la farine, de l’eau. Presque rien.
Je prie dans ma cuisine. Je L’entends, là aussi.
Il est assis sur le bord de l’évier sûrement, à m’écouter fredonner Ses mots.
Et c’est bien.