Dis-moi comment…

 

Ça commence à me toucher je crois, à m’égratigner doucement, ça fait mal.

Je me croyais bien plus forte que ça pourtant. Je me disais que dans ma petite paroisse, c’était différent. C’est sans doute encore un peu différent oui. Je donne la communion régulièrement comme pas mal de mes amies paroissiennes. Trois filles servent autour de l’autel au milieu des garçons. Et tous nos partages, si nombreux, se font toujours tous ensemble.

Je me croyais bien plus forte que ça pourtant. Je me disais que ça ne changerait rien dans ma Foi, ça c’est clair, ça ne change absolument rien. Entre Jésus et moi, de toute façon, il n’y a jamais eu vraiment d’intermédiaire. Mais il y a quelque chose qui change doucement, presque insidieusement, quand je pars vers l’église.

Je me croyais bien plus forte que ça pourtant. Je me disais que tous ces crimes abjects d’hommes, parfois de femmes, qui avaient tous promis à Dieu de Le suivre et ont abusé d’enfants, de jeunes gens ou de jeunes femmes, je me disais que ce n’était pas seulement eux mon Église. C’est vrai, infiniment. Et qu’ils seraient jugés. Mais si mal. Et je ne suis pas si forte pour l’aimer comme avant cette Église.

Je me croyais bien plus forte que ça pourtant.
C’est difficile aujourd’hui.

Bien sûr, je vais à la messe mais je ne sais pas pourquoi mes dimanches au matin sont toujours comme un peu tristes. Bien sûr, je parle de Jésus aux tout-petits, aux jeunes, aux un peu plus grands mais je ne sais pas pourquoi je ne peux plus prononcer certains mots devant eux. Bien sûr, je prie encore. Mais souvent,  tellement loin de mon Église.

Je me croyais bien plus forte que ça.
Mes amis sont là, encore, ma famille, toujours, pour me parler du bon, du beau, du doux de la vie. Je les vois mal sous les voûtes pesantes.

Dis-moi, Jésus, montre-moi un bout de ton chemin pour soulever mes pas et avancer encore, dis-moi comment, dis-moi.

Juste après

 

C’est vrai que juste après, il y a ce temps ordinaire.
Ce temps ordinaire que j’aime tant.
Je l’oublie presque à chaque fois tellement l’Avent et Noël accaparent mon cœur, ma vie, ma joie.

Juste après, Te retrouver Jésus au bord de ta “mer”, Toi qui enseignes, qui guéris, qui marches. Je l’oublie presque que je T’aime toujours avec mon regard de petite fille qui, dans la lenteur de son enfance et de ses longs dimanches, tournait les pages de ses évangiles illustrés.

Juste après, retrouver le calme d’un dimanche sans rien. Vous savez, celui dont on a laissé la case vide sur le calendrier simplement pour se dire qu’on peut garder tout ce temps pour nous. Comme une page blanche à remplir de presque riens. Je l’oublie presque que j’aime ce temps donné à vivre.

Juste après, retrouver le plaid, la petite sieste qu’on n’a même pas prévue qui nous attrape au détour de quelques pages d’un bon livre pourtant. Je l’oublie presque que j’aime le feu qui crépite, m’endort et me laisse aller à mes rêves.

Juste après, retrouver la cuisine, celle qui a quitté les petits plats dans les grands pour préparer l’ordinaire d’une semaine à venir. Oser le froid glacé pour rapporter des petits choux verts coincés au fond du potager, éplucher, laver, couper, mijoter, goûter, ajouter un brin de sel. Je l’oublie presque ce doux des gestes qui me rassurent.

Juste après, retrouver la musique que j’aime. Glisser de la pochette le vieux vinyle, le poser délicatement, savoir que lui aussi crépitera un peu, fredonner avec lui les souvenirs jolis. Je l’oublie presque combien j’aime les chansons qui racontent ma vie.

C’est vrai que juste après, il y a ce temps ordinaire.
Ce temps ordinaire que j’aime tant.

Je l’oublie presque ma petite prière qui ne ressemble à rien, surtout pas à une prière. Des mots au long d’un dimanche qui Te redit au détour d’une Bible, d’un plaid ou d’un plat qui mijote que c’est dans l’ordinaire des jours que Tu es.
Bien davantage.

 

 

Vingt petites minutes

 

En grimpant les escaliers jusqu’à la classe qu’on se garde pour nos séances – parce qu’elle n’a pas de voisins à cette heure-là et qu’on est tranquilles – , ils m’ont demandé quand l’aumônerie serait enfin prête. Les travaux avancent dans tout le collège, on y est presque, à peine encore. Déçus, mais heureux de nous retrouver pour notre caté. Je ne leur ai pas dit mais moi aussi, j’aurais bien aimé que notre “lieu” soit enfin prêt pour cette rencontre. Tant pis, on a l’habitude et on fera avec une salle de classe. Et ce sera bien.

En grimpant les escaliers, ils m’ont demandé encore de quoi on va parler madame aujourd’hui.
– Aujourd’hui, on ne parle pas. Aujourd’hui, on va vivre une expérience. Aujourd’hui, on va goûter au silence.
Mes mots ont fait leur petit effet parce qu’il faut que je vous dise que je n’ai jamais eu un groupe aussi…bavard !
J’aime leurs bavardages faits de mille questions à la seconde mais j’avoue qu’en préparant ma rencontre de ce matin, je me suis dit c’est pas gagné.
C’était sans compter sur la confiance qu’ils me font.

Et c’était tout simple.
Il m’a suffit de quelques jolies feuilles de papier. Posées devant moi, je leur ai dit tout doucement que je leur proposais d’écrire à Dieu. Une prière. Une simple lettre. En silence. Vingt minutes de silence pour leur petite prière, leurs mots de mercis, de pardons. Leurs questions. Vingt minutes pour une lettre.
Rien de très original pour ceux qui ont l’habitude de construire ce genre de rencontre. Une première fois pour eux et leur 12-13 ans si loin du silence… et de la prière.

Et c’était très beau.
En confiance, ils se sont installés où ils voulaient dans la classe, ont pris le temps de se séparer les uns des autres. Ils faisaient déjà silence quand tour à tour, ils sont venus vers moi chercher leur feuille. Ils étaient déjà en silence quand ils se sont assis dans le coin qu’ils avaient choisi. Ils sont restés en silence, à écrire, dessiner un peu, écrire encore. Ils ont osé.

 

Et c’était très doux.

Et doucement, je leur ai dit qu’un peu plus de 20 minutes étaient passées. Déjà.
Ils n’ont pas bougé. Presque pas. Et doucement encore, ils se sont un peu regardés, pliant toujours doucement leur feuille, rangeant leurs crayons, me disant du bout de leurs voix que c’était vraiment bien. Finalement.

– Madame, je peux vous prendre d’autres feuilles…parce que j’ai encore plein de choses à lui dire à Dieu …
– Moi aussi, je peux ?

 

Dans le tumulte du temps, ils m’ont offert leur silence en cadeau. Et c’était bon.

De fille en aiguille, Céline et la vie

 

Elle est née quinze jours exactement avant mes 28 ans et dans quinze jours j’aurai, comme ça peut arriver une fois dans nos vies, le double de son âge. Ce n’est pas une énigme, rassurez-vous, juste des mots pour vous dire que mon amour pour elle se multiplie au fil du temps. Pour elle, son frère et sa sœur. Pareillement.
Elle est née quinze jours exactement avant mes 28 ans et elle a fait de moi une maman. À vie.

Je pourrais vous raconter encore son attente, ses premiers pas, ses sourires, sa joie, son rire. Je pourrais vous redire son mariage cet été. Mais je préfère vous raconter une toute petite chose qui, grâce à elle, existe depuis elle.

J’aime bien cette petite chose parce qu’elle paraît un peu ridicule, un presque rien sans importance, un truc pas grandiose, un morceau de pas grand chose qui me remplit le cœur.

Élise est née un 18 janvier. C’était un mercredi. Il faisait tempête et elle a balayé toutes mes certitudes.
Les jours ont défilé très vite après. Il m’a fallu tout apprendre. C’était bien, bouleversant, c’était doux, parfois difficile, pas trop souvent, c’était beau. J’étais heureuse et son papa a toujours été un partenaire extraordinaire d’écoute, d’attention et d’aide. Et c’était bon.

Élise est née le 18 janvier  et – mon p’tit journal me le rappelle- le jeudi 11 mai , je reprenais le chemin du collège. Mon bébé confié à une trop chouette nounou, je suis repartie le cœur léger, remplie d’elle, la tête occupée par une inspection qui pointait son nez.

Et c’est là.

Ma petite automobile, c’était le lieu déjà et encore et toujours de mes p’tites prières. Prières pour mon enfant, pour nous, et la terre entière. Sauf que cette année-là, mes petites prières ont été accompagnées par Céline. Ah zut, faut que j’explique encore. Depuis Élise, je faisais gaffe à ma musique à fond dans la maison. Un bébé ça dort quand même, tranquillou, alors ma musique à fond, je l’écoutais dans mon automobile. Mes prières et ma musique dans l’auto.
Et mes prières de 1995 – et quelques années après aussi parce qu’un album de Céline, ça me fait longtemps – mes prières donc, c’était à fond avec Céline qui chantait.
Élise est née le 18 janvier et d’avril à longtemps après, j’ai prié avec Céline dans mon auto. Voilà.

 

28 ans plus tard, j’ai remis la musique. Comme chaque année ou presque. L’album ” D’eux” a défilé. Je le connais par cœur. Et à chaque parole, il y a encore – gravée en ma mémoire-  une prière pour Élise, pour nous, pour elle, pour lui, pour eux, pour la vie, et la terre entière.
Tiens, celle-là. Pour tous. Pour vous. Pour toi.
Écoute, vraiment, écoute.  😉

 

 

Lundi bleu ?

J’apprends des trucs tous les jours ou presque. Alors, aujourd’hui lundi, il paraît que c’était le “Blue Monday”. Lundi bleu.
J’ai fait la curieuse sur l’internet parce que je ne connaissais ni l’idée, ni l’expression et j’ai découvert que ce 3è lundi de janvier serait (c’est scientifique mais quand même au conditionnel) le jour le plus déprimant de l’année.

En vrai, ce soir, ma découverte m’a fait sourire parce que dans la salle des profs ce lundi, on avait quelques p’tits élèves qui nous déprimaient un peu. Si, vraiment. Mais je crois que le sourire et l’humour nous protègent encore de la profonde dépression face à ces garnements.
Bref. Lundi déprimant. Blue Monday. Parlons-en.
Déjà, le bleu ça ne lui va pas du tout. Parce que le bleu du ciel, le bleu de l’océan et le bleu de mon chemisier à fleurs, c’est tout sauf déprimant.
Et à la fin de ce lundi, le déprimant, je peux l’affirmer, ça ne lui va pas vraiment.

Le matin qui te réveille avec des messages de tes enfants, même loin,  te souhaitant une belle semaine, ça lui va bien.
Les sourires des collègues qui se donnent du courage au matin du lundi, ça lui va tout autant.
Le merci des amis parce que t’es simplement leur amie et au détour d’un sms tout gratuit, ça lui va carrément.
La BD qu’on te dépose au pied de ta porte, toute bien enveloppée, un lundi midi parce que tu n’es pas là mais que t’avais envie de la lire au soir, ça lui va énormément.
Le voisin- qui a guetté ton retour du collège- qui te propose des œufs tout frais  parce que les poules pondent trop en ce moment – c’est rigolo des poules qui pondent trop-, ça lui va gentiment.
Une maman d’élève qui te remercie, ça lui va vraiment.
De jolies copies que tu n’attendais pas, ça lui va absolument.
Bref. J’arrête parce qu’on pourrait bien me dire qu’entre tout ça, il y a bien de quoi le trouver déprimant ce lundi de janvier.
Bien sûr. Evidemment. On vit dans le même monde.

 

 

Je ne regarde pas que le joli mais le joli qui est là me fait regarder le difficile autrement.

 

 

Il n’était pas blues ce lundi. Absolument pas déprimant.
Et qu’on arrête un peu de mettre de belles couleurs sur de fichues idées qui nous feraient presque broyer du noir !  😉

Il reste la vie

 

J’ai d’abord enlevé les guirlandes puis l’or et le rouge des boules suspendues à un fil. Nu, le sapin s’est retrouvé sous la pluie du jardin. Ses branches, une fois sèches, serviront comme chaque année de petit bois pour allumer les débuts de feu.
Je n’avais pas très envie de le défaire pourtant, ni de le ranger. Je n’ai jamais très envie que Noël s’en aille. J’ai attendu un peu puis j’ai dû m’y résoudre. Le pauvre petit sapin bien dodu perdait de sa superbe et ses aiguilles commençaient à tomber.
Il reste ma crèche pour un peu de temps.
Il reste la vie, encore.

 

Je suis arrivée au collège ce matin et j’ai appris la nouvelle. En deux mois, un troisième papa disparu trop tôt. Et une maman en fin de vie.
On n’a jamais envie d’entendre ces nouvelles-là juste après nos bons vœux. Absurdité de nos existences. Tout mais pas la mort.
C’est tellement difficile de dire encore qu’il reste la vie.

 

Je  suis rentrée au midi, j’ai filé vers une nouvelle rencontre d’équipe de paroisse pour préparer notre petit journal. On a cherché les idées, on s’est réparti le travail. Cette fois, c’est un article à quatre mains qui m’incombe, avec Marie-Jo. J’aime beaucoup Marie-Jo. Dans ma paroisse, elle est connue pour ses chapeaux. Et tout ce qu’elle a donné et donne encore. On a parlé d’âge parce qu’elle m’a dit, au détour d’un bon mot, mais tu es jeune ! Il faut dire qu’en paroisse, à bientôt 56 ans, on peut encore être jeune. Le seul endroit sûrement !
-Et toi ?
-Moi, j’ai arrêté de compter à 70.
Elle a éclaté de rire.
Il reste la vie.

 

Il reste ma crèche pour encore un peu de temps. J’en profite au soir pour le demi- centimètre d’avancée de mes mages, pour consoler Marie – parce qu’un bébé ça reste compliqué – , pour prier avec mon bon Joseph.
Je crois qu’il me murmure encore de ne pas oublier ça.
Il reste la Vie.

Chaque jour

 

2 janvier. Ça y est. L’an neuf a commencé à dérouler son temps, comme tous les ans avant lui. J’ai retrouvé le tôt du matin, les préparations de cours à revoir, les séances à planifier, la rentrée c’est demain.
2 janvier. Les doux vœux, les bons vœux. Je m’en suis rassasiée hier, sans doute que ce sera le cas pendant quelques jours encore. Parfois même, on ose étirer cela jusqu’à la fin du mois. Je ne vais pas m’en plaindre. J’aime lorsqu’on se souhaite du bon.
2 janvier. J’ai dit, j’ai écrit, j’ai souhaité le bon et le beau, le doux et la paix aussi. J’ai ajouté parfois le courage qu’il nous faudra. Rien de neuf. Je sais la vie faite de rose et de gris. Pourtant, rien de faux, rien de vain, rien d’inutile à nous dire et nous redire du bien.
2 janvier. J’ai peu parlé de Dieu au fond. Pas besoin d’une nouvelle année au calendrier pour Le prier d’être là, tout proche. Ou plutôt que je sois là, moi, plus proche. Dans mes vœux, il y a toujours, je crois, ma petite prière en filigrane.
2 janvier. Hier, la première messe de l’année, m’a rappelé  quelque chose d’important. Je devais donner la communion. Comme à notre habitude, on s’est retrouvés avec mes amis derrière l’autel. J’aime bien être là. Encore davantage hier. J’aime bien regarder l’assemblée, visages connus et inconnus, devant moi. Et puis, il y a sur ma gauche le coin des enfants et là, hier, cinq petits dessinaient tranquilles fredonnant doucement et à ma droite, une petite nouvelle servante d’autel qui souriait- riait même- de tout découvrir. Je me suis dit que ma nouvelle année, je la souhaitais comme ça, souriante : parmi les enfants – avec mes élèves aussi-, devant Dieu et au milieu de tous.
2 janvier. Le jour se lève. Je vous l’espère bon, beau et doux ce jour qui commence une nouvelle année. Je ne serai pas là chaque matin pour vous le redire mais c’est ce que je vous souhaite pour chacun des jours à venir: qu’ils soient bons, beaux et doux. Bonne année 2023 chers amis.

 

 

 

Je fais comme si

Ce n’est pas que je fais semblant, Jésus, Tu sais, mais je crois que depuis pas mal de temps je fais un peu comme si.
Comme si ça allait.
Comme si ça allait bien.
Le p’tit coin prière, le caté au collège, la famille, les amis de la paroisse, la chouette paroisse, les amies religieuses, les amis prêtres, en vrai, c’est comme si tout allait bien.

Ça ne va pas pourtant.
Cette Église. Mon Église. La tienne, dis, la tienne aussi.
Elle est moche, bien moche, bien amochée même.

Ce n’est pas que je fais semblant non, mais ça fait des mois, même plus longtemps que ça, que le dégoût s’est insinué, que l’abject s’est répandu, que ça ne ressemble pas à ce pourquoi je suis là, au-dedans.

Il ne m’a jamais touchée le très moche, Tu le sais bien Toi qui m’as entourée de regards tellement bienveillants qui m’ont appris à prier,
de mains tellement respectueuses qui, tournant les pages de leur Bible, m’ont fait avancer sur ton chemin,
d’amitiés tellement précieuses qui ont fait grossir mon cœur dans la Foi.
Vers Toi.
Je ne sais pas très bien, Tu sais, où je serais sans eux.
Loin de Toi peut-être.

Ce n’est pas que je fais semblant non, et j’ai lu tous les témoignages du rapport de la Ciase. Tous. Jusqu’à m’en brûler les yeux, jusqu’à l’envie de vomir, jusqu’à l’insomnie.
Il n’y a pas de repos dans l’horreur.

Ce n’est pas que je fais semblant non, et ça continue.
Ça n’arrête pas de continuer.
C’est comme une plaie ouverte qui fait dégouliner tout son pus.

Comment peut-on guérir de ça ?

Je fais comme si.
Mon coin prière, mon caté au collège, mes amis de paroisse, ma chouette paroisse, je fais comme si tout pouvait exister encore, pareillement.
C’est presque facile parfois, Tu sais, parce qu’ autour ça ne change pas grand chose, tout le monde s’en fiche des histoires d’Église aujourd’hui, des scandales, c’est même un sacré argument pour la condamner définitivement. Je ne peux pas les blâmer. À la place de ceux qui sont loin, de ceux qui s’en fichent, de ceux qui ne l’aiment pas mon Église, je serai la première à cracher dessus.
C’est presque facile au dehors.
Mais au-dedans.
Si Tu voyais au-dedans.
Tu vois, dis ?
Ma prière hurle en silence dans son coin,
mon caté lit tes évangiles et ne parle surtout pas d’Église,
ma paroisse, ma chouette paroisse, elle, elle parle, elle s’attriste, je crois même qu’elle pleure et elle essaie de continuer mais le cœur n’y est pas comme avant. Et les amies religieuses, et les amis prêtres. Mon Dieu.
Mon Dieu. Ne nous abandonne pas.

Je fais comme si.
Non.
Plus vraiment.

Il y a des voix, justes, qui parlent encore, qui continuent de parler, qui montent. Puisses-Tu nous aider à les faire entendre. Dis…

 

 

Drôle de temps

 

– On a combien de temps, madame ?

La question fuse souvent avant même que je ne commence à présenter un exercice de conjugaison, un atelier d’écriture, un texte à découvrir. La question se répète au fil des heures, des évaluations, des leçons. Parfois même, dotée d’un chronomètre qui s’affiche dans un coin de tableau, j’ai l’impression d’exercer un peu de mon pouvoir, non sur eux – jamais, mais sur ce temps qui défile. Et, à force de le saucissonner en tranches d’exercices, le rendre presque docile.

Mais le temps ne l’est pas.

La question s’est figée, suspendue à nos lèvres, lorsque nous avons appris en ce début d’année que ce trop jeune papa était condamné. Combien de temps encore pour que cette tumeur le… ? La question rougit de son indécence, on voudrait ne pas pouvoir la poser. Parfois même, les souvenirs si proches, les photos si vivantes donnent l’impression qu’on s’est trompé. Et, à force de vouloir oublier, rendre le temps qui reste un peu plus doux.

Mais le temps ne l’est pas.

La question rythme les écrans, attrape les nouvelles, écrase notre insouciance. Depuis combien de mois déjà ? Et ça fait combien de temps que cette guerre a commencé ? C’était avant l’été, dis…, c’était quand ? On ne sait plus très bien. La question s’insurge devant des images, des phrases ou des chiffres, on voudrait qu’elle réponde c’est fini, enfin. C’est fini. Parfois même, on ose espérer, on se surprend à des hypothèses stratégiques, on jouerait presque aux petits soldats. Mais, eux, ils ne jouent pas. Ils meurent. Et, rien ne semble pouvoir apaiser ce temps nouveau.

Et ce temps ne l’est déjà plus.

Je repense parfois à ce temps pour tout, pour chaque chose.
Je continue la vie comme je l’aime, j’essaie. Remplie d’enfants, de rires, de peines à consoler, de joies à chanter. Et, quelquefois, l’espace d’un instant, je peux arrêter le temps. Oui, je peux. Non pas ce temps qui défile sans compter mais celui des larmes, tout près et des cris, pas très loin.

Je repense à ce temps pour chacun, pour tous.
Ma grande fille s’est mariée, des petites filles naissent autour de moi, Anne-So me rappelle un déjà vieil Avent en retrouvant un vieux texte d’ici, dans ses mains déplié.

Je souris.

Et, sous la pluie d’automne, Dieu me murmure de souffler encore un peu de lumière sur les heures, les minutes, les secondes, de souffler la vie sur ce temps tout gris.

Pluie d’étoiles.

Et le temps m’écoute, un instant.

 

“Et Dieu qui ressent nos vies”

Le beau continue d’accrocher de jolis moments à mes heures. Je ne vais pas vous en priver.

Ça commence en classe de 6è. Ce matin.
Enfin, ça commence en classe de 6è avec ce texte qui me sert de transition entre le chapitre sur les textes de créations du monde, textes fondateurs, et le chapitre suivant sur la création poétique.

Ce texte donc.

« La Création »

Et Dieu se promena, et regarda bien attentivement
Son soleil, et sa Lune, et les p’tits astres de son firmament.
Il regarda la terre qu’il avait modelée dans sa paume,
Et les plantes et les bêtes qui remplissaient son beau royaume.
Et Dieu s’assit, et se prit la tête dans les mains,
Et dit : « J’suis encore seul ; j’vais m’fabriquer un homme demain. »
Et Dieu ramassa un peu d’argile au bord d’la rivière,
Et travailla, agenouillé dans la poussière.
Et Dieu, Dieu qui lança les étoiles au fond des cieux,
Dieu façonna et refaçonna l’homme de son mieux.
Comme une mère penchée sur son p’tit enfant bien-aimé,
Dieu peina, et s’donna du mal, jusqu’à c’que l’homme fût formé.
Et quand il l’eut pétri, et pétri et repétri,
Dans cette boue faite à son image Dieu souffla l’esprit.
Et l’homme devint une âme vivante,
Et l’homme devint une âme vivante…

Marguerite Yourcenar, « La Création », recueilli dans « L’Ancien et le Nouveau Testament », Fleuve profond, sombre rivière, 1964, Éditions Gallimard

 

Et je les laisse lire, observer, réagir, écrire, surligner, colorer et dire.

Observations du texte poétique faites, rimes colorées, demande d’explication de quelques mots, explications données, repérage des anaphores, ils sont forts quand on leur donne les outils. Je souris.
Mais cette classe semble s’en tenir à la forme.
J’aimerais qu’il touche un peu au fond aussi. 🙂

J’attends encore. Vous avez autre chose à partager ?

Une main se lève. Une voix qui s’applique.

– Oui. Dans le poème, Dieu se prend sa tête dans les mains, il est seul, il a l’air triste. On ressent l’émotion je trouve. Il travaille dur. On ne sait pas s’il est content mais il travaille dur pour faire l’homme. On le ressent aussi. Un poème, c’est fort pour faire sentir les émotions.

 

J’approuve. La classe aussi. Il reprend la parole.

– Et puis là ça fait tout bizarre. Parce que l’écrivain parle des émotions de Dieu. Moi, je ne m’étais jamais demandé si un Dieu pouvait ressentir des choses, enfin des sentiments.

Je laisse le silence s’installer. J’aime beaucoup leur écoute.

Une main se lève.

– M’dame, il faut le noter ça aussi que le poète peut rendre le Dieu triste ou content ou je sais pas…enfin…peut faire que Dieu il ressent nos vies ?

 

Elle a bien dit nos vies.

 

 

Vous savez, en vrai, les élèves, ils m’agacent aussi, m’énervent un peu, me désolent parfois. Je râle comme tout le monde et j’arrive à me fâcher. Si.
Mais, au milieu de tout ça, il y a le joli de ces moments-là.

Et Dieu qui ressent nos vies. 🙂