On ne l’appelait pas

Bien regarder les petits fils argentés qui colorent l’espace de notre monde, de nos vies, de nos cœurs. Parce qu’ils existent, en vrai. 

Jour 6

On ne l’appelait pas. On passait de l’autre côté du trottoir, on lui faisait un bonjour d’un signe de la tête, de la main ou de la voix et on continuait nos bavardages. Cartables sur le dos, on rentrait à trois ou quatre de l’école primaire parce qu’il n’y avait que 800 mètres à faire, qu’elle allait chercher les plus petits à la maternelle, qu’on l’attendrait sous le porche tranquillement qu’elle revienne avec la marmaille pour nous offrir un goûter le temps que tous les adultes de nos maisons viennent nous chercher. Ce temps chez Tatate, comme on la nommait, est longtemps resté précieux.

On ne l’appelait pas. Il était toujours assis là, sur le pas de sa porte comme ça pouvait se faire encore autrefois. Ce n’était pas vraiment sa porte, je l’ai appris beaucoup plus tard quand Blanche m’a raconté son histoire. Blanche le logeait ici seulement l’hiver quand il ne pouvait plus partir sur les routes. Il y avait une pièce au fond de son jardin, oh pas un vieux cabanon non, une vraie pièce joliment repeinte en vert pâle, avec un bon lit, des tonnes d’édredons, un petit réchaud et du café. Un toit.

On ne l’appelait pas. On avait l’habitude de savoir que le printemps revenait quand il disparaissait. La douce saison passait et l’été nous faisait oublier le chemin de l’école. Quand septembre arrivait, et ce jusqu’en fin de primaire, nous reprenions le chemin entre l’école et le goûter. C’était souvent un premier jour de pluie d’octobre qu’on le revoyait. Je crois qu’il connaissait les heures de classe par cœur et celle de la sortie. Il répondait toujours du même geste de la main et des mêmes mots, jamais inchangés, ” Bonsoir les gamins !” Il ne connaissait pas nos prénoms lui non plus.

J’étais étudiante depuis quelques années je crois quand j’ai appris qu’il ne venait plus chez Blanche l’hiver. Tatate, à qui je continuais de rendre visite, a pris le temps de me raconter un peu son histoire. On ne lui avait jamais demandé auparavant, il faisait juste partie de notre chemin d’écolier. Indifférents à ce qu’il pouvait être, préoccupés par nos jeux d’enfants, nous étions passés des années devant lui en l’appelant entre nous Cloclo. Peut-être bien à cause de “clochard”, sans moquerie – je ne me souviens pas qu’on se soit, un seul jour, moqué de lui-, sans amitié non plus, Cloclo était simplement là, sur notre chemin, de l’autre côté du trottoir, au long des jours de pluie ou de froid.

Il s’appelait Paul.

Une pensée aujourd’hui pour toutes les Blanche qui le temps d’un hiver, parfois davantage, offre du temps, du chaud, un toit.

 

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