Affamés

40 petits billets de ces soleils qui nous tapent sur l’épaule, nous attrapent, nous rattrapent, nous retournent et font des mercis qu’on leur dit, à voix haute parfois, ou souvent très bas, la vertu de nos vies.

Billet un peu plus tôt aujourd’hui, vous comprendrez.
D’abord, je vous demande pardon avant de commencer parce que ce billet manque de sérieux ou de Carême ou simplement vous dire que l’humour est un drôle d’endroit parfois mais qu’il me semble toujours bon de s’y retrouver.

 

Non, je ne cherchais pas à me mortifier dans un effort surhumain, c’est pas la peine d’en rajouter. Non je ne cherchais pas un truc qui s’occuperait de mon nombril pour être enfin une bonne catho, c’est pas la peine de me juger.

Non, vraiment pas, je vous assure, c’est pas mon genre.

En vrai, j’ai simplement écouté mon curé dimanche qui disait qu’il était gourmand et que c’était pas si facile pour lui le jeûne de bottereaux notamment. J’ai lu aussi un truc sympa sur une fille qui jeûnait ses vendredis de Carême et qui en profitait pour aider des gens de la rue.
J’ai encore entendu ce matin un autre ami prêtre qui racontait que oui, ça faisait du bien à l’intérieur. Du bien mais surtout de la place pour Dieu.
Bref, j’ai pas tout saisi parce que moi, Dieu je ne le mets pas dans mon ventre enfin si un peu mais je me suis dit ma petite, tu pourrais quitter ta cuisine chaque vendredi et jeûner.

Jeûner. J’ai lâché le gros mot.

Pas pour me faire du mal au bide mais pour faire du bien à ma gourmandise que je ne prive jamais. Tiens, tu pourrais même en profiter pour aller faire un truc sympa au moment du déjeuner ou du dîner genre une balade-prière pour ta pomme  les courses pour mamie ou pour Liliane ou tu trouveras bien. Et puis quand tu auras repris le boulot, tu pourras profiter de ce temps pour ouvrir la  nouvelle, belle, chouette aumônerie du collège sur le temps de midi au lieu de te planquer tranquille à la cantine.
Voilà, vous voyez, j’avais des super bonnes idées.

 

16h00.  L’heure du goûter. Je suis juste affamée.

 

C’est vrai, je suis allée voir Liliane qui n’avait besoin de rien et qui mijotait tranquillement son veau marengo.
C’est vrai, je me suis bien affairée en tous sens pour oublier mon bide.
C’est vrai j’ai mis plein de chansons que j’aime, j’ai fait plein de ménage, trié des classeurs, j’ai occupé l’espace, rempli du vide par du vide.
Dieu n’a eu guère de place en vrai, mon cœur corps trop occupé à se mortifier à essayer de prier sans y arriver.
16h30. Je suis juste à mille lieues de qui je suis, de ma cuisine que j’adore partager, de ma grande table joliment ouverte et surtout de ce pourquoi je veux faire de la place à Dieu dans ma vie. Mais je vais tenir je me dis.

 

16h30 et quelques poussières. Il est rentré d’un p’tit reportage. Loin, si loin de tout ça. Mais si affamé de Dieu pourtant.
-Dis, on se ferait bien un tout petit resto de fin de vacances, histoire de nous redire nos bonnes nouvelles, de partager tout ça, dis ?

16h30 et un peu plus de poussières.
Tout s’est bousculé. J’ai vite décidé. J’ai appelé le p’tit resto ami.

Si.

Merci ma vie.

Des kilomètres en bouts de prières

40 petits billets de ces soleils qui nous tapent sur l’épaule, nous attrapent, nous rattrapent, nous retournent et font des mercis qu’on leur dit, à voix haute parfois, ou souvent très bas, la vertu de nos vies.

 

Pour moi, c’est toujours la chance des vacances de février, du temps qu’on peut prendre encore en ce début de Carême et des kilomètres en voiture…sous la pluie.

En prenant la route aujourd’hui, et sans doute parce que ce n’était pas moi qui conduisais, j’ai laissé aller les pensées. C’est facile quand on traverse de chouettes paysages, qu’il y a un peu de musique et que la pluie dégouline sur les vitres. Et puis, il fait chaud au dedans. C’est presque doux ce moment-là. Tellement que, souvent, bien au-delà des simples broutilles de pensées qui déboulent dans ma cervelle, je me mets à parler à Dieu. Tout bas.

Je ne sais pas si ça s’appelle prier.

Je n’ai jamais très bien su ce que c’était qu’une prière, enfin, une vraie. Une qui convient. Une qui serait convenable, oui. Je sais seulement écrire des bouts de mots ou parler du bout des lèvres – dans une auto, sous la pluie. Mais j’espère que Dieu, depuis le temps qu’il me connaît, a pris l’habitude de mes prières qui ne ressemblent pas à des prières et que ça lui va autant qu’à moi.

En prenant la route aujourd’hui et sans doute parce qu’on est encore en vacances, je me suis rappelée que le Carême, c’était chouette quand ça rimait avec prier mais que ce n’est pas facile de faire rimer de jolis mots ensemble dans un quotidien qui, lorsqu’il n’est plus en vacances, a peine à respirer des heures tranquilles.
On peut bien vouloir faire tous les efforts du monde mais c’est moins facile de parler à Dieu quand on file vers le travail la tête déjà dans les cours à donner, que la pluie continue de dégouliner et qu’il faut rester vigilante, qu’on a d’autres chats à fouetter que ce bon Dieu qu’on aime mais voilà.
Pourtant, c’est bien là, dans ma petite auto, que je lui parle le plus, le mieux j’en sais rien mais le plus oui, j’en suis certaine. À voix haute même, en traversant seule ma campagne.

 

Pour moi, c’est toujours la chance des vacances de février, du temps qu’on peut prendre en ce début de Carême et des kilomètres en voiture, et on est même arrivés avec un bout de soleil qui caressait les vitres. Je sais, c’est un peu bête mais j’aime assez l’idée que ces rayons qui viennent se poser sur les gouttes de pluie, c’est le clin Dieu du genre ok, je t’ai bien écoutée. C’est bête, naïf sûrement, mais doux. Et jamais, je ne me prive de douceur.

Et rien ne m’empêche dans ce Carême de croire que Dieu entend mes bouts de  prières, toutes nos prières, dans nos autos, sous la pluie.
Dans nos cuisines aussi. Et sur un coin de bureau, au fond d’un jardin, dans une allée de supermarché, dans une salle d’attente, sous une couverture fatiguée, sur un trottoir à attendre, dans un train qui s’en va.

On peut lui parler n’importe où, n’importe comment, n’importe quand.

Si.

Merci Dieu.

 

Sans fin

40 petits billets de ces soleils qui nous tapent sur l’épaule, nous attrapent, nous rattrapent, nous retournent et font des mercis qu’on leur dit, à voix haute parfois, ou souvent très bas, la vertu de nos vies.

Il faut commencer. C’est peut-être un peu étrange de parler de commencement pour un Carême qui revient chaque année mais puisqu’il est limité dans notre temps entre les Cendres et Pâques, oui, il faut bien commencer.

J’ai commencé par ouvrir les volets sur la pluie du dehors et le gris et le froid. Pas de soleil à l’horizon. Il y en avait dans la maison mais très vite, la nouvelle tragique nous a attrapés là où nous étions, juste en train de corriger quelques copies pour lundi, nous encore en vacances, cette professeure, elle, n’en aura plus. Assassinée par un de ses élèves. J’ai fermé les informations pour ne pas entendre tout ce qui ne se dit pas.

C’est avec elle, cette dame, un peu comme moi, de mon âge, enseignante dans un lycée privé, c’est avec elle que je suis partie à la célébration des Cendres, l’emportant, elle et les siens, dans ma petite prière.

J’ai commencé ce Carême encore d’une drôle de façon, cherchant un peu de soleil sans le trouver vraiment. Les clins d’œil des enfants, bien là pourtant. Le merci d’une collègue amie pour nos projets de Carême au collège, là aussi. Minuscules rayons dans une journée cendrée de gris.

 

Et puis, au sortir de l’église emplie de têtes connues, reconnues et amies, une petite voix qui cherchait une voiture pour la raccompagner. Cinq petites minutes dans mon automobile, pas beaucoup plus mais ses mots joyeux.
– Tu sais que depuis ma première communion- parce qu’avant on ne faisait pas Carême-, et bien, depuis…c’est mon soixante-cinquième carême.
– Oh… et alors ?
Mon petit sourire l’a fait éclater de rire.
– Et bien alors, je ne crois pas que ça me change, j’en suis même sûre… mais je recommence parce que c’est sans fin d’aimer toujours mieux, non ?

Si.

Merci.

Une petite part

Je ne sais plus exactement à quel moment il déposait les cendres récupérées au long des semaines dans l’âtre de sa cheminée mais j’ai toujours vu mon grand-père les étaler sur son coin de potager en disant “C’est ma petite part. La terre, le soleil et l’eau feront le reste.” Jardinier-philosophe qui avait pleine conscience que pour avoir de bons et beaux légumes, il ne suffisait pas de techniques, de trucs ou de recettes et que souvent, l’humilité de s’en remettre à la nature était plus que nécessaire.

 

À quelques heures d’un nouveau Carême et de nouvelles jolies croix de cendres affichés sur nos fronts, je me souviens de ces cendres-là et de sa petite part pour amender sa terre. J’y songe et je ne peux que me rappeler de la douceur du gris sur le terreau, de la fragilité aussi au moment où un grand vent venait à se lever, de la simplicité enfin de savoir utiliser ce peu qui restait des grands feux.

Et c’est ainsi que je me prépare moi-même à entrer en Carême.

Avec la douceur de mes petites joies partagées, ma fragilité devant les tempêtes soudaines et imprévues, la simplicité de ne savoir que poser quelques-uns de mes mots.

Comme pour l’Avent, c’est au soir que je viendrai vous retrouver pour ma petite part. Elle n’a pas oublié de quoi elle sera faite : 40 petits billets de ces soleils qui nous tapent sur l’épaule, nous attrapent, nous rattrapent, nous retournent et font des mercis qu’on leur dit à voix haute parfois, ou souvent très bas, la vertu de nos vies.

Bonne entrée en Carême mes amis,

à demain.

Derrière la vitre

 

Derrière la vitre, il y avait du soleil et je l’ai senti dans mon dos. Ça m’a fait plein de bien.

 

Je crois que ça ne m’était jamais encore vraiment arrivé. Enfin, pas de cette façon. Cette distance involontaire entre les choses et moi, entre le monde et moi, entre les gens et moi. Entre Dieu et moi. Comme si je souhaitais que plus rien ne me touche.

Il y a eu cette préparation de messe, il fallait bien y aller pourtant. J’ai failli me trouver des excuses bidons mais le soleil a traversé ma vitre et m’a poussée au dehors. Les fidèles amies, la Genèse et puis Paul et Matthieu. Et comme ce sera le premier dimanche de Carême et le temps fort de première communion et la confirmation des cinq petits derniers de la paroisse, soudain les mille choses en un tourbillon se sont rapprochées de moi.

Il y avait ces colis à envoyer, il fallait bien les rejoindre. J’ai failli ne pas démarrer mais non, Darina m’attend au bord de son Ukraine et le soleil qu’elle ose encore m’envoyer m’a donné un grand coup de pied là où vous savez. Les colis, les couvertures, quelques photos, de la nourriture et du chocolat. Et comme tout à côté de nos colis il y avait Sama qui me racontait sa Syrie, soudain le monde en une bourrasque s’est rapproché de moi.

Il y avait cette voisine qui a frappé à ma porte à la nuit tombée. J’ai failli ne pas ouvrir mais j’ai senti qu’il y avait quelque chose. Elle a parlé et parlé encore, de choses et d’autres, une question, laquelle ? je ne sais plus. J’ai seulement écouté sans répondre. Elle ne voulait pas de réponse. Et comme elle allait repartir sans que je n’ai pensé à lui offrir une tasse un peu chaude, j’ai eu envie de la retenir, je l’ai gardée un peu, on a pris un thé, on a même ri et, soudain les gens en une respiration se sont rapprochés de moi.

Il y avait ce déménagement, c’est demain, si attendu, une aumônerie, enfin au collège, à construire, à remplir, à animer. J’ai commencé à regarder de vieux coins de ma bibliothèque, j’ai décidé de trier des tiroirs, de voir ce qui pourrait aller là-bas. Et soudain, au creux d’un livre, entre deux pages, au détour d’un truc gardé pour le caté sans doute, j’ai retrouvé tout plein de morceaux de ma vie avec Dieu. Et, je ne sais pas qui de moi ou de Lui s’est rapproché le premier.

Il n’y avait rien de prémédité. Je crois que ça ne m’était jamais encore vraiment arrivé. Enfin, pas de cette façon. Drôle de début d’année. Une distance involontaire entre les choses et moi, entre le monde et moi, entre les gens et moi, entre Dieu et moi.
Comme si je voulais sans vraiment de volonté pourtant que plus rien ne me touche.
Je n’avais rien prévu, c’est arrivé.

 

Mais derrière la vitre le soleil m’a tapé sur l’épaule.
Comme pour me dire retourne-toi.
Peut-être qu’il est en avance sur le Carême.

Derrière la vitre, le soleil m’a touchée.

Dans deux semaines, il sera juste le temps de les raconter en 40 petits billets ces soleils qui nous tapent sur l’épaule, nous attrapent, nous rattrapent, nous retournent et font des mercis qu’on leur dit à voix haute parfois ou souvent très bas, la vertu de nos vies.

Au 22.

Merci.

 

Même fané

 

C’est plus fort que moi. Je ne peux pas m’en empêcher. Je les écris partout.
C’est plus fort que moi. Je fais des listes et des listes et des p’tites listes encore de jolies choses que je vis dans mon église. Je mets un é minuscule, pardonnez-moi, je n’arrive plus aujourd’hui à l’écrire en majuscules ce mot.

C’est plus fort que moi. Je ne peux pas m’en empêcher. Je les lis les articles encore, les enquêtes toujours. La vérité enfin. Le p’tit mari, mes amis de la paroisse me le répètent pourtant : mais arrête de lire tout ça, arrête de te faire du mal. Me faire du mal ? Oh non…pardonne-moi mon chéri, pardonnez-moi mes amis, celles et ceux qui ont mal ont autrement plus mal que moi.

C’est plus fort que moi. Je ne peux pas m’en empêcher. Je demande de l’aide. J’ai besoin d’aide. Je peux comprendre le mal tu sais, le péché oui, je connais. Mais ça non. Pas en Son nom. Non, pas au nom de Jésus, ni de Marie.
Nom de Dieu.
J’ai lâché mon injure. Mille pardons. Sœur Marie n’a pas souri mais ses yeux ont dit ce n’est rien. Il y a bien plus grave. Elle a continué doucement.
Oui, je sais. Alors, plonge dans Sa Parole, lis et relis. Et dessine. Et écris.

J’ai suivi son conseil. Ça fait un peu de bien.

Je me suis rappelée tout à coup qu’il restait ce livre rangé sur une étagère encore. Je l’ai déchiré. Ça m’a fait un peu de bien.
Son “Jésus vulnérable” à la poubelle avec lui et tous ceux de sa clique, et tous ces minables, en pensant aux vrais amis de la Rebellerie, communauté de l’Arche ici, tout près.

Et puis, j’ai mis de la musique encore, ouvert ma Bible à peindre, attrapé une cuillère de miel pour ma gorge et Tes mots pour mon cœur.

 

Mais toi, Eternel, tu es mon bouclier,
tu es ma gloire, et tu relèves ma tête.

 

J’ai levé les yeux un instant.
Tiens, mon mimosa est fané.
J’ai souri.

Vous saviez vous que, même fané, le mimosa est joli ?

 

 

 

Dans mes oreilles

J’ai gardé la musique dans mes oreilles.
Peut-être que c’est ainsi qu’il faut vivre.
Parfois.

La maison s’est doucement vidée de leurs parfums, de leurs rires, de leurs mots, de leurs corps, de leur amour. Mon cœur s’est doucement rempli de leur amour, de leurs corps, de leurs mots, de leurs rires, de leurs parfums.
Il y a forcément un peu de Dieu dans ces samedis d’anniversaires et de retrouvailles, il y a forcément beaucoup d’amour quand mes enfants reviennent à la maison.
La maison, la nôtre, la leur, celle de leur enfance à jamais.

J’ai gardé la musique dans mes oreilles.
Peut-être que c’est ainsi qu’il faut vivre.
Souvent.

Le dimanche a retrouvé le tranquille des heures à corriger, c’est moins difficile remplie d’eux. Le dimanche a retrouvé les enfants en prépa communion et quelques tout-petits le cœur heureux. Le dimanche s’est rappelé les cadeaux d’anniversaire et les rires à les ouvrir. Le dimanche a aimé une célébration de la Parole le cœur heureux. Le dimanche a gardé le goût du déjeuner du samedi, le dîner du samedi, le petit-déjeuner du dimanche, je me surprends à additionner les temps à ma table comme autant de douceurs partagées, le dimanche a fredonné la musique d’une soirée concert avec eux. Il y a forcément un peu de Dieu dans la musique pop qui chante l’amour. Forcément. Il y a forcément un peu de Dieu dans tous les souvenirs qu’on vit avant de les garder au chaud.

Alors j’ai gardé la musique dans mes oreilles.
Peut-être que c’est ainsi qu’il faut vivre.
Regarder le monde et les autres avec tous nos trésors planqués tout au fond de nous, ceux rien qu’à nous, ceux que personne ne peut nous prendre, ceux qu’on aimerait partager mais qu’on ne peut pas, comment partager l’amour de mes enfants.

Alors je garde la musique dans mes oreilles.
C’est ainsi qu’il faut vivre.
Se remplir d’amour pour donner de l’amour. Toujours.

Merci Alie.

 

 

Dis-moi comment…

 

Ça commence à me toucher je crois, à m’égratigner doucement, ça fait mal.

Je me croyais bien plus forte que ça pourtant. Je me disais que dans ma petite paroisse, c’était différent. C’est sans doute encore un peu différent oui. Je donne la communion régulièrement comme pas mal de mes amies paroissiennes. Trois filles servent autour de l’autel au milieu des garçons. Et tous nos partages, si nombreux, se font toujours tous ensemble.

Je me croyais bien plus forte que ça pourtant. Je me disais que ça ne changerait rien dans ma Foi, ça c’est clair, ça ne change absolument rien. Entre Jésus et moi, de toute façon, il n’y a jamais eu vraiment d’intermédiaire. Mais il y a quelque chose qui change doucement, presque insidieusement, quand je pars vers l’église.

Je me croyais bien plus forte que ça pourtant. Je me disais que tous ces crimes abjects d’hommes, parfois de femmes, qui avaient tous promis à Dieu de Le suivre et ont abusé d’enfants, de jeunes gens ou de jeunes femmes, je me disais que ce n’était pas seulement eux mon Église. C’est vrai, infiniment. Et qu’ils seraient jugés. Mais si mal. Et je ne suis pas si forte pour l’aimer comme avant cette Église.

Je me croyais bien plus forte que ça pourtant.
C’est difficile aujourd’hui.

Bien sûr, je vais à la messe mais je ne sais pas pourquoi mes dimanches au matin sont toujours comme un peu tristes. Bien sûr, je parle de Jésus aux tout-petits, aux jeunes, aux un peu plus grands mais je ne sais pas pourquoi je ne peux plus prononcer certains mots devant eux. Bien sûr, je prie encore. Mais souvent,  tellement loin de mon Église.

Je me croyais bien plus forte que ça.
Mes amis sont là, encore, ma famille, toujours, pour me parler du bon, du beau, du doux de la vie. Je les vois mal sous les voûtes pesantes.

Dis-moi, Jésus, montre-moi un bout de ton chemin pour soulever mes pas et avancer encore, dis-moi comment, dis-moi.

Juste après

 

C’est vrai que juste après, il y a ce temps ordinaire.
Ce temps ordinaire que j’aime tant.
Je l’oublie presque à chaque fois tellement l’Avent et Noël accaparent mon cœur, ma vie, ma joie.

Juste après, Te retrouver Jésus au bord de ta “mer”, Toi qui enseignes, qui guéris, qui marches. Je l’oublie presque que je T’aime toujours avec mon regard de petite fille qui, dans la lenteur de son enfance et de ses longs dimanches, tournait les pages de ses évangiles illustrés.

Juste après, retrouver le calme d’un dimanche sans rien. Vous savez, celui dont on a laissé la case vide sur le calendrier simplement pour se dire qu’on peut garder tout ce temps pour nous. Comme une page blanche à remplir de presque riens. Je l’oublie presque que j’aime ce temps donné à vivre.

Juste après, retrouver le plaid, la petite sieste qu’on n’a même pas prévue qui nous attrape au détour de quelques pages d’un bon livre pourtant. Je l’oublie presque que j’aime le feu qui crépite, m’endort et me laisse aller à mes rêves.

Juste après, retrouver la cuisine, celle qui a quitté les petits plats dans les grands pour préparer l’ordinaire d’une semaine à venir. Oser le froid glacé pour rapporter des petits choux verts coincés au fond du potager, éplucher, laver, couper, mijoter, goûter, ajouter un brin de sel. Je l’oublie presque ce doux des gestes qui me rassurent.

Juste après, retrouver la musique que j’aime. Glisser de la pochette le vieux vinyle, le poser délicatement, savoir que lui aussi crépitera un peu, fredonner avec lui les souvenirs jolis. Je l’oublie presque combien j’aime les chansons qui racontent ma vie.

C’est vrai que juste après, il y a ce temps ordinaire.
Ce temps ordinaire que j’aime tant.

Je l’oublie presque ma petite prière qui ne ressemble à rien, surtout pas à une prière. Des mots au long d’un dimanche qui Te redit au détour d’une Bible, d’un plaid ou d’un plat qui mijote que c’est dans l’ordinaire des jours que Tu es.
Bien davantage.

 

 

Vingt petites minutes

 

En grimpant les escaliers jusqu’à la classe qu’on se garde pour nos séances – parce qu’elle n’a pas de voisins à cette heure-là et qu’on est tranquilles – , ils m’ont demandé quand l’aumônerie serait enfin prête. Les travaux avancent dans tout le collège, on y est presque, à peine encore. Déçus, mais heureux de nous retrouver pour notre caté. Je ne leur ai pas dit mais moi aussi, j’aurais bien aimé que notre “lieu” soit enfin prêt pour cette rencontre. Tant pis, on a l’habitude et on fera avec une salle de classe. Et ce sera bien.

En grimpant les escaliers, ils m’ont demandé encore de quoi on va parler madame aujourd’hui.
– Aujourd’hui, on ne parle pas. Aujourd’hui, on va vivre une expérience. Aujourd’hui, on va goûter au silence.
Mes mots ont fait leur petit effet parce qu’il faut que je vous dise que je n’ai jamais eu un groupe aussi…bavard !
J’aime leurs bavardages faits de mille questions à la seconde mais j’avoue qu’en préparant ma rencontre de ce matin, je me suis dit c’est pas gagné.
C’était sans compter sur la confiance qu’ils me font.

Et c’était tout simple.
Il m’a suffit de quelques jolies feuilles de papier. Posées devant moi, je leur ai dit tout doucement que je leur proposais d’écrire à Dieu. Une prière. Une simple lettre. En silence. Vingt minutes de silence pour leur petite prière, leurs mots de mercis, de pardons. Leurs questions. Vingt minutes pour une lettre.
Rien de très original pour ceux qui ont l’habitude de construire ce genre de rencontre. Une première fois pour eux et leur 12-13 ans si loin du silence… et de la prière.

Et c’était très beau.
En confiance, ils se sont installés où ils voulaient dans la classe, ont pris le temps de se séparer les uns des autres. Ils faisaient déjà silence quand tour à tour, ils sont venus vers moi chercher leur feuille. Ils étaient déjà en silence quand ils se sont assis dans le coin qu’ils avaient choisi. Ils sont restés en silence, à écrire, dessiner un peu, écrire encore. Ils ont osé.

 

Et c’était très doux.

Et doucement, je leur ai dit qu’un peu plus de 20 minutes étaient passées. Déjà.
Ils n’ont pas bougé. Presque pas. Et doucement encore, ils se sont un peu regardés, pliant toujours doucement leur feuille, rangeant leurs crayons, me disant du bout de leurs voix que c’était vraiment bien. Finalement.

– Madame, je peux vous prendre d’autres feuilles…parce que j’ai encore plein de choses à lui dire à Dieu …
– Moi aussi, je peux ?

 

Dans le tumulte du temps, ils m’ont offert leur silence en cadeau. Et c’était bon.