Sur le dessous d’un pain -5

Je me souviens de ces dimanches.
Je ne sais pas s’il croyait. Je ne crois pas qu’il était superstitieux. Je sais seulement qu’il l’avait vu faire de son père et du père de son père avant lui. Peut-être qu’il y a des gestes qui se transmettent, comme des habitudes, juste pour se souvenir les uns des autres.

Je me souviens de ces dimanches où je me retrouvais assise à sa table.
Il prenait d’une main le pain et de l’autre, il traçait au couteau une petite croix en son milieu.
Lentement, sans rien dire. 

Je n’ai jamais su s’il était croyant. Cela m’importait peu.
Je savais ses histoires drôles, ses silences et ses sourires, ça me suffisait.
Il est des gens qu’on aime simplement, ça suffit à les raconter un peu.

Je me souviens de ces dimanches. Des parties de pêche autour de l’étang, du bonheur de lire sans jamais être arrêtée, et de sa petite croix sur le pain avant de le trancher pour faire des sandwichs. Son geste n’était pas seulement celui des dimanches à table.

Je crois m’être dit alors en le regardant faire que si Dieu n’existait pas, rien n’avait vraiment de sens. Rien. Pas même un dimanche au bord de l’eau à attraper le soleil sur la peau, à brûler mes yeux dans des romans, à sentir mon cœur grossir pour rien en croquant dans du pain.

 

Jour 5 – Puisse ce Carême nous redire combien les petits riens de nos vies sont importants, même s’ils ne sont pas plus grands qu’une minuscule croix tracée sur le dessous d’un pain.

à demain, Corine

 

Signes de croix – 4

J’ai toujours eu beaucoup de tendresse devant les signes de croix qui hésitent, ceux qui ne savent pas bien comment faire, ceux qui n’osent pas vraiment, ceux qui s’excusent presque d’être là.

La main peine à monter vers le front qui lui-même descend un peu comme pour faire baisser les yeux.
Les doigts se ferment et glissent peut-être trop vite vers le cou sans oser aller plus loin.
Puis ils s’allongent pour attraper le bord de l’épaule gauche et en un repli souvent rapide traversent le haut du corps laissant la main un instant en suspens comme si elle ne savait plus quoi faire.

J’ai toujours eu beaucoup de tendresse pour les signes de croix qui, Mon Dieu, se demandent un peu ce qu’ils fichent là. 
J’aime bien imaginer que Dieu les regarde Lui aussi tendrement.

 

Jour 4.  Puissions-nous pendant ce Carême avoir encore beaucoup de tendresse pour tous ceux qui s’approchent de Dieu avec discrétion, avec maladresse parfois, avec hésitation.

Bon premier dimanche de Carême

à lundi, Corine

 

Petite croix – 3

J’ai tracé une petite croix au crayon noir.
Il y a un calendrier sur mon bureau qui ressemble à celui d’une prisonnière qui compterait les jours.
Avant les vacances.

 

J’ai tracé la petite croix au crayon noir.
J’aime bien faire une petite croix sur les jours terminés.
Pas pour les oublier.
Juste pour me dire que le temps qui reste devant reste à vivre.
Vacances ou pas.

 

J’ai tracé une petite croix au crayon noir.
Je me demande si un jour Dieu a continué à compter les jours. Après, je veux dire. Est-ce qu’Il s’est demandé ce qui se passerait le huitième jour ?

 

J’ai tracé une petite croix au crayon noir.
Depuis toujours, je fais des petites croix sur mes jours. Peut-être pour garder Dieu tout près, dedans.

 

Jour 3.  Que ce Carême puisse vous laisser tracer des petites marques de Dieu dans vos vies.

à demain, Corine

 

Pas cette croix-là – 2

Mince. zut. Je ne voulais pas de ce petit air désagréable. Mais voilà.

 

Je me suis levée la joie au cœur ce mercredi. Peut-être parce que les vacances, c’est dans trois jours.
J’ai prié en douce. Si.
J’ai écouté mes podcasts préférés. Qu’il est bon ce mercredi à commencer ainsi.
J’ai accroché notre premier mot de Carême à la porte du collège avec mes sourires, leurs questions, mes explications. Ah bon  m’dame ???
J’ai mis les pieds sous la table d’un déjeuner . Simple mais préparé par le petit mari. Son Carême. 😉
Je suis allée porter une info-de-j’en-ai-pour-cinq-minutes jusque chez Marie-Noëlle et je suis restée avec elle le temps d’un café partagé. Tu reviens me chercher à 16h pour la messe ?
Je n’ai pas corrigé mes dictées. Le chat ne voulait pas. Il s’est couché sur mes copies. Pacha.
Et voilà il me restait une p’tite heure et des poussières avant les Cendres.
J’ai commencé à bouquiner puis à regarder machinalement quelques mots de Carême. Un, deux, trois… beaucoup. Jolis.

 

Et ceux-là, un, deux, trois, …de catholiques tristes.
Qui connaissent bien le Carême.
Enfin je crois.

Mon Carême je le vis depuis un an… privation de libertés, privation de tout…
Mon Carême j’ai assez donné et depuis des mois…
MON Carême tu parles, on pourra même pas tracer une croix sur nos fronts…
JE VEUX une croix de cendres tracée sur mon front…
JE…

 

Oups.
Mince, zut.
Et bien moi, je ne voulais pas de ces voix tristes et dissonantes.
Je ne veux pas de leur Carême qui ne veut pas de joie.

Leur croix à porter peut-être.
Je ne veux pas de cette croix-là.
Non.

Mais voilà, trop tard, elles sont là leurs voix qui grincent.
Je les ai bien entendues.

16h. Je les emporte dans ma prière. Tant pis. Tant mieux ?
J’attrape Marie-Noëlle au passage.

 

L’église est pleine.

Pleine de vie, pleine de sourires dans les yeux.
Des enfants, davantage que dimanche. 

Je souris.
Je suis heureuse.
Plein d’amis ont pu se libérer pour 16h30.

 

 

Une petite pluie de cendres en croix d’amour sur ma tête.
Elle touche mes pensées, essuie doucement le triste de leurs mots, dépose du doux au-dedans.
Une petite pluie poussières d’amour.

 

 

“Chacun trouve de la joie à offrir un peu plus de temps à Dieu et aux autres.”

Jour 2. Puissiez-vous offrir des sourires en retour, les garder au cœur, les glisser dans vos mains même celles gardées au creux de vos poches. Et porter les tristesses, leurs rancœurs, les regrets dans vos petites prières, Il saura les entendre. Oui Il saura. 

à demain, Corine

Photo ©La Croix

 

 

 

 

 

Première croix – 1

Premier jour. Première croix.

 

D’habitude, le soir efface le gris de nos fronts.
D’habitude, on rentre dans la nuit.
Avec un sentiment étrange d’être dans ce monde un peu à part. Avec un drôle de truc qui s’installe au cœur. Quelque chose d’indicible qui prend les tripes.
Et un peu de cendres qui s’accrochent à la peau. 

 

Aujourd’hui, le cœur de mon après-midi va dessiner une croix.
Sans les amis qui à cette heure travaillent encore.
Avec un sentiment toujours étrange d’être dans un monde un peu bancal. Un petit signe et un immense creux en plein cœur. Un creux qui prend mes tripes. Un creux à remplir.
Et un peu de Dieu qui s’accroche à ma vie.

 

Belle entrée en Carême mes amis. Puissiez-vous laisser à Dieu un peu de temps, un peu d’espace pour qu’Il vienne s’y loger. 

à demain,

Corine

Des croix sur mon Carême

J’ai décliné des sourires, des couleurs, des mots, des mains, un peu de douceur en somme.
J’ai partagé parfois mes pages aussi.

Et bien avant ce blog, j’ai écrit tant de toutes petites prières sur des cahiers avec une encre bleue qui savait oser un Mon Carême en lettres appliquées.
Je ne sais pas si ce chemin m’a fait me tourner davantage vers Dieu mais je pense que mes mots Lui ont fait une toute petite place qui s’est glissée, à chaque fois, dans les interstices de ma vie.
Et un nouveau Carême n’a jamais été de trop.  😉

Aujourd’hui, m’amusant au podcast, je me suis demandée si je ne pouvais pas m’y lancer pendant ce Carême. Mais, assez  rapidement, j’ai compris que le temps me manquerait et l’habitude aussi et la technique encore davantage ou alors il faudrait rogner ces 40 traditionnels petits billets. Trop difficile choix. C’est sans doute trop tôt pour moi un Carême joli à écouter, mais peut-être l’an prochain qui sait !

Je préfère revenir ici où je vais encore m’y coller.
Encore semble pénible mais non.
Je vais m’y coller et avec joie, ici, en quelques mots quotidiens, oui, coller, c’est exactement ça, coller un peu plus Dieu à chacun de mes pas.

Je pesterais probablement bien vite à l’idée d’écrire pendant 40 jours chaque jour.
J’aurais sans doute le vertige de ne rien pouvoir écrire pour les demains qui sont déjà là.
Mais une chose est certaine:  je me réjouirai de partager et d’aller au bout de ce nouveau chemin. Avec vous, ici. C’est bien ça que j’aime.

Alors, à mercredi prochain chers amis, pour un nouveau Carême de blog.

Ah j’oubliais !… cette année j’ai choisi mon petit mot “conducteur”. Ce sera croix. Ou crois. Ou croit. Ou croît. Ou croaaaaa. 😉
Bref, à force de les voir, de les regarder, de les croiser, de les signer, de les écrire, de L’ aimer jusque là, je vais faire des croix sur mon Carême. 😉

 

 

 

 

 

Uppercut au coeur

Il y a ces heures de caté qui me laissent K.O.
Non pas qu’elles me cassent, me lassent, me dépassent non. Non.
Mais elles sont comme un uppercut donné en plein cœur. 

 

Ça a commencé un peu drôlement ce vendredi d’abord parce qu’on s’est donné des nouvelles du garçon qui inscrit depuis le début de l’année ne peut pas participer au caté. Une leucémie l’empêche d’être un collégien de 5ème exactement comme les autres. Alors on s’est redonné de ses nouvelles oui et puis on a parlé de la maladie. 
La mort aussi.
Les souffrances. Les maux. Les douleurs.
Ils voulaient depuis longtemps que ce soit notre thème.

J’avoue, il y a un mois, puis encore il y a 15 jours, avoir repoussé ce temps-là en leur parlant d’autre chose. 
– Mais madame, on en parle quand de la mort et tout ?

 

Je ne pouvais pas repousser davantage.
Et tout, c’est cela. Ils voulaient parler de tout ce qu’ils ne comprennent pas.
 
Il y a ces heures de caté qui me me laissent K.O.
Voilà. Ils voulaient parler de “ça”. J’ai sorti Job hier soir. J’ai relu quelques pages. Chercher celles qu’ils pourraient comprendre, celles qui pourraient m’aider à leur donner, à eux, la parole.
Ça tombait plutôt bien qu’il soit là, dimanche prochain.

Alors, aujourd’hui, je leur ai dit son histoire. Je leur ai lu ses cris. 
Il y avait du silence. Vous savez, ou peut-être pas, oui peut-être que vous ne savez pas, mais il y a parfois leurs silences d’à peine 13 ans qui en disent long.

Et il y a eu leurs mots.
Sur un papy pas si vieux et ses trois cancers.
Sur une amie de maman.
Sur une jeune tante.
Et il y a eu ses yeux si présents à chercher les miens.
Sur sa maman disparue.
Et il y a eu mes mots.

J’ai, pour la première fois, dit merci à ce maudit masque qui bien remonté jusqu’au bord de nos yeux a su cacher l’indiscrétion de nos peines.

 

Notre petite prière s’est faite tout petite. La sonnerie qu’on avait même pas vu venir ne l’a pas dérangée. Ils sont restés là, un peu après l’heure. 
– Il faut désinfecter nos tables madame.
Ils sont restés là à nettoyer encore. 
Souvent le quotidien et ses gestes nous aident à retrouver la vie.

– C’est moche le virus madame mais les masques des fois, ça cache pas que nos sourires hein ! … et bon week-end madame ! Oui bon week-end !

Elle a fait marche arrière.

– C’était bien, vraiment bien.

Est repartie très vite.

 

Uppercut en plein cœur. Merci Seigneur.

On a commencé comme ça notre bout de chemin, sous un veux chêne…

P’tite prière en rêve

J’étais encore enfant et un jour, j’ai ouvert une Bible.
Une vraie, une épaisse, une “de grande personne”.

Je ne l’ai jamais vraiment refermée depuis.

Et même si j’aime la lire, la partager, la creuser, la traduire, toute petite chercheuse de ses sens,
elle reste le plus souvent dans les creux de mes silences.
Et si vous saviez combien elle remplit les espaces.


Et ce soir , en préparant ma séance de caté,  j’ose une petite prière pour que mes petits collégiens, demain, arrivent eux aussi à s’y plonger. 😉

 

 

Il y aura des mots cachés comme des trésors
des mots brisés comme des fêlures
des mots renoncés comme des oublis
de longues patiences et de frêles promesses
des hivers endormis et des réveils d’été
des heures étincelantes et des mémoires brûlantes
des fenêtres closes et des ciels enflammés
des collines familières et des rêves d’ailleurs
et il y aura Ton nom murmuré
Et Ta parole
Vivante.

 

Le temps décide

Il y avait un vieil homme quand j’étais petite, un bon vieil homme qui habitait sur le chemin de l’école et quand je revenais à pied, je m’arrêtais toujours pour le saluer. Je crois qu’il sortait sur le pas de sa porte simplement pour ce moment de la journée. Et inlassablement, peut-être parce que sa tête s’était perdue quelque part dans son enfance et y était restée, inlassablement, il répétait ce même bout de phrase. “Le temps décide… le temps décide…” Cela ne voulait rien dire mais curieusement, ce bout de phrase répondait assez bien à mes “à demain, p’tit Claude!”   – le temps décide, le temps décide… ou à mon “bonjour p’tit Claude, ça va aujourd’hui ?    – le temps décide, le temps décide…
Dialogues qui auraient pu paraître un brin absurdes mais qui finalement faisaient sourire à l’unisson le vieil homme et la gamine qu’il regardait passer.

C’est étrange les souvenirs parce que les mots du p’tit Claude, gardés avec lui dans un coin de mon cœur sont remontés à la surface aujourd’hui.

Le temps décide.

J’ai parfois un peu cette impression. Je l’ai encore eu ce matin. Une année ajoutée à mon réveil, à ma vie qui file sans s’arrêter.
54 ans. À l’écrire, je sens toutes les années ajoutées à ma vie en autant de joies, de peines, de douceurs et de difficile.
54 ans.  À l’écrire je mesure la chance d’être là.
54 ans. À l’écrire, je sais la joie de vieillir.
54 ans.
À l’écrire, je ne sais plus très bien quel âge j’ai. 

En vrai. Bien sûr, je sais les compter les années mais ce nombre n’est rien si je n’y ajoute chaque minute de ma vie et comment le faire, chaque minute file tellement vite. Tellement lente pourtant à certaines de nos heures.
Le temps décide de tout dépasser ou de ralentir le pas. Et je ne sais plus parfois quel âge compte vraiment.

Et puis, j’ai croisé au long de la journée des mots, des jolis souhaits, des sourires et aucun ne semblait regarder le temps de la même façon.
Petit élève de 11 ans qui me demande mon âge, s’arrête un peu sur ma réponse et me souriant dans un ” c’est bien…quand même !” me fait éclater de rire.
Mes enfants pour qui je ne serai jamais vieille parce que vieillir tutoie sans doute d’un peu trop près ma fin.
Jolie collègue de la juste quarantaine qui ne veut surtout pas regarder son âge et encore moins parler de celui des autres plus âgées.
Les amis pour qui on ne change pas.
Les vieux amis de plus de 80 ans pour qui on est “la p’tite jeune qui n’a pas encore la moindre ride”. 

Le temps décide, il décide d’être regardé de près ou de loin.
Etrange chassé croisé entre hier et demain, le temps décide.

Et je suis là, ce soir, avec mes 54 petits balais qui grisent mes cheveux, soulignent la fatigue des journées trop pleines, espèrent des demains de grand-mère à raconter des histoires à des petits-enfants que j’aime déjà, avant.

Et je suis là, ce soir, à relire un petit bout de mes 10 ans. P’tit Claude dit toujours la même phrase parce que peut-être que pour lui le temps a décidé de s’arrêter.

Le temps décide. De s’arrêter aussi ce soir sur un dernier bout de prière qui te regarde mon Dieu avec ta frimousse attendrie sur une petite que tu as vu grandir, une petite qui vieillit, une petite toujours.

Et la vie continue. Et le temps décide.