P’tite prière à gros bouillons

C’est drôle parfois un blog, et la vie dedans.

Il y a quelques jours – deux semaines –  le temps passe vite.

Il y a quelques semaines donc, j’ai gribouillé une p’tite prière en faisant de la confiture de fraises. C’est possible parce que je gribouille toujours dans ma tête avant de poser les mots sur un papier ou sur un écran. Et je gribouille beaucoup dans ma cuisine.
La confiture terminée, j’ai ouvert l’ordinateur et écrit le titre. “P’tite prière à gros bouillons”

Et je n’ai eu le temps que d’écrire le titre parce qu’ensuite la vie s’est accélérée  il a fallu être ailleurs très vite pour ma petite belle sœur hospitalisée d’urgence plus le temps plus l’espace le sucré de mes confitures a pris soudain un goût amer et la joie de ma petite prière qui disait merci un grand vent de s’il te plaît.

J’ai appuyé sur “publier” par mégarde et mon titre est resté là quelques heures sur une page vide avant que je m’en aperçoive.
Mais déjà ma p’tite prière était partie loin de ma tête et de mon cœur.
J’ai gardé le titre dans un tiroir.

 

 

Aujourd’hui, j’ai refait des confitures.
Alors forcément ma p’tite prière qui bouillonne est revenue et cette fois j’ai eu le temps de la poser.

Parce qu’elle commence de la même façon.
Par un drôle de mélange qui brasse et remue et bouillonne comme mes fraises dans la grande casserole.
Les fruits éclatent.
Les rouges se foncent.
Le sucré entête la cuisine avant le doux du fruit.

Et ça frémit  de plus en plus jusqu’à laisser les gros bouillons remonter à la surface.

Et ça bouillonne ainsi au dedans entre mes questions tout le temps le collège qui attrape ces drôles d’instants comme il peut la vie partout avec la mort et ma petite belle sœur qui attend son opération.

Je voudrais te dire doucement Seigneur.
Les gros bouillons qui agitent le cœur, stop.
J’oserais même un ça commence à bien faire.
Arrête, arrête, arrête.
Arrête tout ça.

 

Tu n’arrêtes rien.
Mais doucement Ta main passe sur mon cœur et écume sa colère
Tu baisses un peu ce feu
Les gros bouillons se calment
Doucement redeviennent petits

Jusqu’à ne laisser que du doux
Reposée
Ma prière

 

La vie continue, heurtée, douce, la vie continue comme elle est.
Mais, elle sent bon la fraise  Ta présence
Encore.

 

 

 

 

Croire au jour (2)

Petit à petit, jour après jour, je retrouve mes habitudes. Et celle-là, fâcheuse parfois, de croire aux jours qui recommencent de la même façon.
Non, en vrai, pas tout à fait de la même façon.

Il n’y a pas eu de pèlerinage à Lourdes.
Il y a plein d’instants précieux qui n’ont pas existé depuis quelques mois et sans les regretter, on commence à les espérer à nouveau.
Les retrouvailles avec les hospitaliers, avec les plus fragiles, avec Massabielle quand le sanctuaire est encore endormi en font partie.
Et je continue à vivre les heures en gardant dans un coin de ma tête et de mon cœur un possible voyage très prochain.

J’en étais là ce midi en ouvrant ma boîte aux lettres.
J’en étais là en déchirant doucement l’enveloppe.
J’en étais là en lisant les mots de mon amie Anne.
Et son humour.

Un petit mot de Lourdes où nous faisons quelques repérages.
Tout est en place, rien n’a changé. La grotte, Marie, la vie !
Sans oublier les saintes vierges de pacotille.
Il ne manque rien, juste nous.
Anne

.

La fâcheuse habitude de croire aux jours qui recommencent, ça doit ressembler à ça ma définition de l’Espérance.  🙂

 

 

 

Croire au jour (1)

“J’ai cru au jour la première aujourd’hui.”

Il y a dans chaque matin cette parole d’Antigone.
Quand le monde dort encore, croire au jour est possible. Comme une espérance.
Le plus difficile, souvent, est de continuer à y croire quand le monde se réveille.

En plein jour.
Quand les couleurs se font plus franches, quand les dilués se révèlent, quand chaque minute affiche son éclat.
Et ses revers de gris.

 

Mes élèves de troisième sont revenus, depuis quelques temps déjà. En petits groupes, presque tous là.
On essaie de continuer, de faire comme avant. On y arrive à peine. Leurs masques retiennent leurs sourires et leurs bêtises. Et me manquent ces cours où je faisais virevolter mes mots et où ils jouaient avec.
Mais malgré cela, on est encore un peu ensemble, et c’est bon.
Et puis il y a eu ce petit bout d’heure.

Le théâtre et Antigone, on ne peut pas trop s’y coller. Sauf avec nos voix. Le jeu consistait à trouver le ton.
Et à choisir. Avec ou sans masque ?

Avec son masque, R. a lu un Créon qui étouffait sa colère.
Beau.
Avec le sien, M. a caché la tristesse qui emplissait Hémon.
Beau.
Est venu le tour de R. 
– Madame…je vais tout au fond de la classe et j’enlève mon masque, je peux ?
– Oui…tu peux dire pourquoi ?
– Antigone…elle sait qu’elle va mourir mais parle d’espoir. On ne peut pas dire qu’on aime la vie en baissant la voix ou même en la forçant derrière un tissu. J’ai besoin d’une voix claire: tout le monde dort et elle, elle est réveillée. Tout le monde semble mort et elle, elle vit. 

J’ai cru au jour la première aujourd’hui.

R. a osé monter sa voix pour terminer en une voyelle qui crie.
Notre aujourd’hui. La vie. 

 

Croire au jour est possible.
Quand les couleurs se font plus franches, quand les dilués se révèlent, quand chaque minute affiche son éclat.
Quand les voix se font claires pour aimer la vie, malgré tout.

 

 

 

Une petite prière qui écrit encore

J’ai passé mon dimanche après-midi avec mon crayon qui corrigeait au bord de mes doigts, paume refermée.
J’ai lu les petits trésors de leurs mots d’enfant encore, des jolis efforts pour traduire leurs sens avec des bouts de phrases et des souffles de ponctuation.
J’ai râlé un peu sur des tournures que j’espérais plus belles.
J’ai souri souvent.
Au tôt d’un lundi, j’ai repris leurs textes, peaufiné mes commentaires, ajusté mes remarques, ajouté mes conseils.
Je vais les retrouver. J’espère que je vais tous pouvoir leur dire au revoir, déjà.
J’ai souri.
Mon crayon au bord des doigts s’est posé. 

Ma paume s’est ouverte.
Je l’ai regardée.
Avec mon pouce j’ai caressé un peu le creux douloureux à trop écrire.
J’ai souri.
J’ai souri parce qu’au creux de ma main, il y a tant de matins et de soirs à corriger, tant d’heures à écrire, tant d’autres mains, de gestes de paix donnés et reçus, tant de temps où mes paumes l’une contre l’autre doigts pliés à peine posés sur mes lèvres te murmurent des sourires en prières.
J’ai repris mon crayon.

C’est ici que Tu es.

Le goût des dimanches

Cela fait plusieurs messes déjà.

 

Les dimanches retrouvent le goût des dimanches avec mes robes de juin, celles qu’on trouve jolies, avec le léger des jours qui allongent leurs heures, avec la douceur du temps qui éteint  la pluie et les retrouvailles qui étirent nos cœurs.
Les dimanches retrouvent cet écho. Celui qui résonne en douceur, tout au fond.
Et la chanson qui ajoute des mots d’italien à mes souvenirs, qui me prend les tripes et que j’aime fredonner.

 

Les dimanches retrouvent l’espace de nos corps aussi.
De ces corps encore doucement éloignés, à peine, on ose s’approcher, pourtant.
Nos corps qui nous manquaient tant reprennent place dans nos vies.

Et dans la mienne s’ajoutent aux heures collégiennes les parfums de mes enfants, les mains de mes amis, les sourires de mes proches.

Mes dimanches ont retrouvé ce goût-là aussi et Son corps à Lui.
Au milieu de tous, avec tous ceux qui se rassemblent dans mon église.
Son Corps et nos tripes.

 

Je me suis trompée.
J’ai cru que l’Eucharistie ne me manquait pas.
Je me suis trompée.

Non pas qu’elle soit nourriture indispensable à mon seul pauvre petit corps, non.
Non pas que cette faim-là une fois assouvie me remplisse de joie, non.
Non, ce n’est pas cela.

Mais c’est qu’Elle est mon merci.
Celui écrit en son nom et le seul que je sais murmurer à Dieu.

Les yeux vers Lui, les mains tendues portées à ma bouche, ne savent lui dire que ça.

Merci.
Merci. Merci.
Merci de m’aimer jusque là.

Je ne savais plus cela, je crois.
Il m’a fallu le manque pour que je ne l’oublie pas.

 

 

Les dimanches retrouvent le goût de mes dimanches. Ceux qui rattrapent le temps, l’arrêtent au bord de ma vie et à l’entrée d’une grande porte d’église, le laissent filer en prières sur un banc et l’emportent en un souffle promis.
Cinq lettres, un seul mot pour aimer, un merci déposé au pied de Ta Croix.

 

Cela fait plusieurs messes déjà que mon merci à Dieu sonne comme en écho à mes dimanches.
Et l’Eucharistie me prend les tripes comme une vieille chanson italienne.
En un murmure, en un merci.

 

Sous un parapluie

La vie parfois laisse peu d’espace pour écrire.

 

Le temps déborde ici.
Il semble s’épaissir de retrouvailles et de précautions
s’alourdir de rendez-vous et de décisions à prendre avant la fin de l’année scolaire
et dans ce tourbillon de vie retrouvée on dirait pourtant qu’il s’allège en sourires véritables.

 

20 heures et des poussières.
Sortie du dernier conseil de classe.
Il pleut.
Il pleut encore.
Il pleut comme un jeudi soir d’automne.

Petit tour à trois sous un parapluie. Deux pas de côté et nous voilà parties à fredonner.
Fatiguées de semaines qui épuisent on laisse aller nos éclats de rire et le poids de nos grands et petits soucis.
I’m singing in the rain !

– Si l’on nous voyait à 20 heures et des poussières danser et chanter sur un parking de collège !
– On nous trouverait un peu plus folles… 
– Qu’est ce que ça fait du bien… enfin !

 

Mais personne ne voit que la vie se chante
Aux heures et jours d’un collège
aux soirs de nos réunions
même sous la pluie 

 

Et la vie parfois ouvre un peu d’espace pour écrire encore le plein, le joli, l’entier d’une vie de prof.  🙂

 

Une brassée de genêts

Il y a quelque chose sur ma route en ce moment. Oui, vous savez, la petite route à travers la campagne qui part de ma maison et arrive au collège.
Il y a quelque chose que je n’avais pas remarqué la semaine dernière. Oui, vous savez, trop absorbée par l’idée d’y retourner enfin.
Il y a quelque chose, quelque chose qu’on sent d’abord, fenêtres ouvertes, vitres baissées à respirer le soleil du matin, celui qui espère le monde.
Il y a quelque chose, quelque chose qu’on peut voir ensuite si on quitte un tout petit peu la ligne goudronnée.
Oh pas trop… seulement ce qu’il faut pour embrasser du regard l’au-delà des grands fossés.
Des brassées, d’énormes brassées, de gourmandes brassées de genêts.
De l’or à perte de lignes, de l’or dans les courbes des virages, du doré sur le bord de mon chemin.
Tu le sais, toi, que l’arbuste se déploie sur les terres pauvres, sur les bords secs, sur les difficiles des ravins. Tu le sais, ici, sur nos bords de chemins arides.

Il y a quelque chose sur ma route en ce moment.
Il suffit de regarder, d’oser, d’embrasser des yeux ce qu’il y a autour. Un peu de beau, un peu de bon qui fait de ma route un chemin pavé d’une seule certitude.
Il peut bien y avoir des ronces envahissantes, des ravins arides, des fossés abrupts. 
On peut bien y entendre des fausses notes, des jugements à l’emporte-pièce, des disputes faites de mots vains.
On pourra jeter tous les cris.
On pourra crier en tous sens.

Je ne sens, je n’entends, je ne vois que la Lumière que Ta Parole ne cesse de poser sur les bords de nos routes.
Je ne garde qu’Elle.
Et sur le bord de mon chemin, comme une brassée de genêts d’or.

 

Au ras des pâquerettes

C’est à hauteur d’homme que Dieu est venu.

Petite, j’ai un jour demandé si Jésus était grand.
La première fois, on m’a répondu un bien sûr qui s’exclame parce qu’on n’avait pas compris que ma question c’était une histoire de taille. Seulement. Il est des questions d’enfants toute simples que parfois les adultes imaginent autrement.
J’ai redemandé plus tard en précisant bien qu’il s’agissait de savoir combien il mesurait. Je n’ai pas eu la réponse attendue du mètre soixante, soixante-dix ou quatre-vingts mais peut-être bien un réponse qui voulait en dire davantage à la petite fille qui questionnait encore et toujours.

– Une hauteur d’homme.

C’est à hauteur d’homme que Dieu est là. J’ai gardé ça, à défaut d’une mesure.

J’y pense souvent. Quand dans l’ordinaire de mon temps, je croise des visages fatigués et qu’il suffit d’un regard qui sourit, à même hauteur, pour le faire sourire à nouveau. Dieu a croisé nos regards.
J’y pense souvent. Quand le nez baissé sur mon nombril, je ne vois plus grand chose autour et qu’il suffit d’une main pour relever mon menton, à même hauteur, pour que j’avance à nouveau. Dieu croise mon regard.
J’y pense souvent. Quand plongée dans le quotidien, je me laisse envahir par le ras des pâquerettes et qu’il suffit de lever les yeux pour être à hauteur des autres. Dieu y est déjà.

C’est à hauteur d’homme que Dieu est là.

 

J’y ai pensé juste hier.
Sur un bord de Loire, allongée dans l’herbe, au repos d’un jeudi d’Ascension qui L’élève, j’ai tourné la tête.

 

Du ras de mes pâquerettes, Son Église m’est apparue, à ma hauteur. J’ai souri en attrapant l’instant.
Pas plus haute. Pas plus grande. Juste là.
Comme Lui.
À bâtir à hauteur de nos vies.

Dix minutes à peine

J’ai retrouvé ma petite route familière.
Celle de dix minutes à peine, à travers la campagne d’un matin qui se réveille, qui déjà espère la douceur d’un jour, qui vallonne mes pensées de la maison au collège. 
Dix minutes à peine de bois, de champs, de quelques fermes.
Dix minutes à peine de bourgeons, de fleurs déjà, d’un printemps qui s’installe.
Dix minutes à peine de musique parfois, d’une chanson que j’aime, de silence souvent.
Dix minutes à peine de quelques nuages, d’une trouée de ciel bleu, d’un rayon de soleil en clin Dieu.
Dix minutes à peine d’une petite prière qui roule.

Pour ma collègue amie qui se bat toujours sur son lit d’hôpital,
pour ce temps qui nous éprouve, nous bouscule et et nous blesse,
pour notre joyeuse équipée de profs une fois de plus embarquée,
pour nos élèves qui vont presque tous revenir mais comment,
pour ma vie de prof qui sans s’être arrêtée sait qu’elle va mieux se retrouver.

Pour des sourires qu’on fera désormais avec nos yeux.
Pour ce bout de chemin qui reste à inventer avant l’été de cette vraiment drôle de manière.

Dix minutes à peine de ma petite route familière. 
Et au retour d’hier, je me suis encore dit qu’elle ressemblait beaucoup à mes chemins de prières
à tracer ma route en regardant les couleurs du temps.
Toujours les mêmes et jamais vraiment.