De nos mains (3)

Peut-être parce que du jeûne qui retient mes mains de trop faire, de la prière qui les fait se rejoindre en croisant mes doigts, de l’aumône qui essaie de les ouvrir aux autres, mes mains, les mains, nos mains sont elles aussi à raconter.
De l’imposition des Cendres, croix marquée sur nos fronts par la main du prêtre, jusqu’à Ses mains clouées en croix au soir de Sa Pâque, le Carême me parle d’elles tout le temps.

Alors, je vais venir vous raconter des mains, oh… pas seulement les miennes, surtout celles autour.

 

Ces petites mains.

 

J’aurais pu rester plantée quelques minutes supplémentaires devant la porte. Je n’avais pas la clé mais Odile était là. Elle m’a ouvert d’une main, l’autre tenait le tuyau d’un gros aspirateur. J’arrivais pour les derniers préparatifs de l’éveil à la foi, elle partait vers la chapelle pour “un bon coup de nettoyage.” C’était chouette de la trouver là.

J’aime bien Odile. Elle n’habite pas très loin de la maison alors on fait aussi équipe ensemble pour les préparations de messes.

J’aime bien Odile. Elle a toujours l’air de s’excuser un peu.
– Oh tu sais… j’ai mal commencé mon Carême moi, nous sommes rentrés seulement hier soir, tard…
Mais elle était chez sa fille et ses petits-enfants à passer du temps en famille et déjà prête à faire le ménage aujourd’hui, petites mains données :  j’ai trouvé que c’était un bon début de Carême.

 

J’aurais pu rester encore quelques minutes tranquilles à attendre les amies pour les derniers préparatifs de Carême mais Bernard est passé chercher un dossier alors on s’est raconté un peu la Bretagne avant qu’il ne reparte vers l’église pour je ne sais plus quelle vérification à faire.

 

Les filles sont arrivées. On a préparé. J’aime bien ces moments. Les idées d’Annie et de Laurence croisent les miennes et ça fait toujours de jolis mélanges. On entendait parfois une porte s’ouvrir, une voix de l’autre côté. Ça ressemble à une ruche un centre pastoral, souvent. Peut-être bien qu’il y a du doux et du bon qui se fabriquent ici.

 

 

Je suis rentrée deux heures plus tard en me disant que j’avais de la chance. Rien n’est jamais idyllique ni trop parfait et à l’heure où l’Église est éclaboussée par des affaires plus sordides les unes que les autres, je suis souvent triste pour elle, pour nous. Pourtant, je n’arrive pas à être foncièrement pessimiste quand je regarde vivre ma paroisse. Elle me redonne le sourire. Elle a cette Joie de croire.
Bien sûr comme ailleurs, les énergies vieillissent, les bancs sont sans doute moins remplis, les baptêmes et mariages en chute mais il reste du beau, il reste du bon, il reste du doux. Et tant de jeunes gens, de jeunes familles, aussi.

Il reste du bon oui, fait de toutes ces petites mains qui nettoient, fleurissent, préparent, répètent, agencent, bricolent, chantent, cherchent, partagent. 
Au regard des vies autour et du monde ailleurs, ça peut passer inaperçu, ça ne paraît pas grand chose, ça semble du presque rien que de remuer nos petites mains au nom de notre Foi.

 

 

Alors, il suffit d’arriver à la maison, de voir qu’un papier dépasse de la boîte aux lettres, de pousser ses pas jusque là pour l’attraper:  le dernier numéro du journal de la paroisse juste livré par le bénévole du quartier. Au moment de remonter l’allée, croiser la voisine.
– Ah moi aussi, j’ai vu qu’il avait été déposé à l’instant.
Le sourire. Et le bonsoir.

Peut-être que ses mains vont l’ouvrir. Elle qui ne connaît pas l’Église. Du tout.
Peut-être qu’elle y lira un peu de toutes ces petites mains qui la rendent, cette église, ici, si jolie à vivre.

 

Bon vendredi  !
Le Carême, c’est aussi rendre grâce pour nos petits gestes de rien, ceux qu’on fait de nos simples mains, sans grand discours, sans beaux atours, bien loin de toute théologie. N’oublions jamais qu’Il est le Dieu de tous ces petits riens qui font l’Église, Dieu fait chair pour vivre nos vies. Comme Isaïe nous le redit au matin, Il est toujours là.


Si tu appelles, le Seigneur répondra ;

             si tu cries, il dira : « Me voici. »

 

Et 40 jours ou presque à L’aimer toujours plus. 🙂

 

 

De nos mains (2)

Peut-être parce que du jeûne qui retient mes mains de trop faire, de la prière qui les fait se rejoindre en croisant mes doigts, de l’aumône qui essaie de les ouvrir aux autres, mes mains, les mains, nos mains sont elles aussi à raconter.
De l’imposition des Cendres, croix marquée sur nos fronts par la main du prêtre, jusqu’à Ses mains clouées en croix au soir de Sa Pâque, le Carême me parle d’elles tout le temps.

Alors, je vais venir vous raconter des mains, oh… pas seulement les miennes, surtout celles autour.

 

D’un revers de main.

Il me semble que je la balayais très vite de mon front la petite croix de Cendres. Je l’effaçais sans doute par coquetterie mais je crois bien davantage parce que je n’avais guère envie d’être vue avec des cendres sur la tête, me demandera-t-on d’où je sors ? Alors je la faisais disparaître.
D’un revers de main.
Jusqu’à ce mercredi soir, celui où elle nous a montré qu’on “pouvait” – elle n’a pas dit “devait”- la garder encore un peu. L’arborer comme un bijou. Je n’ai pas oublié. Oser sortir de l’église, passer à la boulangerie, croiser des voisins avant de rentrer.
Avec une petite marque d’amour.

Il a raconté l’amour infini de Dieu, incommensurable, immense. Il l’a raconté à tous mais surtout aux enfants assis au premier rang, ceux qui seront baptisés lors de notre veillée pascale. Il a raconté l’amour infini de Dieu pour chacun d’entre nous et pour nos faiblesses, nos failles, nos manquements qu’Il sait pardonner. Effacer.
D’un revers de main.
Le geste de notre prêtre, descendu de l’autel au plus près de nous, a accompagné ses paroles, balayant l’air doucement de la main. Les enfants ont été attentifs, ils  ont souri, ils ont peut-être mieux compris les premiers pas de leur chemin de futurs baptisés.
Avec Son pardon, immense marque d’amour.

Ce matin, je me demande encore quelle idée j’ai eue et dans quelle entreprise je me suis embarquée. Mais vous le savez bien maintenant, ce petit vertige devant les 40 jours à venir comme devant une feuille blanche. Me faire, l’espace d’un court instant, envieuse de celles et ceux qui ont choisi de tout éteindre, de disparaître, de déconnecter de leurs claviers. Tout envoyer balader.
D’un revers de main.
Savoir pourtant qu’écrire des mots au tard du soir ou au tôt du matin c’est une façon d’ouvrir mon cœur à Dieu et au partage qui “déchire le cœur”à la manière de Joël. Il y a tant de mains autour à venir vous raconter.  
Avec un peu d’amour.

 

Bon jeudi après les Cendres… Que nos revers de main ne fassent pas valser trop loin le beau. Patience. Et n’oublions pas ce que  Moïse nous redit ce matin : ” Choisis donc la vie !” et sûrement… à pleines mains.  😉

 

 

 

 

 

 

 

De nos mains (1)

Peut-être parce que du jeûne qui retient mes mains de trop faire, de la prière qui les fait se rejoindre en croisant mes doigts, de l’aumône qui essaie de les ouvrir aux autres, mes mains, les mains, nos mains sont elles aussi à raconter.
De l’imposition des Cendres, croix marquée sur nos fronts par la main du prêtre, jusqu’à Ses mains clouées en croix au soir de Sa Pâque, le Carême me parle d’elles tout le temps.

Alors, je vais venir vous raconter des mains, oh… pas seulement les miennes, surtout celles autour.

 

On nous parle toujours à chaque nouveau Carême – et fort justement – d’un temps à suivre Ses pas, d’un chemin fait d’essentiel, d’une route où Dieu randonne à nos côtés. Et même d’une “conversion.” Je ne suis pas certaine d’aimer ce mot “conversion” qui étymologiquement m’inviterait à une drôle de pirouette sur moi-même laissant ce que je suis pour devenir une autre.
J’exagère un peu.
J’exagère à peine.
Ce n’est tout simplement pas possible.

Certes, je peux me tourner davantage vers Dieu, ou mieux, pour Dieu vers les autres, mais humblement, en y regardant à deux fois et sans aucune fausse modestie, mon demi-siècle de Carême ne m’a pas “changée”. Oh! sans doute aimerais-je assez sentir chaque année que ce Carême a été “efficace”. Nous sommes bien dans cette ère du rentable non ? et j’avoue que moi aussi je m’y laisse souvent happer. Je ne parle même pas de mes pauvres petites forces humaines décuplées au rythme d’efforts dérisoires mais bien de la place que je lui fais pour me laisser faire. Oui c’est bien là. Mais point de conversion.
Carême désespérant ? Pas vraiment.
Mal compris ? Souvent.
Inutile ? Certainement pas.
Alors donc, faut-il pour autant faire une croix dessus le jeter aux oubliettes ? Non, bien sûr que non.
Mais peut-être y entendre un autre mot que celui de conversion. Un mot plus petit. Un mot qui laisse à Dieu le soin de s’approcher et à nous celui d’être un peu plus proche.

 

Un réveil ?

 

Comme au matin
Il y a ce réveil dans mes mains

Lorsqu’elles tâtonnent encore dans la pénombre de la chambre
Lorsqu’elles se laissent glisser sur la rampe d’escalier chemin familier qui guide mes pas silencieux
Lorsqu’elles cherchent un peu de chaleur en se serrant l’une contre l’autre et, malicieuses,  frottent les joues de mon visage fatigué
Lorsqu’elles touchent le monde encore endormi et osent croiser d’autres mains, les rencontrer, les encourager, les recevoir.
Les aimer

Au premier jour de ce Carême
Il y a ce réveil dans mes mains

Lorsqu’elles tournent les pages d’une Bible et laissent, confiantes, les doigts filer sur les lignes
Lorsqu’elles suivent Ta Parole à la fois familière et nouvelle, accompagnent, soutiennent, écrivent ma prière silencieuse
Lorsqu’elles cherchent un peu de lumière et retiennent dans mes paumes ce qui fera peut-être grandir mon jour qui sait
Lorsqu’elles touchent mon cœur endormi et espèrent qu’il croise d’autres mains, qu’il leur laisse de la place, et qu’il ose encore les aimer

 

Un réveil.

 

Je préfère ce mot-là.

Il y a ce réveil possible dans nos mains qui cherchent, qui prient, qui font, qui Te reçoivent et surtout qui  essaient au matin de ce nouveau Carême de frotter nos paupières pour y voir un peu plus clair!

 

Bon mercredi des Cendres, belle entrée en Carême chers amis, amies, à nous réveiller, à “déchirer nos cœurs” comme nous y invite le prophète Joël et à laisser nos mains s’ouvrir !

 

 

 

 

 

 

Des gris

La Bretagne a dans ses gris ses histoires de pluie, de granit et de vent. De temps hors du temps.

 

Si ses couleurs peuvent paraître ternes et répondre en écho aux tristes de certains jours, c’est ne pas connaître les argentés de son océan au dernier soleil du soir, ni les gris bleutés de ses chapelles de granit qui tendent leurs croix au ciel, ni les contrastes de ses pastels cendrés de cumulus qui s’amoncellent avant l’orage.
Ici, les gris ne sont pas mélancoliques. Ils redisent simplement aux hommes qu’entre la lumière éclatante d’un jour et le sombre de leurs nuits, il y a cet interstice, toujours variable et ô combien présent, d’un mélange de blanc et de noir. C’est peut-être pour cette raison que j’aime ces gris-là. Parce que le blanc, trop lisse me fait fuir, et le noir, trop plein, me fait peur. Le gris me rassure.

 

La Bretagne a dans ses gris ses histoires de pluie, de granit et de vent. De temps hors du temps.

 

J’ai pensé à ces gris en regardant l’océan au matin. Il n’y avait rien d’éclatant, rien de bien dessiné. Aquarelle tout en fondu, en délavé, en tons mélangés. Comme nos vies. Bien et mal, sans cesse à nuancer nos jours. J’ai pensé à ces gris en relisant les nouvelles au matin. Je me suis rappelée une belle journée à l’Arche de la Rebellerie au printemps dernier, le soleil éclatant entre les pieds de vignes, la bonté des mains tendues et le vrai des sourires. Il y avait un portrait de Jean Vanier, souriant aussi. Sa chemise blanche. Le bon. L’éclatant. J’ai recherché si, dans mes souvenirs, si, dans son sourire, il y avait la moindre trace de la souffrance infligée aux femmes, victimes, qu’il a touchées. Le sombre. L’abject. Ce blanc trop vif, ce noir écœurant. Le gris me rassure.

 

La Bretagne a dans ses gris ses histoires de pluie, de granit et de vent. De temps hors du temps.

 

J’attends avec une presque impatience le gris qui sera déposé une nouvelle fois sur mon front. Croix de Cendres. Rien d’éclatant, tout le contraire même. Volée de poussières, gris de nos ténèbres. Pourtant, une vieille femme que j’aimais me disait de l’arborer fièrement au sortir de l’église. Bijoux osés, cendres de notre humanité, de nos failles, de nos blessures, de nos tourments.

Elle est galvaudée la métaphore mais il y a bien dans nos vies plus de gris que de blancs éclatants ou de noirs entêtants. Ces gris, Dieu les connaît. Jésus les a appelés. Paul, Pierre et les autres. Il ne les a pas tus dans un silence honteux et coupable. Le gris n’est pas tiède.

 

Suivre ses pas, encore une fois.
Mercredi, je commence un petit chemin ici, avec vous.
Fait de nos mains, croisées, aimées, retenues, rejetées, osées.
Des gris pâles éclats de notre lumière, des gris foncés reliefs de nos heures, un Carême aux nuances incertaines de nos vies, ombres posées à la seule Lumière de la Sienne.

 

 

Petite prière sur le sable

Petite prière à mes amis d’ailleurs, à Peter et Manuella, du Liban et du Burkina, d’un monde qui brûle.

 

Dieu entend le monde qui pleure

Lorsque l’océan se retire et laisse ses larmes sur le sable
L’écho des vagues ne brise pas son silence
mais répète qu’Il est là qu’Il pleure avec nous

Dieu embrasse le monde qui souffre

Lorsque l’écume efface nos mots elle dépose ma prière sur le sable
Les battements de nos cœurs ne brisent pas le silence
mais disent qu’Il est vivant qu’Il vit avec vous

 

 

Nos mains

Il y a toujours cette envie de retrouvailles avec l’écriture quand reviennent les temps de l’Avent ou du Carême.

 

Elle existait avant le blog, elle a toujours existé je crois cette envie-là sur mes cahiers de prières ou de “petits mots”. Mais, depuis 10 ans déjà que ce blog existe (avec des pauses et beaucoup d’archives  😉 ), il y a vraiment un rendez-vous que j’aime ici pour partager un peu de Dieu dans nos vies, avec vous.
Et même si en commençant, le vertige de “tenir” 25 ou 40 jours encore me prend rapidement, je crois que j’aime assez ces défis qui égrainent autant de sourires, de “aime”, de couleurs, de vents, de mots… -vos mots aussi- parce que c’est, à chaque fois, du joli au bord de mon chemin.
Parce que, mine de rien, ce chemin me fait grandir.

 

Cette année, comme presque à chaque fois, à peine m’étais-je demandée “mais que dire encore ici que je n’ai déjà écrit”, l’idée m’est apparue.
Peut-être parce que du jeûne qui retient mes mains de trop faire, de la prière qui les fait se rejoindre en croisant mes doigts, de l’aumône qui essaie de les ouvrir aux autres, mes mains, les mains, nos mains sont elles aussi à raconter. De l’imposition des Cendres, croix marquée sur nos fronts par la main du prêtre, jusqu’à Ses mains clouées en croix au soir de Sa Pâque, le Carême me parle d’elles tout le temps.

Alors, je vais venir vous raconter des mains, oh… pas seulement les miennes, surtout celles autour.
Croisées, rencontrées, repoussées peut-être, touchées.

 

Il y a toujours cette envie de retrouvailles avec l’écriture quand reviennent les temps de l’Avent ou du Carême.
Toujours intacte.

au mercredi des Cendres chers amis lecteurs, chères amies lectrices,
à nos mains,

Corine

 

P.S:  Et maintenant que les pistes de lecture audio n’ont plus de secrets pour moi, pourquoi pas quelques témoignages sonores d’amis qui partageront leurs mains  (et pas que des chansons non ! ) si le temps ne me rattrape pas… de ses grandes mains avides.  😉

 

 

Un vieux 45 tours

Il y a des bouts d’enfance qu’on raccommode comme autant de petites pièces d’étoffes un peu déchirées.
Il suffit d’un dimanche, de l’anniversaire d’un homme qui vieillit, de mains tendues, de sourires partagés.
Il suffit de pardons enfouis qu’on veut bien enfin laisser sortir.

 

Il y a des bouts d’enfance qui, raccommodés, ressemblent à un patchwork aux couleurs de la vie qui s’accroche, qui éclate, qui aime.
Et au soir, une vieille chanson qui fait revenir à la surface le tout premier souvenir de Noël, le plus lointain, le plus fort peut-être,
et la voix d’une toute petite maman, à peine sortie de sa propre enfance,
qui essayait de m’apprendre à dire “tintinnabuler” en comptant sur les cinq doigts de ma toute petite main pour ne pas me tromper.

Et un vieux 45 tours que j’ai traîné au long des années.

Sûrement pour garder tout l’amour qu’il y avait dedans.

 

Du sel, de la lumière et un chapelet fluo

Il est des textes d’évangile qu’on connaît bien.

Presque par cœur, presque trop peut-être.
Celui de dimanche dernier par exemple. À entendre les métaphores du sel et de la lumière commentées maintes et maintes fois, on garde le sens, les sens même, le goût du sel, l’éclat de lumière, on les garde oui, mais, souvent, pas beaucoup plus loin qu’un coin de son cœur coincé entre deux pages d’une Bible.

Et parfois il suffit de peu pour que la vie en vrai les éclaire. Un tout petit peu.

Il suffit d’une journée, de celles qui ne payent pas de mine, d’un ordinaire dont on ne se souviendra plus d’ici quelques temps.

Pourtant je crois que ce sont ces jours-là qui font la saveur de nos vies, leur véritable éclat aussi.
Il suffit d’un moment à croiser un témoin qui prolonge par sa manière de vivre selon les Béatitudes l’action de libération et d’enseignement de Jésus telle que les premiers disciples l’ont rapportée.

 

C’était un jour comme celui-ci, à Lourdes.

 

Il y a, à Lourdes, de ces dizaines et dizaines de boutiques qui font dire à certains en colère que les marchands du temple n’ont pas oublié d’être là, à d’autres plus moqueurs que cette piété populaire n’a pas grand chose à voir avec Dieu et qui me font dire à moi, aujourd’hui, que c’est parfois aussi le lieu de beaux instants.
C’était il y a trois ans, finalement je me souviens encore très bien de ce jour ordinaire.
Je m’occupais d’une famille venue en pèlerinage pour la première fois et surtout d’un petit Alizéo âgé de 8 ans.
Quand on est hospitalière, on ne choisit pas “ses” malades mais je crois que Dieu a mis sur sa route ce petit bonhomme et pas par hasard puisque, depuis, nous avons fait un bout de chemin ensemble. Mais ce sera une autre histoire à raconter.

Cet après-midi là, on avait décidé avec Alizéo de sortir du sanctuaire l’espace d’une petite heure pour acheter des cadeaux pour ses parents. Des cartes de Marie et Bernadette, ce qui fut fait. Et un cadeau pour lui.

Mais de cadeaux, en vérité, pour lui, il n’en voulait qu’un seul.

Dans le joli magasin où j’avais décidé de le conduire, une dame s’est posée, avec sa gentillesse et sa patience, juste à côté de lui, pour lui montrer des icônes, des lumignons, des chapelets de bois tous plus jolis les uns que les autres.
– Mais moi, j’aimerais un chapelet de toutes les couleurs.
On y était. Mais pas dans le bon endroit. Le demi-tour vers la première boutique fut vite fait pour contenter le garçon et on est repartis avec son chapelet en plastique fluo et son sourire à embrasser la terre entière.

Il ne me plaisait pas plus que ça ce chapelet de pacotille, vous l’aurez deviné, petit bonhomme qui savait si bien parler de Dieu, je lui voulais quelque chose de “vrai”  et je fus même tentée de lui en offrir un, un autre, un “bien”.

 

C’était sans compter sur le père Vianney qui passait par la chambre du petit avant le dîner.

– Vianney, si tu as un peu de temps, il y a un chapelet à bénir pour Alizéo, enfin un chapelet…

J’ai bien senti, à l’instant où je le disais, que je disais une bêtise et je n’ai plus rien dit.
J’ai simplement regardé la prière du prêtre avec des mots qui respectaient l’enfant qu’il était et que l’enfant comprenait, j’ai bien entendu le disciple laissant là tout son savoir pour se faire proche d’un petit malade, j’ai bien vu le moment de grâce éclairer le regard de cet enfant lorsqu’il a posé autour de son cou “son collier de prières” digne d’une machine à sou, en me disant:
– Le père Vianney m’a dit que Jésus était toujours avec moi, tu sais.

J’ai entendu une jolie histoire à raconter, une histoire de sel et de lumière, d’enfants venus à Lui, d’une pauvre petite Bernadette aussi. Comme ils étaient et non pas, avec ce qu’il conviendrait qu’ils soient.

 

Au départ du pèlerinage, Alizéo m’a fait un cadeau, déposant autour de mon cou un chapelet en plastique fluo.
– Maman a racheté le même pour toi, comme ça toi aussi tu auras le même Jésus que moi.

 

Et c’est étrange parce que moi qui ne prie jamais avec un chapelet, j’en garde quelques-uns, tous précieux, qui me redisent des instants au goût de sel et à l’éclat de Sa Lumière.

 

 

 

 

 

Vieillir

– Mais Jésus alors, il n’a jamais été vieux ?

 

Petite, j’ai détesté Dieu d’avoir laissé son fils mourir.
J’aimais tant Jésus que je l’aurais bien fait vieillir plus que de raison plutôt que de le ressusciter.
Il serait devenu un vieil ami aux cheveux blancs, “couronne d’honneurs”, passant par toutes les étapes de la vie et surtout celles de la vieillesse.
Ma théologie de petite fille s’accommodait bien mal d’un Dieu fait chair qui endosse nos souffrances cloué sur une croix, pour le salut de nos âmes, tout comme elle ne comprenait pas que les trop vieux Adam, Noé, Abraham ou Gédéon avaient eu, eux, le droit aux rides. Et je me souviens encore avoir murmuré “même Job, il a pu vieillir.”
Je ne savais pas très bien la mort je crois, je comprenais la souffrance, j’aimais l’idée de vieillir. Pas celle de mourir trop tôt.

Je souris parfois à la petite fille que j’étais qui osait toujours “mais Dieu il savait très bien la peine et la souffrance et la mort et puis il pouvait le faire ressusciter vieux !”
Là, personne n’essayait plus de m’expliquer laissant au temps le rôle ingrat de me convaincre.
Il le fit.

Pourtant, revient au cœur depuis quelques petites années cette question d’enfant.

– Mais Jésus alors, il n’a jamais été vieux ?

Vieillir.
Le verbe n’a sans doute pas tout à fait le même sens pour chacun d’entre nous.
Je me rends compte qu’il est entré dans mon vocabulaire depuis peu. Il y a trois ou quatre ans peut-être, avec la cinquantaine. J’aurais bien aimé que Jésus soit là avec ses 50 ans, ça m’aurait aidée à comprendre pourquoi on admire les belles vieilles personnes une fois devenues vieilles mais pas les belles personnes qui vieillissent. Ou pourquoi à 20 ou 30 ans, on peut rêver tout haut et plus après. Ou pourquoi on habille les gens de présupposés sur ce qu’ils sont ou pensent dès qu’ils ne sont plus assez jeunes. Et puis, il aurait pu m’expliquer pourquoi l’idée de la mort se fait parfois plus vive aujourd’hui. Plus réelle.

Vieillir.
Je me rends compte que j’aime bien ça finalement. Sincèrement.
J’apprivoise doucement mon corps qui se fait parfois plus lent, plus fatigué.
Je n’aime pas trop les gris encore mais je regarde mes petites rides avec bienveillance.
Je connais bien mes pas, mes gestes, mes manières et je me surprends moins, c’est bon de s’aimer mieux.
Je savoure le temps retrouvé depuis que les enfants ont quitté la maison, toujours présents, tellement présents, mais leurs propres ailes font que l’espace de mes lectures et de mon écriture s’agrandit chaque jour un peu plus. Et c’est doux, après des années à les faire grandir de les voir grands.

Vieillir.
Je me souviens d’Angèle à Lourdes, l’année d’avant sa mort.
– 96 ans ma petite, Dieu exagère, non ? Il sait pourtant combien je L’attends. Mais j’ai tellement de chance de ne rien regretter. Vieillir donne le temps de se préparer.

– Mais Jésus alors, il n’a jamais été vieux ?

Je ne crois pas que je poserai encore cette question aujourd’hui. Je sais que l’ami qu’il est n’a pas d’âge. Ou seulement celui d’aimer.
Je vais souffler mes bougies ce soir.
Un anniversaire encore qui me redit les mots d’Angèle.

Vieillir me donne le temps d’aimer.

 

 

Sans faire de bruit

Ce n’est pas grand chose.

Un petit journal de paroisse glissé dans toutes les boîtes aux lettres. Il fallait que j’écrive cet article sur le Carême. C’est quoi le Carême.
On ne sait pas vraiment qui le lit le petit journal glissé dans toutes les boîtes aux lettres en dehors de nos quelques fidèles paroissiens qui, parfois et toujours de façon très sympathique, s’en font l’écho. Ce n’est pas grand chose, ça ne fait pas de bruit.
Ah et puis, mon voisin aussi je ne suis pas croyant mais comme tu écris, je te lis. Et son bel éclat de rire.

On ne parle pas assez de l’amitié ni de la gentillesse simplement ni des sourires croisés dans nos chemins vers Dieu. On croit souvent qu’il faut des grands discours, des catéchèses du tonnerre, des rencontres étonnantes. Moi, je crois vraiment que les gens loin de l’église peuvent aimer Dieu si nous, imparfaitement peut-être mais un peu quand même, on leur montre que c’est chouette de l’aimer dans les plus petites choses de nos quotidiens.
D’accord, ça ne fait pas venir mon voisin à la messe, ça ne le fait pas croire non plus, enfin c’est ce qu’il me dit. N’empêche, il lit. Je crois que c’est déjà un peu de Dieu dans sa vie.

 

Ce n’est pas grand chose mais j’avoue que lorsque revient l’heure de la rédaction de nouveaux petits articles, j’aime assez ce moment.
Et puisque l’idée était de parler du Carême, j’ai repensé au voisin.
Et je me suis demandée ce que ça voulait dire le Carême pour lui. Sûrement rien du tout.

Rien du tout.Et pour moi tellement. Comment j’allais bien pouvoir faire se rejoindre ce rien et ce tellement ?

Ma feuille est restée blanche avec un petit gribouillis de quelques idées.

C’était hier.

 

 

Ce soir, en rentrant de multiples choses à faire, je me suis rendue compte, un peu tard, que j’avais oublié les œufs pour l’omelette que j’avais prévue pour le dîner. Il y avait bien autre chose mais le prétexte était peut-être là, pour aller sonner à sa porte.
– J’en ai pour 5 minutes, je vais demander à O. s’il peut me prêter des œufs.

Je lui en ai demandé quatre, je suis revenue avec une douzaine. Tout frais pondus, tu peux pas refuser.
Sa femme avait fait une galette, on ne fait qu’en manger, emporte deux parts ! Et elle les emballait avant même que je dise merci.
Et pendant un café parce que tu ne vas pas repartir sans … leur aînée m’a raconté un nouveau livre qu’elle étudiait “tu sais d’habitude je n’aime pas spécialement lire mais tu vois, ça vient…” et un clin d’œil à ses premiers cours de français au collège il y a quelques années, quand je la dépannais sur ses fiches de lecture.  Mais bien sûr qu’on gardera ton chat si vous partez en février !

 

Il m’a fallu un peu plus de 5 minutes.
Une heure plus tard, je déballais ma douzaine, mes parts de galette et même le bouquet de ciboulette et je cassais enfin mes œufs. J’ai fouetté mon omelette. J’avais le cœur tout chaud comme lorsqu’il sort d’un temps de prière ou même, comme après l’envoi du dimanche.

 

 

– Tu vois… je crois que le Carême c’est peut-être ça. Dieu dans nos vies sans rien dire: dans les sourires comme une prière, dans les partages qui rendent heureux. Ça remplit, ça réchauffe, c’est Tout. Sans aucun bruit.

 

J’ai repris ma feuille. J’ai écrit mon petit article.
Un carême, sans faire de bruit.