C’est peut-être ça la rentrée

On dirait que chaque chose retrouve sa place. L’une après l’autre. C’est peut-être ça la rentrée.

Les jours d’abord. On les sait maintenant, on les sait par cœur, on ne s’aventure plus à un mais quel jour on est ?  L’emploi du temps a repris ses droits lui aussi, ses cours, ses pauses. Il n’y a plus vraiment les on verra demain qu’on s’autorise quand rien n’est urgent. Les jours se déclinent à nouveau comme la litanie immuable du temps. Les heures à l’horloge sonnent désormais. C’est peut-être ça la rentrée.

Les crayons. C’est drôle, les crayons aussi semblent avoir compris. Ils ont quitté la table basse où ils griffonnaient des mots croisés, oublié les lignes bleues des lettres, celles qu’on avait le temps d’écrire encore à l’amie. Ils ont regagné le bureau, la trousse, le cartable. Ils ont rejoint le sérieux de l’étude, des copies, des cours. Les crayons organisent à nouveau l’espace de l’agenda. Leurs mots disent la vie un peu autrement. C’est peut-être ça la rentrée.

Les élèves. C’est curieux, les élèves ont retrouvé leurs places exactement. Ils se sont installés derrière les bureaux presque trop sagement. Ils n’ont pas oublié c’est heureux que la cour gardait leurs courses et leurs souvenirs de jeux mais même là, ils ont retrouvé leur place. Celui qui ose, celle qui attend, celui qui écoute, celle qui parle, celui qui se moque, celle qui crie. Les élèves affichent qui ils sont, cherchent qui ils veulent être. C’est peut-être ça la rentrée.

Mes prières. Comment mes prières pouvaient-elles être ailleurs, à une autre place que celle que je connais par cœur. Comment ont-elles oublié l’espace d’un été les chemins d’habitude. Comment retrouvent-elles avec septembre le tôt des matins, le fond de mes poches au long des journées, mes larmes des soirs fatigués. Mes prières savent elles aussi que leur place est le plein d’une tête qui ne cesse les pourquois, le creux d’un coeur qui ose vouloir aimer. C’est peut-être ça la rentrée.

Et moi. Je retrouve ma place. Celle où j’ai laissé mon empreinte, celle qui me dit qui je suis. Entre les murs d’un collège, par-delà les murs d’une maison, autour des murs d’une église. Là où être à sa place veut aussi dire vivre. C’est peut-être ça la rentrée.

 

 

 

 

 

 

Ma soif

Des écrivains, j’aime leur liberté. Absolue.

J’ai lu “Soif” d’Amélie Nothomb et je crois bien avoir aimé sa liberté. Celle d’avoir osé le ‘je’ du Christ.
Peu m’importe ce qu’elle a imaginé. Je l’ai lue comme on lit le dernier roman de son été, parfois  en gardant des bouts de mots à méditer.

Celle d’avoir osé le ‘je’ de Jésus. C’est peut-être cela, au-delà de toutes nos différences, la vraie différence entre Amélie et moi.
Moi aussi, Jésus est “mon héros absolu” depuis toute petite. Pour moi aussi, il a été “mon ami“. Il l’est toujours. Moi aussi, je n’ai jamais vraiment compris le pourquoi de cette mort-là.

Mais il y a cette différence entre Amélie et moi. Parfois, comme elle, je peux me mettre à la place d’un de mes amis c’est vrai. Mais si mal, si imparfaitement. Parce que jamais, absolument jamais, je ne peux être lui. Son corps, ses soifs.

Alors oser écrire un ‘je’ pour dire Jésus à la place de Jésus, je ne le pourrai pas.

Elle l’a fait Amélie. C’est sa liberté d’écrivaine. Elle n’est pas la première, ni la seule, mais sans doute la plus connue du moment. C’est tellement tentant. Sans vous méprendre, j’oserais dire c’est tellement facile. Elle s’est mise à Sa place, elle s’est plongée dans Son corps, dans Sa soif. Qu’à cela ne tienne. Ma liberté qui n’est pas écrivaine est celle de ne pas reconnaître Jésus dans ses mots à elle, dans tous les mots qui disent ‘je’ à Sa place.

 

Celle d’avoir osé le ‘je’ de Jésus.

J’en ose un autre. Un petit je, le mien minuscule qui sait seulement lui murmurer mon je t’aime sans rien d’autre que d’essayer de L’aimer. Sans jamais chercher à savoir, à savoir quoi  ?
De L’aimer. Pas seulement à travers les Paroles d’évangile qui me restent ni les images pieuses qu’on a bien voulu me faire voir, non.
De L’aimer. Un peu comme j’aime mes amis, ceux dont il me semble que je sais tout mais dont je ne sais presque rien au fond.
Seulement qu’ils m’aiment.
Ma seule audace- ma soif peut-être – est de L’aimer comme Il m’aime.

Le temps d’une bière et d’un carré de chocolat

 

 

Je me demande souvent où et quand Dieu nous rejoint, nous entend, nous écoute. Souvent aussi, j’ai l’impression que je parle dans le vide, non pas qu’Il n’est pas là mais je ne suis pas certaine de comprendre sa réponse. C’est difficile de comprendre le silence.

 

 

Et parfois, il se passe un joli truc.

On y était hier, sur les bords de la Loire, la nôtre, celle qui coule près de chez nous. On avait emporté le saucisson, les rillettes et le pain. Les serviettes à carreaux rouges et blancs. Je crois que j’aime bien planter ce décor, il y a du simple et du désuet, une caricature du joli peut-être mais peu importe, il y a définitivement un sourire à la vie. Il faisait grand soleil et en longeant le quai pavé, on s’est dit que le banc à l’ombre de l’église ce serait bien pour déjeuner. C’était bien. Il y avait la douceur du temps, celui qui hésite entre les vacances et la rentrée. La douceur, elle était bien là, vraiment. Et un petit vent léger.

 

Je suis restée un tout petit moment seule. Le temps que les enfants se dégourdissent les jambes près de la rive. Je les ai suivis du regard un instant puis ils ont disparu. J’ai tranquillement terminé ma bière – légère comme le vent – , cassé un carré de chocolat puis j’ai levé le nez. Le soleil a fait un clin d’œil à mon appareil. Je l’ai reposé et je ne sais absolument pas pourquoi , à cet instant-là, très précisément,  j’ai pensé à Domi que je n’ai pas revue depuis mon retour. Domi une ancienne collègue d’il y a très longtemps. C’est drôle de penser à quelqu’un sans savoir comment la pensée est arrivée là.

Les enfants sont revenus vers moi, on est rentrés à la maison tranquillement.

 

Ce matin, les courses m’ont fait croiser des visages connus, revenus, certains bronzés. Des sourires à retrouver, avec leurs anecdotes et leurs nouvelles.
– Avant hier, nous avons revu Domi…elle va bien…. en rémission depuis la fin juillet, lui a dit son médecin. C’est chouette non ?
Le hasard – le hasard ?- d’une connaissance commune.

 

Je suis restée un tout petit moment seule. Une pensée bien plus qu’une prière, au pied d’une vieille église d’un bord de Loire, entre une bière et un carré de chocolat.
Je me demande souvent où et quand Dieu nous rejoint, nous entend, nous écoute.

Souvent, Il me surprend à être là, à être où je ne l’attendais pas.

    

 

 

 

 

Il y a comme un peu d’hésitation

Il y a comme un peu d’hésitation.

 

Depuis une bonne semaine, les manuels, les classeurs et l’ordinateur ont pourtant pris le pas sur les lectures et écritures d’été. Les derniers éléments du programme, les nouvelles œuvres à faire lire, les idées –  neuves aussi. Depuis quelques jours déjà, on a repris contact. “On” ? Mes collègues surtout celles de français anciennes et nouvelles. Les projets s’échangent par mail ou téléphone. On va se voir oui, on attend encore.
La rentrée oui mais… il y a comme un peu d’hésitation.

 

La paroisse prépare elle aussi sa “reprise” et mon équipe de quartier ouvre la marche avec la liturgie du dimanche de septembre, celui juste après la rentrée. Il y a cette Sagesse à comprendre, et Paul oh… comme on se souvient bien d’Onésime et Jésus qui nous invite toujours à sa suite. On décortique l’été et l’après. “On se retrouve chez Frédéric, ce sera encore un peu les vacances sur sa terrasse! ” Pas au centre pastoral, pas comme d’habitude, on a ce temps-là. La rentrée oui mais… il y a comme un peu d’hésitation.

 

Les enfants sont toujours là. Bientôt ils vont repartir vers leurs études, pour un long voyage aussi et nos messages nous garderont ensemble. Il y a leur vie qui grandit. Et reviennent en mémoire les cartables neufs, la liste de rentrée, les nouvelles chaussures, tout ce qu’on ne fera plus. Il y a un sourire heureux, aucune tristesse. La nostalgie a la douceur des bons souvenirs. Mais pour l’heure, ils sont encore là! “Et si on se faisait un pique-nique demain sur les bords de la Loire ?” Ce sera deux ou trois heures de parenthèse comme si l’été restait un peu, il fait si beau. La rentrée oui, mais… il y a comme un peu d’hésitation.

 

Au tôt du matin, mon café, ma Bible ouverte et mes mots. Il y a ces moments inscrits à mon temps, ces moments toujours là, ces instants que j’aime. Je suis une fille des habitudes je le sais bien. “Tu aimeras…” Au tôt du matin, son futur pourtant, son futur si proche et en même temps il semble si loin parfois ce verbe aimer quand les pardons restent silencieux, quand les heures courent sans merci, quand le temps reprend ses droits sur nos vies. Il m’invite sans cesse à un futur à aimer pourtant. La rentrée oui mais…il y a comme un peu d’hésitation.

 

Depuis une bonne semaine, il y a cet entre-deux. Le temps qu’on a encore avant que tout ne reprenne.
Au tôt du matin, les cours dans un coin de ma tête il faut vraiment que je relise ces pages et ce roman de vacances à peine terminé, ma Bible et son”tu aimeras ton prochain comme toi-même” bon sang mesure t-on jamais ce qu’Il nous demande, le pique-nique à préparer j’ai peut-être le temps d’une tarte aux myrtilles, tout se mêle, tout s’emmêle, tout est lié.

J’ouvre la fenêtre.
Je respire le temps.
L’aube semble elle aussi hésiter à commencer le jour.

Le Ciel crayonnera ses je t’aime pourtant.

 

J’aime bien cette douce hésitation.

 

Ce qui restera

Il y a quelque chose de curieux dans mon époque, quelque chose que personnellement je vis curieusement. Des tas de bouts de vies et d’avis et d’envies qui s’affichent sans cesse sur mes écrans. Des vies proches parfois pour un temps et le temps virevolte et le temps passe, infidèle, oublie, disparaît. Le plus souvent ce sont des vies lointaines voire inconnues qui, l’espace d’un instant, d’un clic, d’un hasard s’approchent de moi et semblent même faire partie de ma vie à ce moment-là. Et tous ces bouts de vies et d’avis et d’envies s’emmêlent me laissant cette curieuse impression de mieux connaître le monde. Ou plutôt de ne rien connaître du monde, finalement, parce que souvent en les lisant je me sens bien loin plus loin tellement loin de tous ces bouts de vies, ces avis, ces envies. Cette toile qui tisse des fils accroche un lien parfois c’est vrai je l’avoue au détour d’un partage le garde un peu le défait le dénoue presque aussi vite et. Que reste-t-il au fond ?

 

Il reste la vie.

 

Chris a posé son petit cadeau sur la table. C’est un tout petit truc de rien tu sais. J’ai souri aux  chocolats.
Il y a chaque été ce temps pour nous retrouver. Son ami à lui – l’homme de ma vie- son ami depuis 34 ans. 34 ans, bien avant moi. 34 ans, une vie.
Mes amis aussi. Oh… on ne tient pas les comptes, il ne s’agit pas de cela. Ce n’est pas seulement un compte d’années qui compte en vérité et puis, Chris on ne la connaît pas depuis très longtemps, quelques petites années seulement pourtant qu’est-ce qu’elle compte. Ce n’est pas le compte d’années qui fait l’amitié, un peu quand même oui je sais il faut du temps, mais il y a bien autre chose on le sait. Mais quoi ? Ce n’est pas qu’une histoire de vraies vies de partages de temps il y a tant de vraies vies il n’y a que ça et de partages ailleurs qui ne feront jamais l’amitié. Alors quoi ? Et nos mots, nos sourires, nos délires et nos bras qui nous embrassent. Et se racontent pendant des heures et des heures nos bouts de vies nos avis nos envies nos vies qui tissent des fils et des liens. Que restera-t-il au fond ?

 

Il restera la vie.

 

Il y a toujours ce moment où l’on rit où l’on joue où l’on est même un peu fous puis cet instant soudain qui s’installe dans nos silences. Cet instant où nos brûlures se racontent. La mort de son fils. Chris nous dit qu’elle se demande si elle croit elle ne sait pas elle n’a pas l’habitude de parler comme ça mais elle espère il y a une chose qu’elle espère c’est le revoir son garçon son petit son grand un jour. Un jour.
J’espère que je le reverrai un jour.
Il y a nos silences encore et nos voix qui se taisent  autour de la table et si je pouvais les dessiner je les tracerais sur les murs entre nous tous ces fils invisibles que je vois ces liens qui nous relient nous retiennent nous attachent nous aiment. Le jeu de cartes s’est arrêté. Chris qui ne sait pas si elle croit en Dieu nous dit encore j’espère qu’on se reverra, qu’on se reverra tous. Après. Parce qu’on s’aime non ? Bon, on se la fait cette troisième partie ? Et nos vies continuent.

 

Il restera la vie. Ces p’tits grains de sel qui nous la font aimer.

 

C’est peut-être cela qui reste au fond. Ceux avec qui je veux mon éternité.

 

Le dernier rayon avant le soir

On gardera ce rayon de soleil, celui qui venait toucher la pointe des pieds, le dernier rayon avant le soir, celui qui nous disait qu’on avait encore le temps de lire quelques pages allongés sur le vieux sofa.

 

Il y a encore un peu de temps, celui qu’on se garde jusqu’à la toute fin. 16 août ça respire encore les parfums d’été mais ça n’en a déjà plus vraiment le goût tu sais. Et ce matin-même appelait mes pas vers une réunion pour nos tout-petits du dimanche. On ne s’est pas racontés les vacances, on était peut-être déjà dans cet autre temps. Bien sûr qu’il y a encore un peu de jours à ne pas regarder sa montre, enfin pas trop, pourtant notre calendrier s’est rempli de préparations septembre octobre novembre oh… l’Avent commence le 1er décembre mais on a encore le temps.

 

Il y a encore un peu de temps, celui qu’on se garde jusqu’à la toute fin. 16 août mon bureau a rangé ses crayons et ses pots. Les cahiers, les classeurs et l’écran d’ordinateur affichent des tableaux. Et cet après-midi mes mains ont écrit toutes les idées, remis en forme les projets. Je n’ai pas oublié les vacances, je les écris encore sur des cartes postales qui vont bientôt leur répondre. Bien sûr qu’il y a encore un peu de jours à raconter la Belgique et l’océan et les amis, pourtant mon agenda se remplit de rendez-vous de dates à ne pas manquer septembre octobre novembre oh… je vais l’aimer encore cet Avent mais on a bien le temps.

 

Il y a encore un peu de temps, celui qu’on se garde jusqu’à la toute fin. 16 août ma pile de lectures est presque terminée, celle que j’avais gardée pour l’été. Les policiers de Qiu Xialong m’ont perdue dans une Chine que je connais pas et ce dépaysement m’a plu. Et puis il y a eu ce Calvino redécouvert et trois nouvelles lectures de Sylvie Germain, la tant aimée,  le dernier Gaudé, de vieilles BD et  ces quelques autres, les spirituels – je souris en l’écrivant – oui, les spirituels, ceux qui pensent l’essentiel et qui me font juste du bien. Bien sûr qu’il y aura encore des lectures les scolaires de septembre octobre novembre oh… et la petite liste de décembre à écrire mais on aura tout le temps.

 

Il y a encore un peu de temps.

Je garde le rayon de soleil, celui qui vient toucher la pointe de mes pieds, le dernier rayon avant le soir, celui qui me dit que j’ ai encore le temps de lire quelques pages allongée sur le vieux sofa. Avant la rentrée.

Environ trois mois

Petit matin du 15 août.
Il y a tout ce qu’on a dit et tout ce qu’on a écrit sur la visite de Marie à sa cousine Elisabeth.
Et puis il y a ça. Environ trois mois.

Je me suis souvent demandée ce que Marie avait bien pu faire auprès de sa cousine pendant environ trois mois. Derniers mois de grossesse pour l’une, premiers pour l’autre. Je me le suis souvent imaginé même, et ce matin encore bien davantage. Aide, refuge, voyage secret… à l’heure où le moindre petit fait de nos vies s’étale pour gonfler nos egos, Marie, elle, aux plus grands instants de la sienne, ultime oui, s’est tenue à l’écart, discrète. Cette visite ressemble bien à un doux refuge. Elle s’est fait plus petite encore celle qui portait Dieu en elle.

Ça ne m’a pas quittée de la journée ces trois mots. Et ces trois petits mois environ. Je suis comme ça quand il y a un truc qui me trotte dans la tête, ça ne me quitte jamais. Marie à se lever la nuit pour calmer l’inquiétude d’Elisabeth, Marie à prendre sa place à la cuisine parce que sa cousine trop fatiguée devait se reposer, Marie à rassurer son amie tout ira bien il ne peut en être autrement et puis les heures à partager cette première grossesse entre femmes, celles à questionner les demains, et ces instants à poser  sur la tête de sa presque sœur un linge frais, caressant d’une autre main sa tempe, pour la rassurer dans l’enfantement. Marie s’oubliant pour se faire toute proche.

 

On a tracé la route dans la Bretagne encore, Marie  dans un coin de ma tête. L’autoradio a lancé un vieux disque de Balavoine qui a bizarrement loupé les trois premières plages pour démarrer sur “Mon fils, ma bataille”. Je la connais encore par cœur celle-là. Marie, un peu loin, est revenue d’un coup. Il lui allait bien ce titre de variété, son Fils, sa bataille ?  Ça m’a fait sourire. Clin Dieu ?

On a déambulé. Il n’y avait rien qui parlait de Marie dans nos rues. Des vacanciers encore, ceux d’un jour seulement peut-être, des transats, des glaces, un manège, le férié affiché sur cette porte justifiant qu’elle soit fermée. Tiens, Marie un peu là sans le vouloir. Je me suis retournée à cet instant. Passage étroit. Elle voulait avancer, ventre rond en avant. Pardon… je prends de la place. Oh non…je lui ai laissé le passage. Plus qu’un mois ! Ça m’a fait sourire. Clin Dieu ?

On est rentrés. Quelques nouvelles sur un écran machinalement allumé. Quelques images d’églises, une procession. Le journaliste explique. L’Assomption. J’entends des dates, un dogme, on ne parle déjà plus d’elle. J’éteins. Un sms quelques minutes, juste après. Je suis à la grotte avec Elle et je t’embrasse. L’amie hospitalière est à Lourdes. Ça m’a fait sourire. Clin Dieu ?

 

Petit soir d’un 15 août.
Il y a tout ce qu’on dit et tout ce qu’on écrit. Et puis il y a ça. Ce presque trois mois d’une présence d’amie, de maman, de femme.
Il y a tout ce qu’on dira et tout ce qu’on écrira encore. Et Marie, toujours là, dans un coin de ma tête. Une amie, une maman, une femme.

Une page blanche pliée en quatre

Peut-être que la lettre est arrivée hier. Je ne suis pas sûre mais en vacances, on oublie parfois d’aller chercher le courrier ou on y pense soudain au creux de l’après-midi ou même tard en soirée au moment de refermer les volets. Tiens mais on n’est pas allés chercher le courrier aujourd’hui. On oublie parce que les habitudes ne sont plus là, plus tout à fait. Peut-être que la lettre est arrivée hier car hier on a oublié le courrier.

Il a posé l’enveloppe sur mon bureau. C’est toujours comme ça qu’il fait, il ne dit rien comme s’il voulait me laisser la surprise de découvrir les surprises. L’enveloppe toute simple, blanche, celle qu’on achète par paquets de 100. Mon nom et mon adresse écrits au stylo bille bleu, ce bleu des mers du sud qui sait poser un peu de rêve autour des mots parfois. Je n’ai pas reconnu l’écriture ronde mais j’ai su que c’était une élève. J’ai retourné l’enveloppe, pas d’expéditrice. J’ai vite ouvert en déchirant doucement avec mon pouce.

Une petite page blanche pliée en quatre.

Des lignes au crayon de bois à peine effacées pour écrire bien droit, quelques fautes mais peu, une rature transformée en cœur pour cacher la rature, et des mots. Des mots tout simples qui redisent le chaud de juillet et une virée à la piscine municipale, les deux semaines chez mamie de l’autre côté du bourg pendant l’hospitalisation de maman et sans doute deux semaines avant la rentrée encore, un pas de vacances cette année mais ce n’est pas si grave parce qu’il y a le jardin de mamie avec les chats, les lapins et des poules, il est grand ce jardin il y a même une petite cabane pour être tranquille et lire parce qu’il y a les lectures.

Des lignes au crayon de bois à peine effacées et devenues bavardes. Des lectures surtout. Celles que je lui ai laissées pendant les vacances parce qu’au moment de ranger la classe le dernier jour, les livres que je dépose au fond pour les temps libres, ils pouvaient aussi les embarquer pour leur été. Elle a été la seule à en prendre. Les autres étaient déjà ailleurs. Elle a été la seule. Je peux en prendre plusieurs ?

Des lignes sur les lignes au crayon de bois à peine effacées pour me raconter ses lectures. Un petit mot pour les personnages aimés et des ronds rose pâle pour toute critique avec la légende. Un rond c’est pas mal, deux c’est bien, trois j’aime beaucoup, quatre j’adore. Une petite liste de six livres. Six petits romans quand même. Et ce post- scriptum écrit en toutes lettres parce qu’on a appris l’origine latine et que c’est plus joli écrit en entier. Un post-scriptum  en forme de merci.

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Post-scriptum: je m’inquiétais de mes vacances à la maison mais en fait avec vos livres, ça va vraiment bien. Il m’en reste encore quatre.

 

Je les quitte en juin en leur souhaitant toujours un bon temps de vacances. Je sais bien le joli chez certains, l’ennui chez d’autres, je savais le difficile pour elle. Parfois je reçois une petite carte de bord de mer, un chemin de montagne ou une petite page blanche pliée en quatre parce que toute l’année on a écrit on peut continuer un peu pendant l’été pourquoi pas, alors une fois, deux fois, trois fois, parfois davantage, je sors ma plume à mon tour pour un merci en attendant de nous retrouver. Et je les retrouve en septembre mais je ne leur demande jamais rien sur leurs vacances. Le difficile ne se raconte pas.

 

Une petite page blanche pliée en quatre. Des lignes au crayon de bois à peine effacées. Elle me parlera peut-être de ces quatre dernières lectures et ce sera bien.

 

 

Grains de sable

J’ai marché les pieds dans l’eau, longtemps.
J’ai laissé mes pas s’enfoncer pendant que les vagues rampaient tout devant. Et j’ai marché encore. Il faisait trop froid pour se baigner mais les pieds nus à retenir la mer entre mes orteils ça c’était drôlement bien. J’ai remonté la plage, traversé le sable humide puis le sable sec, devenu frais avec le soir. Je tenais mes sandales dans une main, leurs brides semblaient danser au vent. Mes pieds aussi je crois. Puis ils ont ralenti sur la bande minérale juste avant l’escalier de bois qui ramène au bord du chemin. J’aurais pu remettre mes chaussures mais il y avait comme un jeu d’enfance à poser chaque pas doucement sur les reliefs, à trouver les plus lisses des galets, à appuyer lentement la pointe du pied puis la plante puis le talon pour avancer. Tu sais ça ne fait pas si mal, il suffit de prendre son temps. Puis les planches de bois douces et tièdes doucement grimpées, le sentier, là, oui là, il faut s’arrêter. Il y a un bout de rocher qui ressemble à un banc, à droite. Les fesses posées dessus depuis des générations ont même creusé comme un siège. D’une main, j’ai dépoussiéré les grains de sable sous mes pieds et glissé mes orteils dans les sandales.
J’ai repris la route, il y avait encore quelques petits grains, rien de bien méchant, c’était comme si je sentais sous mes pas un reste d’océan.

On est rentrés. J’ai quitté mes sandales et des petits grains de sable ont glissé sur le tapis. Il faudra aspirer demain matin.
Il y a eu le doux de la lecture qui m’attendait, celle allongée sur le dessus de lit, les pieds en l’air, croisés, à frotter doucement des petits grains collés encore à ma peau.

 

Et le matin est venu. Les grains de sable sont restés sur le tapis.
D’autres petits grains avaient eu le temps de se glisser dans les interstices de notre temps. Une urgence, puis une autre, de l’inquiétude, rien de si grave, les aléas de nos vies simplement.
Il faut rentrer.

 

On est revenus. J’ai repris la route, il y a des grains de sable, rien de bien méchant, ceux qui nous savent vivants et qui se glissent entre nos heures, celles qu’on avait prévues, et les retardent, et les bousculent, et les attristent, et les consolent.

 

C’est rien, ça ne fait pas si mal, il suffit  de savoir le temps et le grain de ses heures.