Vivante

Huitième soir.

Le soir vient de tomber.
Sur ma crèche, les lumières dessinent des ombres.
J’aime bien la regarder en cette fin de journée.
Et, d’une main tranquille, je bouge chacun de mes santons d’un petit pas.

 

Je ne vous ai pas dit ça, c’est vrai.
Mes santons marchent.

Ils marchent eux-aussi sur le chemin et, pas très loin de leurs pas, Joseph guide le petit âne. Marie s’endort un peu. La nuit sera encore fraîche, il faudra vite s’arrêter pour faire un feu qui réchauffe, manger le pain qu’on a emporté pour la route avec quelques fruits secs. Plus loin, au village, mon boulanger se réveille de sa sieste, le professeur corrige ses copies, les enfants jouent sans penser à lundi, la jolie fermière rentre ses poules et le marin, juste débarqué au matin, va retrouver les siens. Bien loin ailleurs, mes mages consultent encore leurs livres…

 

Mes santons marchent.
Ce n’est pas seulement parce que j’aime raconter des histoires vous savez.

 

Je me suis toujours racontée des tas de petits films devant la crèche de mon enfance. C’est moi qui l’installais. Je n’avais pas trop le droit de toucher à Marie et Joseph qui passaient leur Avent dans leur étable sans bouger d’un iota. Je les plaignais et parfois, en cachette, je leur faisais faire une petite virée en amoureux. Les bergers, eux, avec leurs moutons, et quelques autres santons, tout comme les rois et leur chameau, je pouvais les faire avancer à mon gré. Et des décembres dont je me souviens, c’est un moment que j’aimais plus que tout.
J’ai encore une vraie tendresse pour cette petite fille, allongée sur le sol en pyjama et en chaussons qui jouait à raconter Sa naissance. Je ne suis pas certaine qu’il y ait eu plus belle aventure à raconter en vrai. Alors, j’ai continué. Et j’aime tout pareillement.

Le soir vient de tomber.
Sur ma crèche, les lumières dessinent des ombres.
Mes santons avancent.
Joseph a trouvé un refuge. Il donne à manger à son petit âne.
Marie rompt le pain du dîner puis pose une main sur son ventre.
Il est là.

Un premier samedi de décembre

Septième soir

C’est un premier samedi de décembre qui ne s’est pas vraiment trompé.

Il a invité le froid vif au dehors, a fait sortir les laines des armoires et même, quelques plaids un peu doux.
Sur la table, des clémentines tentent un pied de nez à mon rhume carabiné et le miel essaie d’adoucir cette toux qui va peut-être enfin se décider à quitter ma carcasse.

C’est un premier samedi de décembre qui me dit de m’arrêter un peu.

Il a invité la petite sieste, les quelques dernières pages d’un bon bouquin et un petit chocolat chaud pour reprendre des forces. C’est un samedi facile au fond, délicatement parfumé d’un peu de Noël, comme un doux privilège.

C’est un premier samedi de décembre qui a accroché quelques lumières au-dessus d’une étable encore vide.

Peut-être bien que ma crèche n’aime pas la solitude et le froid, la nuit et l’absence. Peut-être bien qu’au chaud de ma maison, elle parle à Dieu, elle espère sans cesse, elle prie sans relâche pour les oubliés de nos rues, de nos villes, de nos vies.

C’est un premier samedi de décembre qui, pourtant, n’oublie jamais la Joie d’être en chemin même si, tout au bord, il n’y a pas que du très joli.

 

C’est un premier samedi de décembre qui ne s’est pas trompé.
La crèche, installée au cœur de ma maison, ressemble à une petite prière.
Sans bruit, finalement discrète mais toujours infiniment là.

 

Du goût des autres, et Toi

 

Sixième soir

Il y avait déjà eu il y a 3 ou 4 ans cette amie qui avait déniché une crèche à deux euros dans une farfouillerie, toute en couleurs, made in je ne sais trop où, qui en un seul bloc de plastique gardait Marie-Joseph-Jésus-âne-bœuf-bergers-moutons-divers santons-et-les mages-étoiles-même-un-ange.
” Il y a bien tout dis, c’est bien comme crèche ?”
Evidemment que j’ai dit oui. Elle n’avait jamais eu de crèche et je crois qu’elle était vraiment heureuse de déposer celle-ci au pied de son petit sapin, au bord de son coin prière tout neuf.

Et puis il y a celle de Mimi faite de laine tricotée.

Celle de Jacques, aux personnages sculptés dans des bouchons de liège – je garde tous les bouchons, ceux de champagne font de superbes bonshommes tu sais.

Et encore celle de Jeannick exposée tous les ans dans son village parce c’est son père qui lui a fabriquée pendant la 2ème guerre mondiale avec trois fois rien alors qu’elle était une toute petite fille.

Et ce matin ce message d’une jeune maman que je connais bien :
– J’ai commandé ma crèche, elle est trop belle !
Et la photo.

Voilà.

C’est certain. Il y a les épurées, les classiques, les provençales, ma petite bretonne. Les faite-mains dans des petits ateliers d’artistes, de monastères parfois, qui te coûtent un bras à chaque nouveau santon. Celles qu’on va sans doute trouver très belles.

Et il y a les crèches à deux balles, en plastoc ou très kitsch.

 

Et bien, Jésus, je crois que Tu t’en fiches royalement et que les p’tites crèches à trois fois rien ou de mauvais goût – quel goût d’abord ? – Tu les aimes tout autant voire bien davantage peut-être que nos semblants d’œuvres d’art.
Parce que Tu es dans Toutes.
Absolument toutes.

à demain  😉

 

Des langes au linceul

“On ne devrait pas pouvoir mourir à cette période de l’année, c’est bientôt Noël…”

Ce n’est pas la première fois que j’entends cette phrase.
Tellement humaine, tellement faite de notre fragile humanité.
Parfois même, on y  ajoute “si le bon Dieu existait, Il ne permettrait pas cela…”
Humanité si démunie face à ce qu’elle ne veut pas.

Ce matin, le cercueil, dans l’église, faisait face à la crèche.
Ou plus exactement, le cercueil était déposé aux pieds de la crèche qui, dans l’église de mon collège, a été installée cette année juste au-devant de l’autel.
“Mais pourquoi il y a la crèche, c’est une sépulture…?” Un jeune collègien s’est même interrogé.

On oublie très souvent, ou on ne sait simplement pas, que le bébé emmailloté de langes, joie d’une naissance, est Joie pour les Chrétiens car Il a donné sa vie.
On oublie trop souvent, ou on ne sait simplement pas que son linceul laissé là, sur la pierre, au matin de Pâques, nous sauve bien davantage qu’une simple naissance.

 

Ce matin, Ta crèche, Jésus, au cœur de ma campagne, dans cette église tellement grande qu’on la surnomme parfois en souriant cathédrale, pétrie de lumière et de l’amour des gens rassemblés pour un dernier adieu à ce papa, oui, ta crèche, Jésus, semblait ouvrir ses bras pour l’accueillir.
Non, elle ne semblait pas.
Tu L’accueillais, Tu l’emmaillotais déjà de tout Ton amour.

 

 

Un voyage jusque là

Je ne sais plus très bien combien de jours il a fallu à Marie et Joseph pour se rendre à Bethléem mais je sais qu’il a fallu des jours nombreux, des jours et des nuits.
C’est quelque chose qui m’interroge toujours le temps des voyages dans notre rapport au monde depuis la nuit des temps.

Petite, je me souviens avoir entendu mes grands-parents raconter que pour certains enfants de leur génération, il fallait une heure à pied et le matin et le soir pour se rendre à l’école. Je n’arrivais pas très bien à imaginer cet effort avant ou après la classe.
Plus récemment, mes élèves de sixième, en regardant le documentaire “Sur le chemin de l’école” en éducation civique, m’ont fait part de leur étonnement de voir en 2022 des enfants du monde voyager longtemps, très longtemps, souvent à pied, et en prenant des risques pour atteindre leur école chaque jour.

C’est tellement facile et sans peu d’effort pour moi, pour nous, de me rendre ici ou ailleurs dans ma petite auto confortablement installée au chaud, en assez peu de temps et souvent sans beaucoup de dangers.

 

En regardant ma crèche ce soir, je me dis qu’elle me fait l’éloge du temps, qu’elle nous redit de savourer ce temps que nous pouvons encore prendre.
Et paradoxalement aussi, elle me rappelle que rien n’est facile pour Angélique et ses enfants qui n’ont pas de voiture et doivent toujours compter sur leur débrouillardise pour avancer dans leur vie. Elle me rappelle les enfants d’un ailleurs qui nous semble si lointain, et ceux qui entreprennent de quitter leur pays, sans beaucoup de choix, souvent sans retour possible et au prix de leur vie.

Et je dépose ma petite prière pour tous ces voyageurs d’un monde impossible, d’un monde cruel. Qu’ils puissent poser leurs pas sur des terres amies, et eux aussi, trouver un endroit où pourra naître la vie.

 

Une crèche, pas un rêve

Troisième soir.

Le mardi parfois et parce que j’ai un peu plus de temps, je prends une p’tite pause café chez un couple de vieux amis. J’aime bien ce temps. Je les regarde. Un vieux couple de 57 ans de mariage qui se donne la main dans leurs balades et dans leur quotidien.
Elle est sa vue quand il ne voit plus très clair, il est son bras qui la soutient quand ses jambes peinent un peu.

C’est toujours lui qui sort les tasses, c’est toujours elle qui verse le café, c’est lui qui offre le petit chocolat qui va avec, c’est elle qui insiste pour que j’en prenne un.
Je me dis souvent qu’il y a de ça chez moi aussi avec le temps qui passe : chacun se fait le gardien de l’autre, et j’aime bien.

 

J’y pensais en regagnant tranquillement la maison quand au détour de ma crèche, je les ai regardés encore, eux aussi.
Mon petit couple de petits vieux.

Ils veillent pour moi, dans la crèche, sur tous les couples jeunes, moins jeunes ou déjà vieux que je croise au fil de mes jours, de ma famille ou de mes amitiés.

Et je ne peux jamais oublier en regardant Marie si proche de l’enfantement et Joseph empli de confiance et d’autant de questions, combien nos vies de mariés ou de compagnons ont besoin de nos mains qui se donnent et de nos bras qui se soutiennent.

 

Il y a dans nos crèches non pas un rêve d’amour édulcoré d’un petit couple d’amoureux qui passe, encore moins le rêve d’une famille parfaite, oh non.
Non.
Décidément non. Ce n’est pas un rêve une crèche de Noël.
C’est la vie, la vraie, avec le difficile, l’adversité et la confiance malgré tout.

 

Ce soir, mon petit couple de petits vieux se tient serré. Ils gardent l’un contre l’autre toute l’ampleur de leurs vies avec ses joies et ses épreuves et regardent la vie qui va naître.
Et c’est doux.

à demain

 

Devant ma crèche, sans voix

Deuxième soir du deuxième jour

Tu sais, Joseph, c’est à toi que j’écris ce soir.
J’aurais aimé te parler mais je suis sans voix. Finalement, c’est bien que je t’écrive ici.

Ce matin, devant ma crèche, juste avant de partir, je t’ai souri. J’ai beaucoup souri d’ailleurs. À mes enfants en leur envoyant sur notre whatsapp mon petit mot d’Avent. Au collège, en arrivant parce que de toute façon quand on a la gorge qui tousse et la voix qui est prête à se casser, il reste les sourires. Devant les classes du matin, tout pareil.

Tu sais Joseph, c’est à toi que j’écris ce soir. Tout près de ma crèche. Sans voix.

Sans voix.

Mon amie collègue m’a dit qu’elle avait une mauvaise nouvelle à me dire.
C’était juste l’heure de déjeuner.
J’ai eu peur. Je me suis assise.
Une petite de ta classe de 6è vient de perdre son papa.
Tragiquement.

Sans voix.

Comment Joseph, toi qui avance guidant ta petite Marie, on peut comprendre ça, dis ?

Dis-moi.
Moi, je suis sans voix, dis-moi !

J’ai enchaîné les cours de l’après-midi. Le conseil de classe de ma classe de 6è.
Mécaniquement.
La voix brisée.

Je voulais écrire du joli pour l’Avent, devant ma crèche.
Pardon Joseph, j’écris la vie.
Brutale, injuste, révoltante.
Je n’ai plus de voix pour te prier, toi.
Mais je te demande de garder ce papa au royaume des papas, tu vas savoir.

Ma douce crèche, mon grand Joseph, ma petite prière.

 

à demain

 

Chemin de crèche

On y est. Le premier soir du premier jour.

On y est. Mes santons sont là, Marie porte ses rondeurs sur un petit âne gris conduit par un Joseph aux allures trop tranquilles.

Je vous ai promis de venir chaque soir – début de soir ou fin de soirée, le temps me dictera son heure et vous, celle de votre lecture 😉 –  pour cheminer un peu, ici.

Cheminer.
Il y a bien un chemin dans nos crèches, si souvent.

Tracé sur des coteaux sinueux de papier-crèche qu’on aura froissé pour faire un peu plus vrai
dessiné sur un tissu d’étoiles posé sous les pas de santons à l’argile si fragile
imaginé au fil d’un temps qui nous mène vers une pauvre étable guidés par Sa parole

Il y a bien un chemin.

Celui, à l’église, qui va jusqu’à la mangeoire et où, dimanche après dimanche, on allumera une nouvelle bougie.

Celui, dans nos vies, d’aventure bien plus que d’Avent. Il suffit de regarder le monde de 2022.
Oser croire, oser Le suivre, oser espérer Son retour, quel drôle de chemin que ce chemin-là.

Et comme parfois je me trouve étrange, si étrangère au monde autour avec tout ça au cœur et pourtant, je suis bien dans ce monde-là, avec tout ça.
C’est drôle, c’est bizarre. D’avoir fait les courses ce samedi après-midi entre les chocolats et les jouets et d’avoir souri à l’enfant qui rêvait en rêvant pour lui d’un truc un peu plus grand encore.
C’est drôle, c’est bizarre. D’avoir préparé des sablés dorés pour régaler mes enfants et amis et d’avoir souri en leur offrant mes biscuits d’Avent sans les gaver de grands discours ni de bons sentiments.
C’est drôle, c’est bizarre. D’avoir préparer mes appréciations et mon conseil de classe de demain soir au creux de mon dimanche, juste à côté de ma crèche, et d’avoir souri en pensant à Lui à chaque encouragement.

C’est drôle, c’est bizarre. Et je souris souvent de ma vie au-dedans qui aimerait coller encore davantage à ma vie au dehors. Et comme j’aimerais parfois ne plus trouver ni drôle ni bizarre que Jésus soit mon meilleur ami.

Cheminer.

On y est. Mes santons sont là, Marie porte ses rondeurs sur un petit âne gris conduit par un Joseph aux allures trop tranquilles.
Ils sont sur le chemin.
Et je vais avancer chaque jour avec eux. C’est sans doute un peu drôle, sûrement un peu bizarre ce chemin-là. Il faudra trouver les mots pour qu’au-delà de la drôlerie, de la bizarrerie, je puisse raconter le bon, le beau, le simplement joli.

à demain.  🙂

 

Encore un…

Encore un Avent, encore un…

Les points de suspension ne lui vont pas bien à cette petite phrase. L’exclamation devrait être de mise tellement ce temps compte, tellement ce temps me nourrit, tellement je l’aime ce temps-là.

Encore un Avent, encore un !

Pourtant l’exclamation sonne un peu faux. Non pas à cause de mon Eglise toujours tourmentée, non pas à cause d’un monde déboussolé, non. Mais parce qu’au creux d’un hiver qui ne ressemblera sans doute pas à ceux de mon enfance, Il viendra de la même façon pourtant.

Sans exclamation.
Dans le silence.
Dans le presque rien.
Sans tambour ni trompettes.

Il viendra entre les paillettes et les chocolats sans qu’on lui prête beaucoup d’attentions, dans les parfums de fête et de dindes aux marrons sans qu’on sache plus très bien qui Il est, et dans les musiques entêtantes des galeries marchandes et des rues animées, saura t’on entendre Sa Voix ?

Mais Il viendra.
Encore une fois.

Encore un Avent, encore un.
Et je L’attends.
J’attends l’attente bien davantage.
Parce que c’est elle qui fait silence, dans le presque rien, sans tambour ni trompettes.

Une fois encore, je vais venir L’attendre ici, avec vous. Et avec une immense joie même si je sais déjà que le temps étriqué me fera parfois regretter ces mots-là.  😉
Mais chaque fois, vous raconter ici un peu de mon Avent, oui, chaque fois, je le sais, cela a été une immense joie.

Cette année, je… Ah… il faut que je vous raconte un petit quelque chose.

Depuis toujours, je L’attends avec la crèche, avec ma crèche, avec les crèches.
Je les aime passionnément.
Celle qu’enfant, j’installais dans du papier froissé comme les roches d’une petite grotte faite pour Lui, celle que plus tard je préparais pour mes propres enfants au pied d’un sapin enguirlandé d’or et de rouge, celles d’autres pays que je découvre chaque fois avec ravissement, celles trop kitsch du trop, celles très émouvantes du peu, celle que mes élèves ont hâte de poser au cœur du collège, celle que mes amis paroissiens installent dans nos églises, celle de Mimi faite de laines de toutes les couleurs, celle que depuis plus de dix ans j’ai le plaisir d’agrandir de santons venus de Bretagne. Oui, je les aime passionnément.

Alors cette année, c’est auprès de mes santons et ceux d’ailleurs peut-être que, chaque soir, je viendrai trouver un peu d’inspiration.

Avec la crèche. Un Avent, encore un.

à dimanche prochain les amis,

Corine