Nos mains

Il y a toujours cette envie de retrouvailles avec l’écriture quand reviennent les temps de l’Avent ou du Carême.

 

Elle existait avant le blog, elle a toujours existé je crois cette envie-là sur mes cahiers de prières ou de “petits mots”. Mais, depuis 10 ans déjà que ce blog existe (avec des pauses et beaucoup d’archives  😉 ), il y a vraiment un rendez-vous que j’aime ici pour partager un peu de Dieu dans nos vies, avec vous.
Et même si en commençant, le vertige de “tenir” 25 ou 40 jours encore me prend rapidement, je crois que j’aime assez ces défis qui égrainent autant de sourires, de “aime”, de couleurs, de vents, de mots… -vos mots aussi- parce que c’est, à chaque fois, du joli au bord de mon chemin.
Parce que, mine de rien, ce chemin me fait grandir.

 

Cette année, comme presque à chaque fois, à peine m’étais-je demandée “mais que dire encore ici que je n’ai déjà écrit”, l’idée m’est apparue.
Peut-être parce que du jeûne qui retient mes mains de trop faire, de la prière qui les fait se rejoindre en croisant mes doigts, de l’aumône qui essaie de les ouvrir aux autres, mes mains, les mains, nos mains sont elles aussi à raconter. De l’imposition des Cendres, croix marquée sur nos fronts par la main du prêtre, jusqu’à Ses mains clouées en croix au soir de Sa Pâque, le Carême me parle d’elles tout le temps.

Alors, je vais venir vous raconter des mains, oh… pas seulement les miennes, surtout celles autour.
Croisées, rencontrées, repoussées peut-être, touchées.

 

Il y a toujours cette envie de retrouvailles avec l’écriture quand reviennent les temps de l’Avent ou du Carême.
Toujours intacte.

au mercredi des Cendres chers amis lecteurs, chères amies lectrices,
à nos mains,

Corine

 

P.S:  Et maintenant que les pistes de lecture audio n’ont plus de secrets pour moi, pourquoi pas quelques témoignages sonores d’amis qui partageront leurs mains  (et pas que des chansons non ! ) si le temps ne me rattrape pas… de ses grandes mains avides.  😉

 

 

Un vieux 45 tours

Il y a des bouts d’enfance qu’on raccommode comme autant de petites pièces d’étoffes un peu déchirées.
Il suffit d’un dimanche, de l’anniversaire d’un homme qui vieillit, de mains tendues, de sourires partagés.
Il suffit de pardons enfouis qu’on veut bien enfin laisser sortir.

 

Il y a des bouts d’enfance qui, raccommodés, ressemblent à un patchwork aux couleurs de la vie qui s’accroche, qui éclate, qui aime.
Et au soir, une vieille chanson qui fait revenir à la surface le tout premier souvenir de Noël, le plus lointain, le plus fort peut-être,
et la voix d’une toute petite maman, à peine sortie de sa propre enfance,
qui essayait de m’apprendre à dire “tintinnabuler” en comptant sur les cinq doigts de ma toute petite main pour ne pas me tromper.

Et un vieux 45 tours que j’ai traîné au long des années.

Sûrement pour garder tout l’amour qu’il y avait dedans.

 

Du sel, de la lumière et un chapelet fluo

Il est des textes d’évangile qu’on connaît bien.

Presque par cœur, presque trop peut-être.
Celui de dimanche dernier par exemple. À entendre les métaphores du sel et de la lumière commentées maintes et maintes fois, on garde le sens, les sens même, le goût du sel, l’éclat de lumière, on les garde oui, mais, souvent, pas beaucoup plus loin qu’un coin de son cœur coincé entre deux pages d’une Bible.

Et parfois il suffit de peu pour que la vie en vrai les éclaire. Un tout petit peu.

Il suffit d’une journée, de celles qui ne payent pas de mine, d’un ordinaire dont on ne se souviendra plus d’ici quelques temps.

Pourtant je crois que ce sont ces jours-là qui font la saveur de nos vies, leur véritable éclat aussi.
Il suffit d’un moment à croiser un témoin qui prolonge par sa manière de vivre selon les Béatitudes l’action de libération et d’enseignement de Jésus telle que les premiers disciples l’ont rapportée.

 

C’était un jour comme celui-ci, à Lourdes.

 

Il y a, à Lourdes, de ces dizaines et dizaines de boutiques qui font dire à certains en colère que les marchands du temple n’ont pas oublié d’être là, à d’autres plus moqueurs que cette piété populaire n’a pas grand chose à voir avec Dieu et qui me font dire à moi, aujourd’hui, que c’est parfois aussi le lieu de beaux instants.
C’était il y a trois ans, finalement je me souviens encore très bien de ce jour ordinaire.
Je m’occupais d’une famille venue en pèlerinage pour la première fois et surtout d’un petit Alizéo âgé de 8 ans.
Quand on est hospitalière, on ne choisit pas “ses” malades mais je crois que Dieu a mis sur sa route ce petit bonhomme et pas par hasard puisque, depuis, nous avons fait un bout de chemin ensemble. Mais ce sera une autre histoire à raconter.

Cet après-midi là, on avait décidé avec Alizéo de sortir du sanctuaire l’espace d’une petite heure pour acheter des cadeaux pour ses parents. Des cartes de Marie et Bernadette, ce qui fut fait. Et un cadeau pour lui.

Mais de cadeaux, en vérité, pour lui, il n’en voulait qu’un seul.

Dans le joli magasin où j’avais décidé de le conduire, une dame s’est posée, avec sa gentillesse et sa patience, juste à côté de lui, pour lui montrer des icônes, des lumignons, des chapelets de bois tous plus jolis les uns que les autres.
– Mais moi, j’aimerais un chapelet de toutes les couleurs.
On y était. Mais pas dans le bon endroit. Le demi-tour vers la première boutique fut vite fait pour contenter le garçon et on est repartis avec son chapelet en plastique fluo et son sourire à embrasser la terre entière.

Il ne me plaisait pas plus que ça ce chapelet de pacotille, vous l’aurez deviné, petit bonhomme qui savait si bien parler de Dieu, je lui voulais quelque chose de “vrai”  et je fus même tentée de lui en offrir un, un autre, un “bien”.

 

C’était sans compter sur le père Vianney qui passait par la chambre du petit avant le dîner.

– Vianney, si tu as un peu de temps, il y a un chapelet à bénir pour Alizéo, enfin un chapelet…

J’ai bien senti, à l’instant où je le disais, que je disais une bêtise et je n’ai plus rien dit.
J’ai simplement regardé la prière du prêtre avec des mots qui respectaient l’enfant qu’il était et que l’enfant comprenait, j’ai bien entendu le disciple laissant là tout son savoir pour se faire proche d’un petit malade, j’ai bien vu le moment de grâce éclairer le regard de cet enfant lorsqu’il a posé autour de son cou “son collier de prières” digne d’une machine à sou, en me disant:
– Le père Vianney m’a dit que Jésus était toujours avec moi, tu sais.

J’ai entendu une jolie histoire à raconter, une histoire de sel et de lumière, d’enfants venus à Lui, d’une pauvre petite Bernadette aussi. Comme ils étaient et non pas, avec ce qu’il conviendrait qu’ils soient.

 

Au départ du pèlerinage, Alizéo m’a fait un cadeau, déposant autour de mon cou un chapelet en plastique fluo.
– Maman a racheté le même pour toi, comme ça toi aussi tu auras le même Jésus que moi.

 

Et c’est étrange parce que moi qui ne prie jamais avec un chapelet, j’en garde quelques-uns, tous précieux, qui me redisent des instants au goût de sel et à l’éclat de Sa Lumière.

 

 

 

 

 

Vieillir

– Mais Jésus alors, il n’a jamais été vieux ?

 

Petite, j’ai détesté Dieu d’avoir laissé son fils mourir.
J’aimais tant Jésus que je l’aurais bien fait vieillir plus que de raison plutôt que de le ressusciter.
Il serait devenu un vieil ami aux cheveux blancs, “couronne d’honneurs”, passant par toutes les étapes de la vie et surtout celles de la vieillesse.
Ma théologie de petite fille s’accommodait bien mal d’un Dieu fait chair qui endosse nos souffrances cloué sur une croix, pour le salut de nos âmes, tout comme elle ne comprenait pas que les trop vieux Adam, Noé, Abraham ou Gédéon avaient eu, eux, le droit aux rides. Et je me souviens encore avoir murmuré “même Job, il a pu vieillir.”
Je ne savais pas très bien la mort je crois, je comprenais la souffrance, j’aimais l’idée de vieillir. Pas celle de mourir trop tôt.

Je souris parfois à la petite fille que j’étais qui osait toujours “mais Dieu il savait très bien la peine et la souffrance et la mort et puis il pouvait le faire ressusciter vieux !”
Là, personne n’essayait plus de m’expliquer laissant au temps le rôle ingrat de me convaincre.
Il le fit.

Pourtant, revient au cœur depuis quelques petites années cette question d’enfant.

– Mais Jésus alors, il n’a jamais été vieux ?

Vieillir.
Le verbe n’a sans doute pas tout à fait le même sens pour chacun d’entre nous.
Je me rends compte qu’il est entré dans mon vocabulaire depuis peu. Il y a trois ou quatre ans peut-être, avec la cinquantaine. J’aurais bien aimé que Jésus soit là avec ses 50 ans, ça m’aurait aidée à comprendre pourquoi on admire les belles vieilles personnes une fois devenues vieilles mais pas les belles personnes qui vieillissent. Ou pourquoi à 20 ou 30 ans, on peut rêver tout haut et plus après. Ou pourquoi on habille les gens de présupposés sur ce qu’ils sont ou pensent dès qu’ils ne sont plus assez jeunes. Et puis, il aurait pu m’expliquer pourquoi l’idée de la mort se fait parfois plus vive aujourd’hui. Plus réelle.

Vieillir.
Je me rends compte que j’aime bien ça finalement. Sincèrement.
J’apprivoise doucement mon corps qui se fait parfois plus lent, plus fatigué.
Je n’aime pas trop les gris encore mais je regarde mes petites rides avec bienveillance.
Je connais bien mes pas, mes gestes, mes manières et je me surprends moins, c’est bon de s’aimer mieux.
Je savoure le temps retrouvé depuis que les enfants ont quitté la maison, toujours présents, tellement présents, mais leurs propres ailes font que l’espace de mes lectures et de mon écriture s’agrandit chaque jour un peu plus. Et c’est doux, après des années à les faire grandir de les voir grands.

Vieillir.
Je me souviens d’Angèle à Lourdes, l’année d’avant sa mort.
– 96 ans ma petite, Dieu exagère, non ? Il sait pourtant combien je L’attends. Mais j’ai tellement de chance de ne rien regretter. Vieillir donne le temps de se préparer.

– Mais Jésus alors, il n’a jamais été vieux ?

Je ne crois pas que je poserai encore cette question aujourd’hui. Je sais que l’ami qu’il est n’a pas d’âge. Ou seulement celui d’aimer.
Je vais souffler mes bougies ce soir.
Un anniversaire encore qui me redit les mots d’Angèle.

Vieillir me donne le temps d’aimer.

 

 

Sans faire de bruit

Ce n’est pas grand chose.

Un petit journal de paroisse glissé dans toutes les boîtes aux lettres. Il fallait que j’écrive cet article sur le Carême. C’est quoi le Carême.
On ne sait pas vraiment qui le lit le petit journal glissé dans toutes les boîtes aux lettres en dehors de nos quelques fidèles paroissiens qui, parfois et toujours de façon très sympathique, s’en font l’écho. Ce n’est pas grand chose, ça ne fait pas de bruit.
Ah et puis, mon voisin aussi je ne suis pas croyant mais comme tu écris, je te lis. Et son bel éclat de rire.

On ne parle pas assez de l’amitié ni de la gentillesse simplement ni des sourires croisés dans nos chemins vers Dieu. On croit souvent qu’il faut des grands discours, des catéchèses du tonnerre, des rencontres étonnantes. Moi, je crois vraiment que les gens loin de l’église peuvent aimer Dieu si nous, imparfaitement peut-être mais un peu quand même, on leur montre que c’est chouette de l’aimer dans les plus petites choses de nos quotidiens.
D’accord, ça ne fait pas venir mon voisin à la messe, ça ne le fait pas croire non plus, enfin c’est ce qu’il me dit. N’empêche, il lit. Je crois que c’est déjà un peu de Dieu dans sa vie.

 

Ce n’est pas grand chose mais j’avoue que lorsque revient l’heure de la rédaction de nouveaux petits articles, j’aime assez ce moment.
Et puisque l’idée était de parler du Carême, j’ai repensé au voisin.
Et je me suis demandée ce que ça voulait dire le Carême pour lui. Sûrement rien du tout.

Rien du tout.Et pour moi tellement. Comment j’allais bien pouvoir faire se rejoindre ce rien et ce tellement ?

Ma feuille est restée blanche avec un petit gribouillis de quelques idées.

C’était hier.

 

 

Ce soir, en rentrant de multiples choses à faire, je me suis rendue compte, un peu tard, que j’avais oublié les œufs pour l’omelette que j’avais prévue pour le dîner. Il y avait bien autre chose mais le prétexte était peut-être là, pour aller sonner à sa porte.
– J’en ai pour 5 minutes, je vais demander à O. s’il peut me prêter des œufs.

Je lui en ai demandé quatre, je suis revenue avec une douzaine. Tout frais pondus, tu peux pas refuser.
Sa femme avait fait une galette, on ne fait qu’en manger, emporte deux parts ! Et elle les emballait avant même que je dise merci.
Et pendant un café parce que tu ne vas pas repartir sans … leur aînée m’a raconté un nouveau livre qu’elle étudiait “tu sais d’habitude je n’aime pas spécialement lire mais tu vois, ça vient…” et un clin d’œil à ses premiers cours de français au collège il y a quelques années, quand je la dépannais sur ses fiches de lecture.  Mais bien sûr qu’on gardera ton chat si vous partez en février !

 

Il m’a fallu un peu plus de 5 minutes.
Une heure plus tard, je déballais ma douzaine, mes parts de galette et même le bouquet de ciboulette et je cassais enfin mes œufs. J’ai fouetté mon omelette. J’avais le cœur tout chaud comme lorsqu’il sort d’un temps de prière ou même, comme après l’envoi du dimanche.

 

 

– Tu vois… je crois que le Carême c’est peut-être ça. Dieu dans nos vies sans rien dire: dans les sourires comme une prière, dans les partages qui rendent heureux. Ça remplit, ça réchauffe, c’est Tout. Sans aucun bruit.

 

J’ai repris ma feuille. J’ai écrit mon petit article.
Un carême, sans faire de bruit.

Une prière

Un jour, j’étais encore enfant, j’ai ouvert une Bible. Une vraie, une épaisse, une “de grande personne”.
Je ne l’ai jamais vraiment refermée depuis.

Et même si j’aime la lire, la partager, la creuser, la traduire, petite chercheuse de ses sens, elle reste le plus souvent dans les creux de mes silences. Et si vous saviez combien elle remplit les espaces.

Alors je fais le rêve parfois, dimanche de la Parole ou pas, que ce jour existe, un jour, pour tant d’autres.

 

 

Il y aura des mots cachés comme des trésors
des mots brisés comme des fêlures
des mots renoncés comme des oublis
de longues patiences et de frêles promesses
des hivers endormis et des réveils d’été
des heures étincelantes et des mémoires brûlantes
des fenêtres closes et des ciels enflammés
des collines familières et des rêves d’ailleurs
et il y aura Ton nom murmuré
Et Ta parole
Vivante.

 

 

Carte de fidélité

-Notre carte de fidélité peut-être ?

Machinalement, elle a posé la question en tapant sur la caisse, mon sourire lui a répondu non, j’ai réglé mes achats, elle m’a souhaité une belle journée.

J’ai rangé mes courses, terminé mes copies et filé ma petite heure de mercredi à l’abbaye.

J’avais besoin de silence pour dire merci.

 

J’aime bien dire merci à Dieu, de plus en plus je crois. C’est le truc que je ne faisais pas tant que ça mais depuis que je me fais des petites listes de mercis, ça réduit la tristesse d’autant. C’est comme si les mercis à Dieu ressemblaient à des bras tendus pour étreindre la vie.

 

Je ne sais trop pourquoi dans ma prière la carte fidélité du magasin est revenue à mes oreilles et ça m’a fait sourire. En vrai, je ne sais pas vous comment vous faites mais moi ma prière elle est pleine de trucs de ma vie qui rappliquent plus vite que mes pensées. Parfois ça déconcentre un chouilla et souvent ça ajoute autant de pardons à mes mercis.

Comme elle était là ma carte de fidélité, j’ai demandé à Dieu ce que ça voulait dire.

Et puis je suis rentrée.

 

J’allais lui préparer une p’tite soirée d’anniversaire alors j’ai compté. 29 ans. C’est balèze 29 ans.
Tiens c’est peut-être ça.
S’agirait pas de faire de grands discours de toute façon je ne les aime pas. Mais ma fidélité c’est peut-être ma volonté mêlée à la sienne. Depuis presque 29 ans qu’on se connaît avec nos failles, nos fissures, nos à peu près.

Mais surtout avec nos mercis, nos s’il te plaît.

Avec tous nos pardons.

Notre carte de fidélité peut-être ?  😉

 

 

 

 

à la vie, à la Vie

Il y a dans l’ordinaire de certains jours comme une lumière plus crue, plus vive, presque plus ardente.
Il y a dans le même temps exactement une lumière plus crue, plus vive, presque plus ardente braquée sur notre humanité, sur ce qui pourrait montrer l’absurde de nos existences.

 

Samedi 18 janvier, 6 h 20 et des poussières
Premier réveil et le sourire de savoir que le temps n’avait pas oublié mon anniversaire de maman et ses 25 ans à Elle, ma petite, ma grande.
7 h 12, je laisse une petite trace.
Je sais exactement où j’étais il y a 25 ans et ce que je ressentais. 7 h 12. Entrée en salle d’accouchement pour la première fois de ma vie. J’avais froid. J’avais peur. J’ai pensé à Marie. Je me sentais minuscule et grande en même temps.
La vie.

Samedi 18 janvier, 8 h 20 et des poussières
Arrivée au collège un samedi, le samedi de nos portes ouvertes. Cela fait plus d’une semaine qu’on prépare, qu’on décore un peu plus, qu’on fait le collège encore plus beau. Petit, étiqueté “catholique”, au milieu d’une toute petite ville rurale. 12 classes. Le difficile, le rude de certaines de leur vie et si souvent le doux pour essayer de vivre vraiment ensemble. L’étonnant presque d’une équipe de profs heureux d’être là. Heureux de pouvoir travailler dans la bienveillance et l’amitié. Et le rêve un peu fou de croire que de petits collèges, de petits lycées, du temps donné, du dialogue en échange d’une vraie reconnaissance, pourraient rendre le visage de l’enseignement aujourd’hui à nouveau souriant. Cela paraît si simple.
Le rêve de ma vie.

Samedi 18 janvier, 12 h 30 et des poussières
J’ai croisé leurs yeux, ceux des futurs élèves, ceux des anciens venus nous saluer, ceux des parents. Cela fait 30 ans que je suis prof. Que vais-je encore donner et recevoir encore ?
La vie.

Samedi 18 janvier, 13 h 50 et des poussières
L’église est pleine à craquer. La plus grande du Maine et Loire après notre cathédrale, au cœur de cette petite ville rurale. Plus de mille visages, des larmes. Dernier adieu pour la maman de cette petite élève, de son frère ancien élève, tatate, soeur, fille, épouse. Le père Jean nous redit l’espérance, les chants, beaux, nous portent, le corps du Christ nous remplit d’amour. Et le dernier mot de l’époux, si simple, si humble. Des mercis pour l’équipe de soins palliatifs et son
   Je t’aime, à plus tard ma chérie.
À la mort, à la Vie.

Samedi 18 janvier, 16 h 30 et des poussières
La petite route de campagne de retour à la maison. Ma prière pour ceux que j’aime, ceux qui me manquent. La cuisine m’attend, ma mousse au chocolat, ma frangipane, les petits toasts, j’enchaîne, je souris, le ciel est bleu. On va fêter son anniversaire. La vie. Le petit mari rentre. Bernard est mort hier soir, tard. Je vais lui rendre visite, je reviens t’aider après… attends-moi.
La mort. la vie. Tout s’enchaîne.

Samedi 18 janvier, 21 heures et des poussières
Nos verres levés, nos surprises, nos sourires. Ses 25 ans. Nos enfants, leurs projets. Nos vies.
À la vie, à la Vie.

 

Au soir d’hier, d’un samedi presque ordinaire de janvier, j’ai ouvert une fois de plus les yeux sur l’indicible.

Il y a dans l’ordinaire de certains jours comme une lumière plus crue, plus vive, presque plus ardente de la présence de Dieu.
Je le sais.
Il est là.

 

Un samedi de la fenêtre de ma classe. La vie s’ouvre sur un nouveau matin.

 

 

 

 

Une p’tite quarantaine

Dimanche, on a attendu que le soir arrive et on a défait Noël, l’arbre, la crèche, la couronne à la porte d’entrée. On a rangé les bougies, les santons, les guirlandes. On a éteint les lumières.

Ce lundi, quand le jour s’est levé, j’ai écouté l’évangile – j’aime bien lire mais pour les évangiles, j’aime peut-être encore davantage les écouter alors je l’ai écouté celui d’aujourd’hui qui disait une parole de mercredi des Cendres. Ça m’a fait sourire. Noël rangé, Pâques reviendra.
Il y a eu l’Avent, il y aura le Carême.
Je n’aime pas beaucoup l’attente je crois mais j’aime beaucoup ces attentes-là.

Et ce calendrier qui chaque année conduit mes pas vers Dieu et jamais de la même façon. Le paradoxe des recommencements qui ne sont pas là pour répéter des habitudes mais pour grossir le cœur de ce qui surprend, s’ajoute, s’enfle. Oui, c’est ça. J’aime ce qu’il peut y avoir de nouveau dans les habitudes. Pas seulement pour Dieu. Dans la vie en entier, c’est pareil.

Alors j’ai plongé dans mon quotidien.
Celui  fait de simple et d’ordinaire, celui qu’on ne prend pas trop la peine de raconter. Loin des bruits parasites, dans le bruit des vies.
Le défilé des jours au collège à être avec eux, au mieux, dans la joie souvent. Le défilé des réunions en paroisse à partager avec une petite communauté, dans la joie souvent. Le défilé des rencontres dans le quartier, dans les rues plus lointaines aussi, le difficile qui m’arrête parfois pour que j’y pose un peu de joie, un peu oui. Le défilé des soirées à la maison riches de nous tous si souvent réunis, et le retour de petite Marie, bientôt, dans la joie, toujours.
Le riche du simple et de l’ordinaire. Le doux des habitudes. Le difficile au creux de quelques heures. La vie, rien de plus.

Et je me suis demandée combien de jours ce temps-là durerait encore. L’ordinaire entre l’Avent et les Cendres.
Un peu plus d’une petite quarantaine…
Oh…comme un tout petit désert empli du presque rien des jours. Un temps sans rien au bout. Un temps fait de lui-même. Et des autres, proches, tout autour.

Et peut-être que ce serait pas mal de le regarder autrement. Une petite quarantaine de jours ordinaires à remplir de Lui, à ne pas attendre de naissance ni de résurrection, à les savoir simplement, et prendre le temps d’entendre sa présence. Ici et maintenant.
Un temps sans rien au bout.
Juste une petite quarantaine d’amour.

à garder

– Madame, on va l’enlever la crèche ?

La phrase était interrogative et ils m’ont attrapée cet après-midi entre deux cours.
On l’avait installée ensemble le temps des récrés du premier lundi de l’Avent. J’ai cru que de la même manière, ils voulaient une  date pour la ranger.

– Oui, oui… on attend que le temps de Noël soit terminé et lundi, on range. Lundi, récré du matin, ça vous va ?

Ils se sont regardés. Exactement comme s’ils avaient quelque chose à me demander.

– On voulait savoir si, une fois qu’on l’aura enlever d’où elle est, si, au lieu de la ranger, on peut la réinstaller le temps du caté de vendredi prochain…enfin pas le décor si vous ne voulez pas, juste les personnages enfin juste Jésus, Marie et Joseph même, ça suffira…

– Et bien…ce ne sera plus Noël et j’ai prévu autre chose…mais…enfin, pourquoi vous voulez la réinstaller ?

– Mais pour notre coin prière de caté ! … Vous nous avez demandé de chercher des idées pour le préparer: on a décidé que garder la crèche et Noël tout le reste de l’année dedans, c’était bien non ? Vous voulez bien ?

 

J’ai souri. J’ai souri à leur bonne idée. J’ai souri à leur ça suffira.
Sans leur dire qu’il y a quelques jours, j’écrivais ici même que je voulais trouver Noël ailleurs.
Je me suis trompée de verbe. De Verbe peut-être même.
Ce sont eux qui ont raison.

Noël n’est pas à trouver.
Noël est à garder.