Refaire un peu de place

 Parce que c’est comme un jardin. Si tu le laisses sans soin, les herbes vont l’envahir… je ne dis pas qu’elles sont nécessairement mauvaises mais elles vont prendre de la place c’est certain et probablement au détriment des plantations qui pourraient donner du fruit. Alors, il faut prendre un peu de temps, chaque année, pour gratter, amender parfois, faire de la place simplement. Oui, simplement refaire un peu de place.

 

Au matin de ce mercredi, savoir que bientôt – deux petites semaines – on rentrera, au soir, avec un peu de cendres sur nos fronts. Ce geste et ces mots et ce temps répétés comme un temps hors du temps, un Carême de plus ajouté à notre pratique démodée, un truc dont plus personne ne parle. Quoique. Dans un temps où les diètes santé, les méditations zen et les partages solidaires sont au rendez-vous, je souris parfois de me dire que le Carême est bien à la mode. Sans le savoir.
Démodé ? à la mode ?
Peu importe en vérité.
Dans ce monde qui marche sur la tête (plus qu’avant ? moins qu’avant ? je n’en sais rien, je sais seulement que c’est mon temps), je voudrais seulement refaire un peu de place à Dieu.
Je lis en ce moment qu’il n’est pas facile d’être catholique ou chrétien en France. Parce que l’intolérance, parce que le père Hamel, parce que des profanations, parce que la laïcité, parce que la pédophilie, parce que les scandales.

Parce que le manque d’amour.

Je ne suis pas entièrement d’accord.
Il m’est encore facile d’être catholique, d’être chrétienne ici.
Bien plus que Lourès et Jenane, mes amis Irakiens.
Bien plus que Sandrine qui se bat en vrai avec ses six enfants et la misère et qui prie Dieu de l’aimer encore un peu.
Bien plus que petite Sarah qui Lui demande de pouvoir vivre comme tous les enfants.
Je ne suis pas d’accord et cela me met en colère souvent même si je sais le rude des jours de mon Église. Je ne suis ni sourde ni aveugle.
Mais j’affiche encore ma petite croix à mon cou et mes cendres comme un bijou.
Aucun risque.

 

Si.

 

Un seul, un vrai.

Celui de laisser tout cela sur ma peau, en surface, sans rien mettre au-dedans.
Celui de ne plus oser dire que je crois en Lui.
Celui d’oublier de vivre de Sa Parole.

Parce que mon cœur est comme un jardin. Il faut que je reprenne du temps chaque année pour gratter, amender, faire de la place à Dieu.
Parce que sans Lui, pas moyen de l’aimer ce monde surtout oui surtout, s’il marche un peu plus sur la tête.

 

Oser

“Vous avez des yeux et vous ne voyez pas.”

Il s’est installé sur la plage, un peu en contrebas, sans doute pour avoir son meilleur profil, celui qui regarde le lointain de l’océan.
Elle, comme toujours, ne posait pas. Elle était là, simplement. Contre vents et marées.


La balade a éloigné leurs pas sur les rochers, j’ai traîné un peu les miens  à l’arrière pour m’approcher de son fascinant étal de “Rembrandt”.
– Oh…vous avez une belle gamme de gris, de bleus, d’ocres…
Après un bonjour poli, nous avons commencé à parler pastels. L’air de rien, il a décliné le pourquoi des nuances de couleur: les humeurs du ciel, les lassitudes des marées, les parfums des soirs et les douceurs des matins.
– C’est ma passion les paysages. Ici, particulièrement. Alors, les couleurs, oui, il en faut. Pour chaque seconde du temps. Différentes.
Il s’exprimait par monosyllabes ponctués de son doigt sur la toile estompant le sable, presque comme un souffle de vent, léger, qui doucement le balaie.
Je prenais une leçon de pastels et de silence.

 

On s’est salués. Au moment de tourner mes pas, quelques mots m’ont retenue encore:
– Vous savez, on ne voit pas, pas assez du moins. Peut-être qu’on oublie de regarder là où il faut. Le pastel oblige à ça, à toutes les nuances. Sinon on passe à côté de ce qu’on veut.

 

Je suis rentrée de la longue balade océane et j’ai posé ses mots dans mon petit carnet.
C’était il y a quelques jours.

Ce matin, en lisant l’évangile du jour, j’y ai repensé. À nos yeux qui ne voient pas. J’ai parcouru l’actualité, rude encore, toujours. Les colères, les lassitudes. Et tout ce que j’aimerais ne pas voir: la bêtise, le racisme, les scandales. L’absence de temps, celui qui pourrait prendre le temps de réfléchir aussi. Davantage. Mieux peut-être.

“Le pastel oblige à ça, à toutes les nuances.”

Comment dire alors les gris clairs, les presque lumineux, les éclatants de certaines de nos belles heures ? Comment oser encore ?

“Sinon on passe à côté de ce qu’on voit.”

Et il avait ajouté ça. Peut-être comme un bout de ma réponse.
– La vérité de ma toile, ce n’est pas seulement ce que je vois, c’est ce que j’ose regarder et peindre.”

 

De l’amour, des bigoudis et Dieu

Je me demande ça, souvent : est-ce que Dieu Il vient là aussi ? Est-ce qu’Il vient entre les parfums des filles, les magazines people et les shampoings au parfum d’amande ?

Sophie, en posant la serviette sur mes épaules, m’a demandé:
– Alors que fait-on pour être belle pour la saint-Valentin?
Bon d’accord c’était le jour. Mais en absolument vrai, le petit tour chez la coiffeuse c’était juste parce qu’on filait en Bretagne juste après et que je n’avais pas eu le temps avant.

Je l’aime bien ma coiffeuse.
Elle garde dans ses mains et dans sa voix un peu de douceur qu’elle nous donne en plus, simplement.
C’est peut-être à cause de Valentin, je ne sais trop, mais il y a eu du joyeux juste après, comme une petite effervescence de confidences entre deux ou trois coups de ciseaux. Simone et ses jolies mèches gris clair sur la tête a commencé à raconter ses presque 60 années de mariée. Margot du haut de ses 20 ans tout neuf a déplacé le sèche-cheveux en lui disant qu’elle faisait drôlement jeune.
– Mais je le suis! Mariée à 18 ans…avec l’autorisation de mon papa, obligatoire!  Tu sais à cette époque on ne vivait pas comme ça… à deux.
La tête sous la mousse, j’ai repensé à cet article un peu propret sur une rencontre en abbaye, aux pubs valentines du jour, aux trucs qu’on affiche pour dire qu’on s’aimait, qu’on s’aime et qu’on s’aimera, aux amies séparées aussi.  Je me suis demandée comment Dieu veillait sur nous toutes, et nos mariages, et nos amours, et nos vies comme elles sont, et est-ce qu’Il était là, maintenant, entre les parfums, les magazines et les shampoings ?

À ce moment-là, Pauline est arrivée avec sa trentaine joyeuse et le petit resto du soir à raconter avec son amoureux.
Simone a souri.
– Vous savez quand j’ai rencontré mon époux, on n’avait pas grand chose surtout pas de quoi aller au restaurant pour fêter notre anniversaire de mariage …
C’est joli de dire époux surtout comme elle l’a dit Simone, en appuyant sur la dernière syllabe comme pour le rendre plus doux.
– … alors on préparait un peu plus à la maison pour le dîner et je me coiffais bien, avec des bigoudis sur la tête tout l’après-midi… Marcel remettait son costume, et c’était bien.

Je ne sais pas si Dieu était là, entre nos parfums, nos magazines et nos shampoings.
N’empêche. Maintenant, je suis certaine qu’Il sait que les bigoudis, ça va un peu avec l’amour.

 

Le goût des Lettres

Et revenir aux premières amours des archives de ce blog: oser raconter les lectures et les films, comme je les lis, comme je les vois et toujours – et seulement- comme je les aime.

 

Madeleine m’a redonné le goût des lettres.

C’était un gros cadeau de Noël. J’ai senti en retirant le papier qui l’enveloppait que l’épaisseur aurait quelque chose à y voir.

Deux gros tomes de Lettres, avec la majuscule qui distinguerait le genre de l’écriture. Pourtant, du presque minuscule. Rien d’exceptionnel au commencement. Du quotidien, des mots d’amie, des nouvelles de sa santé, de son travail, de ses études, de sa famille. La correspondance de Madeleine Delbrêl n’a pas la puissance d’un témoignage religieux, théologique, mystique, non. Ses Lettres ont le goût de ces petits riens qu’on peut écrire dès le plus jeune âge, puis celui des confidences d’une jeune fille jusqu’aux premiers engagements d’une femme. Rien d’exceptionnel dans cette écriture simple aussi, parfois même maladroite de simplicité, et qui peu à peu pourtant trouve des mots pour dire Dieu.
Et c’est peut-être justement ce qui m’a plu.
Le simple du quotidien livré sans ambages, non pour être publié mais lu par des amis. J’ai lu les lettres de Madeleine Delbrêl comme on lirait les lettres d’une amie.
Je trouve toujours ça étonnant la lecture d’une correspondance. Ce n’est pas un genre que j’affectionne en réalité peut-être parce que justement, la sphère de l’intime qui les entoure est dévoilée au grand jour, presque sans filtre. Mais les mots de Madeleine m’ont emportée avec elle pourtant.

Il y avait bien de l’épaisseur.

Pas celle des 700 pages sorties d’un joli papier-cadeau et dévorées en peu de jours mais l’épaisseur d’une Foi, imperceptible, puis bavarde et enfin, étonnamment racontée.

Une dernière chose. La lecture terminée, j’ai pris mon papier à lettres – celui que je n’utilise plus ou, plus exactement, seulement pour écrire à Soeur Natalie qui refuse de me lire “par mail”.
J’ai repris mon papier à lettres, posé les lignes noires derrière la première page blanche, et écrit avec la lenteur de l’encre des nouvelles à une lointaine amie.
J’ai reçu sa réponse aujourd’hui. Une lettre bleu pâle qui m’a fait sourire.

“Madeleine m’a donné envie de te répondre à mon tour, sur un vieux bloc aux couleurs adolescentes, pardon,… et tu sais, j’ai acheté “Éblouie par Dieu” : c’est comme des confidences d’amour ce livre-là.”

De la farine et de l’eau

“Je prie dans ma cuisine.”
C’était juste, c’était beau. Dans la bouche d’une Grand-mère qui faisait valser les ronds de soleil dans sa crêpière, dans le silence d’un matin, c’était le vrai de Dieu, assis juste à côté de la cuisinière sûrement, à l’écouter chanter des psaumes.

Je prie dans ma cuisine.
Petite, les mains dans la farine, je crois que mon silence, entre le bord de l’évier et le vaisselier, parlait un peu à Dieu. J’ai oublié l’endroit jeune fille et préféré l’aventure des mots dans les livres. J’ai évité l’endroit jeune femme mais dis, à trop en faire tu pourrais oublier d’être moderne. J’ai partagé l’endroit jeune mariée parce que dis, il peut bien faire la cuisine lui aussi. J’ai retrouvé le chemin de ma cuisine jeune maman à vouloir leur faire danser des ronds de soleil dans ma crêpière. Comme elle.
Je ne l’ai plus quittée sans quitter pour autant les mots de mes livres, le moderne je m’en fiche, le partage avec le p’tit mari.

Je prie dans ma cuisine et j’aime ça.
Il suffit d’un peu de temps, d’un peu de farine et d’un peu d’eau. Le silence du matin c’est bien aussi. On peut ajouter le sucré d’un après-midi parfois. Ou même l’après-midi tout entier à épicer un dîner pour des amis.

Je prie dans ma cuisine et j’aime l’endroit pour entendre ce qu’Il peut bien me dire.
Trop, pas assez, parfait. Les ingrédients…
Laisser là la métaphore.
Ne rien dire.
Casser, battre, mélanger, étirer, fouetter, faire des verbes des temps volés au temps, des petites prières en suspens.
De la farine, de l’eau. Presque rien.
Je prie dans ma cuisine. Je L’entends, là aussi.
Il est assis sur le bord de l’évier sûrement, à m’écouter fredonner Ses mots.
Et c’est bien.

Petite prière de rien

Il suffit d’ouvrir la porte peut-être un peu plus que d’habitude, poser un pied au dehors, se rappeler les parfums de la terre et avancer sur le chemin.
Il suffit de regarder au loin peut-être un peu plus loin qu’hier, puis s’agenouiller au plus près, salir ses mains posées sur la terre mais on s’en fiche on est drôlement bien.

Se rappeler un petit garçon qui disait qu’avec le mot aimer on écrit merci rien qu’en ouvrant les bras … de son petit “a”.

Et dire merci sans rien dire.
Sourire.

Premier crocus
la vie renaît           toujours.

 

Laisser pour aimer

“Laissant tout, ils le suivirent.”
Parfois je ne comprends pas bien Dieu.
En vrai, ça me fait plutôt sourire aujourd’hui parce que c’est la même question que lorsque j’étais petite. La même. Exactement.
Ce n’est pas la pêche miraculeuse, ce n’est pas Simon-Pierre à genoux, ce n’est pas le grand effroi de ceux qui étaient là qui m’impressionnaient dans cet évangile, non.
C’était le “tout” qu’ils laissaient pour Le suivre.

Je me souviens très bien de l’image de mes évangiles d’enfant qui interrogeait la petite fille. Leurs ombres sur le chemin, leurs corps qui partent ailleurs.

– Mais comment ils peuvent TOUT laisser ? Leurs parents, leur métier, leur ville.
Et je ne comprenais pas bien Dieu.
Peut-être bien que je trouvais qu’Il en demandait beaucoup.
Beaucoup trop.

 

On a pris la route un peu tôt ce premier dimanche de vacances pour retrouver les vieux amis, ceux d’il y a longtemps, ceux qui ont vu grandir nos enfants et dont les enfants maintenant sont grands. Vous savez, il y a toujours une petite place pour Dieu dans mes voyages, je ne sais pas trop pourquoi mais je crois que la voiture, c’est un truc qu’Il aime bien pour prendre sa place dans mes pensées, dans mon cœur un peu aussi.
Alors j’ai filé vers les amis avec les images des bords du lac et des filets et de leur chemin dans ma tête.
Et puis il y a eu la belle table de Flo, le bon vin de Philippe, les fous rires de Christophe, les sourires d’Isabelle, le bel humour d’Edouard, les histoires de Laurent et de Marie. Nos vies d’aujourd’hui, nos joies, nos gris aussi, les nouvelles de tous nos “petits”.
Et nos souvenirs.
On s’est rappelés les grands soleils d’été, les longues balades, les excursions improbables et nos enfants dedans tout le temps. Presque tous partis aujourd’hui de nos maisons, à construire leur vie ailleurs. Et le projet encore de les rassembler tous pour arrêter un peu le temps qui ne cesse d’avancer. Revivre encore tous ensemble et avec eux encore un de ces temps qu’on a aimés.
Avec nos enfants tout le temps.
On a repris la route, gorgés du bon de tout ce qui est partagé. Simplement.

– Mais comment ils ont pu TOUT laisser ?
J’interrogeais encore Dieu au gré de la route du retour. Quand pour la première fois, je crois, j’ai aperçu un bout de réponse.
J’ai repensé à nos histoires d’amis, nos vies, les détours et les heures croisées, toutes celles qui nous ont fait avancer, comme on a pu. Et nos enfants avec, avec nos enfants tout le temps, nos enfants qui prennent aujourd’hui d’autres chemins.
J’interrogeais Dieu au gré de la pluie du retour.
Ce “tout” c’était ce qu’ils connaissaient, Pierre et Jacques et Jean, ce qui les avait fait grandir un peu, ils l’ont quitté pour vivre leur vie, celle d’un amour à vivre, avec Lui. Leur chemin.

Ils n’ont pas “tout” laissé non: ils ont “tout” laissé pour.
Comme nos vies qui avancent pour, nos enfants qui partent pour, ce qu’on laisse pour. Vivre, aimer, vivre encore.

“Laissant tout, ils le suivirent”. Pour aimer.