Du sel, de la lumière et un chapelet fluo

Il est des textes d’évangile qu’on connaît bien.

Presque par cœur, presque trop peut-être.
Celui de dimanche dernier par exemple. À entendre les métaphores du sel et de la lumière commentées maintes et maintes fois, on garde le sens, les sens même, le goût du sel, l’éclat de lumière, on les garde oui, mais, souvent, pas beaucoup plus loin qu’un coin de son cœur coincé entre deux pages d’une Bible.

Et parfois il suffit de peu pour que la vie en vrai les éclaire. Un tout petit peu.

Il suffit d’une journée, de celles qui ne payent pas de mine, d’un ordinaire dont on ne se souviendra plus d’ici quelques temps.

Pourtant je crois que ce sont ces jours-là qui font la saveur de nos vies, leur véritable éclat aussi.
Il suffit d’un moment à croiser un témoin qui prolonge par sa manière de vivre selon les Béatitudes l’action de libération et d’enseignement de Jésus telle que les premiers disciples l’ont rapportée.

 

C’était un jour comme celui-ci, à Lourdes.

 

Il y a, à Lourdes, de ces dizaines et dizaines de boutiques qui font dire à certains en colère que les marchands du temple n’ont pas oublié d’être là, à d’autres plus moqueurs que cette piété populaire n’a pas grand chose à voir avec Dieu et qui me font dire à moi, aujourd’hui, que c’est parfois aussi le lieu de beaux instants.
C’était il y a trois ans, finalement je me souviens encore très bien de ce jour ordinaire.
Je m’occupais d’une famille venue en pèlerinage pour la première fois et surtout d’un petit Alizéo âgé de 8 ans.
Quand on est hospitalière, on ne choisit pas “ses” malades mais je crois que Dieu a mis sur sa route ce petit bonhomme et pas par hasard puisque, depuis, nous avons fait un bout de chemin ensemble. Mais ce sera une autre histoire à raconter.

Cet après-midi là, on avait décidé avec Alizéo de sortir du sanctuaire l’espace d’une petite heure pour acheter des cadeaux pour ses parents. Des cartes de Marie et Bernadette, ce qui fut fait. Et un cadeau pour lui.

Mais de cadeaux, en vérité, pour lui, il n’en voulait qu’un seul.

Dans le joli magasin où j’avais décidé de le conduire, une dame s’est posée, avec sa gentillesse et sa patience, juste à côté de lui, pour lui montrer des icônes, des lumignons, des chapelets de bois tous plus jolis les uns que les autres.
– Mais moi, j’aimerais un chapelet de toutes les couleurs.
On y était. Mais pas dans le bon endroit. Le demi-tour vers la première boutique fut vite fait pour contenter le garçon et on est repartis avec son chapelet en plastique fluo et son sourire à embrasser la terre entière.

Il ne me plaisait pas plus que ça ce chapelet de pacotille, vous l’aurez deviné, petit bonhomme qui savait si bien parler de Dieu, je lui voulais quelque chose de “vrai”  et je fus même tentée de lui en offrir un, un autre, un “bien”.

 

C’était sans compter sur le père Vianney qui passait par la chambre du petit avant le dîner.

– Vianney, si tu as un peu de temps, il y a un chapelet à bénir pour Alizéo, enfin un chapelet…

J’ai bien senti, à l’instant où je le disais, que je disais une bêtise et je n’ai plus rien dit.
J’ai simplement regardé la prière du prêtre avec des mots qui respectaient l’enfant qu’il était et que l’enfant comprenait, j’ai bien entendu le disciple laissant là tout son savoir pour se faire proche d’un petit malade, j’ai bien vu le moment de grâce éclairer le regard de cet enfant lorsqu’il a posé autour de son cou “son collier de prières” digne d’une machine à sou, en me disant:
– Le père Vianney m’a dit que Jésus était toujours avec moi, tu sais.

J’ai entendu une jolie histoire à raconter, une histoire de sel et de lumière, d’enfants venus à Lui, d’une pauvre petite Bernadette aussi. Comme ils étaient et non pas, avec ce qu’il conviendrait qu’ils soient.

 

Au départ du pèlerinage, Alizéo m’a fait un cadeau, déposant autour de mon cou un chapelet en plastique fluo.
– Maman a racheté le même pour toi, comme ça toi aussi tu auras le même Jésus que moi.

 

Et c’est étrange parce que moi qui ne prie jamais avec un chapelet, j’en garde quelques-uns, tous précieux, qui me redisent des instants au goût de sel et à l’éclat de Sa Lumière.

 

 

 

 

 

Sans faire de bruit

Ce n’est pas grand chose.

Un petit journal de paroisse glissé dans toutes les boîtes aux lettres. Il fallait que j’écrive cet article sur le Carême. C’est quoi le Carême.
On ne sait pas vraiment qui le lit le petit journal glissé dans toutes les boîtes aux lettres en dehors de nos quelques fidèles paroissiens qui, parfois et toujours de façon très sympathique, s’en font l’écho. Ce n’est pas grand chose, ça ne fait pas de bruit.
Ah et puis, mon voisin aussi je ne suis pas croyant mais comme tu écris, je te lis. Et son bel éclat de rire.

On ne parle pas assez de l’amitié ni de la gentillesse simplement ni des sourires croisés dans nos chemins vers Dieu. On croit souvent qu’il faut des grands discours, des catéchèses du tonnerre, des rencontres étonnantes. Moi, je crois vraiment que les gens loin de l’église peuvent aimer Dieu si nous, imparfaitement peut-être mais un peu quand même, on leur montre que c’est chouette de l’aimer dans les plus petites choses de nos quotidiens.
D’accord, ça ne fait pas venir mon voisin à la messe, ça ne le fait pas croire non plus, enfin c’est ce qu’il me dit. N’empêche, il lit. Je crois que c’est déjà un peu de Dieu dans sa vie.

 

Ce n’est pas grand chose mais j’avoue que lorsque revient l’heure de la rédaction de nouveaux petits articles, j’aime assez ce moment.
Et puisque l’idée était de parler du Carême, j’ai repensé au voisin.
Et je me suis demandée ce que ça voulait dire le Carême pour lui. Sûrement rien du tout.

Rien du tout.Et pour moi tellement. Comment j’allais bien pouvoir faire se rejoindre ce rien et ce tellement ?

Ma feuille est restée blanche avec un petit gribouillis de quelques idées.

C’était hier.

 

 

Ce soir, en rentrant de multiples choses à faire, je me suis rendue compte, un peu tard, que j’avais oublié les œufs pour l’omelette que j’avais prévue pour le dîner. Il y avait bien autre chose mais le prétexte était peut-être là, pour aller sonner à sa porte.
– J’en ai pour 5 minutes, je vais demander à O. s’il peut me prêter des œufs.

Je lui en ai demandé quatre, je suis revenue avec une douzaine. Tout frais pondus, tu peux pas refuser.
Sa femme avait fait une galette, on ne fait qu’en manger, emporte deux parts ! Et elle les emballait avant même que je dise merci.
Et pendant un café parce que tu ne vas pas repartir sans … leur aînée m’a raconté un nouveau livre qu’elle étudiait “tu sais d’habitude je n’aime pas spécialement lire mais tu vois, ça vient…” et un clin d’œil à ses premiers cours de français au collège il y a quelques années, quand je la dépannais sur ses fiches de lecture.  Mais bien sûr qu’on gardera ton chat si vous partez en février !

 

Il m’a fallu un peu plus de 5 minutes.
Une heure plus tard, je déballais ma douzaine, mes parts de galette et même le bouquet de ciboulette et je cassais enfin mes œufs. J’ai fouetté mon omelette. J’avais le cœur tout chaud comme lorsqu’il sort d’un temps de prière ou même, comme après l’envoi du dimanche.

 

 

– Tu vois… je crois que le Carême c’est peut-être ça. Dieu dans nos vies sans rien dire: dans les sourires comme une prière, dans les partages qui rendent heureux. Ça remplit, ça réchauffe, c’est Tout. Sans aucun bruit.

 

J’ai repris ma feuille. J’ai écrit mon petit article.
Un carême, sans faire de bruit.

Un truc très bien

Elle a 12 ans, bientôt 13.
C’est la première fois qu’elle franchit les portes d’un monastère de Bénédictines comme la plupart des jeunes qui le temps d’une moitié de week-end, chaque année, m’y accompagnent.
Je pourrais encore raconter leur belle curiosité, leurs sourires et leur mots simples et spontanés.
La sienne aussi.
Mais je ne ferais que me répéter, répéter le joli de ces moments, leur précieux. En vrai, ces jeunes croisés en caté au bout de chaque semaine, petits dans leur chemin avec Dieu, me grandissent à chaque fois. Ce sont leur curiosité, leurs visages et leurs mots qui me donnent à aimer toujours un p’tit peu plus, et même souvent un p’tit peu mieux.

Elle a 12 ans, bientôt 13.
C’est la première fois qu’elle franchit les portes d’un monastère. Elle découvre qu’entre la salle à manger et la cuisine de notre logis situé dans une aile du monastère, il y a un passe-plat. Elle apprend ce mot inconnu d’elle jusque-là, elle répète la définition: petite porte qui l’amuse beaucoup et donne au moment de préparer le dîner un petit air hors du commun. Elle s’amuse avec les autres à l’idée de passer les plats d’un côté à l’autre sans avoir à changer de pièce. Je vous l’ai dit, ce sont des enfants. En vérité, souvent, ils me disent, au-delà de l’amusement, que c’est juste drôlement pratique. Comme elle qui, cette fois, m’assure que c’est vraiment un “truc très bien”.

 

À la fin de la messe ce matin et en attendant le repas pris en silence avec les Sœurs, nous avons trouvé le temps de nous partager nos impressions. La beauté de la chapelle encore, découverte aux Laudes, la harpe de Sœur Claire, la communion au pain et au vin.
Chacun y va de sa remarque, de ses mots et de ses questions.
Elle s’approche un peu plus de moi avec la sienne.
– Madame… c’est super, il y a aussi un passe-plat pour les hosties…!

Un peu étonnée.
Puis le sourire.
Un grand sourire.

Mon grand sourire quand je réalise très vite que dans la chapelle, le prêtre s’approche toujours du tabernacle en se déplaçant vers le mur, là où une jolie petite porte en forme de grain de blé – qu’on ne voit pas de nos places- , jolie petite porte ouverte dans ce mur de droite, et de là, il en ressort les hosties comme si on venait de lui “passer” la nourriture, comme s’il y avait quelqu’un de l’autre côté. Comme si la porte du tabernacle n’était autre que celle d’un passe-plat, à l’identique de celui de la salle à manger de notre logis.

Elle a 12 ans, bientôt 13.
C’est la première fois qu’elle franchit les portes de ce monastère. Je lui raconte le tabernacle. Elle s’excuse presque, bien sûr qu’elle connaît mais ça ne ressemble en rien à celui de son église, là où elle va parfois.
Elle sourit.
– C’est vraiment “un truc très bien” aussi, pardon de m’être trompée.

Et moi, quand même, de lui dire que l’idée n’était pas si saugrenue.
Non.  Pas saugrenue du tout l’idée que Dieu s’offre en nourriture dans la simplicité d’un repas, dans ce qu’il y a de plus quotidien et de plus essentiel de nos vies.

Un repas.
Un truc très bien en somme.  😉

Clin Dieu

Il y avait ce bonhomme d’une dizaine d’années je crois à la messe ce matin. A côté de moi et de sa mamie qui lui racontait, avant le début de l’office,  son arrière-arrière-arrière grand-père, né en 1879.
– Mais s’il était mort à la guerre avant d’être papa, je n’existerai pas alors ?
– En effet…
– C’est vraiment moche la guerre, ça empêche à des gens de naître et de vivre et d’être heureux même !

 

 

Petit silence.
La mamie me sourit, se penche à l’oreille de l’enfant, l’embrasse pendant le geste de paix.
– Alors, n’oublie pas d’être heureux.

 

Y a bien un “h” à historique ?

– M’dame, y a bien un”h” à historique ?
De toutes les questions d’élèves sur l’orthographe, celle-ci m’est restée comme l’empreinte d’un de mes plus jolis souvenirs.

 

J’avais  22 ans.
C’est drôle de commencer un billet comme ça. Je me rends compte que de tous les témoignages que j’ai lus et entendus ces derniers jours sur la chute du mur de Berlin, les gens commencent à en parler en disant quel âge ils avaient et ce qu’ils faisaient précisément ce jour-là.
J’avais 22 ans et je ne sais pas si l’âge a quelque chose à voir avec les histoires qui nous marquent. Sans doute.
En novembre 1989, pendant qu’une page de l’histoire tombait – littéralement- moi j’en commençais tout juste une. Mon histoire avec mon métier de prof. Alors la chute du mur, pour moi, garde toujours cette saveur-là. Et celle du “h” à historique.

J’ai fait mes premiers pas dans un lycée et je me suis retrouvée à 22 ans devant des élèves de Première qui pour certains – parce que leurs parcours avaient été difficiles – n’avaient que quelques années de moins que moins, quatre seulement pour cette jeune fille.
Sarah.
Paradoxalement, cela ne rendait pas les chose difficiles. J’étais la professeure, elles les élèves. Il n’y avait que des filles dans cette filière-là. Et une confiance, une belle confiance réciproque.
Fin septembre, Sarah n’est pas revenue en classe après seulement deux semaines passées au lycée.

Avec sa classe, un petit effectif, mes débuts se passaient plutôt bien: ces jeunes filles avaient toutes l’envie de se sortir d’un collège pas toujours heureux et avaient surtout en ligne de mire un baccalauréat qui leur donnerait la clé de leur avenir. Moi, je démarrais et je n’avais qu’une envie: leur donner la possibilité de passer le bac de français sans trop d’encombre. Les préparer à l’épreuve fut un vrai et beau défi à relever. Je fus soutenue par mes collègues qui auraient presque tous pu être mon père ou ma mère. Ce fut une année extraordinaire de partages et d’amitié.

Pour Sarah aussi.

Début novembre, le jour de la chute du mur, Sarah a mis au monde un petit garçon. Elle est revenue en classe au printemps, a passé l’oral et l’écrit du bac, a obtenu son bac l’année suivante. Je me souviens de la maman de Sarah, une maman courage qui l’a aimée au-delà de toutes les blessures et difficultés.

 

Une semaine après la chute du mur, je me souviens que la classe avait écrit une carte, enveloppé la layette qu’elles avaient achetée en cadeau à la fin d’un de mes cours. Je me souviens que Fatia avait écrit: “C’est un beau jour…historique! Cela te portera chance” en me demandant “M’dame, y a bien un “h” à historique ?”
Je me souviens surtout de la gentillesse de toutes.
Je me souviens des murs qui peu à peu tombaient aussi pour Sarah.

La vie a continué depuis 30 ans. D’autres murs sont tombés, d’autres se sont construits. Dans l’Histoire, dans nos histoires, dans ma vie aussi.
J’ai gardé de Sarah l’envie de toujours être prof parmi tous.
J’ai gardé de Fatia mon amour pour leur orthographe approximative.
J’ai gardé de la chute du mur de Berlin une anecdote, une poussière de vie comme j’aime les ajouter à ma vie et qui me donne l’audace de toujours sourire.

 

Une quinzaine d’années plus tard, j’ai appris que Sarah s’était mariée et qu’elle était devenue infirmière-anesthésiste, qu’elle était maman de deux autres petits garçons. J’ai eu d’autres nouvelles il y a peu. Sarah va toujours bien.
Elle a marié son garçon de 30 ans l’été dernier.

               Crédit Reuters

Ce n’est pas très sérieux

Ce n’est pas très sérieux un début de novembre qui écrit la liste des santons à commander cette année pour agrandir ma crèche bretonne, qui descend au sous-sol pour aller chercher la boîte bien rangée, qui l’ouvre doucement juste pour vérifier si celui-ci, je ne l’ai pas déjà.
Ce n’est pas très sérieux juste avant la messe des Défunts de sourire et de rire et de bavarder autour d’un thé, de retrouver Anne-Priscille, et tant à se raconter, on fait bien de continuer à aimer il n’y a rien de mieux à faire.
Ce n’est pas très sérieux juste après la messe au soir d’un samedi de tempête de tracer la route pour partager avec les cousins des bords de l’océan un dîner plein de joyeux souvenirs d’enfance, de vacances, de visages jamais oubliés.
Ce n’est pas très sérieux de préparer ses cours un dimanche après-midi tout feutré, de corriger les dernières copies devant le feu, d’écouter encore une vieille playlist au goût d’insouciance et puis d’inventer de nouvelles histoires à leur raconter, demain.
Ce n’est pas très sérieux d’écrire encore.
Ce n’est pas très sérieux de croire.
Ce n’est pas très sérieux d’aimer.
Ce n’est pas très sérieux la vie.

 

Ça doit être le soleil

J’avais tout préparé avant. Le menu, quelle nappe, j’aurais même le temps de couper les derniers hortensias encore bleus. La cuisine dans cette toute fin d’après-midi de septembre sentait presque le parfum des vacances. Ça doit être le soleil. Il a sorti une bonne bouteille. Il a ouvert en grand, redonné un petit coup d’aspirateur au-dedans des murs si souvent enfermés. J’ai dressé la table, déposé mes fleurs. J’ai  souri. Parfois je souris en regardant la vie, celle que l’on touche à fleur de peau, celle qui ne fait pas de bruit, celle qui ne se rend pas intéressante.

J’avais pensé à tout avant. Les questions que je lui poserai encore, les projets, on aura le temps de parler de Dieu. Evidemment. Le repas, c’est drôle un repas. On est bien ensemble et on dirait que toutes les paroles sont possibles en vrai. Presque toutes. Puis on oublie ce qu’on avait prévu de se dire, ce n’est plus si important, l’essentiel est là de toute façon dans le fil de nos mots, dans nos silences aussi. On est d’accord dans un sourire, et on ne l’est pas avec des paroles qui jamais ne font mal. Jamais.

Il est reparti à pied, la nuit était déjà là, depuis longtemps. Ce n’est pas parce qu’il est prêtre que j’ai pensé à Jésus, oh non; c’est parce qu’il est notre ami. Et je crois que ça devait ressembler à ça l’amitié avec Lui. On a laissé un peu la porte ouverte, accompagné l’ombre au détour de la rue. Il est tard et il fait bon encore ce soir. Ça doit être ce soleil.

 

Au matin encore tôt, les miettes à balayer, le vent frais a réveillé doucement l’espace et les mots auxquels on repense, c’est étrange, on dirait qu’ils  restent un peu eux aussi autour de la table. Il a repassé un petit coup d’aspirateur. J’ai souri. J’ai souri de ce monde qui me dit comment je devrais faire, quelle femme je devrais être, ce qu’il serait bon de penser. J’ai souri parce que c’est la vie qui me le dit. J’ai fredonné “besoin de personne”, allumé ma playlist. Jean-Jacques a repris “filles faciles”. Les chansons parlent toujours mieux que moi. Surtout quand il fait beau. Ça doit être le soleil.

 

Et je me suis dit que c’était sûrement ça, un  ami qui vient s’asseoir à notre table, c’est le temps qui s’arrête, qui se repose, peut-être même qui se donne une raison d’être. Et puis cette joie là, discrète, qui n’a rien de l’éclatant d’un extraordinaire instant, non, mais qui nous rendrait presque meilleur. Oh… mais ça doit être le soleil.
Juste le soleil.

 

Ma petite douzaine

Ma petite douzaine. Je leur ai déjà trouvé ce petit nom. Je n’ai pas osé davantage.  😉

Douze c’est peu, au milieu des plus de 90 de leur âge, douze à oser, douze cette année. Douze à emmener faire un bout de chemin de caté.
Bien sûr on laissera notre porte ouverte, peut-être qu’au fil des vendredis, d’autres oseront. Douze c’est peu. Douze quand même.

Petit collège, “catholique” écrit quelque part dans son histoire, sur son fronton comme une simple volonté d’être là pour tous, universel au milieu d’un petit bout de campagne qui même si elle remplit davantage qu’ailleurs son église le dimanche, ne va plus beaucoup au caté.

On ne va plus au caté, on ne va plus à l’église mais je crois bien que Dieu est dans leurs vies autrement. Comment ? Pas de réponses toute faites mais ces sourires, ces mains tendues, ces idées pour être là, pour aider, ces silences en forme de petite prière ça doit bien compter non ?
Comment ?

F., du haut de ses presque douze ans, a peut-être raconté un bout de ce comment vendredi.

” J’allais au caté quand j’étais petit…je faisais même un peu le bazar, je n’aimais pas ça, je m’en fichais…la messe, quand on y allait je trouvais ça long, ça ne me faisait rien à part m’ennuyer. Et puis il y a eu cette année-là où j’ai perdu cinq membres de ma famille. Cinq la même année.”

Mes onze écoutaient.
On peut la voir parfois, l’apercevoir du moins, la véritable écoute dans leur tête juste penchée, dans leurs yeux qui attendent, dans leurs mains qui s’arrêtent.

“Cinq…on se dit ce n’est pas possible. Voilà. Je ne sais pas trop mais après tout ça, je me sentais bien quand on allait à l’église. Après oui, j’ai bien aimé venir au caté.”

Mes onze écoutaient encore. Le silence encore.
Et puis l’un d’entre eux a pris la parole.

” Alors, ça te faisait du bien ?”

” Oui. Mais autre chose aussi… ça me disait surtout des mots qui font du bien.”

 

Ma petite douzaine. Je leur ai  trouvé ce petit nom. On a commencé la route ensemble vendredi.

On a déjà fait un joli bout de chemin.

 

 

 

Le temps d’une bière et d’un carré de chocolat

 

 

Je me demande souvent où et quand Dieu nous rejoint, nous entend, nous écoute. Souvent aussi, j’ai l’impression que je parle dans le vide, non pas qu’Il n’est pas là mais je ne suis pas certaine de comprendre sa réponse. C’est difficile de comprendre le silence.

 

 

Et parfois, il se passe un joli truc.

On y était hier, sur les bords de la Loire, la nôtre, celle qui coule près de chez nous. On avait emporté le saucisson, les rillettes et le pain. Les serviettes à carreaux rouges et blancs. Je crois que j’aime bien planter ce décor, il y a du simple et du désuet, une caricature du joli peut-être mais peu importe, il y a définitivement un sourire à la vie. Il faisait grand soleil et en longeant le quai pavé, on s’est dit que le banc à l’ombre de l’église ce serait bien pour déjeuner. C’était bien. Il y avait la douceur du temps, celui qui hésite entre les vacances et la rentrée. La douceur, elle était bien là, vraiment. Et un petit vent léger.

 

Je suis restée un tout petit moment seule. Le temps que les enfants se dégourdissent les jambes près de la rive. Je les ai suivis du regard un instant puis ils ont disparu. J’ai tranquillement terminé ma bière – légère comme le vent – , cassé un carré de chocolat puis j’ai levé le nez. Le soleil a fait un clin d’œil à mon appareil. Je l’ai reposé et je ne sais absolument pas pourquoi , à cet instant-là, très précisément,  j’ai pensé à Domi que je n’ai pas revue depuis mon retour. Domi une ancienne collègue d’il y a très longtemps. C’est drôle de penser à quelqu’un sans savoir comment la pensée est arrivée là.

Les enfants sont revenus vers moi, on est rentrés à la maison tranquillement.

 

Ce matin, les courses m’ont fait croiser des visages connus, revenus, certains bronzés. Des sourires à retrouver, avec leurs anecdotes et leurs nouvelles.
– Avant hier, nous avons revu Domi…elle va bien…. en rémission depuis la fin juillet, lui a dit son médecin. C’est chouette non ?
Le hasard – le hasard ?- d’une connaissance commune.

 

Je suis restée un tout petit moment seule. Une pensée bien plus qu’une prière, au pied d’une vieille église d’un bord de Loire, entre une bière et un carré de chocolat.
Je me demande souvent où et quand Dieu nous rejoint, nous entend, nous écoute.

Souvent, Il me surprend à être là, à être où je ne l’attendais pas.

    

 

 

 

 

13 minutes et des poussières

Il y a des moments très jolis. De tout petits instants.
 Ma petite Marie, aujourd’hui et au hasard de son ordinateur, dans les dédales de fichiers qu’on range sans les ouvrir très souvent, a retrouvé des photos oubliées de vacances en Bretagne.
Mes enfants adolescents. Leurs rires. Leurs bons mots. Leur complicité.
Et une petite vidéo. Un peu longue quand même.
13 minutes et des poussières.

13 minutes et des poussières.
Pierre avait 15 ans et son portable. C’est étrange parce que même si j’ai joué la maman frileuse sur les outils de communication qui débarquaient dans notre vie il y a moins d’une dizaine d’années, j’ai très vite aimé cette manière d’avoir un téléphone, d’attraper des instants en photos, de filmer des bouts de nous. Et de les garder.

13 minutes et des poussières. À faire défiler une route familière du Morbihan et à écouter leurs voix. Leurs voix qui rient, leurs  voix qui chantent, leurs voix qui blaguent à l’arrière de la voiture.
Et surtout leurs voix qui s’aiment.

Et notre silence à nous deux, à conduire, à regarder cette même route, à les écouter sans doute et sans rien dire.
13 minutes et des poussières et vers la neuvième je crois, ma voix.
– Vous êtes heureux ?

Je ne suis même pas certaine de l’intonation interrogative de ma question.
Je ne suis même pas certaine que ce fût une question.

13 minutes et des poussières.
Il y a des moments jolis. De tout petits instants.
De présent et de souvenirs et de nos vies mêlées qui me font dire et redire que je ne me trompe pas à aimer comme Il m’invite à le faire.
Tout le temps. Et seulement ça.