Sur le dessous d’un pain -5

Je me souviens de ces dimanches.
Je ne sais pas s’il croyait. Je ne crois pas qu’il était superstitieux. Je sais seulement qu’il l’avait vu faire de son père et du père de son père avant lui. Peut-être qu’il y a des gestes qui se transmettent, comme des habitudes, juste pour se souvenir les uns des autres.

Je me souviens de ces dimanches où je me retrouvais assise à sa table.
Il prenait d’une main le pain et de l’autre, il traçait au couteau une petite croix en son milieu.
Lentement, sans rien dire. 

Je n’ai jamais su s’il était croyant. Cela m’importait peu.
Je savais ses histoires drôles, ses silences et ses sourires, ça me suffisait.
Il est des gens qu’on aime simplement, ça suffit à les raconter un peu.

Je me souviens de ces dimanches. Des parties de pêche autour de l’étang, du bonheur de lire sans jamais être arrêtée, et de sa petite croix sur le pain avant de le trancher pour faire des sandwichs. Son geste n’était pas seulement celui des dimanches à table.

Je crois m’être dit alors en le regardant faire que si Dieu n’existait pas, rien n’avait vraiment de sens. Rien. Pas même un dimanche au bord de l’eau à attraper le soleil sur la peau, à brûler mes yeux dans des romans, à sentir mon cœur grossir pour rien en croquant dans du pain.

 

Jour 5 – Puisse ce Carême nous redire combien les petits riens de nos vies sont importants, même s’ils ne sont pas plus grands qu’une minuscule croix tracée sur le dessous d’un pain.

à demain, Corine

 

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