J’ai oublié

Bien regarder les petits fils argentés qui colorent l’espace de notre monde, de nos vies, de nos cœurs. Parce qu’ils existent, en vrai. 

Jour 8

Il est 15 heures. Il lui a apporté un café, deux petites galettes Saint-Michel enfermées dans un sachet plastique et a retapé le coussin dans son dos. Il lui a demandé si tout allait bien, et oui, quelle pluie depuis deux jours, en même temps, c’est la saison et est reparti, souriant, vers la chambre suivante.
Elle a mis un peu de temps à ouvrir le petit sachet de galettes. Mes doigts sont de moins en moins agiles mais je peux encore tricoter, c’est l’essentiel. Ça occupe bien les heures de faire des petits carrés de couleur au crochet pour les couvertures de Lourdes.
Elle a trempé doucement la galette dans son café et a dégusté son goûter, tranquillement. Un petit instant suspendu à se rappeler sa maison et les cafés avec les copines. Elle les nomme une à une et avec chaque prénom, une anecdote.
Elle s’arrête juste au milieu d’une phrase, comme perdue. Elle semble remonter le fil de ses souvenirs, cherche encore. Ses sourcils se froncent. On dirait que la colère va l’envahir mais non. Les paupières s’affaissent, elle soupire, doucement.
– Ah c’est terrible…lui, pourtant je le revois bien. Il était de toutes nos balades. C’était un cousin éloigné. Il nous emmenait dans sa voiture, oui, il avait une voiture. Une belle Simca grise avec de beaux sièges, pas en cuir, mais ça y ressemblait. Le dimanche, quand il faisait beau, on filait souvent pique-niquer sur les bords de la Loire. On se mettait à l’ombre de la petite chapelle quand il faisait trop chaud. J’avais une robe que j’aimais bien, jaune pâle, je me l’étais faite moi-même.
Elle ne tarit pas de détails. Les boutons de nacre, la ceinture qui marquait sa taille, la couverture jetée sur l’herbe pour ne pas salir la robe soleil de printemps.
– Ah c’est terrible… lui, pourtant…
Elle reste là, sa tasse vide dans les mains, triste.
–  Pas moyen de retrouver son prénom… J’ai oublié son prénom. C’est terrible d’oublier.

 

Ma petite prière, aujourd’hui, pour nos vieux parents, nos vieilles amies, souvenirs de nos jeunes vies, dont la mémoire, sans crier gare, s’enfuit.

 

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