Un p’tit coussin

C’est étrange. Je reviens là, écrire, comme si je revenais dans une vieille maison, un peu comme une maison d’enfance. On y retrouve les vieux murs, les parfums, les habitudes. Et tout est là, comme si on ne l’avait jamais vraiment quittée. Merci à celles et ceux qui m’envoient des petits messages. Tout va, tout va au mieux, mais le temps de cette drôle de fin d’année encore me presse et je ne prends pas celui de venir écrire ici.
C’est étrange ce soir mais je reviens là, avec joie.

 

Le temps bousculé a fait son œuvre. Juin a ramené ses sa fraises sans prendre le temps de souffler. Masques, gel, gestes barrières, on a tout attrapé en bloc depuis un an et demi au collège, au collège comme ailleurs mais pour moi, c’est là, au cœur d’une cour de récré et de mes classes, on a tout attrapé en bloc, oubliant presque les heures toutes confinées. Presque. Pas tout à fait. On n’a pas oublié de faire raconter ses vies d’ados heureuses de rester à la maison, protégées des contraintes quotidiennes, celles des horaires, des questions, des profs, allégées par un “oui oui j’ai bien fait le travail demandé aujourd’hui”. On n’a pas oublié ses vies d’ados juste à côté, presque les mêmes, qui ont souffert, elles, au contraire, d’être enfermées, coupées des plaisirs de retrouver les copains et de la bulle d’air que procuraient chaque jour les heures au collège. Le temps bousculé a fait son œuvre et juin garde ses vies aux antipodes, assises côte à côte pourtant, derrière les mêmes bureaux d’une même classe.
Et moi, je jongle avec tout ça.

Le temps bousculé a fait son boulot. Depuis vendredi, juin a autorisé leurs sourires en grand sur la cour de récré. On a fait tomber la barrière. On a fait tomber les masques. On découvre leurs visages en entier. J’avais presque oublié que leurs frimousses n’étaient pas qu’une moitié de visage. Qu’il y avait un nez à retrousser, une bouche derrière leurs voix. Une bouche pour rire, bouder, sourire encore, répondre, crier. J’ai peine à en reconnaître certains. Et puis, il y a ceux qui ne changent rien, qui ne font rien, qui n’osent pas encore. Ils gardent le masque. L’impression de se retrouver à découvert peut-être. Et ce petit surtout, qui derrière le tissu, se cache.
Et moi, je jongle avec tout ça.

Le temps bousculé a continué. Les réunions tardives à ne plus savoir finir et dont on se passait fort bien ont repris. On s’était habitués à se retrouver aux creux des après-midis ou derrière un écran. Il paraît que certains n’auraient plus très envie de sortir de leurs maisons, plus très envie de retourner au bureau, l’amie psychologue me fait part de son inquiétude grandissante à croiser des gens qui ne savent plus se parler lorsqu’ils se retrouvent côté à côte, en vrai. Et pendant ce temps, d’autres ne cessent de dire qu’ils revivent, comme s’ils avaient arrêté de vivre, accrochant aux terrasses de café l’impression que la vie c’est ça. Sans doute oui.  C’est ça la vie. Et il va falloir vivre avec toutes ces nouvelles différences, toutes les écouter, ne rien gommer dans la facilité.
Et autour de moi, on jongle avec tout ça.

Le temps bousculé continue. Je ne sais plus très bien de quel temps je suis. Le soleil, la chaleur puis la pluie, la tempête. Même la météo semble perdue cette dernière semaine. Tempête ? De celle qui bouscule les certitudes. Et dans cette tempête, vous vous rappelez ? Vous l’entendrez peut-être demain: celle-ci.

 

Je n’oublie jamais son petit coussin à Lui.
Je crois que j’ai un peu le même dans mes tempêtes, quand je jongle avec la vie en entier. 

Quand tout a été bousculé dans ce temps, je me suis rendue compte qu’un petit bout de ma vie n’avait pas bougé.
Pas changé d’un iota.

Un coin de prière tout petit. Avec un petit coussin sous mes genoux qui prient.

Non pas pour atténuer le dur de cette Terre, non pas pour me reposer, non. Mais pour être en douceur un peu plus avec Lui.
Les impossibles du monde et ma confiance en Lui. Et je jongle avec tout ça.

 

Quelque chose de bien plus grand

Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume.” Luc, 23, 42

Le malfaiteur, le voleur, le criminel, il fallait l’être pour être cloué sur une croix dans l’antiquité.

Ce larron me touche toujours dans cet évangile. Sans doute parce qu’il est bon, oui. Mais pas seulement. Il est bon et il est humble.

Parce que dans mes heures, mes jours, mes temps où j’oublie Dieu, je ne le suis pas tant, humble. Quand je retrouve Dieu après L’avoir oublié,  laissé tombé, abandonné même, je lui dis toujours de la même façon “mais toi Tu étais là, Tu es là”. Comme on m’a appris sans doute, comme je le crois sûrement. Il y a pourtant quelque chose qui semble me dédouaner de mes fautes, de mes ratés, de mes errances finalement et j’ai cette audace de croyante, cette certitude presque, de lui dire “mais Tu es là, Tu ne m’as pas oublié toi.”

Le bon larron m’apprend quelque chose de bien plus grand.

Il m’apprend à oser penser que Dieu pourrait bien m’oublier lui aussi. Oui, vraiment.
Lui demander de se souvenir de moi, c’est lui demander pardon en vérité. Et non pas ce petit pardon de croyante “Tu sais que je n’ai pas été chouette mais Toi Tu étais là quand même” auquel s’ajoute presque un “ouf je ne crains rien.”

Le larron m’apprend à parler autrement à Dieu. “Je n’ai pas été chouette, es-tu là quand même ? Souviens-toi de moi…”
Et se faire petite devant Lui.
Et ne pas parler à Sa place.

 

Le malfaiteur, le voleur, le criminel, il fallait l’être pour être cloué sur une croix dans l’antiquité.
Ce larron est bon parce qu’il se sait tout petit et qu’il m’apprend à le devenir.

 

Ces petits…

“Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits…”

Un jour, il y a longtemps déjà, un prêtre m’a dit: “Tu reviens me voir quand, dans les évangiles, tu auras trouvé le visage de Jésus qui te parle, te touche, te remue, t’interroge, te donne envie d’avancer…que sais-je… reviens quand tu auras trouvé “ton” visage de Jésus.”

J’ai parcouru les lignes, j’ai cherché, j’ai tourné les pages, on peut voir la pliure de certaines encore que j’ai cornées.
J’ai hésité, plusieurs paroles me touchaient, beaucoup me parlaient.
Je me suis arrêtée sur ses mots.

“Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits…”

J’ai enlevé un peu l’autour, je n’ai gardé que le petit enfant.
J’avais un peu plus de 20 ans.

30 ans plus tard, je me rends compte que si d’autres paroles m’ont touchée depuis, si je puise encore chaque jour dans la Bible et découvre sans cesse au détour d’un mot un autre que je n’avais pas encore remarqué, si j’essaie de me nourrir de son Verbe, inépuisable source, je me rends compte que ces mots-là, moins de dix mots en vérité, ces mots, oui, ont construit ma vie.
D’un foyer que je voulais bâtir autour d’enfants, les miens sont venus. D’un métier que j’ai choisi pour être avec les plus jeunes, les élèves sont là. De mes choix de partages en atelier d’écriture ou en paroisse, les enfants toujours au premier rang. J’ai fait de tous “ces petits” le beau de ma vie. Ou plutôt non. Ce sont eux qui ont rendu et rendent encore ma vie plus jolie.
Je crois même que j’ai tellement d’amour pour cette Parole que je manque souvent d’humour – c’est dommage – à leur sujet et qu’il est rare de me voir sourire lorsque circulent des blagues de potache sur les “bêtises” des enfants ou des jeunes. J’ai toujours peur que le mépris s’empare des mots.
Mais c’est sans doute un autre sujet.

Si ce billet s’écrit ce soir, ce n’est pas à cause de l’évangile de demain. Pas tout à fait.

 

C’est une phrase, retenue depuis vendredi, dernière heure, caté avec mes collégiens. La sonnerie avait déjà retenti.
– Mais vous, pourquoi Jésus est votre ami ?
Ma réponse est venue trop vite. C’est après qu’on médite, souvent.
– Parce que grâce à Lui, je suis là, avec vous.
– Comment ça grâce à Lui ?
– Je ne sais trop comment te dire…

Je n’ai pas vraiment eu le temps.

“Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits…”
Il faudra que je leur dise.

Et puis ça aussi:
“On va le chercher le visage de Jésus qui vous parle, vous touche, vous remue, vous interroge, vous donne envie d’avancer…que sais-je…”

 

Nos petits cartons déballés

C’est peut-être à cause du petit carton de vaisselle à peine déballé un brin désolé déposé à l’entrée de son appartement.

Hier, je me suis rappelée que dans chaque déménagement, dans chaque emménagement, il y avait là aussi une petite part de nos renoncements. Redondance au matin en entendant l’évangile : suivre le chemin de nos vies c’est souvent conjuguer le verbe quitter. Pas simple ce chemin, pas un simple chemin de disciples. Jésus nous parle à chacun, à tous, tout au long de nos vies.

C’est peut-être à cause de ce petit carton.
Samedi, nous avons à nouveau emménagé notre grand fils de retour de l’étranger pour ses deux dernières années d’étude. Je me suis rappelée au sortir du bac, le petit serrement de cœur de les voir partir l’une, l’un, l’une après l’autre et en même temps – intensément – la joie de les voir grandir, de les croire heureux. Un départ très prochain de notre “petite” dernière pour l’étranger encore à vivre. Chemin de maman, chemin de parents à savoir qu’ils sont là pour nous quitter.
Il y a dans chacun de leur déménagement un peu de nous qu’on laisse.

Et se souvenir de nos premiers départs, ceux qu’on n’a pas choisis, enfant. Nouvelle maison, nouvelle ville parfois. Il y a dans mes classes chaque année ces jeunes élèves qui arrivent d’ailleurs. Des histoires de parents parfois compliquées, des histoires de vie poignante, de belles histoires aussi.
Il y a dans chaque déménagement un peu d’eux qu’ils ont laissé.

Et repenser à notre premier appart’. Le premier chez soi loin des parents, loin de la famille. Je me souviens très bien du mien. Je pourrai encore le dessiner les yeux fermés. L’impression d’être enfin dans sa vie et non plus dans celle de ceux que l’on aime et que l’on quitte. Sentiment étrange de grandir sans en avoir toujours vraiment envie.
Il y a dans chacun de mes déménagements un peu de moi que j’ai laissé.

Et regarder notre maison, notre foyer, celui qu’on construit. Que l’on veut pour toujours. Notre maison a 10, 20 puis 30 puis 40 ans… C’est beaucoup et en même temps on le sait bien que chaque pierre posée est une construction de chaque jour. Ce n’est pas une image d’Épinal ni de jolis mots répétés ni des phrases en l’air. On le sait trop bien quand on le vit qu’un couple se construit et pas en un jour, pas en un mois, pas en un an. Je pense aux amis séparés, foyer démoli après tant et tant d’années, et me souviens encore plus vivement de leurs déménagements.
Il y a eu  dans chacun de ces cartons déballés un peu de nous qu’on a laissé.

Nos départs, les derniers, le dernier. Je repense à Mado rentrant à l’Ephad, j’entends Marcel refusant jusqu’au bout d’y aller. J’admire souvent un vieux couple ami “encore chez eux.” Je ne sais quand viendra l’heure.
Il y aura bien dans ce dernier voyage un peu de nous qu’on laissera.

 

C’est peut-être à cause de ce petit carton de vaisselle. Fragile. À peine déballé, un brin désolé, déposé à l’entrée de son appartement.
Il y a dans chacun de leur déménagement un peu de nous qu’on laisse.
Il y a dans chaque emménagement un peu de nous qui espère.

Nos petits cartons déballés, un brin désolés, déposés. Prêts à vivre, à revivre – encore.

Dessin ©Toutembal

 

 

 

On ne m’a pas appris à prier

“Seigneur, apprends-nous à prier…”

C’est drôle cette Parole du jour, je la trouve toujours un peu étrange, presque dissonante. Non pas que je ne comprenne pas la demande ni son bien-fondé – enfin je crois la comprendre – mais plutôt parce qu’elle ne me rejoint pas. Pas vraiment.

On ne m’a pas appris à prier.
On m’a montré des possibles oui: Les mains, les paupières, les genoux même. On m’a suggéré des moments: le soir, avant de se coucher. On m’a fait réciter le “Notre-Père”, décortiquer chaque mot pour ne pas l’ânonner sans savoir, répéter l’histoire de cette prière dans tous les évangiles. On m’a même offert des livres exprès. Et rien n’y a fait. Je n’ai pas appris à prier.

Je crois intimement que prier ça ne s’apprend pas. Plus exactement, je crois qu’il n’y a pas de recettes…encore moins de bonnes recettes.
Même si l’éveil à la foi des tout-petits ou le caté m’entendent raconter le coin prière, la bougie, le silence, le temps qu’on prend à notre temps pour parler à Dieu, je ne suis pas dupe. Ce n’est pas un truc ainsi fait, clé en main, Notre Père qui es au Cieux et hop l’affaire est bouclée.
Je ne sais pas leur apprendre à prier.

On n’apprend pas à prier. On cherche seulement.
Les regards partagés au bord d’un trottoir, les mots criés en silence, les sourires qui feront des rides et tant mieux, les mains tendues si souvent difficiles à ouvrir, les pardons murmurés et ceux qu’on ne dira jamais, les mercis qu’on ose à peine, ceux qu’on n’ose plus, les questions sans réponse, une chanson sous la pluie, un bord d’océan à perdre ses yeux dedans, l’absence de nos mots pour dire, les pages pour l’écrire, le silence.
On cherche seulement à Te parler et à oser cette confiance insolente. Confiance insolente de croire que Tu es là et que Tu nous aimes.

On ne m’a pas appris à prier.
Je n’ai que ça. Croire insolemment que Tu es là et Te chercher.

 

 

Comparaison

Je trouve que les mots sont jolis, souvent. Et la vie drôlement étonnante.

Un mercredi après-midi entièrement libre, ça faisait longtemps. Sans copies, sans atelier d’écriture, sans rendez-vous. Et surtout sans rien de planifié. Libre quoi. Simplement.
C’est le doux du temps qui m’a donné l’idée de sortir de vieilles jardinières d’argile et de les remplir d’un peu de soleil.
Quelques plants à choisir, les mains dans la terre, de l’eau.

Accrocher du soleil au bord de nos vies…et de nos fenêtres.

C’est ce que j’ai écrit en partageant une photo parce que j’aime bien continuer à dire le joli de la vie. Malgré ses gris.

Je trouve que les mots sont doux, souvent. Et la vie drôlement étonnante.

Un mercredi soir à venir. D’ici deux petites heures à peine, un partage biblique avec des amis de ma paroisse et surtout avec des invités: les parents des communiants. On leur a dit de venir comme ils étaient, juste pour lire ensemble une page d’évangile parce qu’on a bien vu que certains et certaines accrochaient bien pendant les préparations avec leurs enfants. Avides presque, assoiffés même. On ne sait pas trop combien viendront. On espère un petit peu, c’est tout.

C’est le doux du temps qui m’a donné l’idée d’appeler père Louis pour lui raconter et lui demander mine de rien ce passage d’évangile, je ne me trompe pas ça veut bien nous parler ainsi ?
Quelques mots à choisir, ma main sur le papier bible, un peu d’audace.

Et puis, je raconte à père Louis mes fleurs, je t’enverrai des photos, et merci pour tes lumières toujours.

” Oh de rien…Elle est belle votre idée de partage avec les parents…”

Et il a ajouté:

“…J’espère que tu pourras accrocher un peu d’amour au bord de leurs vies… comme tes fleurs.”

J’ai deviné son clin Dieu. Et son sourire.

Je trouve que nos mots pourraient rendre la vie plus jolie, souvent.

 

 

Témoins

” À vous d’en être les témoins.”

Parfois il m’est arrivé de devoir cacher ma petite croix au cou. Vite glissée sous le pull pour ne pas s’attirer les foudres d’un regard lors d’un jury d’examen.
Parfois il m’est arrivé de me taire dans la salle des profs de mon petit collège catholique parce que ton Jésus c’est bon pour ton caté pas ailleurs.
Parfois il m’est arrivé d’avoir terriblement honte de mon Église qui au creux de scandales ne ressemblait plus à ce que Jésus m’avait appris.

Mais, malgré ces parfois, être chrétienne, être catholique, n’a jamais mis ma vie en danger.

Alors quand je croise Jenane qui a fui son église persécutée, quand je lis les actualités récentes au Sri Lanka, quand j’entends un vieil ami me parler de son fils abusé par un prêtre, je rends grâce à Dieu d’être née ici, là où je peux encore sortir ma petite croix et la mettre sur le pull sans crainte de mourir, là où je peux répondre dans un sourire aux collègues que Jésus est “bon” partout, là où jamais un prédateur n’a croisé ma route et où je peux entendre mon Église demander pardon à tous ceux qu’elle blesse.

Pourtant, la semaine dernière, en revenant de la messe de Pâques avec mes amis Gallois, Isaac, 6 ans, m’a attrapé la main et montré son école. Au milieu des au moins 15 courants d’églises différentes de sa petite ville, juste à côté de l’entrée d’un temple et à quelques rues d’une mosquée.

 

Et j’ai un instant fait le rêve qu’on puisse, tous, chacun, sans prosélytisme ni aucune forme d’intégrisme, sans risquer sa peau, afficher simplement le pourquoi de nos vies, le cœur de nos Fois.
Sans rougir.
Sans juger le voisin.
Sans être jugée par personne.
Sans manquer à la liberté des autres.
Oser et pouvoir être encore aujourd’hui des témoins.

Du bout des lèvres

Parfois je ne sais plus vraiment comment j’attrape les mots qui restent au cœur mais là, si. Ça s’est glissé dans une ligne d’homélie puis on l’a fait résonner dans une conversation amie et enfin c’est resté coincé entre ma tête et mon coeur en marchant au soleil des bords de Loire.

Jésus ne nous demande pas d’aimer du bout des lèvres.

Du bout des lèvres ?

Comme un bonjour posé rapidement sur une joue,
comme un merci à peine murmuré,
comme un pardon juste effleuré,
comme un regard à peine,
comme un mot vide.

Jésus ne nous demande pas d’aimer du bout des lèvres.

J’ai gardé ça toute la journée, depuis l’évangile au soir d’un samedi jusqu’à sa relecture au soir d’un dimanche.
Du bout des lèvres ?
Non.
Parce qu’aimer c’est du plein,
parce qu’aimer c’est de l’entier,
c’est presque du à bras le corps.
En toutes choses, en tout temps, c’est pas du chiqué, pas du semblant, pas de l’à peu près.

 

Et je me suis souvenue.
Les vrais baisers sur les joues de bébé potelées de mes enfants à s’étouffer d’amour dedans.
Les vrais mercis la voix grande ouverte au soir des rues tellement ils sortaient de leurs tripes.
Les vrais pardons difficiles mais osés et prononcés et l’envie de les crier, je l’ai bien dit, je les ai bien entendus.
Les mots qui font du bien à pleine gorge, les mots qui aiment bien à pleins poumons.
Les mots qui embrassent en grand, qui enserrent vraiment, qui prennent la main timide, qui soutiennent les pas fatigués.
Je me suis souvenue.
L’amour à donner, à laisser, à oser, ce n’est pas du bout des lèvres qu’il se dit, qu’il se vit, qu’il est là, non.

Jésus ne nous demande pas d’aimer du bout des lèvres.

Ceux qu’on aime. Ceux qu’on n’aime pas. Ce n’est même plus seulement ça.
C’est presque plus simple.
Oser donner de la voix au profond de nos cœurs,
oser aimer envers et contre tout,
oser se prononcer enfin.

Jésus ne nous demande pas d’aimer du bout des lèvres.
Non.
L’aimer de Dieu s’articule à pleine voix.
Entièrement.
Aimer comme Lui, ça ne se dit pas à moitié, ça s’entend, ça surprend, ça résonne.

Jésus ne nous demande pas d’aimer du bout des lèvres.

Oser

“Vous avez des yeux et vous ne voyez pas.”

Il s’est installé sur la plage, un peu en contrebas, sans doute pour avoir son meilleur profil, celui qui regarde le lointain de l’océan.
Elle, comme toujours, ne posait pas. Elle était là, simplement. Contre vents et marées.


La balade a éloigné leurs pas sur les rochers, j’ai traîné un peu les miens  à l’arrière pour m’approcher de son fascinant étal de “Rembrandt”.
– Oh…vous avez une belle gamme de gris, de bleus, d’ocres…
Après un bonjour poli, nous avons commencé à parler pastels. L’air de rien, il a décliné le pourquoi des nuances de couleur: les humeurs du ciel, les lassitudes des marées, les parfums des soirs et les douceurs des matins.
– C’est ma passion les paysages. Ici, particulièrement. Alors, les couleurs, oui, il en faut. Pour chaque seconde du temps. Différentes.
Il s’exprimait par monosyllabes ponctués de son doigt sur la toile estompant le sable, presque comme un souffle de vent, léger, qui doucement le balaie.
Je prenais une leçon de pastels et de silence.

 

On s’est salués. Au moment de tourner mes pas, quelques mots m’ont retenue encore:
– Vous savez, on ne voit pas, pas assez du moins. Peut-être qu’on oublie de regarder là où il faut. Le pastel oblige à ça, à toutes les nuances. Sinon on passe à côté de ce qu’on veut.

 

Je suis rentrée de la longue balade océane et j’ai posé ses mots dans mon petit carnet.
C’était il y a quelques jours.

Ce matin, en lisant l’évangile du jour, j’y ai repensé. À nos yeux qui ne voient pas. J’ai parcouru l’actualité, rude encore, toujours. Les colères, les lassitudes. Et tout ce que j’aimerais ne pas voir: la bêtise, le racisme, les scandales. L’absence de temps, celui qui pourrait prendre le temps de réfléchir aussi. Davantage. Mieux peut-être.

“Le pastel oblige à ça, à toutes les nuances.”

Comment dire alors les gris clairs, les presque lumineux, les éclatants de certaines de nos belles heures ? Comment oser encore ?

“Sinon on passe à côté de ce qu’on voit.”

Et il avait ajouté ça. Peut-être comme un bout de ma réponse.
– La vérité de ma toile, ce n’est pas seulement ce que je vois, c’est ce que j’ose regarder et peindre.”

 

Laisser pour aimer

“Laissant tout, ils le suivirent.”
Parfois je ne comprends pas bien Dieu.
En vrai, ça me fait plutôt sourire aujourd’hui parce que c’est la même question que lorsque j’étais petite. La même. Exactement.
Ce n’est pas la pêche miraculeuse, ce n’est pas Simon-Pierre à genoux, ce n’est pas le grand effroi de ceux qui étaient là qui m’impressionnaient dans cet évangile, non.
C’était le “tout” qu’ils laissaient pour Le suivre.

Je me souviens très bien de l’image de mes évangiles d’enfant qui interrogeait la petite fille. Leurs ombres sur le chemin, leurs corps qui partent ailleurs.

– Mais comment ils peuvent TOUT laisser ? Leurs parents, leur métier, leur ville.
Et je ne comprenais pas bien Dieu.
Peut-être bien que je trouvais qu’Il en demandait beaucoup.
Beaucoup trop.

 

On a pris la route un peu tôt ce premier dimanche de vacances pour retrouver les vieux amis, ceux d’il y a longtemps, ceux qui ont vu grandir nos enfants et dont les enfants maintenant sont grands. Vous savez, il y a toujours une petite place pour Dieu dans mes voyages, je ne sais pas trop pourquoi mais je crois que la voiture, c’est un truc qu’Il aime bien pour prendre sa place dans mes pensées, dans mon cœur un peu aussi.
Alors j’ai filé vers les amis avec les images des bords du lac et des filets et de leur chemin dans ma tête.
Et puis il y a eu la belle table de Flo, le bon vin de Philippe, les fous rires de Christophe, les sourires d’Isabelle, le bel humour d’Edouard, les histoires de Laurent et de Marie. Nos vies d’aujourd’hui, nos joies, nos gris aussi, les nouvelles de tous nos “petits”.
Et nos souvenirs.
On s’est rappelés les grands soleils d’été, les longues balades, les excursions improbables et nos enfants dedans tout le temps. Presque tous partis aujourd’hui de nos maisons, à construire leur vie ailleurs. Et le projet encore de les rassembler tous pour arrêter un peu le temps qui ne cesse d’avancer. Revivre encore tous ensemble et avec eux encore un de ces temps qu’on a aimés.
Avec nos enfants tout le temps.
On a repris la route, gorgés du bon de tout ce qui est partagé. Simplement.

– Mais comment ils ont pu TOUT laisser ?
J’interrogeais encore Dieu au gré de la route du retour. Quand pour la première fois, je crois, j’ai aperçu un bout de réponse.
J’ai repensé à nos histoires d’amis, nos vies, les détours et les heures croisées, toutes celles qui nous ont fait avancer, comme on a pu. Et nos enfants avec, avec nos enfants tout le temps, nos enfants qui prennent aujourd’hui d’autres chemins.
J’interrogeais Dieu au gré de la pluie du retour.
Ce “tout” c’était ce qu’ils connaissaient, Pierre et Jacques et Jean, ce qui les avait fait grandir un peu, ils l’ont quitté pour vivre leur vie, celle d’un amour à vivre, avec Lui. Leur chemin.

Ils n’ont pas “tout” laissé non: ils ont “tout” laissé pour.
Comme nos vies qui avancent pour, nos enfants qui partent pour, ce qu’on laisse pour. Vivre, aimer, vivre encore.

“Laissant tout, ils le suivirent”. Pour aimer.