C’est joli de ne parler de rien

 

22 heures et des poussières.
La journée a passé, dense. Des cours, des réunions, un conseil de classe très tardif. C’est drôle parce que je savais toute la journée qu’il fallait que je fasse un peu plus attention au beau. Je l’ai guetté. Pour ne pas le louper. Pour vous le dire ici.

22 heures et des poussières.
La journée a passé, dense. Je n’ai pas croisé le beau en grand. Je l’ai aperçu en tout petit, très petit, je crois.

Dans le temps de la vie de classe de ma sixième.
Je leur donne toujours la parole.
J’ai fait comme d’habitude. Enfin, pas tout à fait.
” Si vous voulez partager…sur l’actualité, c’est votre temps…je vous écoute”.

J’ai essayé de ne pas mettre d’inquiétude dans ma propre voix, voulant leur laisser un espace pour poser des questions, exprimer leurs sentiments, mettre des mots sur leurs peurs.
J’ai essayé mais peut-être que j’ai mis quelque chose dans ma voix, je ne sais pas. Ce que je sais, c’est qu’un silence très lourd a commencé. Ça n’arrive jamais. Ils ont toujours des tas de choses à partager. Un silence de quelques secondes qui m’a paru interminable. Peut-être bien qu’ils me disaient tous qu’ils n’avaient pas de mots pour dire la guerre, peut-être bien qu’ils me disaient tous qu’ils ne voulaient pas, que d’habitude on partageait du joli, du vraiment joli et que là… Peut-être.
Je ne sais pas.
J’aurais repris la parole pour leur parler des projets à venir si B., avec son grand bras levé, ne l’avait pas demandée.
“J’ai quelque chose à partager, moi.”

Je m’attendais à ses peurs, des images, des questions.
Il a continué, tranquillement.

“Je sais qu’il ne faut pas trop regarder la télé mais si vous pouvez faire une exception mardi 15. L’émission avec la boulangerie de mon papa passe enfin sur M6.”

Il y a eu une petite seconde ou deux avant que je réagisse mais la classe l’avait déjà fait. Le silence s’est rompu comme un gros ballon de baudruche en un souffle de sourires, de “ah oui c’est vrai !” faisant allusion au récit de B., il y a quelques mois, nous racontant les caméras dans le fournil, les journalistes débarquant dans la boulangerie familiale, et même la recette du jour dévoilée.
Les questions ont fusé à nouveau, les rires aussi.
J’ai laissé leurs petites têtes attraper un peu de légèreté.

Tout devant, à la fin de l’heure, elle m’a regardée chercher dans mon cartable les feuilles que je devais leur distribuer pour le prochain conseil de classe.

“Moi, j’ai l’impression que de parler des choses de la guerre, ça ne change rien à la guerre, ça m’a fait du bien là… ça fait du bien des fois, enfin c’est joli de ne parler de rien… J’peux vous aider à distribuer vos feuilles m’dame si vous voulez?”

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