Sous le vernis un peu trop foncé

VOIR – épisode 6


– Elle ne peut pas être mauvaise, elle est née dans un atelier de Plancoët.

Je revois encore Jacques nous parler de cette table quand au moment de nous laisser sa petite maison en location, il laissait aussi sa salle à manger et cette énorme table au vernis foncé. Nous étions jeunes et sans beaucoup de meubles. Et même si cette table et ce buffet nous ont paru un peu trop bretons pour notre goût, il y avait sans doute un petit bout d’histoire qui n’était pas pour nous déplaire.

Ce qui fait que la table, massive et au vernis que je trouvais toujours trop foncé, nous a suivis dans nos déménagements successifs. Et le buffet aussi.

Et puis la vie a filé. Les enfants sont nés. On a fêté leurs anniversaires autour de la table solide. Il y avait encore nos grands-mères, mon grand-père et je le revois, lui, assis au bout, caressant d’une main qui ne pouvait plus faire beaucoup, le bois au vernis trop foncé.

Et puis la vie a continué. Sans eux et la table, fière et robuste, est restée là malgré nos “il faudrait qu’on en change… “, jamais vraiment convaincus.

Et puis le confinement nous a encore rassemblés autour d’elle. Chaque midi et chaque soir, en famille. Et avec lui, l’idée que finalement même avec son vernis trop foncé, je n’étais plus très sûre de vouloir en changer. Non pas que je m’attache aux choses mais j’ai pris conscience que cette table et ce buffet n’étaient plus seulement des choses. Pas même des meubles. Ils étaient, ils sont, une partie de notre petite histoire. Et je crois même qu’en les voyant, ils sont capables de nous raconter un peu.

– Elle ne peut pas être mauvaise…
et si on lui enlevait juste son vernis trop foncé !

On a rangé nos cahiers vendredi midi et dès ce lundi matin, on est allés s’acheter une ponceuse et de la toile émeri. Je crois que la vendeuse a souri à nos questions derrière son masque. Mais on s’en fiche un peu d’être des bricoleurs du dimanche. On a poncé, frotté, aspiré tout l’après midi et au fur et à mesure que le travail avançait, on pouvait voir réapparaître le beau du bois au-dessous du vernis trop foncé. Ses nœuds. Son cœur. Son fil de vie je crois.

De nouvelle vie ?
Je ne sais trop.

Même avec une huile très claire pour protéger son bois – plus de vernis trop foncé ! – et un peu de peinture sur ses jambes pour les rajeunir, ma table reste la même, au fond.

Et ça me plaît bien cette idée-là. Sans son vernis trop foncé mais toujours avec son air un peu trop massive, je peux voir encore les bougies des anniversaires qu’on a soufflées autour d’elle, voir encore sa main qui caressait doucement le bois, voir encore nos années qui se sont aimées à l’entourer de nos vies.

 

         

Que du feu

VOIR – épisode 4


Je n’y ai vu que du feu
Peut-être bien que ma tête était souvent ailleurs
Peut-être que mon cœur parfois aussi

Je n’y ai vu que du feu
La nièce a 20 ans et les enfants tous réunis
quelques mois, quelques années de plus
déjà

Je n’y ai vu que du feu
à ce temps de maman qui passe et laisse derrière lui des traces
des joies, des promesses
d’amour

Je n’y ai vu que du feu
à cette vie qui court et emporte et court encore après quoi
des joies, des promesses,
la vie toujours

Je n’y ai vu que Ton feu
dans ces heures qui filent et me laissent sur le fil
des jours, des mois, des années ?
encore

le temps d’aimer  🙂

 

En s’approchant

VOIR – épisode 3


Au détour de quelques branches à tailler, je l’ai aperçu. Curieuse mais discrète, je me suis approchée. Silencieuse.
S’il y a des petits habitants, j’arrête net mes élans de jardinière.
Mais point.
Vide. 

Non, à peine.

J’ai vu au creux un vieux joli bout d’étoffe fait de tout petits fils dorés. 

 

On voit mieux en s’approchant.
En se faisant proches.
En osant être ce prochain.

On voit mieux ces tout petits fils précieux qui tapissent chacune de nos vies.

 

 

Vous passerez bien nous voir ?

VOIR –  épisode 1


 

– Vous passerez bien nous voir ?

Je ne suis pas certaine de l’interrogation. Je crois même que la voix s’est plutôt éteinte en pointillés, n’imposant rien.

– Vous passerez bien nous voir….

Il y a eu le temps appuyé sur le “bien” qui sonne  davantage comme une invitation, pas le moindre reproche, et qu’on peut difficilement refuser.
Comment le faire d’ailleurs ? Ils sont notre famille et nous sommes désormais en vacances. Bien sûr les manuels sont encore ouverts et les dossiers de l’ordinateur ne sont pas éteints, bien sûr la semaine prochaine je retrouve les collègues pour baliser l’année et il y a toujours des idées qui s’emmêlent avant de fermer mon cartable pour un temps, bien sûr le petit mari filera vers la ville pour rattraper quelques bacheliers encore, bien sûr la maison à ranger, bien sûr. Mais nous sommes en vacances, malgré tout, alors passer les voir fait partie de ces rituels de nos débuts de juillet. Ceux qu’on ne voit pas dans l’année faute de temps à donner, faute de temps à s’accorder peut-être.

On prendra les vieilles routes de l’enfance, celles qui traversent les bois ou longent les côtes. On ira à l’improviste parce que de toute façon, à cette heure creuse des après-midis, ils sont toujours chez eux. On sera déjà autour de la toile cirée, le café fumant dans les tasses, les petits gâteaux secs dans une assiette creuse – celle qu’on aimait regarder, petits, avec ces dessins tout autour comme une bande dessinée qui nous racontait une histoire d’autrefois –  on sera déjà bien installés oui, avant même qu’on ait donné des nouvelles de la santé, des enfants, de nos vies un peu.
Et les heures passeront, parenthèses de nos souvenirs de gamins à traîner dans cette vieille grange ou à galoper sur ces chemins. On se rappellera un temps d’insouciance et cela donnera comme un peu de légèreté à ce début d’été.

Le soir s’approchera doucement des fenêtres et déjà les assiettes sortiront des placards. Vous resterez bien dîner. Cette fois c’est sûr il n’y aura pas de question. Ce serait les blesser de refuser. Les œufs sont cassés en un tour d’omelette, la salade est cueillie, le fromage est posé sur la table. On se souviendra encore de ces tablées où le grand-père regardait ses enfants et petits enfants avec la certitude que son histoire pourrait continuer pendant que l’oncle racontait ses blagues et que les petits attendaient le oui, clé pour se libérer des grands et pouvoir enfin aller jouer. On parlera d’aujourd’hui aussi, regardant nos rides au coin des yeux et nos cheveux blancs avec les sourires du temps qui avance inexorablement. Et de demain, de demain encore, la vie continue.

La nuit tarde à venir mais il est temps pourtant de retraverser les bois ou de longer à nouveau les côtes.
Au retour, on se redira simplement un “on devrait venir les voir plus souvent…” laissant aux pointillés le soin d’emporter nos morceaux d’enfance mêlés à nos partages du jour.
Et puis, avant le silence de la route à refaire dans l’autre sens, il y aura ces derniers mots, chacun gardant le doux des retrouvailles.

– C’est tellement bon de retourner les voir.

 

 

 

à voir

Juillet croustille en son cœur d’un nouvel été à venir
Juillet brille des vieux feux allumés sur des plages
Juillet liste les projets sur une fin de cahier

Juillet espère les demains et se souvient parfois des étés d’avant. En même temps.

S’il est vrai que je n’aime pas les fins d’année au collège – dire au revoir, ranger, terminer – j’aime déjà les projets qui s’annoncent pour septembre. Mais, auparavant, cette chance – infiniment consciente – d’un long temps qui m’est donné sans que presque plus rien ne le contraigne. Quelle chance oui.
Alors je liste à n’en plus finir les détours, les chemins, les idées des semaines à venir.

Et drôlement, depuis hier, au hasard de lectures, de rencontres et de jolis brins de conversation, il y a un verbe qui revient, s’entête, s’obstine.

Voir.

Non pas regarder, mais voir. Beaucoup moins subtil, un verbe présent sans acuité, sans audace, presque désinvolte.
Voir.
Voir le beau. Voir le précieux. Voir Sa présence. Ou mieux, voir.
Simplement, sans compléments, un verbe d’été, à laisser vivre.

Je ne sais s’il portera les fruits espérés de mes détours, de mes chemins, de mes idées. Il est possible que je vienne le conjuguer ici, sans aucune certitude aujourd’hui du nombre de fois… à voir, on verra bien.  😉

Voir.
Avec des mots qui donneront la parole à mes yeux. J’aime bien l’idée.

Bel été pour vous tous, je l’espère, je vous le souhaite.
Et à vous voir ici très bientôt !

Corine

Voir… le beau d’un bord du Bélon (Finistère)

La gentillesse

L’année n’est pas terminée mais nous avons dit au revoir à nos groupes de 6è ce soir. Drôle de fin de première année de collège. Sans notre grande fête traditionnelle.
Alors on s’est rappelé tout ce qu’on a fait avant, pendant et après le confinement, et vraiment, oui vraiment, ça avait l’allure de plein de jolis instants.

Et est venu le temps avec “notre” classe, celle avec laquelle toute l’année on prend des heures pour être un peu plus qu’un simple professeur.
On s’est quittés avec mes mots pour leur souhaiter un été “un peu chouette”, avec leurs mots qu’ils m’ont laissés sur des bouts de feuilles bleu ciel.
Ils ont posé là des petits mercis.
Des mercis qui touchent beaucoup parce qu’ils ne sont jamais de simples formules de politesse.

Il y a la simplicité de leurs mots qui font du bien et de leurs petites fautes pour lesquelles j’ai toujours plein de tendresse.
En rentrant à la maison, j’ai déplié les feuilles.
J’ai lu.
Et souri.

Et là, dans un coin, juste au bord, exactement là où il s’est tenu une bonne partie de l’année – dans un  coin de classe et de cours où on ne se fait pas trop remarquer –  il y  a le mot de ce petit bonhomme.
Ce petit gars un peu en marge qui déborde d’intelligence mais qui n’a pas la chance d’une vie facile et qui n’a pas les mots pour le dire.
Et qui, hélas, ne sera plus parmi nous à la rentrée prochaine.

Son mot, c’est un peu plus qu’un merci je crois.
En vrai, ce qu’il garde de son année, c’est ce que je pouvais lui donner de meilleur.
Merci bonhomme.

 

Le bleu des hortensias

Il suffit de rien pour croire à l’été même si la pluie s’est invitée
Ouvrir la porte vers le jardin
Marcher pieds nus sur l’herbe mouillée
Respirer un nouveau matin
Lui murmurer des mercis
Savoir qu’Il les entend

Attraper quelques fleurs d’hortensia
Éclairer les jours de leur bleu intense

Il suffit de rien pour croire que la vie est à vivre
Intensément
Comme ce bleu-là

 

Lapsus

Il y a eu ce petit instant joli en classe ce matin alors je raconte parce que j’aime bien ce joli-là.
J’ai retrouvé ce groupe de troisièmes avec leur journaux de confinement.

On n’avait pas eu très envie d’en parler dès nos premières retrouvailles, on s’était dit on verra ça, plus tard, un peu plus tard.
Le un peu plus tard c’était ce matin.

Ils avaient posé devant eux un petit carnet, un vieux cahier, quelques feuilles.
Ils n’avaient pas remis le nez dans leurs écrits commencés en mars. Je les comprends, j’ai fait comme eux. 
Il y a ce temps d’aujourd’hui qu’on a envie de faire avancer sans trop se retourner. Pourtant, je leur ai proposé de se replonger dans les premiers jours. Ils devaient y écrire leurs sentiments, leurs émotions, le pourquoi, et puis ce qu’ils faisaient. Et on en a profité pour partager les moments agréables et tout le difficile des situations vécues, différentes les unes des autres.
Ce fut le tour de F.
– Alors 17 mars…le plus agréable c’est d’être avec soi…ah madame! zut alors!… j’me suis trompée, j’ai écrit “avec” je voulais écrire c’est d’être “chez” soi.
Elle a appuyé le “chez” malgré son masque qui feutrait un peu sa voix.

– Tu es certaine, tu as bien écrit “être avec soi”, non ?
– Oui mais ça n’a pas de sens “avec soi”, c’est bien “chez”.
Et elle a pris son crayon pour rectifier. Je l’ai laissée faire bien sûr.

M. a pris la parole.
D’ailleurs c’est assez chouette ça. Ils sont en petit groupe, peu nombreux. Il n’y a pas besoin de lever la main: j’ai l’impression qu’ils s’écoutent mieux, se regardent et prennent la parole, doucement, derrière leurs masques. Il n’y a plus ces mots qui parfois volent, souvent trop vite, parfois trop hauts.
M. a pris la parole:
– Mais si ça a du sens ! Le confinement, c’était quand même plein de temps seul, seul avec soi. “Avec”… oui c’était même complètement ça !

Je les ai laissés parler un peu du pas facile d’être seul et bien davantage de ce “être seul avec soi-même”. 
C’était bien.
Joli.

F. a maintenu son “chez soi”. J’ai expliqué le lapsus, ce petit glissement des mots qui se fait, malin, sans qu’on s’en rende bien compte. Mais qui est là.

 

Ils ont grandi je trouve. Leurs 15 ans sont arrivés, pour beaucoup.

Je suis repartie du collège en repensant à leurs mots, à leurs années de collège qui s’achèvent drôlement, à leurs yeux qui sourient encore.
Le temps de la route pour les confier en p’tits bouts de prières et pour être encore un peu avec …soi.  😉