Garder le joli

C’est souvent comme ça.
Je sais garder le joli.

D’un roman mal fichu, je me souviens pourtant de ce passage que j’aurais bien aimé écrire.
D’un film monté de travers, je me rappelle quand même le superbe jeu du rôle secondaire.
D’une classe difficile dont on sort épuisée, j’aime malgré tout leurs mots de fin d’année, ceux qui feraient presque pleurer
D’une réunion barbante qui tourne en rond, j’aime raconter le bon mot qui m’a fait sourire.
Du plus rude de ma vie, je me souviens que c’est ce rude qui m’a appris à tant vouloir le doux.

C’est comme ça.
Quand je veux la colère, quand je désire la revanche, quand j’espère la rancune, je ne tiens jamais la route bien longtemps.
Je n’oublie pas mais les gris s’effacent.
Parfois ça peut paraître tiède. C’est ne pas savoir ce qu’il faut de rebelle pour ne garder que le joli.

 

C’est comme ça.
Je ne sais garder que le joli.

 

Un peu plus de 50 jours, 8 semaines.
Je n’aime pas les bilans. Surtout quand rien n’est terminé. Mais je sais ce que je vais garder. Malgré tout.
Je n’oublierai rien du difficile des vies et des morts tout autour mais je le sais, le joli restera.
Et je vais garder
les heures à ne plus compter,
mes heures à leur écrire sur un clavier,
nos heures à nous parler dans un écran,
les heures à les entendre toujours rire,
mes heures à les lire encore et encore,
nos heures à faire de chaque repas un tour de fête,
les heures à demander si tout va bien,
mes heures à Te lire,
nos heures à Te prier.

 

Ce sera mon défi pour les demains à aimer.
Garder le joli.
Encore.

Au crayon qui s’efface

 

 

Mardi 12 mai – 9 h à 12 h: préparation de rentrée au collège.

 

J’ai eu envie de poser un joli coup de fluo sur l’info.
Drôle de rentrée de mai.
Mais tout est au conditionnel même que j’ai préféré écrire l’info au crayon qui s’efface.
J’ai pourtant envie de l’illuminer.

 

Bien sûr c’est compliqué, inédit, inquiétant.
Mais, dans mon petit collège à la campagne, au milieu d’un village quasiment épargné, au cœur d’un département et d’une région peu touchés par le virus, l’idée que nos plus jeunes élèves puissent reprendre un peu pied dans un collège où ils se trouvent plutôt bien, ça aussi, ça fait du bien:  à eux, ils l’écrivent; à leurs parents, qui pour la plupart nous redisent leur confiance; à nous, qui avons envie d’être là.
Bien sûr ce ne sera pas la classe habituelle. Bien sûr la récré se vivra sans parties de foot endiablées, sans insouciance, sans bagarres aussi. Bien sûr l’odeur des désinfectants gommera celles de nos peintures, de la cuisine de Gaëtan et même du café de la salle des profs.
Bien sûr.
Tout semble vouloir recommencer mais en pointillés, au conditionnel, en crayons qui s’effacent.
Et l’agenda si carré, si sûr, si organisé d’habitude prend des allures étranges de rondeurs, de peut-être, de on verra bien.

 

Et ce matin, je Te relis encore.
Je me demande parfois si mon chemin près de Toi, avec Toi n’est pas, lui aussi, davantage un chemin au crayon qui s’efface. Non pas avec l’oubli des ratés, non. Mais avec ces pointillés, ces peut-être, ces absences de certitudes qui pourtant, bizarrement, sont celles qui me font avancer. 
Le chemin n’est pas droit et bien tracé, je le sais trop bien. Mais n’empêche. Sur le fil d’un crayon qui s’efface, il y a toujours cette envie de poser un joli coup de fluo. Et de continuer.
Comme pour illuminer mes peut-être d’un Tu es là.
Toujours.

 

De nos corps et du Sien

On s’appelle, on se textote, on roule, on marche. On se rappelle, on se retextote, on roule encore, on marche encore. En boucle. Je ne sais où. Et on ne se retrouve pas. On tourne encore, on n’y arrive pas. En vrai.

Je me réveille. Ouf. Je suis réveillée. En vrai. Oui, en vrai cette fois. Premier mauvais rêve – je n’aime pas le mot cauchemar, premier mauvais rêve de confinement…ou  de déconfinement, je ne sais trop.

 

 

Le café s’attarde un peu, on est samedi après tout.  Les mains retiennent le chaud de la faïence. Elles se posent ensuite sur les pages d’une Bible. Le papier semble encore plus doux au toucher ces temps-ci. Je relis ce Livre que j’aime tant.
Puis mon corps se lève, doucement. Il n’y a pas d’urgence aujourd’hui. Je cherche des nouvelles d’A. Pas encore de nouvelles mais celles d’hier étaient bonnes.  Mon amie opérée en urgence il y a deux jours d’une rupture d’anévrisme va bien : les membres de son corps fonctionnent, elle comprend. La parole seule est encore absente. Je prie Dieu. Et Syméon, tu sais toi.

J’ai rincé la tasse et je l’ai laissée sur le rebord de l’évier. J’en reprendrai un autre tout à l’heure.
Mes jambes me mènent doucement vers la porte du jardin. La fraîcheur de la pluie nocturne sur l’herbe, je reste un peu malgré le frais sur mes épaules, ça sent bon.  Des moineaux s’attardent entre les rangs de haricots puis sur les branches du cerisier. Mais rien à chiper encore. Ils chantent  pourtant. La nature est heureuse je crois.

Pas un autre bruit au dehors.
Je repense à mon mauvais rêve.

Nos corps nous manquent. Nos mains qui se serrent en des bonjours amicaux, nos bras qui s’embrassent, nos joues qui se tendent. Nos corps nous manquent. Nos peaux qui s’effleurent dans la file d’attente, dans le métro trop serrés, dans les couloirs qui défilent. Nos corps nous manquent.

Et Son Corps ? J’ai lu encore. Leurs avis, leurs colères.
Il ne me manque pas Ton Corps à moi, non. Non et peu importe ce que les autres en pensent. J’ai Ta Parole. Tellement plus depuis des semaines. Avec ce temps presque arrêté qui me donne le temps de Te lire et relire. Dans Tes livres, oh celui-ci, et les évangiles.
Je me nourris de Tes mots.
Et Ton Corps ? Non, Il ne me manque pas. Je Te sais là. Et je repense à tes amis après Pâques. Je pense aux miens. Ce sont leurs corps qui me manquent, ceux de ma famille, de mon église, de ma vie.
Combien Ton corps de chair, disparu, a dû leur manquer.

Parce que Tu marchais, ils suivaient Tes pas, ils ont peut-être bien retiré tes sandales au soir et soulagé tes pieds fatigués.
Parce que Tu tenais le pain, ils partageaient avec Toi les repas, les sourires, les larmes. Tes mains dans leurs mains.
Parce que Ton corps avec leurs corps ne voulaient faire qu’un. Combien le vide de Toi a dû leur manquer.

Nos corps nous manquent.

Je reprends un café.
J’ouvre enfin l’évangile du jour.
« C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. »

Mais nos corps nous manquent Seigneur.

Prières en mots confinés

Six semaines, un peu plus de 40 jours, un désert ?

Six semaines, un peu plus de 40 jours et tant de mots qui savent, qui croient savoir, qui auraient su si.
Tellement de il faudrait, il aurait fallu, il faudra. Pour le monde, pour notre pays et pour mon Église.
Je lis tant de ce qu’il serait bon de faire confinés, de ce qu’il faudra ne pas manquer de faire une fois déconfinés. Oh…sans doute qu’ils sont  de bonne foi ces hommes et ces femmes qui parlent un peu plus fort que les autres, qui parlent pour les autres, parfois au nom des autres, parce qu’il y a toujours ces belles envolées qui ont envie de nous montrer le bon chemin.

Six semaines, un peu plus de 40 jours que je leur préfère les mots confinés, ceux qui parlent tout bas et qu’on n’entend nulle part.

Six semaines, un peu plus de 40 jours de petits messages, d’appels, de bavardages-de-voisins-à-au-moins-deux-mètres, de lettres, de sourires, de mains qui n’ont besoin de personne pour continuer à se tendre, d’idées, de projets, de petites actions, de presque grandes décisions, de petits riens plus qu’importants qui se font sans bruit.
Six semaines et un peu plus de 40 jours de nouvelles de gens tout autour qui se battent, sont malades, guérissent, pleurent, souffrent, accompagnent, travaillent, chantent, soignent, soutiennent, construisent, cherchent, accueillent, prient, aident. De gens qui vivent.

Et six semaines et un peu plus de 40 jours que je Te confie mes mots à leurs mots mêlés.
Dans mes petites prières confinées.
Celles qui ne savent jamais ce qu’il faudrait, ce qu’il aurait fallu, ce qu’il faudra mais qui entendent dans Ta Parole d’être ici et maintenant au milieu des autres. Proches.

Et si tu savais, Seigneur, tous les clins Dieu de vie, de joie, d’espérance que je lis, que j’entends, que je vois, des premiers rayons du matin aux dernières lueurs du soir.
Six semaines, un peu plus de 40 jours, un désert ? Oh non, même pas.
Surtout pas.
Un chemin qui suit sa route peut-être, et tout au bord, Tes pas.

Avec ses mots

J’avais distribué les Vendredi ou la vie sauvage une semaine avant le confinement.
Alors pendant quatre semaines de travail via nos écrans, j’ai guidé mes 6è à travers l’île de Robinson.

Voyage entre les lignes de Michel Tournier. Un peu perdus parfois sur cette île déserte. Égarée, je l’étais aussi, comment faire sans les voir, moi qui les croise depuis presque 30 ans.

Nous avons tenu comme nous avons pu, avec des petites astuces dans mes messages et leurs instants à poser des questions, à inventer  jour après jour comment garder nos sourires, toujours. Certains ont eu un peu de mal à trouver le chemin mais au final, nous avons tous réussi à rencontrer Vendredi et à dire au revoir à Robinson et Dimanche avant les vacances.

Vacances.
On a essayé de se donner des conseils pour déconnecter un peu et profiter des petits riens du quotidien de nos maisons et pour beaucoup ici, de la chance d’un jardin. J’ai pensé à ces quelques-uns, celles et ceux pour qui la vie était difficile bien avant et parfois un peu plus douce en venant au collège chaque matin.

On s’est dit au revoir, au lundi 27 presque comme d’habitude avec le rituel d’une p’tite histoire à écrire. Parce qu’il y avait eu cette question: “Madame, est-ce qu’on aura nos 7 mots comme avant chaque vacances ?”
Le principe comme un rituel pour aimer écrire, un peu plus encore.
Des mots piochés dans les séances précédentes. Avec, ils racontent un bout de leurs voyages imaginaires.

Et pour le lundi de la rentrée, vous rédigerez un texte avec les mots suivants:
ami, apprendre, bouteille, carte, espoir, porte, vérité.

Ce sont donc des mots qu’on avait rencontrés dans le chapitre. Certains avaient déjà ouvert un horizon vers d’autres îles, d’autres naufrages, d’autres aventures.

ami, apprendre, bouteille, carte, espoir, porte, vérité.

Avec le droit de conjuguer, de mettre au singulier, pluriel, féminin, bref du moment qu’il y ait les 7. Règles d’un jeu, juste pour écrire.

Après les vacances de la Toussaint, celle de Noël et de février, j’avais récupéré des petits bouts de textes et de très jolies histoires, toujours en lien avec le chapitre et l’oeuvre du moment. Toujours, j’insiste.

Alors, là, j’attendais mille aventures de Robinson, de Vendredi, de naufrages, d’îles, de natures à rivaliser avec celle d’un tableau du Douanier Rousseau affichée en classe.

 

L’affiche est restée au mur de leur classe.

 

J’attendais une échappée sans doute. Des rêveries.
Mais c’était sans compter sur D. 

Elle n’avait pas envie d’attendre lundi.
Alors, au midi d’aujourd’hui, elle a dû ouvrir sa messagerie et d’un clic ou deux, elle m’a envoyé son travail. Avec un petit bonjour en sourire comme elle en a toujours. Malgré tout.

Tout est là, exactement.
Loin de Robinson et de son île, mais tout est là, avec ses 12 ans.
J’attendais des rêveries. Quand leurs mots veulent dire la vie. Malgré tout.

 

Le confinement vu par une ado
Ce confinement est très dur car on ne voit personne. Moi je trouve que cette période difficile a des côtés négatifs et des côtés positifs :
les côtés négatifs :
– On ne voit pas la famille et les amis. Moi, ça me manque beaucoup. La vérité c’est que  je suis vraiment très proche de ma famille. Mais vous allez me dire que j’ai de la famille chez moi. Oui, j’ai  mon frère, ma maman et mon papa. Mais je suis vraiment très proche de toute ma famille (mes grands-parents, mes oncles, mes tantes, mes cousins et mes cousines). Quand je ne les vois pas, je demande même à ma maman si on peut aller les voir car ils me manquent beaucoup.
– Des personnes meurent dans le monde entier et tous les jours. Cela me touche et me rend triste.
– Mes amis me manquent beaucoup.
– Mes activités en dehors du collège me manquent aussi. J’ai hâte de reprendre le basket.
les côtés positifs :  
– Dans ma famille personne n’a la maladie donc ça me rassure. J’ai encore un petit espoir que le coronavirus n’arrive pas dans ma famille et je le souhaite à toutes les familles du monde entier.
-Je soutiens tous les soignants qui travaillent 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Dans notre pays on a la chance d’avoir des soignants qui ont des compétences.
-A la maison je passe beaucoup plus de temps avec ma famille proche. Je profite de toutes les choses que je ne prends pas forcément le temps de faire en semaine ou le week-end : faire des balades, des jeux, de la cuisine…  Je trouve ça chouette !!!
– Grâce à ce confinement je vais apprendre à être plus autonome dans mon travail scolaire. Il faut plus se débrouiller quand les professeurs ne sont pas là.
En ce moment on a l’habitude de toujours pousser les mêmes portes, de toujours voir les mêmes personnes…  mais je pense quand même à mes amis, à ma famille…
Du coup, j’ai fabriqué des cartes pour eux mais bien sûr, je leur donnerai quand on pourra. Je ne peux pas faire comme Robinson sur son île et jeter des bouteilles à la mer !!!
Journaliste en herbe : D.
Reportage avril 2020

 

L’empreinte des mots

J’ai repris mon vieux stylo plume au soir de ces derniers jours.
Pour écrire des lettres.
J’ai retrouvé cette petite tache, presque creusée, d’un bleu profond, à l’intérieur de mon majeur comme si à nouveau on y avait déposé l’empreinte de mes mots. 

Mon vieux, très vieux Waterman, celui qui écrivait mes cartes postales de vacances. Celui qui se laissait aller en longues rédactions de collège. Celui qui s’épuisait encore à travailler des textes au tard d’une lampe de bureau.
Mon vieux, très vieux Waterman. Cadeau d’un autre temps. Délaissé au profit d’un clavier ou même de feutres légers et modernes qui glissent encore plus vite sur le papier. Il a fallu un peu de temps pour qu’il retrouve sa place dans ma main d’aujourd’hui. Non pas pour trouver les mots. C’est facile d’écrire aux gens qu’on aime ou à ceux à qui quelque mots diront qu’on est avec eux, un peu. Non, j’ai mis un peu de temps à cause de ma main. Mes doigts habitués aux touches des claviers ou au léger d’un crayon ne reconnaissaient plus le vieux plume. Il a fallu que je lui fasse de la place à nouveau. L’écriture était belle pourtant avec ses airs d’un bleu d’autrefois. 

J’ai rangé mon vieux plume dans mon pot à crayons. Il y a des choses qu’on aime garder, qu’on croit devenues inutiles ou presque et qui retrouvent vie au détour d’un drôle de temps.

Au moment d’écrire ma petite prière du soir, j’ai repris mon vieux stylo.Il a fallu que je lui fasse à nouveau une place dans ma main, il ne l’avait pas encore trouvée. Il faut toujours du temps pour apprivoiser les choses oubliées. 

J’ai refermé mon cahier. J’ai regardé mes doigts. Une petite tache bleue, creusée, comme autrefois.
Et ma petite prière, joliment bleutée.
Je me suis rappelée ses mots qui m’apprenaient que Jésus écrivait sur le sable.
Je me suis rappelée ma question d’enfant.

Est-ce que lui aussi, parfois, gardait une petite tache, appuyée, presque creusée, est-ce qu’il gardait l’empreinte de ses mots ?

j’ai souri en imaginant un peu du bleu du Ciel à l’intérieur de Son majeur. Mon imagination. Elle s’amuse très souvent, je crois.

J’ai relu ma petite prière.
J’ai fermé les enveloppes avec mes lettres bien pliées au-dedans.

Mon vieux plume continuera à envoyer des mots.
Pour qu’il laisse aussi leurs empreintes sur moi.
Avec comme un tout petit peu de Ciel bleu.

 

Avez-vous ici quelque chose à manger ?

J’ai souri à ma petite prière du matin.

J’ai souri. Ce n’est pas très sérieux de lire ta Parole et de sourire.
Mais ce n’était pas un sourire moqueur. Oh non. J’ai souri parce que ce Dieu qui veut toujours se mettre à table me fait sourire. Et je laisse aux autres, habiles et érudits, les symboliques passionnantes des repas de Jésus.
Vous me connaissez, Dieu, je L’aime dans le simple quotidien de nos vies, entre les murs de nos maisons, sur les trottoirs de nos rues, dans l’ordinaire de notre temps.
J’ai souri. Ce n’est pas très sérieux de lire ta Parole et de sourire.
Mais Ta question qui demande à se mettre à table me rend joyeuse ce matin.
“Avez-vous ici quelque chose à manger ?”

Tu me rappelles mes heures quotidiennes à leur préparer des petits plats pour que le confinement soit un peu plus doux.
Tu me rappelles les goûters de leurs anniversaires qui rassemblaient leurs copains d’école pour souffler des bougies.
Tu me rappelles les pommes que Sandrine venait apporter et qui était tant malgré son je n’ai pas grand chose d’autres à t’offrir.
Tu me rappelles ces réveillons de fin d’année avec celles et ceux qui sont loin et dont on essaye de se rapprocher, un peu.
Tu me rappelles les temps de repas à Lourdes, lorsqu’on devient si proches.
Tu me rappelles des soupes chaudes qui réchauffent des ventres et remettent parfois sur pieds.
Tu me rappelles les pique-niques d’élèves, les repas de Noël, les déjeuners d’été sous un vieux cerisier.
Tu me rappelles l’amitié autour des dîners du samedi soir.
Soudain, je sens le goût qui revient, les papilles qui se réveillent, les parfums qui chatouillent les narines.
On dirait que la vie veut vivre.

Le café, Ta Parole, mon sourire.
J’ai souri à ma petite prière du matin.
– Avez-vous ici quelque chose à manger ?
– Prends une chaise Jésus, installe-toi à ma table, partage chaque heure de ma vie.

J’ai souri à ma petite prière du matin.
Il y a dans l’interrogation de Ta Parole ce matin une invitation à T’aimer.
– Tu as le temps d’un p’tit café ?

Une brèche dans le temps

L’âge est un dernier long voyage un quai de gare et l’on s’en va
Il ne faut prendre en ses bagages que ce qui vraiment compta
et se dire merci de ces perles de vie
et certaines blessures au goût de victoire
Et vos gestes y revoir tes parfums ton regard ce doux miroir où je voudrais nous revoir

 

J’ai déversé les gros sacs de photos papier.
J’ai aimé ce vrac de ma vie étalé sur le divan de mon bureau.
Et j’ai trié.
Enfin je voulais trier. Mais chaque photo a pris le temps de revenir avec son souvenir.  

J’ai croisé ma famille, mes amis, ceux que j’appelle les miens comme si je voulais faire de ce possessif un rempart, peut-être même une forteresse à cette heure d’un temps comme hors du temps.

Drôle de parenthèse dans ce confinement où mes fragilités font place à mes certitudes.
Et si je suis malade ?
Et si je meurs ?
Que restera-t-il ?

 

 

Drôle de parenthèse dans ce temps confiné. Quand au détour d’un paquet de photos de ses premières années, j’ai retrouvé celle-ci.
Comme une brèche.

Je m’en souviens comme si c’était hier. Aux pieds du château, la rivière, le vieux lavoir, les herbes hautes. On pouvait approcher au plus près de l’eau, observer son courant, et derrière les folles herbes les insectes, les oiseaux, les poules d’eau qui faisaient leur vie sans nous. Il ne fallait pas faire de bruit. Regarder. Simplement regarder en silence. Je me souviens de sa curiosité d’enfant qui voulait toujours s’avancer davantage sur les chemins. Et de la main, à peine posée, pleine d’amour, simple rempart devant un pas qui aurait pu se faire danger.

Je me souviens de cette photo. Une de mes préférées parmi tant.
Peut-être parce qu’elle  dit ce que je voudrais être encore pour les miens. Ce que je voudrais qu’ils soient pour moi.
Cette main qui nous protège. Pleine d’amour. Qui nous garde, tous, vivants.

Que restera-t-il ?
De nos vies que l’idée de la mort rend si vives en ces jours. 
Des gestes, leurs mains, des parfums, nos regards. Quelques mots.
Et ces perles de vie.

En mille mercis.

 

 

Dans le temps

J’en ai rêvé si souvent. Que le temps s’arrête et que je puisse le prendre, à pleines mains, pour écrire. Sans que rien ne me contraigne jamais à m’arrêter.
J’en ai rêvé si souvent et depuis deux jours, mon rêve est là. Indécent.
Des vacances d’élèves sans plus rien dedans. Envolé le nouveau projet d’atelier d’écriture, disparues les heures hospitalières à Lourdes. Et avoir soudain l’impression de n’être plus “utile”, de “ne pouvoir servir.”
Il y aura de celles et ceux qui se sentiront coupables de cet abri au creux de ce drôle de temps.

Et j’ai recroisé ce petit livre prêté par ma grande fille. D’une rencontre bouleversante dans le collège où elle enseigne, tout près de Rennes, il y a tout juste un an. “Lis maman, quand tu auras le temps, Magda est un petit bout de femme si grande, très grande.”

Entre le réveil et le temps des  Laudes, retrouvé, j’ai pris le petit livre. J’ai lu. Dans ce premier matin, des mots sur la vie et ses temps offerts par “une rescapée des ténèbres”.
Et j’ai su qu’à pleines mains, enfin, je pouvais être dans mon temps. Et désormais écrire cette vieille histoire, sans rougir, sans craindre ce temps donné à contre-temps.

Dans le temps…

Je donne le temps.
Je compte le temps.
Je prends le temps.
Je perds le temps.
Je remets le temps à demain.
Je force le temps.
Je me noie dans le temps.
Où en suis-je dans ce tourbillon qui passe ?

Penser la vie, est-ce la vivre ? Sera-t-elle comme nous l’avions pensée ? J’ai amassé des expériences. J’ai vu la vie sans fard. J’ai compris que la vie ne se vit pas au conditionnel, elle se vit au présent et au singulier. Inventer la vie, c’est abandonner mon vouloir sur ma vie. C’est me laisser faire par elle.

La vie m’a appris à vivre chaque instant comme si c’était le dernier.
Je me laisse recevoir par l’instant présent.
Chaque présence m’offre un moment unique.
Sa beauté m’apaise, de là, j’entends ce que Tu ne dis pas.
La joie de vivre, c’est le ciel sur la terre.

Magda Hollander-Lafon, Quatre petits bouts de pain-Des ténèbres à la joie, 2012

 

à cause du soleil

C’est peut-être à cause du soleil qui s’est dit qu’être là, davantage, ne gâcherait rien.

Surtout pas à l’envie de laisser les fenêtres ouvertes longtemps après le matin.
Surtout pas au long d’une semaine Sainte qu’il fallait décliner autrement.

 

Les derniers cours sur l’ordinateur, les derniers messages au clavier, les derniers appels pour se dire qu’on est toujours là, et nos bonnes vacances à bientôt pour faire comme si.
Ils me manquent.
Les sourires qu’on croise, leurs moues qui chagrinent, nos mots qui fusent trop vite.
Les parfums des collègues, les odeurs du collège, ma petite route au matin, la même au soir.

 

On avait prévu le jardin de Pâques. On s’était déjà mis d’accord sur le comment. On le refera l’année prochaine madame, c’est sûr ?
Et un point d’interrogation suspend le temps. Celui qu’on maîtrisait dans un emploi du même nom, dans un agenda, dans un programme se fait soudain trop incertain.

On avait prévu un jardin.
J’ai trouvé le mien.

Au soleil qui s’est dit qu’être là, davantage, ne gâcherait rien.

 

Et j’ai déroulé ma semaine Sainte sous le vieux chêne. Le plus gros du jardin.
Au début des jours d’une semaine à prier. Jérusalem, il m’a suffi  de lever le nez pour être dans ton Ciel.
Au jeudi d’un soir. Il suffisait de baisser les yeux pour Te voir, penché à mes pieds. Relevée, à nouveau regarder dans ton Ciel le pain de mes demains.
Au vendredi d’un 16 heures brûlant, à l’abri des frondaisons, il a suffi d’un chemin de Croix du monastère dans mes oreillettes. Et les voix de sœur Renée et de sœur Nathanaëlle pour m’aider à avancer, immobile sous le vieux chêne aux bras de bois. En croix.
Au samedi soir d’un soleil doux, une Lumière, éclatante, au creux des feuillages.

Les feuillages.
Mais oui, les feuillages.

En une semaine. Revenus.

Ressuscités.

C’est peut-être à cause du soleil qui s’est dit qu’être là, davantage, ne gâcherait rien.