Une prière

Un jour, j’étais encore enfant, j’ai ouvert une Bible. Une vraie, une épaisse, une “de grande personne”.
Je ne l’ai jamais vraiment refermée depuis.

Et même si j’aime la lire, la partager, la creuser, la traduire, petite chercheuse de ses sens, elle reste le plus souvent dans les creux de mes silences. Et si vous saviez combien elle remplit les espaces.

Alors je fais le rêve parfois, dimanche de la Parole ou pas, que ce jour existe, un jour, pour tant d’autres.

 

 

Il y aura des mots cachés comme des trésors
des mots brisés comme des fêlures
des mots renoncés comme des oublis
de longues patiences et de frêles promesses
des hivers endormis et des réveils d’été
des heures étincelantes et des mémoires brûlantes
des fenêtres closes et des ciels enflammés
des collines familières et des rêves d’ailleurs
et il y aura Ton nom murmuré
Et Ta parole
Vivante.

 

 

Carte de fidélité

-Notre carte de fidélité peut-être ?

Machinalement, elle a posé la question en tapant sur la caisse, mon sourire lui a répondu non, j’ai réglé mes achats, elle m’a souhaité une belle journée.

J’ai rangé mes courses, terminé mes copies et filé ma petite heure de mercredi à l’abbaye.

J’avais besoin de silence pour dire merci.

 

J’aime bien dire merci à Dieu, de plus en plus je crois. C’est le truc que je ne faisais pas tant que ça mais depuis que je me fais des petites listes de mercis, ça réduit la tristesse d’autant. C’est comme si les mercis à Dieu ressemblaient à des bras tendus pour étreindre la vie.

 

Je ne sais trop pourquoi dans ma prière la carte fidélité du magasin est revenue à mes oreilles et ça m’a fait sourire. En vrai, je ne sais pas vous comment vous faites mais moi ma prière elle est pleine de trucs de ma vie qui rappliquent plus vite que mes pensées. Parfois ça déconcentre un chouilla et souvent ça ajoute autant de pardons à mes mercis.

Comme elle était là ma carte de fidélité, j’ai demandé à Dieu ce que ça voulait dire.

Et puis je suis rentrée.

 

J’allais lui préparer une p’tite soirée d’anniversaire alors j’ai compté. 29 ans. C’est balèze 29 ans.
Tiens c’est peut-être ça.
S’agirait pas de faire de grands discours de toute façon je ne les aime pas. Mais ma fidélité c’est peut-être ma volonté mêlée à la sienne. Depuis presque 29 ans qu’on se connaît avec nos failles, nos fissures, nos à peu près.

Mais surtout avec nos mercis, nos s’il te plaît.

Avec tous nos pardons.

Notre carte de fidélité peut-être ?  😉

 

 

 

 

à la vie, à la Vie

Il y a dans l’ordinaire de certains jours comme une lumière plus crue, plus vive, presque plus ardente.
Il y a dans le même temps exactement une lumière plus crue, plus vive, presque plus ardente braquée sur notre humanité, sur ce qui pourrait montrer l’absurde de nos existences.

 

Samedi 18 janvier, 6 h 20 et des poussières
Premier réveil et le sourire de savoir que le temps n’avait pas oublié mon anniversaire de maman et ses 25 ans à Elle, ma petite, ma grande.
7 h 12, je laisse une petite trace.
Je sais exactement où j’étais il y a 25 ans et ce que je ressentais. 7 h 12. Entrée en salle d’accouchement pour la première fois de ma vie. J’avais froid. J’avais peur. J’ai pensé à Marie. Je me sentais minuscule et grande en même temps.
La vie.

Samedi 18 janvier, 8 h 20 et des poussières
Arrivée au collège un samedi, le samedi de nos portes ouvertes. Cela fait plus d’une semaine qu’on prépare, qu’on décore un peu plus, qu’on fait le collège encore plus beau. Petit, étiqueté “catholique”, au milieu d’une toute petite ville rurale. 12 classes. Le difficile, le rude de certaines de leur vie et si souvent le doux pour essayer de vivre vraiment ensemble. L’étonnant presque d’une équipe de profs heureux d’être là. Heureux de pouvoir travailler dans la bienveillance et l’amitié. Et le rêve un peu fou de croire que de petits collèges, de petits lycées, du temps donné, du dialogue en échange d’une vraie reconnaissance, pourraient rendre le visage de l’enseignement aujourd’hui à nouveau souriant. Cela paraît si simple.
Le rêve de ma vie.

Samedi 18 janvier, 12 h 30 et des poussières
J’ai croisé leurs yeux, ceux des futurs élèves, ceux des anciens venus nous saluer, ceux des parents. Cela fait 30 ans que je suis prof. Que vais-je encore donner et recevoir encore ?
La vie.

Samedi 18 janvier, 13 h 50 et des poussières
L’église est pleine à craquer. La plus grande du Maine et Loire après notre cathédrale, au cœur de cette petite ville rurale. Plus de mille visages, des larmes. Dernier adieu pour la maman de cette petite élève, de son frère ancien élève, tatate, soeur, fille, épouse. Le père Jean nous redit l’espérance, les chants, beaux, nous portent, le corps du Christ nous remplit d’amour. Et le dernier mot de l’époux, si simple, si humble. Des mercis pour l’équipe de soins palliatifs et son
   Je t’aime, à plus tard ma chérie.
À la mort, à la Vie.

Samedi 18 janvier, 16 h 30 et des poussières
La petite route de campagne de retour à la maison. Ma prière pour ceux que j’aime, ceux qui me manquent. La cuisine m’attend, ma mousse au chocolat, ma frangipane, les petits toasts, j’enchaîne, je souris, le ciel est bleu. On va fêter son anniversaire. La vie. Le petit mari rentre. Bernard est mort hier soir, tard. Je vais lui rendre visite, je reviens t’aider après… attends-moi.
La mort. la vie. Tout s’enchaîne.

Samedi 18 janvier, 21 heures et des poussières
Nos verres levés, nos surprises, nos sourires. Ses 25 ans. Nos enfants, leurs projets. Nos vies.
À la vie, à la Vie.

 

Au soir d’hier, d’un samedi presque ordinaire de janvier, j’ai ouvert une fois de plus les yeux sur l’indicible.

Il y a dans l’ordinaire de certains jours comme une lumière plus crue, plus vive, presque plus ardente de la présence de Dieu.
Je le sais.
Il est là.

 

Un samedi de la fenêtre de ma classe. La vie s’ouvre sur un nouveau matin.

 

 

 

 

Une p’tite quarantaine

Dimanche, on a attendu que le soir arrive et on a défait Noël, l’arbre, la crèche, la couronne à la porte d’entrée. On a rangé les bougies, les santons, les guirlandes. On a éteint les lumières.

Ce lundi, quand le jour s’est levé, j’ai écouté l’évangile – j’aime bien lire mais pour les évangiles, j’aime peut-être encore davantage les écouter alors je l’ai écouté celui d’aujourd’hui qui disait une parole de mercredi des Cendres. Ça m’a fait sourire. Noël rangé, Pâques reviendra.
Il y a eu l’Avent, il y aura le Carême.
Je n’aime pas beaucoup l’attente je crois mais j’aime beaucoup ces attentes-là.

Et ce calendrier qui chaque année conduit mes pas vers Dieu et jamais de la même façon. Le paradoxe des recommencements qui ne sont pas là pour répéter des habitudes mais pour grossir le cœur de ce qui surprend, s’ajoute, s’enfle. Oui, c’est ça. J’aime ce qu’il peut y avoir de nouveau dans les habitudes. Pas seulement pour Dieu. Dans la vie en entier, c’est pareil.

Alors j’ai plongé dans mon quotidien.
Celui  fait de simple et d’ordinaire, celui qu’on ne prend pas trop la peine de raconter. Loin des bruits parasites, dans le bruit des vies.
Le défilé des jours au collège à être avec eux, au mieux, dans la joie souvent. Le défilé des réunions en paroisse à partager avec une petite communauté, dans la joie souvent. Le défilé des rencontres dans le quartier, dans les rues plus lointaines aussi, le difficile qui m’arrête parfois pour que j’y pose un peu de joie, un peu oui. Le défilé des soirées à la maison riches de nous tous si souvent réunis, et le retour de petite Marie, bientôt, dans la joie, toujours.
Le riche du simple et de l’ordinaire. Le doux des habitudes. Le difficile au creux de quelques heures. La vie, rien de plus.

Et je me suis demandée combien de jours ce temps-là durerait encore. L’ordinaire entre l’Avent et les Cendres.
Un peu plus d’une petite quarantaine…
Oh…comme un tout petit désert empli du presque rien des jours. Un temps sans rien au bout. Un temps fait de lui-même. Et des autres, proches, tout autour.

Et peut-être que ce serait pas mal de le regarder autrement. Une petite quarantaine de jours ordinaires à remplir de Lui, à ne pas attendre de naissance ni de résurrection, à les savoir simplement, et prendre le temps d’entendre sa présence. Ici et maintenant.
Un temps sans rien au bout.
Juste une petite quarantaine d’amour.

à garder

– Madame, on va l’enlever la crèche ?

La phrase était interrogative et ils m’ont attrapée cet après-midi entre deux cours.
On l’avait installée ensemble le temps des récrés du premier lundi de l’Avent. J’ai cru que de la même manière, ils voulaient une  date pour la ranger.

– Oui, oui… on attend que le temps de Noël soit terminé et lundi, on range. Lundi, récré du matin, ça vous va ?

Ils se sont regardés. Exactement comme s’ils avaient quelque chose à me demander.

– On voulait savoir si, une fois qu’on l’aura enlever d’où elle est, si, au lieu de la ranger, on peut la réinstaller le temps du caté de vendredi prochain…enfin pas le décor si vous ne voulez pas, juste les personnages enfin juste Jésus, Marie et Joseph même, ça suffira…

– Et bien…ce ne sera plus Noël et j’ai prévu autre chose…mais…enfin, pourquoi vous voulez la réinstaller ?

– Mais pour notre coin prière de caté ! … Vous nous avez demandé de chercher des idées pour le préparer: on a décidé que garder la crèche et Noël tout le reste de l’année dedans, c’était bien non ? Vous voulez bien ?

 

J’ai souri. J’ai souri à leur bonne idée. J’ai souri à leur ça suffira.
Sans leur dire qu’il y a quelques jours, j’écrivais ici même que je voulais trouver Noël ailleurs.
Je me suis trompée de verbe. De Verbe peut-être même.
Ce sont eux qui ont raison.

Noël n’est pas à trouver.
Noël est à garder.

 

 

 

 

 

Soir

Le silence.

 

La maison s’endort, je veille. Vigilance promise à Ton écoute.
Une bougie, un peu de reste de Noël.
Je vais me défaire de mes gestes. Oublier mes mouvements.
Me poser.
Prendre un chemin en moi et attendre.

 

Ne rien dire. S’arrêter sur chaque image qui défile dans ma tête, puis, lentement,
essayer de ne voir que Ta Lumière et trouver, doucement,
des mots pour ma prière.

Entendre ceux qui me sont soufflés.

Promesses de lendemains riches de Toi.

 

J’éteins la bougie.
Volutes de fumée.
Derniers mots priés.

Lire encore, écrire un peu.

S’endormir.
Apaisée.

 

 

Trouver Noël ailleurs

Je vais bientôt ranger le petit Jésus d’argile, l’emmailloter dans un lange de papier de soie, le garder dans une boîte précieuse.
Je vais bientôt suivre un Jésus de Feu, continuer à lire Ses mots dans un livre aux pages usées, les garder au creux de mes heures.

Cinq jours et le retour du temps ordinaire.

 

Je vais trouver Noël ailleurs.
Continuer à le vivre.

 

 

 

Et ils avancent

Je joue encore à ça.

Chaque année, invariablement, je les fais avancer dans la crèche, sur un chemin de paillettes, je les approche un à un, doucement, les fais s’arrêter devant la mangeoire où un bébé semble dormir, reposé.
Ce n’est peut-être pas tant un jeu qu’un petit instant qui sourit à l’enfant que je fus et qui ne manquait jamais de faire parler les trois compères – l’un était fatigué, l’autre voulait s’arrêter là, le dernier soulignait que la nuit était proche et que l’étoile attendrait bien demain pour repartir. Ils pouvaient avoir faim, ils avaient souvent soif, je les rendais vivants.

Je les pose en silence aujourd’hui.
Je les fais toujours avancer sur le même chemin.

Et on dirait que chaque pas qu’ils font me rappelle que s’avancer vers Dieu prend ce long temps-là.
Et on dirait à faire avancer mes Mages entre Noël et l’Épiphanie que ce chemin est toujours à refaire.
Et on dirait qu’on y arrive à s’agenouiller devant ces langes qui l’emmaillotent comme devant le linceul qui bercera son corps meurtri mais que jamais, jamais on est assez là, vraiment là, et qu’il faut sans cesse repartir et refaire. Sans cesse revenir.

Je joue encore à ça. Je pose mes Mages un peu plus près de Lui chaque jour.
Et ils avancent.
Et moi dans leurs pas.

 

Vouloir la joie

“Rappelez-vous que lorsque vous quittez cette terre, vous n’emportez rien de ce que vous avez reçu, uniquement ce que vous avez donné.”
Saint François d’Assise

 

Sans doute qu’il y a l’habitude, probablement un rituel devenu mécanique, invariablement les mêmes mots. Des bises claquées sur nos joues, des sourires à faire briller les yeux, des mains aux paumes qui s’embrassent.
Le passage à l’an nouveau répète chaque année ses mêmes gestes et son lot de bons mots.

Evidemment, on sait bien que cela n’a pas d’effet sur les temps à venir, que chacune des petites listes de résolutions ne changera rien ni aux haines ni aux souffrances. Evidemment, les jours nouveaux recommençant n’aligneront pas des heures magiciennes teintées de rose bonbon. Evidemment, les vies garderont ces teintes de gris qui rappellent crûment, lorsqu’on souhaiterait l’oublier, que nous sommes simplement de passage.

Mais je continuerai à vouloir la joie.

Non pas celle qui aseptise l’air ambiant, factice, à coups de faux-semblants ou de pieuses paroles.
Non pas celle qui écarte, aveugle, les blessures, les miennes et celles qui croisent mon chemin.
Non pas celle qui vocalise, bruyante, les faux refrains des promesses de bonheur à tout prix.

Non, je continuerai à vouloir la joie.

Celle qui ouvre les volets au matin et sourit au ciel brumeux,
celle qui accompagne leurs mots maladroits,
celle qui croit que chaque main tendue vaut la peine,
celle qui embrasse le soir d’une toute petite prière.

Je continuerai à vouloir la joie. Sans majuscules, sans ostentation, sans audace.
Petite, volontaire et têtue.

 

Je vous souhaite à vous aussi, amis lecteurs, de poser un peu de joie dans vos heures de 2020, parce que je crois qu’en osant la vivre et la donner, elle vous fera sourire, dire merci et agrandir vos bras pour aimer. Belle année de joie à donner !

Corine

 

Chapelle Notre-Dame de la Joie – Penmarc’h

 

 

Comme une tempête

Jour 24

 

Et il y a toujours ce moment où mon ventre de maman pense à Marie, au feu brûlant qui a vécu en elle, à son oui qui nous a tout donné.

 

Faire naître est une tempête, un vent violent qui serre les entrailles, un souffle intérieur qui ne demande qu’à respirer.
Je crois que je sais vraiment Noël depuis que je suis maman. Oh non pas qu’on ne le sache pas autrement, mais je sais Noël comme ça depuis eux.
Parce que lorsqu’on a déposé mes bébés sur mon ventre, j’ai aussi su que donner la vie c’était à vie. Et une vraie tempête l’a bouleversée à jamais.

Faire naître est une tempête, un vent surprenant qui soulève les entrailles, un autre souffle qui s’unit au nôtre.
Marie. petite Marie, si grande. Je pense à toi. Ton Joseph est là, près de toi, seul. Là où les femmes du village, ta propre mère, tes tantes, tes sœurs, tes cousines auraient dû être. Marie, petite Marie, si forte.
Et la tempête a déchiré tes entrailles, un vent de Vie a ouvert ton corps, un Souffle est né de toi pour nous.

Il y a toujours ce moment où mon ventre de maman pense à toi, Marie, au feu brûlant qui a vécu en toi, à ton oui qui nous a tout donné.

Mes Noëls sont d’éternels mercis.

 

Jour 24
Et merci à toutes et à tous d’être là, d’être venus m’accompagner sur ce chemin d’Avent. Je vous souhaite à toutes et tous du fond du cœur, lecteur de passage, régulier, ami, proche, de vivre un très joyeux et saint Noël. Que ce Souffle nouveau vous apporte un peu de Paix.
Corine