Prière de fin d’année

Semaine sans mes élèves à déposer des mots qui feront des bilans, qui raconteront les fins, qui leur espéreront un bel été.
Semaine sans eux à imaginer déjà des (re)commencements avant les vacances qui laisseront en repos le temps… pour un autre temps à aimer.  

 

Seigneur

Je veux garder du souffle
Pour pouvoir te parler
Langage de mon âme
Te dire les mots
Sans cris, sans peur, sans larmes

Je veux garder au cœur
Les mémoires enfantines
Les détours, les chemins de traverse
Les sentiers délivrés
Où j’ai pu te croiser

Je veux garder le goût
Des matins espérés
Des soirs fragiles
Des jours amers et des nuits rêvées
Où je t’ai rencontré

Je veux garder du temps
Pour aller Te trouver
Instants bénis, précieux moments,
Issues promises
De silence, de liberté, de tendresse

Je veux garder encore
Tous les mots ramassés
Les pépites d’amour, les regards d’amitié
Partager avec eux ta prière
Partager avec eux ta présence
Unir nos respirations, nos vies, nos chemins
Et Te prier encore

Amen

 

Prières brûlantes

Je crois que parfois nos souvenirs se cachent à fleur de nos vies et qu’il suffit de peu pour qu’ils reviennent à nos mémoires.

La chaleur juste arrivée chez moi depuis hier a brûlé ma peau, étouffé l’air qu’on respire et je me suis rappelée.

C’était un 27 juin aussi. Mais un dimanche.
L’été de mes 9 ans est longtemps resté comme l’été de LA sécheresse et la chaleur dès ce matin-là ne démentait pas sa future réputation. Je ne me souviens pas vraiment de la longue messe sauf qu’elle était longue pour une petite fille pourtant sage et qu’elle faisait lever mon nez vers la nef d’une cathédrale où je mettais les pieds pour la première fois. C’était le fils d’un ami de Grand-père. Un très bon ami et nous étions assis tout près, ce qui immanquablement a dû me faire tenir tranquille.
Le soir en rentrant de l’ordination du fils de Marc – c’est comme ça que j’ai longtemps appelé le père Denis – j’ai soufflé sans doute un peu trop fort et soupiré un plaintif “j’ai eu si chaud et c’était si long”. Comme toujours, un vieil homme au regard clair m’a prise au mot :
– Tu ferais bien d’écrire une petite prière… brûlante, alors !
Je l’ai écrite.
Avec mes mots d’enfant et je peux la relire encore. Elle Te demandait pardon de ne pas avoir aimé ta messe et rien de rien car tout était très lent vraiment Jésus ce n’est pas possible si lent et merci des choux à la vanille juste après et de l’orangeade vraiment délicieuse.  Des mots d’enfant, écrits avec le cœur, sans nul doute.

Je ne savais pas que ma petite prière trouverait un autre écho presque 20 ans plus tard.

 

Ce matin-là, ce n’était pas juin mais une toute fin d’avril et étonnamment le premier jour très chaud d’un printemps plutôt maussade. Tout avait été annoncé mais peut-être un peu moins qu’aujourd’hui et nous nous étions réjouis à l’avance de ce qui serait une très très belle journée. On se disait que peu importait de toute façon, qu’il pouvait bien pleuvoir ce jour-là, ce serait le plus beau quand même. Il n’a pas plu et comme annoncé, nous nous sommes mariés sous un soleil ardent. Brûlant. Le temps de la messe dans la fraîcheur de la vieille église où j’avais été baptisée a rappelé aux plus proches que le baptême avait été aussi “des plus chauds”. Je me souviens que cela m’avait fait sourire.
Ce n’est que deux jours plus tard que j’ai écrit ma deuxième petite prière brûlante peut-être parce que j’aurais tant aimé que le vieil homme soit encore présent.
Avec mes mots de jeune femme et je peux la relire encore. Elle Te demandait cette volonté-là pour aimer toute une vie et merci parce que tous, absolument tous, étaient venus. Il ne manquait personne. Même lui était là.

 

Je ne sais pas si un jour il y aura une petite prière brûlante numéro 3.

J’aime bien relire ces deux-là parfois.
Quand le temps devient brûlant, curieusement, elles me procurent cette petite fraîcheur en me rappelant le pourquoi Toi, Tu es là, dans mes jours, pourquoi  j’aime Ton Église, pourquoi j’aime la vie.

Clin Dieu un peu bancal

Je voulais vous raconter un p’tit truc vite fait mais en vrai, je vais bien prendre mon temps.

Ce matin, c’était un dimanche tout soleil. Pas seulement par la fenêtre non, tout soleil aussi au-dedans. Peut-être parce qu’il n’y avait ni cours à peaufiner ni copies à corriger, que tout était prêt pour la dernière semaine de classe, peut-être aussi parce que la fatigue avait laissé place à une tête plutôt bien reposée.
Ce matin c’était un dimanche tout rempli. Le café vite bu, l’éveil à la Foi des tout-petits avait encore une prière à écrire, et sur un coin de cahier dans la cuisine, entre les lignes et les plats j’ai posé les mots tout en préparant le déjeuner. Mais la cuisine, tu as bien le temps, mais non, ce sera fait, on pourra filer faire une grande balade ensuite et profiter du temps et.
9h45. Dans 30 minutes en route vers l’église. Vite, plier du linge avant. Et si je cueillais les derniers Astroemères pour en faire un bouquet et.
10h00. La pile de linge dans les bras, je cours presque. Pour tout faire. Le pied gauche n’a pas le temps de s’arrêter devant le pied d’un lit qui lui n’a pas bougé d’un poil. Les secondes qui ont suivi ont juré tous les dieux de ma mythologie. (Jésus pardon mais je t’ai quand même épargné sur ce coup-là.)
Vous savez le pied nu dans un pied de meuble, oui.
Bien.
Et sinon, et bien continuez à écouter la petite voix de l’enfance que j’ai cru reconnaître: “ça fait mille fois que je te répète de ne pas courir pieds nus.”
Voilà.

Clopin-clopant. Boîte à pharmacie. Strapping pour les randos, heureusement équipée. J’ai attelé le petit doigt de pied à son voisin. Et j’ai tenté de continuer. Pas très longtemps. Eveil à la Foi heureux mais douloureux.

 

Déjeuner tranquille, finalement j’ai souri, au moins tout était prêt.
Pas de grande balade mais un bon fauteuil, jambes allongées, à l’ombre des chênes. Le soleil. Un peu de vent encore, léger. Et une pile de bouquins.

Une pile.
Des heures à lire.
Des heures arrêtées, à ne rien faire.
Une heure à écrire.
Les évangiles de Coquille enfin bouclés.
Le bonheur.
Si.

 

Enfin presque. Le petit doigt de pied violacé m’a un peu titillé, puis s’est calmé. Cassé ? Peut-être. Peut-être pas. J’avance quand même. Clopin-clopant.
Je peux conduire. Rien de grave.
Presque le bonheur de redécouvrir découvrir la lenteur. Et d’avoir “fait” un peu d’essentiel. Je crois même que mes chers élèves vont apprécier demain ce ralenti.

Parfois, tes Clins Dieu….Bref. Bon j’en veux bien quand même de Ton Clin Dieu un peu bancal qui heureusement me laisse le temps de réparer ça avant une mi-juillet et un départ pour marcher, se balader, visiter, rencontrer bref pour galoper avancer encore.  😉

(En vrai, j’ai envie d’écrire un grand MERCI 🙂 )

Sur le bord (8)

 

Ciel du soir
Fatiguée
Je vais m’asseoir près de Toi
Goûter la tranquillité, la fin d’une journée, le repos des heures
Apaisée
M’abreuver encore à la lumière du jour,
au calme des ombres, au doux du temps qui s’arrête. Enfin.

 

Recueillir les bruits, les blessures, les peines et les jeter au loin
Attraper au vol la douceur qui chancelle, m’attarder sur sa rive, la garder
au cœur de ma prière, au creuset de mes mots, au creux de mes paumes
Rester là
Sur le bord de Ton silence.

 

 

 

Sur le bord (7)

Ce bord-là, j’avoue que je l’aime beaucoup.
Pas de cette nostalgie qui vous plonge et vous enferme dans le passé, non, j’aime bien le bord de mon enfance parce que paradoxalement, il me tourne vers mon demain.
Je m’y retrouve c’est vrai et je me retrouve aussi, pour continuer. L’image a beau être galvaudée, elle est souvent juste: nos racines nous font grandir encore.

 

Ce long week-end de Pentecôte a ouvert trois vieux cartons laissés fermés depuis quelques années. Je savais ce qu’il y avait dedans et pas vraiment de place pour ranger des albums “rouge et or”, la collection intégrale au dos criant de fuschia de la comtesse de Ségur, et des Martine aussi. Peut-être bien que j’aime raconter beaucoup plus fièrement l’audace des Club des cinq, la frondeur des collections vertes que j’empruntais aux garçons ou même des Fripounet remplis d’astuces: eux, ça fait longtemps que je les ai déballés.
Mais ces petits cartons aux allures rose bonbon, non.
Je crois bien qu’on aime une partie de soi toujours un peu plus qu’une autre.

J’ai ouvert le premier sans surprise. La comtesse était là avec ses malheurs de Sophie et son pauvre Blaise. Sourires.
J’ai ouvert le deuxième, les Martine trop sage. Sourires.
Et le dernier, plus léger, oh… quelques Fripounet oubliés. Des bricoles hétéroclites et quatre petits livres de poche.
Quatre petits livres. Oubliés. Presque complètement.

Et un. Parmi les quatre.

C’est étrange la mémoire.
Je me suis d’abord rappelée de sa couverture.
Le jeune garçon aux lèvres pincées, les bras repliés sur son guidon. Oui, je me souviens.

C’est alors que j’ai aperçu l’auteur.

 

L’étonnement est difficile à dire avec les mots.

Surtout quand ils cherchent comment la mémoire a pu oublier. Et son nom. Et l’histoire même de ce petit livre.
Je me suis arrêtée et trois quarts d’heure plus tard, j’ai émergé de ses pages jaunies par le temps.
Je n’avais rien gardé.
Rien de ce petit livre.
Juste le souvenir de l’avoir lu oui, ce dessin en noir et blanc à la dernière page, une fin  d’histoire peut-être mais si peu. Tellement peu. 
Ni l’histoire au fond.
Ni les prières d’Israël d’un petit garçon à bicyclette.
Ni les rues de Jérusalem.
Ni le titre de ce chapitre 3 “qui gravira la montagne du Seigneur ?” et mes souvenirs de balade à vélo avec ses mêmes mots pourtant. Exactement.

Il y a deux ans et demi, juste avant de partir en Terre Sainte, on m’a beaucoup parlé d’Amos Oz.
J’ai entendu là son nom pour la première fois.
C’est ce que j’ai cru.
Depuis j’ai lu neuf de ses romans. Je me disais depuis quelques jours d’ailleurs il faudrait que je lise encore, arriver à ma petite dizaine. J’aime bien lire autant que j’aime.

C’était sans compter sur ce rebord du temps qui m’avait une fois de plus bien devancé.
Voilà, je sais pourquoi j’aime tant le bord de mon enfance. Encore une fois, je m’y suis retrouvée.

 

Sur le bord (6)

C’est un peu étrange ce bord-là.
Là où se dépose ce qu’on a vécu et qu’on garde pour soi.
Uniquement pour soi.
Nos secrets, nos intimes, nos dedans.
Parce que le dire et même si aujourd’hui on dit tellement et même si je dis beaucoup parce que le dire est impossible.
Parce que ça n’appartient qu’à moi. Parfois à d’autres mais à moi, d’abord.

C’est un peu étrange ce bord de nous que seul Dieu connaît.

Et souvent j’imagine tous les bords de chacun de nous que Dieu écoute et regarde et aime.
Et je me dis que ses bras sont vraiment immenses pour prendre nos peines.
Et je me demande tout le temps tout le temps vraiment, et je Lui demande:
– Mais comment Tu peux ?

Au ciel

Un mercredi qui court encore entre les classes du matin et l’après-midi trop occupé. Enfin le temps qui s’arrête, essoufflé. Rentrer à la maison en sachant que je vais pouvoir grappiller un peu de temps au temps.

Je grimpe dans mon bureau.
La pièce fermée depuis l’aube a besoin de respirer. J’ouvre sa fenêtre. On dirait que la vigne vierge élance ses bras, empoigne le premier nuage qui passe, fait un pas de deux, et valse, valse, valse. Les nuages bombent leur torse, peut-être bien que leur cœur bat un peu plus fort. Leurs contours en fil d’argent me sourient.
Le ciel raconte le beau quand nos yeux s’y accrochent.

Je m’assois enfin à mon bureau.
Il faudrait se mettre au travail. Juin demande encore, juin demande beaucoup. Peut-être même davantage auprès des jeunes fatigués, démotivés parfois, avec les collègues fatigués eux-aussi. Il faut être là. Encore.

Je souris. Je lève le nez.
Le Ciel pourrait bien avoir des réponses à mes questions et mes yeux l’interrogent encore.
Mais le ciel aujourd’hui semble seulement me dire que la vie est jolie vigne amoureuse qui virevolte dans des bras qui dansent tout ronds de douceur.

Il faudrait fermer la fenêtre maintenant, se concentrer un peu.

J’ouvre mes cahiers, j’allume l’ordinateur. Il faut préparer.
Un regard encore.
Le Ciel nous dit d’aimer la vie. Cela n’a rien de naïf.
Le Ciel nous dit d’aimer. C’est sûr.

Le reste, peu importe

C’est drôle la vie.
Ça fait pas mal d’années, beaucoup oui, que je me demande où a bien pu passer ce petit cahier bleu clair. Il y a le rouge, l’orange à la couverture glacée, le bleu mais plus foncé, le vert un peu délavé. À chaque fois que je terminais un petit cahier, je voulais que le prochain ait une couleur différente. Rouge, orange glacé, bleu foncé, vert un peu délavé. J’en avais cinq et ça fait pas mal d’années que je ne sais pas où a disparu le bleu clair.
Je les achetais gros et à grands carreaux. Gros, ça veut dire 96 pages. J’ai toujours trouvé ça étrange 96. Pourquoi pas 100, un nombre tout rond. Mais peu importe parce que 96 pages multipliées par 5 cahiers, ça fait un joli nombre de petites prières.
Ça fait pas mal d’années que j’ai perdu un de mes cinq cahiers de petites prières d’enfant. Oh…des petits bouts de mots, souvent de pas grand chose mais peut-être bien que je n’ai jamais écrit mieux depuis. Et souvent je les relis, avec tendresse, et elles font parfois mes prières d’aujourd’hui.

C’est drôle la vie.
Je ne savais plus ce qu’il y avait dans ce cahier bleu clair. Celui entre mes 11 et 13 ans.

 

Il y a un mois, je l’ai retrouvé.

Je rangeais une pile de livres et j’ai dû déplacer de vieux magazines, abonnements de petite fille. Le cahier bleu clair glissé entre deux Fripounet est presque tombé à mes pieds.

C’est drôle la vie. Aussitôt, je me suis dit c’est drôle la vie j’ai bien envie de le raconter ce petit morceau d’aujourd’hui.
Mais je n’y arrivais pas. Je trouvais ça un peu ridicule au fond et puis, qu’est ce que je pourrais bien en dire, ça n’intéresse personne un petit cahier bleu d’enfant.

C’est drôle. J’ai tous mes cahiers, je les ai relus, d’une traite. Ce soir. Des centaines de petites prières. Je les trouve jolies non pas parce qu’elles le sont mais parce qu’elles parlent de mon chemin et que ce chemin raconte quelque chose de moi et de Dieu.
Et c’est peut-être juste ça, ce que je peux dire. Ce que je veux écrire.
Le plus important c’est le chemin. Ton chemin. Il t’appartient.
Le reste, les autres, ce qu’ils en pensent, finalement peu importe.

C’est drôle la vie. Le petit cahier bleu clair s’est arrêté à la page 82.
Il ne voulait plus parler à Dieu. Il avait 13 ans et ses raisons.
Et puis il y a eu le bleu foncé, et le vert délavé. Et des grands cahiers ensuite avec des pages blanches et des pages blanches tapées à la machine à écrire et des prières enfin gardées dans un dossier d’ordinateur.

Ton chemin. Le reste, peu importe.

 

Sur le bord (5)

C’est peut-être à cause d’une Grand-mère qui disait que l’avenir appartenait à ceux-là. J’aime le tôt du matin.

J’aime ce rebord du temps qui recommence.
Il croit en l’homme, il a le pardon au bord du cœur, il aime encore.
Il ressemble à Dieu.

Sur le bord (4)

Elle ne s’asseyait jamais vraiment. Posée seulement sur le bord de la chaise.
Elle ne s’asseyait pas tout à fait. Le corps laissé un instant à la limite, prêt à repartir.
Surtout ne pas s’installer au fond du canapé, surtout ne pas se laisser aller.

Les premières fois, elle est même restée debout. Les bras chargés des pommes de son jardin, cueillies pour moi.
– Je ne reste pas…Il faut que je me sauve…Les enfants m’attendent.
Il y avait toujours une raison pour que Sandrine ne réponde pas à mon invitation au café.

Elle ne s’asseyait pas au début.
Sur le bord, elle était sur le bord tout le temps.
Chez moi sur le bord d’une chaise chez elle sur le bord de la vie.

Puis, son corps s’est enfoncé un peu, un peu plus loin à chaque fois, son dos doucement a osé, doucement s’est appuyé sur le dossier du canapé.
Et sa vie avec. Ancrée dans un peu de meilleur. Un peu.

 

Je pense souvent à ce bord-là.
Je pense souvent à tous ceux qui n’osent pas s’asseoir au fond des chaises par peur de déranger, à toutes celles qui restent au bord de leur vie parce qu’il n’y a pas beaucoup de place au-dedans pour elles, à tous ceux que je croise dans ma vie qui restent en frontière des choses et des gens sans oser avancer. Sur le bord.

 

Et parfois, devant un café partagé, il y a un instant presque joli.
Comme avec Sandrine, un après-midi où elle a osé être là.

Elle a soulevé la tasse, bu une gorgée, fermé les yeux.
Elle a reposé le café.
Elle a poussé son dos, croisé ses jambes, croisé ses bras aussi.
– On est bien au fond.