Ce bord-là, j’avoue que je l’aime beaucoup.
Pas de cette nostalgie qui vous plonge et vous enferme dans le passé, non, j’aime bien le bord de mon enfance parce que paradoxalement, il me tourne vers mon demain.
Je m’y retrouve c’est vrai et je me retrouve aussi, pour continuer. L’image a beau être galvaudée, elle est souvent juste: nos racines nous font grandir encore.
Ce long week-end de Pentecôte a ouvert trois vieux cartons laissés fermés depuis quelques années. Je savais ce qu’il y avait dedans et pas vraiment de place pour ranger des albums “rouge et or”, la collection intégrale au dos criant de fuschia de la comtesse de Ségur, et des Martine aussi. Peut-être bien que j’aime raconter beaucoup plus fièrement l’audace des Club des cinq, la frondeur des collections vertes que j’empruntais aux garçons ou même des Fripounet remplis d’astuces: eux, ça fait longtemps que je les ai déballés.
Mais ces petits cartons aux allures rose bonbon, non.
Je crois bien qu’on aime une partie de soi toujours un peu plus qu’une autre.
J’ai ouvert le premier sans surprise. La comtesse était là avec ses malheurs de Sophie et son pauvre Blaise. Sourires.
J’ai ouvert le deuxième, les Martine trop sage. Sourires.
Et le dernier, plus léger, oh… quelques Fripounet oubliés. Des bricoles hétéroclites et quatre petits livres de poche.
Quatre petits livres. Oubliés. Presque complètement.
Et un. Parmi les quatre.
C’est étrange la mémoire.
Je me suis d’abord rappelée de sa couverture.
Le jeune garçon aux lèvres pincées, les bras repliés sur son guidon. Oui, je me souviens.
C’est alors que j’ai aperçu l’auteur.
L’étonnement est difficile à dire avec les mots.
Surtout quand ils cherchent comment la mémoire a pu oublier. Et son nom. Et l’histoire même de ce petit livre.
Je me suis arrêtée et trois quarts d’heure plus tard, j’ai émergé de ses pages jaunies par le temps.
Je n’avais rien gardé.
Rien de ce petit livre.
Juste le souvenir de l’avoir lu oui, ce dessin en noir et blanc à la dernière page, une fin d’histoire peut-être mais si peu. Tellement peu.
Ni l’histoire au fond.
Ni les prières d’Israël d’un petit garçon à bicyclette.
Ni les rues de Jérusalem.
Ni le titre de ce chapitre 3 “qui gravira la montagne du Seigneur ?” et mes souvenirs de balade à vélo avec ses mêmes mots pourtant. Exactement.
Il y a deux ans et demi, juste avant de partir en Terre Sainte, on m’a beaucoup parlé d’Amos Oz.
J’ai entendu là son nom pour la première fois.
C’est ce que j’ai cru.
Depuis j’ai lu neuf de ses romans. Je me disais depuis quelques jours d’ailleurs il faudrait que je lise encore, arriver à ma petite dizaine. J’aime bien lire autant que j’aime.
C’était sans compter sur ce rebord du temps qui m’avait une fois de plus bien devancé.
Voilà, je sais pourquoi j’aime tant le bord de mon enfance. Encore une fois, je m’y suis retrouvée.