De nos corps et du Sien

On s’appelle, on se textote, on roule, on marche. On se rappelle, on se retextote, on roule encore, on marche encore. En boucle. Je ne sais où. Et on ne se retrouve pas. On tourne encore, on n’y arrive pas. En vrai.

Je me réveille. Ouf. Je suis réveillée. En vrai. Oui, en vrai cette fois. Premier mauvais rêve – je n’aime pas le mot cauchemar, premier mauvais rêve de confinement…ou  de déconfinement, je ne sais trop.

 

 

Le café s’attarde un peu, on est samedi après tout.  Les mains retiennent le chaud de la faïence. Elles se posent ensuite sur les pages d’une Bible. Le papier semble encore plus doux au toucher ces temps-ci. Je relis ce Livre que j’aime tant.
Puis mon corps se lève, doucement. Il n’y a pas d’urgence aujourd’hui. Je cherche des nouvelles d’A. Pas encore de nouvelles mais celles d’hier étaient bonnes.  Mon amie opérée en urgence il y a deux jours d’une rupture d’anévrisme va bien : les membres de son corps fonctionnent, elle comprend. La parole seule est encore absente. Je prie Dieu. Et Syméon, tu sais toi.

J’ai rincé la tasse et je l’ai laissée sur le rebord de l’évier. J’en reprendrai un autre tout à l’heure.
Mes jambes me mènent doucement vers la porte du jardin. La fraîcheur de la pluie nocturne sur l’herbe, je reste un peu malgré le frais sur mes épaules, ça sent bon.  Des moineaux s’attardent entre les rangs de haricots puis sur les branches du cerisier. Mais rien à chiper encore. Ils chantent  pourtant. La nature est heureuse je crois.

Pas un autre bruit au dehors.
Je repense à mon mauvais rêve.

Nos corps nous manquent. Nos mains qui se serrent en des bonjours amicaux, nos bras qui s’embrassent, nos joues qui se tendent. Nos corps nous manquent. Nos peaux qui s’effleurent dans la file d’attente, dans le métro trop serrés, dans les couloirs qui défilent. Nos corps nous manquent.

Et Son Corps ? J’ai lu encore. Leurs avis, leurs colères.
Il ne me manque pas Ton Corps à moi, non. Non et peu importe ce que les autres en pensent. J’ai Ta Parole. Tellement plus depuis des semaines. Avec ce temps presque arrêté qui me donne le temps de Te lire et relire. Dans Tes livres, oh celui-ci, et les évangiles.
Je me nourris de Tes mots.
Et Ton Corps ? Non, Il ne me manque pas. Je Te sais là. Et je repense à tes amis après Pâques. Je pense aux miens. Ce sont leurs corps qui me manquent, ceux de ma famille, de mon église, de ma vie.
Combien Ton corps de chair, disparu, a dû leur manquer.

Parce que Tu marchais, ils suivaient Tes pas, ils ont peut-être bien retiré tes sandales au soir et soulagé tes pieds fatigués.
Parce que Tu tenais le pain, ils partageaient avec Toi les repas, les sourires, les larmes. Tes mains dans leurs mains.
Parce que Ton corps avec leurs corps ne voulaient faire qu’un. Combien le vide de Toi a dû leur manquer.

Nos corps nous manquent.

Je reprends un café.
J’ouvre enfin l’évangile du jour.
« C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. »

Mais nos corps nous manquent Seigneur.

Avec ses mots

J’avais distribué les Vendredi ou la vie sauvage une semaine avant le confinement.
Alors pendant quatre semaines de travail via nos écrans, j’ai guidé mes 6è à travers l’île de Robinson.

Voyage entre les lignes de Michel Tournier. Un peu perdus parfois sur cette île déserte. Égarée, je l’étais aussi, comment faire sans les voir, moi qui les croise depuis presque 30 ans.

Nous avons tenu comme nous avons pu, avec des petites astuces dans mes messages et leurs instants à poser des questions, à inventer  jour après jour comment garder nos sourires, toujours. Certains ont eu un peu de mal à trouver le chemin mais au final, nous avons tous réussi à rencontrer Vendredi et à dire au revoir à Robinson et Dimanche avant les vacances.

Vacances.
On a essayé de se donner des conseils pour déconnecter un peu et profiter des petits riens du quotidien de nos maisons et pour beaucoup ici, de la chance d’un jardin. J’ai pensé à ces quelques-uns, celles et ceux pour qui la vie était difficile bien avant et parfois un peu plus douce en venant au collège chaque matin.

On s’est dit au revoir, au lundi 27 presque comme d’habitude avec le rituel d’une p’tite histoire à écrire. Parce qu’il y avait eu cette question: “Madame, est-ce qu’on aura nos 7 mots comme avant chaque vacances ?”
Le principe comme un rituel pour aimer écrire, un peu plus encore.
Des mots piochés dans les séances précédentes. Avec, ils racontent un bout de leurs voyages imaginaires.

Et pour le lundi de la rentrée, vous rédigerez un texte avec les mots suivants:
ami, apprendre, bouteille, carte, espoir, porte, vérité.

Ce sont donc des mots qu’on avait rencontrés dans le chapitre. Certains avaient déjà ouvert un horizon vers d’autres îles, d’autres naufrages, d’autres aventures.

ami, apprendre, bouteille, carte, espoir, porte, vérité.

Avec le droit de conjuguer, de mettre au singulier, pluriel, féminin, bref du moment qu’il y ait les 7. Règles d’un jeu, juste pour écrire.

Après les vacances de la Toussaint, celle de Noël et de février, j’avais récupéré des petits bouts de textes et de très jolies histoires, toujours en lien avec le chapitre et l’oeuvre du moment. Toujours, j’insiste.

Alors, là, j’attendais mille aventures de Robinson, de Vendredi, de naufrages, d’îles, de natures à rivaliser avec celle d’un tableau du Douanier Rousseau affichée en classe.

 

L’affiche est restée au mur de leur classe.

 

J’attendais une échappée sans doute. Des rêveries.
Mais c’était sans compter sur D. 

Elle n’avait pas envie d’attendre lundi.
Alors, au midi d’aujourd’hui, elle a dû ouvrir sa messagerie et d’un clic ou deux, elle m’a envoyé son travail. Avec un petit bonjour en sourire comme elle en a toujours. Malgré tout.

Tout est là, exactement.
Loin de Robinson et de son île, mais tout est là, avec ses 12 ans.
J’attendais des rêveries. Quand leurs mots veulent dire la vie. Malgré tout.

 

Le confinement vu par une ado
Ce confinement est très dur car on ne voit personne. Moi je trouve que cette période difficile a des côtés négatifs et des côtés positifs :
les côtés négatifs :
– On ne voit pas la famille et les amis. Moi, ça me manque beaucoup. La vérité c’est que  je suis vraiment très proche de ma famille. Mais vous allez me dire que j’ai de la famille chez moi. Oui, j’ai  mon frère, ma maman et mon papa. Mais je suis vraiment très proche de toute ma famille (mes grands-parents, mes oncles, mes tantes, mes cousins et mes cousines). Quand je ne les vois pas, je demande même à ma maman si on peut aller les voir car ils me manquent beaucoup.
– Des personnes meurent dans le monde entier et tous les jours. Cela me touche et me rend triste.
– Mes amis me manquent beaucoup.
– Mes activités en dehors du collège me manquent aussi. J’ai hâte de reprendre le basket.
les côtés positifs :  
– Dans ma famille personne n’a la maladie donc ça me rassure. J’ai encore un petit espoir que le coronavirus n’arrive pas dans ma famille et je le souhaite à toutes les familles du monde entier.
-Je soutiens tous les soignants qui travaillent 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Dans notre pays on a la chance d’avoir des soignants qui ont des compétences.
-A la maison je passe beaucoup plus de temps avec ma famille proche. Je profite de toutes les choses que je ne prends pas forcément le temps de faire en semaine ou le week-end : faire des balades, des jeux, de la cuisine…  Je trouve ça chouette !!!
– Grâce à ce confinement je vais apprendre à être plus autonome dans mon travail scolaire. Il faut plus se débrouiller quand les professeurs ne sont pas là.
En ce moment on a l’habitude de toujours pousser les mêmes portes, de toujours voir les mêmes personnes…  mais je pense quand même à mes amis, à ma famille…
Du coup, j’ai fabriqué des cartes pour eux mais bien sûr, je leur donnerai quand on pourra. Je ne peux pas faire comme Robinson sur son île et jeter des bouteilles à la mer !!!
Journaliste en herbe : D.
Reportage avril 2020

 

L’empreinte des mots

J’ai repris mon vieux stylo plume au soir de ces derniers jours.
Pour écrire des lettres.
J’ai retrouvé cette petite tache, presque creusée, d’un bleu profond, à l’intérieur de mon majeur comme si à nouveau on y avait déposé l’empreinte de mes mots. 

Mon vieux, très vieux Waterman, celui qui écrivait mes cartes postales de vacances. Celui qui se laissait aller en longues rédactions de collège. Celui qui s’épuisait encore à travailler des textes au tard d’une lampe de bureau.
Mon vieux, très vieux Waterman. Cadeau d’un autre temps. Délaissé au profit d’un clavier ou même de feutres légers et modernes qui glissent encore plus vite sur le papier. Il a fallu un peu de temps pour qu’il retrouve sa place dans ma main d’aujourd’hui. Non pas pour trouver les mots. C’est facile d’écrire aux gens qu’on aime ou à ceux à qui quelque mots diront qu’on est avec eux, un peu. Non, j’ai mis un peu de temps à cause de ma main. Mes doigts habitués aux touches des claviers ou au léger d’un crayon ne reconnaissaient plus le vieux plume. Il a fallu que je lui fasse de la place à nouveau. L’écriture était belle pourtant avec ses airs d’un bleu d’autrefois. 

J’ai rangé mon vieux plume dans mon pot à crayons. Il y a des choses qu’on aime garder, qu’on croit devenues inutiles ou presque et qui retrouvent vie au détour d’un drôle de temps.

Au moment d’écrire ma petite prière du soir, j’ai repris mon vieux stylo.Il a fallu que je lui fasse à nouveau une place dans ma main, il ne l’avait pas encore trouvée. Il faut toujours du temps pour apprivoiser les choses oubliées. 

J’ai refermé mon cahier. J’ai regardé mes doigts. Une petite tache bleue, creusée, comme autrefois.
Et ma petite prière, joliment bleutée.
Je me suis rappelée ses mots qui m’apprenaient que Jésus écrivait sur le sable.
Je me suis rappelée ma question d’enfant.

Est-ce que lui aussi, parfois, gardait une petite tache, appuyée, presque creusée, est-ce qu’il gardait l’empreinte de ses mots ?

j’ai souri en imaginant un peu du bleu du Ciel à l’intérieur de Son majeur. Mon imagination. Elle s’amuse très souvent, je crois.

J’ai relu ma petite prière.
J’ai fermé les enveloppes avec mes lettres bien pliées au-dedans.

Mon vieux plume continuera à envoyer des mots.
Pour qu’il laisse aussi leurs empreintes sur moi.
Avec comme un tout petit peu de Ciel bleu.

 

Avez-vous ici quelque chose à manger ?

J’ai souri à ma petite prière du matin.

J’ai souri. Ce n’est pas très sérieux de lire ta Parole et de sourire.
Mais ce n’était pas un sourire moqueur. Oh non. J’ai souri parce que ce Dieu qui veut toujours se mettre à table me fait sourire. Et je laisse aux autres, habiles et érudits, les symboliques passionnantes des repas de Jésus.
Vous me connaissez, Dieu, je L’aime dans le simple quotidien de nos vies, entre les murs de nos maisons, sur les trottoirs de nos rues, dans l’ordinaire de notre temps.
J’ai souri. Ce n’est pas très sérieux de lire ta Parole et de sourire.
Mais Ta question qui demande à se mettre à table me rend joyeuse ce matin.
“Avez-vous ici quelque chose à manger ?”

Tu me rappelles mes heures quotidiennes à leur préparer des petits plats pour que le confinement soit un peu plus doux.
Tu me rappelles les goûters de leurs anniversaires qui rassemblaient leurs copains d’école pour souffler des bougies.
Tu me rappelles les pommes que Sandrine venait apporter et qui était tant malgré son je n’ai pas grand chose d’autres à t’offrir.
Tu me rappelles ces réveillons de fin d’année avec celles et ceux qui sont loin et dont on essaye de se rapprocher, un peu.
Tu me rappelles les temps de repas à Lourdes, lorsqu’on devient si proches.
Tu me rappelles des soupes chaudes qui réchauffent des ventres et remettent parfois sur pieds.
Tu me rappelles les pique-niques d’élèves, les repas de Noël, les déjeuners d’été sous un vieux cerisier.
Tu me rappelles l’amitié autour des dîners du samedi soir.
Soudain, je sens le goût qui revient, les papilles qui se réveillent, les parfums qui chatouillent les narines.
On dirait que la vie veut vivre.

Le café, Ta Parole, mon sourire.
J’ai souri à ma petite prière du matin.
– Avez-vous ici quelque chose à manger ?
– Prends une chaise Jésus, installe-toi à ma table, partage chaque heure de ma vie.

J’ai souri à ma petite prière du matin.
Il y a dans l’interrogation de Ta Parole ce matin une invitation à T’aimer.
– Tu as le temps d’un p’tit café ?

Une brèche dans le temps

L’âge est un dernier long voyage un quai de gare et l’on s’en va
Il ne faut prendre en ses bagages que ce qui vraiment compta
et se dire merci de ces perles de vie
et certaines blessures au goût de victoire
Et vos gestes y revoir tes parfums ton regard ce doux miroir où je voudrais nous revoir

 

J’ai déversé les gros sacs de photos papier.
J’ai aimé ce vrac de ma vie étalé sur le divan de mon bureau.
Et j’ai trié.
Enfin je voulais trier. Mais chaque photo a pris le temps de revenir avec son souvenir.  

J’ai croisé ma famille, mes amis, ceux que j’appelle les miens comme si je voulais faire de ce possessif un rempart, peut-être même une forteresse à cette heure d’un temps comme hors du temps.

Drôle de parenthèse dans ce confinement où mes fragilités font place à mes certitudes.
Et si je suis malade ?
Et si je meurs ?
Que restera-t-il ?

 

 

Drôle de parenthèse dans ce temps confiné. Quand au détour d’un paquet de photos de ses premières années, j’ai retrouvé celle-ci.
Comme une brèche.

Je m’en souviens comme si c’était hier. Aux pieds du château, la rivière, le vieux lavoir, les herbes hautes. On pouvait approcher au plus près de l’eau, observer son courant, et derrière les folles herbes les insectes, les oiseaux, les poules d’eau qui faisaient leur vie sans nous. Il ne fallait pas faire de bruit. Regarder. Simplement regarder en silence. Je me souviens de sa curiosité d’enfant qui voulait toujours s’avancer davantage sur les chemins. Et de la main, à peine posée, pleine d’amour, simple rempart devant un pas qui aurait pu se faire danger.

Je me souviens de cette photo. Une de mes préférées parmi tant.
Peut-être parce qu’elle  dit ce que je voudrais être encore pour les miens. Ce que je voudrais qu’ils soient pour moi.
Cette main qui nous protège. Pleine d’amour. Qui nous garde, tous, vivants.

Que restera-t-il ?
De nos vies que l’idée de la mort rend si vives en ces jours. 
Des gestes, leurs mains, des parfums, nos regards. Quelques mots.
Et ces perles de vie.

En mille mercis.

 

 

Dans le temps

J’en ai rêvé si souvent. Que le temps s’arrête et que je puisse le prendre, à pleines mains, pour écrire. Sans que rien ne me contraigne jamais à m’arrêter.
J’en ai rêvé si souvent et depuis deux jours, mon rêve est là. Indécent.
Des vacances d’élèves sans plus rien dedans. Envolé le nouveau projet d’atelier d’écriture, disparues les heures hospitalières à Lourdes. Et avoir soudain l’impression de n’être plus “utile”, de “ne pouvoir servir.”
Il y aura de celles et ceux qui se sentiront coupables de cet abri au creux de ce drôle de temps.

Et j’ai recroisé ce petit livre prêté par ma grande fille. D’une rencontre bouleversante dans le collège où elle enseigne, tout près de Rennes, il y a tout juste un an. “Lis maman, quand tu auras le temps, Magda est un petit bout de femme si grande, très grande.”

Entre le réveil et le temps des  Laudes, retrouvé, j’ai pris le petit livre. J’ai lu. Dans ce premier matin, des mots sur la vie et ses temps offerts par “une rescapée des ténèbres”.
Et j’ai su qu’à pleines mains, enfin, je pouvais être dans mon temps. Et désormais écrire cette vieille histoire, sans rougir, sans craindre ce temps donné à contre-temps.

Dans le temps…

Je donne le temps.
Je compte le temps.
Je prends le temps.
Je perds le temps.
Je remets le temps à demain.
Je force le temps.
Je me noie dans le temps.
Où en suis-je dans ce tourbillon qui passe ?

Penser la vie, est-ce la vivre ? Sera-t-elle comme nous l’avions pensée ? J’ai amassé des expériences. J’ai vu la vie sans fard. J’ai compris que la vie ne se vit pas au conditionnel, elle se vit au présent et au singulier. Inventer la vie, c’est abandonner mon vouloir sur ma vie. C’est me laisser faire par elle.

La vie m’a appris à vivre chaque instant comme si c’était le dernier.
Je me laisse recevoir par l’instant présent.
Chaque présence m’offre un moment unique.
Sa beauté m’apaise, de là, j’entends ce que Tu ne dis pas.
La joie de vivre, c’est le ciel sur la terre.

Magda Hollander-Lafon, Quatre petits bouts de pain-Des ténèbres à la joie, 2012

 

Vieillir

– Mais Jésus alors, il n’a jamais été vieux ?

 

Petite, j’ai détesté Dieu d’avoir laissé son fils mourir.
J’aimais tant Jésus que je l’aurais bien fait vieillir plus que de raison plutôt que de le ressusciter.
Il serait devenu un vieil ami aux cheveux blancs, “couronne d’honneurs”, passant par toutes les étapes de la vie et surtout celles de la vieillesse.
Ma théologie de petite fille s’accommodait bien mal d’un Dieu fait chair qui endosse nos souffrances cloué sur une croix, pour le salut de nos âmes, tout comme elle ne comprenait pas que les trop vieux Adam, Noé, Abraham ou Gédéon avaient eu, eux, le droit aux rides. Et je me souviens encore avoir murmuré “même Job, il a pu vieillir.”
Je ne savais pas très bien la mort je crois, je comprenais la souffrance, j’aimais l’idée de vieillir. Pas celle de mourir trop tôt.

Je souris parfois à la petite fille que j’étais qui osait toujours “mais Dieu il savait très bien la peine et la souffrance et la mort et puis il pouvait le faire ressusciter vieux !”
Là, personne n’essayait plus de m’expliquer laissant au temps le rôle ingrat de me convaincre.
Il le fit.

Pourtant, revient au cœur depuis quelques petites années cette question d’enfant.

– Mais Jésus alors, il n’a jamais été vieux ?

Vieillir.
Le verbe n’a sans doute pas tout à fait le même sens pour chacun d’entre nous.
Je me rends compte qu’il est entré dans mon vocabulaire depuis peu. Il y a trois ou quatre ans peut-être, avec la cinquantaine. J’aurais bien aimé que Jésus soit là avec ses 50 ans, ça m’aurait aidée à comprendre pourquoi on admire les belles vieilles personnes une fois devenues vieilles mais pas les belles personnes qui vieillissent. Ou pourquoi à 20 ou 30 ans, on peut rêver tout haut et plus après. Ou pourquoi on habille les gens de présupposés sur ce qu’ils sont ou pensent dès qu’ils ne sont plus assez jeunes. Et puis, il aurait pu m’expliquer pourquoi l’idée de la mort se fait parfois plus vive aujourd’hui. Plus réelle.

Vieillir.
Je me rends compte que j’aime bien ça finalement. Sincèrement.
J’apprivoise doucement mon corps qui se fait parfois plus lent, plus fatigué.
Je n’aime pas trop les gris encore mais je regarde mes petites rides avec bienveillance.
Je connais bien mes pas, mes gestes, mes manières et je me surprends moins, c’est bon de s’aimer mieux.
Je savoure le temps retrouvé depuis que les enfants ont quitté la maison, toujours présents, tellement présents, mais leurs propres ailes font que l’espace de mes lectures et de mon écriture s’agrandit chaque jour un peu plus. Et c’est doux, après des années à les faire grandir de les voir grands.

Vieillir.
Je me souviens d’Angèle à Lourdes, l’année d’avant sa mort.
– 96 ans ma petite, Dieu exagère, non ? Il sait pourtant combien je L’attends. Mais j’ai tellement de chance de ne rien regretter. Vieillir donne le temps de se préparer.

– Mais Jésus alors, il n’a jamais été vieux ?

Je ne crois pas que je poserai encore cette question aujourd’hui. Je sais que l’ami qu’il est n’a pas d’âge. Ou seulement celui d’aimer.
Je vais souffler mes bougies ce soir.
Un anniversaire encore qui me redit les mots d’Angèle.

Vieillir me donne le temps d’aimer.

 

 

Carte de fidélité

-Notre carte de fidélité peut-être ?

Machinalement, elle a posé la question en tapant sur la caisse, mon sourire lui a répondu non, j’ai réglé mes achats, elle m’a souhaité une belle journée.

J’ai rangé mes courses, terminé mes copies et filé ma petite heure de mercredi à l’abbaye.

J’avais besoin de silence pour dire merci.

 

J’aime bien dire merci à Dieu, de plus en plus je crois. C’est le truc que je ne faisais pas tant que ça mais depuis que je me fais des petites listes de mercis, ça réduit la tristesse d’autant. C’est comme si les mercis à Dieu ressemblaient à des bras tendus pour étreindre la vie.

 

Je ne sais trop pourquoi dans ma prière la carte fidélité du magasin est revenue à mes oreilles et ça m’a fait sourire. En vrai, je ne sais pas vous comment vous faites mais moi ma prière elle est pleine de trucs de ma vie qui rappliquent plus vite que mes pensées. Parfois ça déconcentre un chouilla et souvent ça ajoute autant de pardons à mes mercis.

Comme elle était là ma carte de fidélité, j’ai demandé à Dieu ce que ça voulait dire.

Et puis je suis rentrée.

 

J’allais lui préparer une p’tite soirée d’anniversaire alors j’ai compté. 29 ans. C’est balèze 29 ans.
Tiens c’est peut-être ça.
S’agirait pas de faire de grands discours de toute façon je ne les aime pas. Mais ma fidélité c’est peut-être ma volonté mêlée à la sienne. Depuis presque 29 ans qu’on se connaît avec nos failles, nos fissures, nos à peu près.

Mais surtout avec nos mercis, nos s’il te plaît.

Avec tous nos pardons.

Notre carte de fidélité peut-être ?  😉

 

 

 

 

à la vie, à la Vie

Il y a dans l’ordinaire de certains jours comme une lumière plus crue, plus vive, presque plus ardente.
Il y a dans le même temps exactement une lumière plus crue, plus vive, presque plus ardente braquée sur notre humanité, sur ce qui pourrait montrer l’absurde de nos existences.

 

Samedi 18 janvier, 6 h 20 et des poussières
Premier réveil et le sourire de savoir que le temps n’avait pas oublié mon anniversaire de maman et ses 25 ans à Elle, ma petite, ma grande.
7 h 12, je laisse une petite trace.
Je sais exactement où j’étais il y a 25 ans et ce que je ressentais. 7 h 12. Entrée en salle d’accouchement pour la première fois de ma vie. J’avais froid. J’avais peur. J’ai pensé à Marie. Je me sentais minuscule et grande en même temps.
La vie.

Samedi 18 janvier, 8 h 20 et des poussières
Arrivée au collège un samedi, le samedi de nos portes ouvertes. Cela fait plus d’une semaine qu’on prépare, qu’on décore un peu plus, qu’on fait le collège encore plus beau. Petit, étiqueté “catholique”, au milieu d’une toute petite ville rurale. 12 classes. Le difficile, le rude de certaines de leur vie et si souvent le doux pour essayer de vivre vraiment ensemble. L’étonnant presque d’une équipe de profs heureux d’être là. Heureux de pouvoir travailler dans la bienveillance et l’amitié. Et le rêve un peu fou de croire que de petits collèges, de petits lycées, du temps donné, du dialogue en échange d’une vraie reconnaissance, pourraient rendre le visage de l’enseignement aujourd’hui à nouveau souriant. Cela paraît si simple.
Le rêve de ma vie.

Samedi 18 janvier, 12 h 30 et des poussières
J’ai croisé leurs yeux, ceux des futurs élèves, ceux des anciens venus nous saluer, ceux des parents. Cela fait 30 ans que je suis prof. Que vais-je encore donner et recevoir encore ?
La vie.

Samedi 18 janvier, 13 h 50 et des poussières
L’église est pleine à craquer. La plus grande du Maine et Loire après notre cathédrale, au cœur de cette petite ville rurale. Plus de mille visages, des larmes. Dernier adieu pour la maman de cette petite élève, de son frère ancien élève, tatate, soeur, fille, épouse. Le père Jean nous redit l’espérance, les chants, beaux, nous portent, le corps du Christ nous remplit d’amour. Et le dernier mot de l’époux, si simple, si humble. Des mercis pour l’équipe de soins palliatifs et son
   Je t’aime, à plus tard ma chérie.
À la mort, à la Vie.

Samedi 18 janvier, 16 h 30 et des poussières
La petite route de campagne de retour à la maison. Ma prière pour ceux que j’aime, ceux qui me manquent. La cuisine m’attend, ma mousse au chocolat, ma frangipane, les petits toasts, j’enchaîne, je souris, le ciel est bleu. On va fêter son anniversaire. La vie. Le petit mari rentre. Bernard est mort hier soir, tard. Je vais lui rendre visite, je reviens t’aider après… attends-moi.
La mort. la vie. Tout s’enchaîne.

Samedi 18 janvier, 21 heures et des poussières
Nos verres levés, nos surprises, nos sourires. Ses 25 ans. Nos enfants, leurs projets. Nos vies.
À la vie, à la Vie.

 

Au soir d’hier, d’un samedi presque ordinaire de janvier, j’ai ouvert une fois de plus les yeux sur l’indicible.

Il y a dans l’ordinaire de certains jours comme une lumière plus crue, plus vive, presque plus ardente de la présence de Dieu.
Je le sais.
Il est là.

 

Un samedi de la fenêtre de ma classe. La vie s’ouvre sur un nouveau matin.

 

 

 

 

Une p’tite quarantaine

Dimanche, on a attendu que le soir arrive et on a défait Noël, l’arbre, la crèche, la couronne à la porte d’entrée. On a rangé les bougies, les santons, les guirlandes. On a éteint les lumières.

Ce lundi, quand le jour s’est levé, j’ai écouté l’évangile – j’aime bien lire mais pour les évangiles, j’aime peut-être encore davantage les écouter alors je l’ai écouté celui d’aujourd’hui qui disait une parole de mercredi des Cendres. Ça m’a fait sourire. Noël rangé, Pâques reviendra.
Il y a eu l’Avent, il y aura le Carême.
Je n’aime pas beaucoup l’attente je crois mais j’aime beaucoup ces attentes-là.

Et ce calendrier qui chaque année conduit mes pas vers Dieu et jamais de la même façon. Le paradoxe des recommencements qui ne sont pas là pour répéter des habitudes mais pour grossir le cœur de ce qui surprend, s’ajoute, s’enfle. Oui, c’est ça. J’aime ce qu’il peut y avoir de nouveau dans les habitudes. Pas seulement pour Dieu. Dans la vie en entier, c’est pareil.

Alors j’ai plongé dans mon quotidien.
Celui  fait de simple et d’ordinaire, celui qu’on ne prend pas trop la peine de raconter. Loin des bruits parasites, dans le bruit des vies.
Le défilé des jours au collège à être avec eux, au mieux, dans la joie souvent. Le défilé des réunions en paroisse à partager avec une petite communauté, dans la joie souvent. Le défilé des rencontres dans le quartier, dans les rues plus lointaines aussi, le difficile qui m’arrête parfois pour que j’y pose un peu de joie, un peu oui. Le défilé des soirées à la maison riches de nous tous si souvent réunis, et le retour de petite Marie, bientôt, dans la joie, toujours.
Le riche du simple et de l’ordinaire. Le doux des habitudes. Le difficile au creux de quelques heures. La vie, rien de plus.

Et je me suis demandée combien de jours ce temps-là durerait encore. L’ordinaire entre l’Avent et les Cendres.
Un peu plus d’une petite quarantaine…
Oh…comme un tout petit désert empli du presque rien des jours. Un temps sans rien au bout. Un temps fait de lui-même. Et des autres, proches, tout autour.

Et peut-être que ce serait pas mal de le regarder autrement. Une petite quarantaine de jours ordinaires à remplir de Lui, à ne pas attendre de naissance ni de résurrection, à les savoir simplement, et prendre le temps d’entendre sa présence. Ici et maintenant.
Un temps sans rien au bout.
Juste une petite quarantaine d’amour.