Le beau n’est pas légèreté

Fin de matinée.
Caté avec mes petits élèves qui grandissent.
Ils m’avaient demandé si je pouvais leur parler du pardon.

Leurs mots sont bien plus beaux que les miens.
Il y a du beau dans cette relation-là. Et dans leurs paroles.
Ce sont eux qui m’apprennent à aimer, à prier.
Le beau n’est pas légèreté.

 

” Pardonner, ça déchire à l’intérieur. Parfois on préfère garder le mal qu’on nous a fait. On n’a pas envie de l’enlever, peut-être parce qu’on a peur d’oublier. On ne veut pas oublier le mal qu’on nous fait.”

“Pardonner, c’est après qu’on se rend compte que ça enlève la boule qu’on a dans le ventre.”

“Demander pardon, c’est reconnaître qu’on peut faire souffrir quelqu’un et ça, ça c’est difficile, je préfère souvent ne rien voir.”

” Je croyais que pardonner ça me rendait faible.”

“C’est vraiment très difficile quand quelqu’un qu’on aime ne veut pas nous pardonner.”

“Je ne pourrai pas pardonner un truc trop dur, trop horrible. Des crimes. Des violences. Ce n’est pas possible de tout pardonner. On n’est pas Dieu.”

” Il faut du temps pour pardonner. Si on le fait trop vite, si on pardonne comme ça, on se rend compte que ça marche pas. Faut être vraiment sincère. C’est très difficile d’être sincère.”

“Vous avez vu sur le tableau d’Arcabas… le fils, on dirait qu’il a à la fois les bras en croix et en même temps levé vers Dieu…c’est ça demander pardon en vrai, ça fait mal et ça fait du bien, en même temps.”

Petites minutes

Deux semaines de Carême et je me rends compte que je vous raconte presque seulement mes regards. Je n’oublie pourtant ni les musiques, ni les peintures, ni les mots. Je garde les parfums et les goûts. La beauté effleure tous mes sens.
Mais aujourd’hui encore, ce sont mes yeux qui l’ont vue… enfin presque.

Il faut que je vous dise avant…
J’étais une petite fille calme, on me disait sage, je crois que j’étais docile, vraiment. Rarement, je fus punie. Punitions qui ne paraissent même pas en être aujourd’hui.
Assise sur une chaise, près de la fenêtre de la cuisine, à méditer le pourquoi, avouer une bêtise, préparer un pardon, voilà l’endroit où je pouvais être consignée pour une heure. Et je regardais le ciel. En attendant qu’on revienne vers moi, je regardais le ciel. Et je m’inventais des histoires dans les nuages, sous les vents ou même avec la pluie qui glissait sur les carreaux.

Je vous dis ça parce que lorsque j’attends quelque part – non plus punie 😉 – lorsque j’attends, je cherche souvent le ciel.

Il était 16 heures passées et j’avais promis aujourd’hui à Sandrine de l’emmener faire quelques achats. Sandrine n’a pas de voiture et moi, pas de machine à coudre, alors toutes les deux, on échange nos petits services.
Je l’attends souvent Sandrine, peut-être bien qu’elle n’a pas de montre non plus.

Facile de trouver le ciel dans une voiture.
J’ai levé le nez.
Et j’ai vu l’océan.
Au bout de la route, au loin.
J’ai souri.
Vraiment. Déjà partie sur le long du sable à marcher, déjà enroulée dans mon écharpe à regarder les vagues, les mains plongées dans le fond de mes poches déjà à respirer le vent. Son vent.

– oh oh…!
Elle a frappé à la vitre. J’ai déverrouillé ma porte.
– Tu rêvais dis donc, désolée j’suis un peu en retard ça va toi ? tu sais que j’étais au téléphone avec le réparateur tu sais pour mon chauffe-eau et bien bon bref ça va toi ?…
– Très bien. Grâce à toi je viens de passer dix belles minutes au bord de l’océan.

Sandrine est entrée comme une bouffée d’air frais. Elle a ri à mon histoire de ciel. Non mais c’est le ciel, bizarre mais le ciel. Elle s’est moquée doucement de moi. J’ai ri avec elle.

Il suffit de presque rien, dix petites minutes parfois, pour que ce soit beau, le monde, juste là.

Trop près pour être beau

Le jour s’est levé…et pas sur une étrange idée.

Je suis retournée à la maison après la petite-messe-de-Carême-du-mercredi-7-heures-du-mat.à la chapelle.
Il restait un peu de temps encore avant de partir travailler. Le jour s’est levé. Le ciel avait encore sa teinte sépia et semblait faire du dehors des photos d’un autre temps.
Et je me suis juste rendue compte que depuis le début du Carême (deux semaines, je compte 😉 ), depuis le début du Carême donc, je n’ai pas mis les pieds dans mon petit jardin ou si peu.
Alors, j’ai eu l’idée pas si étrange d’en faire le tour au matin.

 

Le Jour s’est levé et m’a redit que, souvent, trop souvent, le beau est à porter du regard, tellement près qu’on ne prend même pas le temps de le voir.

           
  

Petits instantanés de beau

Il y a des rendez-vous qu’on prépare depuis des semaines et des semaines. On se demande si tout va bien se passer. On s’inquiète du temps qu’il fera. On se questionne est-ce que ce sera bien, dis ?
Et l’heure du rendez-vous arrive.

C’était ce soir.
Après la classe. Jusqu’au pique-nique ensemble.
Tout était fin prêt. Un grand jeu dans tout le collège pour leur faire découvrir un lieu qui n’existe pas encore tout à fait.

L’au-mô-ne-rie.

C’était ce soir. 40 jeunes de quatrième et troisième. Des filles et des garçons, les doigts d’une main connaissent bien l’église, les autres sont souvent très loin. Loin, oui. Des chercheurs de Dieu, peut-être. Ou même pas. Simplement être là, avec les copains, venir découvrir, être ensemble, chercher. Ouvrir une Bible pour la première fois, découvrir le pays de Jésus à l’issue d’un puzzle, retrouver des mots qu’on aime, ceux qui réchauffent.
Pari réussi.
Ils étaient heureux.
Je crois que Jésus aurait vraiment aimé les croiser sur sa route ces jeunes-là.

C’était bien. Vraiment. Les mots manqueraient presque.

Mais il reste leurs post-it. Leurs mots à eux, tout simples.
Petits mercis comme des instantanés de beau.

           

 

 

 

 

 

Belles

Il y a eu ceux qui n’ont pas osé l’enlever en descendant du car, celles qui l’avaient sous le menton, celui qui est venu sans le grand sourire aux lèvres, celle qui le gardait dans sa poche, ceux qui avaient l’impression qu’il leur manquait un truc, celles qui se cachaient encore un peu derrière de gros foulards.

Il y a eu leurs yeux qui nous ont dévisagés toute la matinée.

Puis, il a fait très beau. La cour de récré a retrouvé son animation, ses sourires.
Au soir, ils ne nous regardaient plus.
Demain, l’habitude du masque sera presque oubliée.

De ce long lundi, revenue sur la terre du collège, je n’avais rien vu de très beau.
Si ce n’est tous leurs visages en entier et leurs sourires en vrai.

 

Mais, en quittant le dernier cours de la journée, j’ai suivi dans les escaliers ces deux filles de 3è, deux chouettes filles, deux amies, souvent drôles et touchantes, pleines d’un humour pas si fréquent à leur âge je trouve. Et j’ai saisi des bouts de leurs mots.

– Mais c’est la beauté intérieure qui compte !
Éclats de rire.
– Non mais le masque, ça cachait bien mes boutons quand même !
Nouveaux éclats de rire.
– C’est rien tout ça, il y a mille fois plus grave que nos tronches !
Rires à l’infini.

Belles.

 

Le beau, ce n’est pas rien.

Monastère de Martigné-Briand, 21 heures.

La journée s’achève ici avec les Complies. Tout est silence.        

Dieu, garde-moi, car j’ai fait de toi mon refuge.
Je dis au Seigneur: “C’est toi le Seigneur !
Je n’ai pas de plus grand bonheur que Toi !    

 

Ici, le beau a envahi chaque recoin de l’espace et du cœur. Mais il ne faut pas s’y tromper.
Ici, le beau ne rend pas aveugle.
Le monde est là, dans chaque ligne de ma Bible, dans chaque mot partagé, dans chaque sentier qui regarde le printemps recommencer.

On pourrait croire le refuge des Bénédictines facile, coupé des soucis de nos quotidiens, loin des actualités guerrières.
Il n’en est rien.
Il y a la paix pourtant.
Celle des silences, celle des prières, celle des mots que l’on garde.
Ici, le beau met les cœurs à vif pour prier Dieu.

                                          J’ai ouvert ma fenêtre au matin sur des bras de ciel. J’ai touché le soleil sur le banc de pierre. J’ai croisé les deux ânes, les moutons et les jonquilles qui s’affolent. J’ai fermé les yeux quand elles chantaient pour que leurs voix restent en moi. J’ai lu et relu Jonas. Je sais que Dieu nous aime plus que jamais je n’oserais l’imaginer. Même quand la tempête fait rage, même quand les larmes sont de sang, même quand la vie semble perdue.

Le beau de Dieu, ce n’est pas rien.

 

Des routes qui sont belles

Il y a des routes qui sont belles parce que je sais où elles me mènent.

Celles vers ceux que j’aime, celles vers l’océan et celle-ci.
C’est une toute petite route de campagne, très sinueuse, qui quitte les champs pour  suivre les vignes. Les villages traversés semblent d’un autre temps et certains noms laissent imaginer le sucré de leur vin. La pluie a cessé. Un arc-en-ciel me fait un joli clin Dieu. Je dépasse Saint-Aubin-sur-Layon. J’y suis presque.
Le monastère de Martigné-Briand a laissé son grand portail blanc ouvert.
Je sais les murs ocre, l’immense platane plus que centenaire, et le beau silence.
Ce soir, je retrouve la paix.
M’emplir de paix pour la donner au monde.

Il y a des routes qui sont belles parce que je sais où elles me mènent.

Celle-ci, elle me pousse jusqu’à Toi. Comme celle qui me guide vers ton océan. Chaque fois que je prends la route vers le monastère ou vers la Bretagne, j’ai le même sentiment : c’est comme si j’allais chez Dieu plutôt qu’Il ne vienne chez moi. C’est toujours étrange.
Et puis, parfois comme aujourd’hui, il y a ce sentiment mêlé d’un peu de tristesse de quitter seule la maison et la famille le temps d’un week-end et, en même temps, la joie de retrouver les Sœurs, leurs prières et la chaleur de leur chapelle. Et finalement la joie d’être seule aussi.

Il est un peu tard.
Il n’y a plus un bruit.
Ce soir, c’est mon petit ordinateur qui ronronne le temps d’un billet.
J’ai peu de temps parce qu’ici le temps est ailleurs. Et peu de mots finalement pour dire le beau de mon refuge.

Et je me dis que mes routes sont belles non pas parce qu’elles le sont mais seulement parce que Dieu, têtu et fidèle, se retrouve toujours au bord de mon chemin.

Beau comme un cadeau

Parfois je crois que le beau se trouve dans la joie. Une joie toute simple, presque tranquille, qui remplit le cœur sans déborder.

J’ai recompté les années avant de vous écrire ce billet.
29 ans.
Oui, cela fait 29 ans que j’enseigne dans le même petit collège – encore lui.
Si je compte les années, ce n’est pas pour vous redire que j’y suis bien, non. Ça, je crois que vous le savez déjà. Si je compte les années, c’est parce que l’an prochain, pour mon trentième anniversaire, je devrais recevoir un joli cadeau. 😉

Voilà, je vous explique.
Mon petit collège est catholique. En dehors de nos cours, avec deux amies et plein d’autres bonnes volontés, on y propose du caté, des temps de pastorale, des séjours en monastère, des crèches et des jardins de Pâques, des chemins de Carême et des chemins de randonnées, des partages de Bible et des mots en partage. Bref. Plein de trucs pour que Dieu devienne un compagnon de route. Il n’y a pas toujours foule au portillon mais on s’en fiche un peu. Les élèves savent aussi pourquoi ils peuvent nous trouver dans ces endroits-là.

Mais quels endroits ? Dehors, sous le grand chêne quand il fait beau. Dans une salle de classe… ah non pas celle-là elle est déjà prise, une autre alors peu importe et non ici, ah…plutôt là…
On trimbale nos caisses de crayons, de prières et d’un peu de lumière.
On râle parce qu’on ne sait pas où ranger tout notre bazar – le mien souvent.

Peut-être que vous l’avez compris mais ça fait 29 ans que je bosse dans un collège catholique.
Sans aumônerie.
Rien.
Pas le moindre petit espace dédié à Dieu.
J’exagère un peu parce que Dieu, dans ce petit collège, je le croise partout. Il est bien là quand même.
Mais bon, pas d’aumônerie dans ce collège catho.

Pardon, l’explication a été un peu longue et je ne vous ai pas révélé le cadeau de mes 30 ans.
Si, si, si.

Une aumônerie.

LA. JOIE.

Le collège va transformer une vieille maison qui donne sur sa cour en plusieurs salles. Dont une au-mô-ne-rie. Je me le répète depuis plusieurs semaines pour savourer le mot et tout ce qui va avec.

 

Et ce midi, j’ai ouvert sa porte pour la première fois. Il y a quelques travaux qui vont être entrepris mais la pièce est jolie. Lumineuse. Pas trop grande mais assez. Claire. Avec une grande cheminée.
Ce midi, on s’est plantés au milieu de la pièce avec mes deux amies-collègues-de-pasto et vous auriez dû nous voir. Là, on pourra faire des étagères, là, le coin-prière, là… si on faisait une petite commission”aumônerie” pour laisser leurs idées transformer le lieu ?

Ce midi, vous auriez dû voir nos sourires. Et ma joie.
C’était beau.

 

Le beau en liste minuscule

Depuis une semaine déjà, je surveille, je cherche, je traque presque, j’épie le beau.

Depuis une semaine déjà, j’aime bien ce chemin-là.
Il ne me fait rien oublier des gris de notre monde.
Il m’aide à espérer, à partager, à prier.

Étrangement, au soir de cette première semaine, je n’ai pas vu de beau en grand, rien de flagrant, aucune évidence à l’œil nu.
Aurais-je assez cherché ?

Étonnamment, ce soir, je n’ai  fait qu’une toute petite liste de tout petits riens.

– La chapelle au matin, 7 heures tout juste, petite messe pour ce temps de Carême: la pénombre en entrant, la lumière du jour en sortant, remplie de Dieu pour commencer la journée. C’était beau.
– Le collège à la récré, ça n’arrête pas de frapper à la salle des profs ce matin,  c’est pour toi Corine,encore pour toi, toujours!… dernier jour d’inscription pour la soirée de pastorale des plus grands, ils se bousculent au portillon, faut dire que ça fait deux ans que c’est un peu mort les temps festifs. Et leurs sourires dans leurs yeux. C’était beau.
– La coiffeuse, fin de matinée, sa croix, en or sûrement, finement ciselée, celle de sa marraine décédée, qu’elle ose plus que jamais sur son joli chemisier fleuri comme un printemps qui commence. Je l’ai regardée dans le miroir en racontant des bribes du monde. C’était beau.
– L’annonce d’un nouveau mariage dans la famille toute proche comme l’inattendu d’une vraie surprise. C’était beau.
– Le travail avec une nouvelle collègue qui habite à deux pas de la maison – sans la connaître- et les atomes crochus, chaque heure un peu plus, qui ressemblent à un début d’amitié. C’était beau.
– Les premières gariguettes venues de Plougastel, juste passées dans une larmichette de beurre salée, posées dans la galette de blé noir, simplement. C’était beau.
Et bon. 😉
– Une réunion de préparation d’un nouveau chemin de Première communion avec les amis de la paroisse. Il faut que je vous laisse. Ce sera sûrement beau.

 

Depuis une semaine déjà, je surveille, je cherche, je traque presque, j’épie le beau.
Ce soir, il s’ajoute à ma vie en petite liste, minuscule.

 

Belle Parole

Peut-être bien que ce petit instant attrapé chaque jour au début du matin, peut-être que ce petit instant est beau.

Il y a d’abord mon réveil qui n’a presque jamais besoin d’une mécanique musicale pour ouvrir les yeux et il est toujours la bonne heure pour me lever.
Il y a la vieille laine de grand-mère posée sur mes épaules comme une embrassade avant de descendre les escaliers et le chat qui se frotte déjà à mes mollets pour lui ouvrir la porte vers le jardin.
Il y a le parfum du café qui redit le matin goutte après goutte et la chaleur de la tasse entre mes mains.

Et il y a ce petit instant.

Pendant que le pain grille, pendant que le couteau étale un peu de beurre sur la tartine, pendant que je déjeune doucement, elle est là, Elle est là.
Ma bible. Sa Parole.

Quand il n’y a rien d’autre à garder de mes journées, quand les heures au soir sont tristes ou fatiguées, je sais qu’il y a eu un matin et qu’il y aura au lendemain ce petit instant.

 

Il y a ce petit instant attrapé chaque jour. Les pages se tournent comme une caresse sur un papier plus doux qu’une peau. Les mots se lisent comme une parole qu’Il oserait me murmurer chaque matin.
Et ses mots, ce temps, le café, ce pain, les parfums de la maison, sa lumière qui se lève, c’est le beau que j’emporte avec moi. Pour Le garder, pour qu’Il me garde.

Peut-être bien que ce petit instant, dans ces matins où je voudrais le monde en paix, peut-être bien que ce petit instant, en ce Carême, est ma seule prière.
Belle Parole.