De l’eau, simplement

16h00. Elle a frappé à la porte. J’ai dévalé l’escalier. Je n’attendais personne mais j’aime vraiment les visites improvisées de mon mardi-bureau-maison-sans-cours qui me sortent de mes préparations, de mes copies, de mes bouquins. Souvent, il y a un p’tit café qui va avec.
16h00 et quelques secondes. Ses cheveux gris maintenant, ses yeux pétillants, son corps un peu penché sur une canne, Marie a trois ans de plus que moi et traîne son cancer depuis plus d’un an. Chimio terminée, ses beaux cheveux sont là. Elle me sourit.
Marie.
Voilà plus d’un an que je ne l’ai vue. Nous ne sommes pas amies vraiment, nous nous aimons bien. Parfois vous savez, je ne sais plus trop définir l’amitié, je ne sais pas bien les bords, les limites. Peut-être bien que Marie est mon amie. Elle a été ma collègue il y a pas mal d’années dans un remplacement dans mon petit collège avant de reprendre ses études et de s’attaquer au concours. Réussi. Même passion que moi pour les lettres classiques qui l’ont ensuite menée vers d’autres lieux. Elle est restée vivre dans notre petite ville préférant faire la route pour aller enseigner à Angers.

Voilà plus d’un an que je ne l’ai vue et elle frappe à ma porte, un mardi de mai, comme ça.

Je voulais te voir. 

 

16h15. Un petit quart d’heure et on a déjà beaucoup parlé. Et sourit. Il est des partages qui remplissent, doucement, un vide qu’on ne savait pas là. C’est étrange.
16h15. Je sais l’heure parce que j’ai regardé ma montre. Une réunion m’attendait au collège à 17h.

Tu sais on va préparer enfin une rando à Bellefontaine. Mais j’ai encore plein de temps, ce n’est qu’à 17h, tu veux un p’tit café ?

16h et je ne sais plus très bien. Je n’ai plus regardé l’heure.

Non, de l’eau, simplement.

Pas de café, Marie ne prend plus de plein de choses qui faisaient sa vie avant mais son sourire, encore, son sourire tout le temps.

Et tu vas comment dis ?

Doucement mieux… Les soignants, extra. J’ai appris beaucoup. Tellement. Tu sais combien j’aime apprendre…

Je sais.
On a parlé. On a écouté.

16h45. Elle a regardé sa montre cette fois, s’est levée doucement.
On ne s’est pas embrassées. Mais on a souri, mes yeux dans le pétillant de ses yeux. Comme si on s’embrassait.

 

Je n’attendais personne mais j’aime vraiment les visites improvisées de mon mardi-bureau-maison-sans-cours qui me sortent de mes cours, de mes copies, de mes bouquins.

Marie a frappé à ma porte, on a partagé un verre d’eau, simplement.
C’était plus que bon. 

 

Petit courage

“…mais courage !” Ce p’tit matin de lundi a ouvert sa prière et sourit.

 

Parfois, souvent même, c’est vrai qu’un mot de l’évangile du jour me fait sourire. En général, il est sorti du contexte de l’Écriture, c’est un peu le jeu. Ce lundi matin après un long week-end tout cocon n’a pas manqué de me rappeler que devant une journée pleine de cours qui allaient s’enchaîner, il y avait toujours cet espace avant de redémarrer où se glisse un ” je n’ai pas beaucoup de courage ce lundi…”

“…mais courage !”
L’ évangile avait donc cette allure de coup de main bienvenu.

 

Et la journée a commencé. Une heure, deux, trois. C’était bien parti quand à la fin de cette troisième heure qui attendait une quatrième, il a fallu comme à l’habitude et assez vite, distribuer le gel parce que ceux-là filent à la cantine, désinfecter les tables, ouvrir toutes les fenêtres pour aérer la salle et ne pas traîner à rejoindre la classe suivante, alors j’ai empoigné mon cartable qui le bougre, ventre repu du lundi, a fait claquer son ouverture et a déversé à mes pieds son contenu sans avoir eu le temps de réagir. Oui, de quoi être essoufflée rien qu’à le dire. Adieu livres, cahiers, classeurs, dégringolés les uns sur les autres, mêlant leurs pages, faisant valser leurs anneaux, déversant leur mots tristement au long du grand escalier extérieur… trempé d’une pluie qui battait le pavé depuis l’aube. Le lyrisme n’y était pourtant pas lorsque, face à l’ampleur de la scène, un regard sans doute désespéré passa au-dessus de mon masque.

“… mais courage Madame !”

 

Et leurs petites mains bienveillantes ont attrapé mes trésors de prof avant même que je ne réalise. Quelques feuilles humides mais si peu. Elles m’ont suivie, chargées de mes cahiers défaits et de mes classeurs sens dessus dessous jusqu’à ma dernière heure de la matinée. Les grands qui m’attendaient ont commencé leurs recherches étymologiques avant même que je leur rappelle notre petit rituel:

” …courage Madame, on fait notre défi et on vous aide ! “

Pas besoin, leur calme de 10 minutes a presque suffi. L’essentiel était sauf.

 

Enfin, l’après-midi s’est fort bien passé.

 

Au retour, ce soir, dans ma p’tite voiture – haut lieu de relectures de mes journées – je me suis dit que le courage, petit courage tout relatif de ma journée, n’était rien et que le courage, petit ou grand, existait peu sans la bienveillance, la gentillesse, les coups de main des quelques-uns bien intentionnés qui croisent nos chemins. Plutôt que simplement le souhaiter, comme ces “courage! ” que je lance en l’air parfois, offrir de quoi le mettre en route, c’est plutôt bien.

“…mais courage !”
Ce p’tit lundi a ouvert sa prière et sourit en clin Dieu. Merci.  

La maison s’est vidée doucement

Dimanche. La maison s’est vidée doucement. Je retrouve mon bureau. Ils sont partis les uns après les autres rejoignant leur maison, un autre repas d’une autre famille, leurs études. Je retrouve ma semaine à organiser, les appréciations de mes élèves à déjà compléter, les derniers cours à ajuster. L’esprit n’est pas tout à fait là encore, le café brûle un peu, le cœur est ailleurs. J’entends leurs sourires, les mots doux, les éclats de rire, leurs voix qui chantent. Les temps ensemble sont toujours fait d’inévitables séparations. Je ne suis pas triste. C’est même plutôt l’inverse. Je suis à nouveau remplie d’eux. Mes enfants.

Je me souviens d’il y a quelques années, les années de leur enfance, de leur adolescence, les années pleines d’eux où, parfois, aux soirs des week-end trop remplis, j’ai rêvé d’un peu de solitude pour lire, écrire, travailler, souffler aussi. Et combien aujourd’hui je sais qu’il est bien plus facile pour mon quotidien de les savoir grands mais que rien ne change au fond: ils tiennent toute la place. Je suis toujours remplie d’eux, de leurs joies, de leurs peines. Mes enfants.

Dimanche. La maison s’est vidée doucement. Le petit mari est parti lui aussi reconduire Marie. Et à l’heure où j’écris ces mots, je suis seule. Même les chats m’ont quittée, plongés dans leurs rêves où je suis certaine que les enfants ont une belle place. Je souris. J’aimerais qu’à l’instant ce qui remplit ma vie puisse aller au-delà répandre la joie. On aime tous croire que le bonheur ne tient qu’à ça, à pouvoir le partager. Je rêve encore. J’ai ouvert le journal tout à l’heure. Je sais bien le monde. Il ne m’empêche pas d’être heureuse, il me pousse juste à croire encore, avec plus d’entêtement que de naïveté, que dire la joie c’est comme teinter les jours d’un peu de joli, et que ça ne s’efface pas.

Dimanche. La maison aime le silence. On dirait qu’elle prie. Le vent, seul, fait vibrer l’espace. La vigne vierge danse à ma fenêtre. Le clavier s’arrête. Qu’est ce que cela veut dire parler à Dieu ?
Peut-être que dans un petit merci je peux oser sourire aux demains. Et être remplie d’amour.
La vigne vierge caresse le ciel.
Je crois qu’Il m’entendra.

 

Un petit oui

Je me souviens comme si c’était hier de la veille de ce jour-là.

 

Il y a 27 ans, le 29 avril, c’était un vendredi. Je le sais car le lendemain, le samedi 30 avril, à 11h30, je me marie.
Je l’écris au présent parce que je ne peux pas l’écrire autrement. Je crois que ce jour-là n’appartient pas à mon passé, à notre passé. Je sais que le 30 avril, depuis 27 ans, c’est au présent que nous le vivons.
Mais, jamais, non jamais, je ne me glorifie de ces 27 années comme si je les dressais en étendard. C’est vrai que j’aime compter les années parce que le nombre commence à faire “important” mais je préfère, dans ce nombre-là, y lire et y relire l’addition de tous nos mercis et surtout de tous nos pardons. Tous nos pardons. Non, pas de vaine gloire à croire à une victoire. Il n’y a rien à gagner ou à perdre. Il y a à vivre seulement.

 

Il y a 27 ans, le 30 avril, je me marie.
Et chaque veille, je repense à la joie. Oui, il n’y avait que de la joie. Et je m’étais même dit, je m’en souviens bien, qu’une mariée stressée ce jour-là, oh non, ça se voit tellement sur les photos ! Je ne voulais que des sourires. Il n’y a eu que des sourires.

Et un sourire, encore plus particulier, adressé au 30 avril trois ans encore plus tôt. Il y a 30 ans.
Le 30 avril 1991. Vers 19h30, la copine Val était passée à mon appartement. J’avais déjà quelques copies à corriger et décidé de m’y mettre pour en être “débarrassée”. Et nous étions mardi de toute façon, elle me connaissait bien Val,  j’évitais les sorties sur semaine.

– Mais demain c’est le 1er mai ! Tu n’as pas de cours, tu pourras corriger ! Allez viens donc, tout le monde est là, on se retrouve et Luc vient avec de nouveaux amis !

Je ne sais pas ce qui m’a décidée. La perspective du lendemain férié qui c’est vrai me donnait du temps, le soleil du printemps qui nous invitait à nous retrouver – la bande de vieux amis- en terrasse de café, les sourires de Val – sûrement – ou le “nouveau” que j’ai cru entendre dans sa voix.

20h30. Je l’ai rencontré là. Un 30 avril.
Il serait mon mari 3 ans plus tard. Un autre 30 avril.
Et 27 ans encore plus tard, je serai en train de parler de nous sur un petit blog. Un presque 30 avril.

Et c’est là qu’il y a quelque chose qui me dépasse souvent.
Parce que si la veille de mon mariage, je m’en souviens très bien, la veille de ce jour d’il y a 30 ans, pas du tout. Comme si mon histoire commençait là aussi, avec lui.

Sans rien oublier du passé, mon histoire est bien celle d’une femme qui depuis 30 ans est devenue l’amoureuse, devenue l’épouse, devenue la maman et en vieillissant, devenue celle qui mesure la force des pardons, la force des mercis, la force d’un petit oui.
Un petit oui, murmuré  – un 30 avril –  pour vivre. Ensemble.

Prie-Dieu

Peut-être bien qu’en cette fin de journée remplie de cours, d’ordinateur, de vidéos, d’élèves, de questions, de réponses, de mots et encore et encore, peut-être bien qu’il y avait dans la confection de ces petits gâteaux pour demain ce truc. Ce truc qui, à chaque fois, ressemble comme deux gouttes d’eau à une petite prière.

 

Elle a remercié Dieu pour la joie de retrouver mes collègues en mesurant la farine.
Elle a demandé encore un peu de courage en cassant le chocolat en tout petits morceaux.
Elle a espéré que la motivation soit toujours là pour mes élèves. Malgré tout. Et en cassant les œufs.
Elle a aussi demandé pardon pour tous les ratés. En mélangeant bien vigoureusement la pâte.

Je crois que j’aime cuisiner pour ça aussi. C’est mon endroit pour penser à Dieu et quand je pèse, je pétris, je mélange, j’assaisonne, je rectifie, je saisis, je cuis, je goûte, Il est là.
Je lui parle.
Parfois même, je serais pas loin de m’agenouiller devant certains plats tellement bien réussis, avec Lui.

Ma cuisine, c’est mon prie-Dieu.

De la joie, ce presque rien

Dieu doit aimer ces petits dimanches qui flirtent avec la joie, l’embrassent tendrement et la font danser au fil des heures.

 

Le soleil a frappé au carreau, tôt. J’ai descendu quatre à quatre les escaliers d’un matin de dimanche que j’aimais déjà avant qu’il ne commence. La cuisine, la table à dresser, la famille, la messe et l’ami. Il y a des jours où les mots qui donnent du bonheur au quotidien s’enchaînent sans trébucher. C’est étrange, il y a des jours où c’est le contraire, les maux se déchaînent. La vie c’est vrai, de rose et de gris, toujours.
Mais ce dimanche, c’était du joli, je l’ai senti dès le café tranquille, siroté à la porte qui ouvre vers le jardin. Le doux aussi, je l’ai attrapé pour le poser sur ma table du déjeuner, au creux des belles assiettes, entre les verres qui danseront un peu en se frôlant, puis dans la cocotte qui se préparait à mijoter, qui réservait encore ses saveurs, et même sur le rose de mes joues dans le miroir. Il est des matins où la joie me rend un peu plus jolie je crois.

Le soleil a continué à me faire de l’œil. Avant la porte de l’église, Jehane a partagé avec moi le début d’un Notre Père dans sa langue, fière de mes premiers mots en arabe que j’arrive enfin à retenir. La musique nous a invités à entrer.
Les confirmands de la paroisse accueillis aujourd’hui sont là, les jeunes musiciens mettent déjà un feu de joie et je croise leurs regards: quelques-uns de mes élèves. On se salue, ça fait du bien de les voir ces quatre-là. On se raconte un peu ces drôles de vacances encore. Et S. qui m’arrête un instant encore avant son “à bientôt”… “Madame, la confirmation vous savez, ça va bien comme suite, comme chemin… après Martigné où vous nous aviez emmenés en 5è.”
Des mots comme un merci. Tout revient en mémoire. Plein soleil. 

 

Le soleil, jeu des vitraux, se pose souvent en un rayon complice sur l’autel, juste à ce moment-là. Berger. Je revois un instant celui rencontré dans les Pyrénées, un soir de randonnée. “Un berger, c’est un peu comme un passeur. Il montre le chemin, il fait simplement passer du bon côté.” J’écoute mon pasteur-passeur. Il est des mots qui aiment jouer ensemble. Soleil brûlant.

 

Le soleil, à la maison, dans les regards, dans les mots, dans les rires. L’amitié doit avoir une place quelque part à côté des premiers soleils du printemps Elle a la douceur de ses rayons qui osent s’attarder un peu, elle réchauffe sans jamais brûler, elle anime, elle fait vivre, elle est toujours là.
On savoure et le repas et la vie et le temps. Et l’avenir qu’on dessine aussi avec ma grande fille qui fait résonner le mot mariage l’espace d’un appel téléphonique. Soleil écran total.

 

Le soir l’efface du ciel, doucement. Le soleil disparaît, lentement. Et la joie demeure.
Simple, sans folie, sans excès. Mais elle remplit mon espace et me répète que la vie, comme elle est, me donne envie de l’aimer. D’aimer.

Demain, je vais retrouver le chemin du collège, avec mes collègues, sans élèves mais ils seront là bientôt.
Demain, je vais croiser Isabelle, mon amie infirmière qui me racontera ses heures difficiles.
Et viendront les amis de la paroisse, les voisins, la famille, les amis,
et tous ceux que je connais bien, ceux que je connais moins, ceux que je connais pas encore. 
Et je sais que dans chacune de mes rencontres la joie sera là. Ni naïve ni mièvre mais profonde, presque sérieuse même, oui, sérieuse de savoir qu’elle ne vient pas de moi, qu’elle est bien plus grande encore.

C’est Sa Lumière qui donne de l’éclat à ma vie. Profondément.

Ce soleil, celui que Dieu doit aimer pour que ces petits dimanches flirtent avec la joie, l’embrassent tendrement et la font danser au fil des heures.
De la joie, ce presque rien.

Sur le bord de la fenêtre

Oraison – Intrusion de la lumière, visite d’un rayon. Ne pas bouger, ne rien loger en soi d’encombrant de peur de l’apeurer.
François Cassingena- Trévedy, Étincelles

 

On dirait que le temps s’est arrêté de courir. 

La farine a laissé quelques traces sur la table de la cuisine, ça sent bon le beurre salé, le gâteau dore doucement dans le four.
Il n’y a pas de gourmandise, pas seulement, pas vraiment. Plutôt la joie de rassembler les enfants autour de ma table et de partager les petits desserts de l’enfance. Les vacances aiment donner ce goût-là.

 

La lumière, ces derniers jours, envahit notre maison par les fenêtres nouvellement nettoyées. Et chaque après-midi, les rayons caressent les meubles comme s’ils voulaient être eux aussi de la partie. Le dehors est froid encore mais la lumière, elle, réchauffe.
Je n’ai pas très envie de bouger.
Les voyages se font lectures, nombreuses. Les heures creuses remplissent mes cahiers. Le corps trouve son espace dans les grands ménages de printemps. Et au cœur de ma cuisine. 

 

Le gâteau est prêt. Je vais le laisser refroidir sur le bord de la fenêtre. J’ai appris cela petite, tout en surveillant si quelques amis à pattes ne seraient pas eux aussi attirés par les parfums. Alors, le temps de ce temps semble tout arrêter.

On dirait qu’il reprend son souffle. 
On dirait qu’il sait à nouveau regarder. Prier peut-être. Sourire, oui.

 

La table est propre. Le gâteau à peine tiède désormais.
Le temps reste en suspens, accroche à ses heures mes prières pour le monde.

Je ne cours plus, je ne m’agite pas en tous sens. On dirait même que j’ai un peu peur de faire trop de bruit, trop de mouvements.

On dirait que le temps d’un gâteau au bord de la fenêtre laisse à l’espace une petite place pour prier.
On dirait que le temps d’aimer est là, à nouveau.

 

 

Une petite route, un chemin de vie et une fromagère

Il y a des jours avec un peu plus de soleil.

Une petite route, ma petite route, mon chemin d’habitudes qui part de la maison et rejoint le collège. Neuf kilomètres de campagne vallonnée, de soleil dans la vue, de musiques et de podcasts dans les oreilles. Neuf kilomètres de sourires. Au bout il n’y aura pas d’élèves mais des collègues venus travailler là, et moi qui viens récupérer la plante de ma classe avant un collège fermé pendant les vacances. Et on s’attarde à bavarder, à raconter un peu notre semaine, à se dire à bientôt. Oui, à très bientôt.

Une petite route, ma petite route, mon chemin d’habitudes qui repart du collège vers ma maison. Moins de dix minutes de jolies vagues jaune colza qui côtoient les ondulés de verts et les ombres des bois. Au bout, il y aura ma maison, un chemin de vie peut-être, un chemin de vie oui. J’ai tant parlé sur cette petite route, tant rêvé, tant prié, pleuré parfois. Et je m’attarde à me raconter les jolis instants, ceux à venir surtout.

Une petite route, ma petite route, mon chemin d’habitudes qui avant de rentrer s’arrête chez Augustine, c’est le nom du magasin d’Amandine, le prénom de la grand-mère de cette jeune commerçante installée depuis un peu plus d’un an avec son sourire, son dynamisme et sa passion pour les fromages. Et on s’attarde à bavarder, à me raconter le gouda aux orties, le parmesan aux parfums d’une Italie tant aimée – ah Florence, vous connaissez ? Et la Toscane, oh… Et ce vieux comté de 30 mois qui vient d’une rencontre qu’elle a faite avec un fermier du Jura un jour de randonnée. Il faudra que je raconte tout ça dans mes pépites, c’est sûr.

Une petite route, ma petite route, mon chemin d’habitudes qui ouvre la porte, les bras chargés, le cœur rempli, qui grimpe les escaliers. Il est 17 heures et alors. On peut prier à n’importe quelle heure. Une petite route, ma petite route, mon chemin d’habitudes qui court Lui dire merci, doux petit temps des bras d’une Bible toujours posée là. Vous savez qu’une Bible c’est toujours les bras de Dieu grand ouverts ?

” Avez-vous ici quelque chose à manger ? ”
Et c’est l’heure du soir, déjà, petit chemin de mes habitudes, de mes partages, de ma cuisine. Jésus m’y invite.  

Il y a des jours avec un peu plus de soleil.

 

 

La mort, la vie, Céline et les shortbreads

C’est un peu étrange aujourd’hui. J’ai retrouvé mon cahier de 2020. Ce n’est pas vraiment un journal parce qu’il y a un peu de tout dans mon cahier, il y a un peu de tout dans  mes cahiers, des recettes, des prières, des morceaux de vie, des idées. J’ai retrouvé la journée du 7 avril. Un mardi confiné. Un mardi de cours confiné qui attendait des vacances confinées.

C’est un peu étrange le temps. Ce temps. Ma tante Catherine nous a quittés entre ce  jour d’avril et celui d’aujourd’hui et on apprend aujourd’hui que tonton Jean a ses jours comptés. Depuis un an, la mort avec ce virus imprime chaque jour. On ne s’habitue pas. Mais la mort imprime nos vies de toutes les façons. On ne s’habitue pas à la mort.

Je me demande parfois si mon amour de la vie m’aide à apprivoiser la mort. On n’apprivoise pas la mort. On la tient à distance. Même ma petite prière je crois met un peu de distance entre Son ciel et le mien.

C’est un peu étrange. J’ai allumé ma playlist “Céline Dion” aujourd’hui. Je l’aime bien. Il y a des chansons qui me font du bien je crois. J’aime tant la vie et je parle tout le temps de la mort, enfin souvent. Toute petite, déjà. Toujours. On ne change pas. Céline chante  dans mes oreilles et c’est la vie qui reprend.

Je me demande parfois si mon amour de la vie m’aide à apprivoiser la mort. On n’apprivoise pas la mort. On la tient à distance. Même mon regard au ciel je crois met un peu de distance entre là-haut et ici.

C’est un peu étrange. J’ai sorti la farine, le sucre et le beurre. J’ai envie de cuisiner, j’ai besoin de cuisiner, très souvent. Peut-être que ça rend vivant la cuisine, non ? J’ai pétri la pâte, repensé à Jane et Mila, aux paysages gallois que j’aime tant, j’ai façonné mes shortbreads en suivant leur recette, en rêvant d’Écosse aussi, ce devait être le voyage de l’été 2020, ce sera un jour prochain, forcément. La vie reprendra. C’est étrange. On n’est pas morts et on dit la vie reviendra. 

Je me demande parfois si mon amour de la vie m’aide à apprivoiser la mort. On n’apprivoise pas la mort. On la tient à distance. Même mes petites recettes je crois veulent mettre un peu plus de distance entre la fin et moi.

C’est un peu étrange aujourd’hui. Un jour comme un autre pourtant. Avec la mort et la vie. C’est mieux dans ce sens là non ? Et puis, Céline fredonne encore dans mes oreilles et mes shortbreads sentent bon. Tellement.

De la patience

Je me souviens de celle que j’avais quand mes enfants étaient petits et même après.
Patience à les aimer. Patience à les attendre. Patience à les laisser grandir.
Patience à prendre le temps d’être avec eux.
La patience a besoin de présence.

J’ai toujours eu beaucoup de patience avec mes élèves.
Cela fait partie de moi, sans que je ne fasse rien, sans que je prenne sur moi. Mon caractère, on dit ça je crois.

Quand j’entre dans une classe, je sais qu’avant toute autre chose, avant tout programme, je vais prendre mon temps.
Patience infinie, sans que rien ne me pèse, patience du temps qu’il faut pour apprendre.
Le temps a besoin de patience.

De la présence et du temps, ce nouveau confinement va les rendre difficiles encore une fois. 
Etre présente derrière mon écran, avec mes mots, avec ma voix, avec mes sourires mais sans mon corps.
Prendre le temps avec la technique, sans leurs regards qui cherchent, sans nos yeux qui parlent, sans nos rires souvent.

 

La patience a besoin de nos corps aussi.
Et nos corps me manquent déjà.

 

Et étrangement, je repense ce soir au Christ, à sa résurrection.
Et aux jours d’après qui commencent, recommencent pour nous aussi. 
Longtemps, je me suis demandée pourquoi Dieu avait laissé tout ce temps, à nouveau, encore, au Ressuscité.
Pour revenir au milieu des siens.
Pourquoi Dieu a laissé tout ce temps à ses amis pour être encore avec Lui.

Et ce soir, je me demande s’Il n’a pas simplement donné la patience.
La présence des corps et le temps pour comprendre.

La patience pour  reconnaître, accepter, croire.
La patience pour attendre après, infiniment.

 

La patience a besoin de nos corps. 
Et nos corps me manquent à nouveau.
Et ma petite prière se fait patiente à croire que je vais pouvoir encore attendre, à nouveau. Un peu.