Devant ma crèche, sans voix

Deuxième soir du deuxième jour

Tu sais, Joseph, c’est à toi que j’écris ce soir.
J’aurais aimé te parler mais je suis sans voix. Finalement, c’est bien que je t’écrive ici.

Ce matin, devant ma crèche, juste avant de partir, je t’ai souri. J’ai beaucoup souri d’ailleurs. À mes enfants en leur envoyant sur notre whatsapp mon petit mot d’Avent. Au collège, en arrivant parce que de toute façon quand on a la gorge qui tousse et la voix qui est prête à se casser, il reste les sourires. Devant les classes du matin, tout pareil.

Tu sais Joseph, c’est à toi que j’écris ce soir. Tout près de ma crèche. Sans voix.

Sans voix.

Mon amie collègue m’a dit qu’elle avait une mauvaise nouvelle à me dire.
C’était juste l’heure de déjeuner.
J’ai eu peur. Je me suis assise.
Une petite de ta classe de 6è vient de perdre son papa.
Tragiquement.

Sans voix.

Comment Joseph, toi qui avance guidant ta petite Marie, on peut comprendre ça, dis ?

Dis-moi.
Moi, je suis sans voix, dis-moi !

J’ai enchaîné les cours de l’après-midi. Le conseil de classe de ma classe de 6è.
Mécaniquement.
La voix brisée.

Je voulais écrire du joli pour l’Avent, devant ma crèche.
Pardon Joseph, j’écris la vie.
Brutale, injuste, révoltante.
Je n’ai plus de voix pour te prier, toi.
Mais je te demande de garder ce papa au royaume des papas, tu vas savoir.

Ma douce crèche, mon grand Joseph, ma petite prière.

 

à demain

 

Chemin de crèche

On y est. Le premier soir du premier jour.

On y est. Mes santons sont là, Marie porte ses rondeurs sur un petit âne gris conduit par un Joseph aux allures trop tranquilles.

Je vous ai promis de venir chaque soir – début de soir ou fin de soirée, le temps me dictera son heure et vous, celle de votre lecture 😉 –  pour cheminer un peu, ici.

Cheminer.
Il y a bien un chemin dans nos crèches, si souvent.

Tracé sur des coteaux sinueux de papier-crèche qu’on aura froissé pour faire un peu plus vrai
dessiné sur un tissu d’étoiles posé sous les pas de santons à l’argile si fragile
imaginé au fil d’un temps qui nous mène vers une pauvre étable guidés par Sa parole

Il y a bien un chemin.

Celui, à l’église, qui va jusqu’à la mangeoire et où, dimanche après dimanche, on allumera une nouvelle bougie.

Celui, dans nos vies, d’aventure bien plus que d’Avent. Il suffit de regarder le monde de 2022.
Oser croire, oser Le suivre, oser espérer Son retour, quel drôle de chemin que ce chemin-là.

Et comme parfois je me trouve étrange, si étrangère au monde autour avec tout ça au cœur et pourtant, je suis bien dans ce monde-là, avec tout ça.
C’est drôle, c’est bizarre. D’avoir fait les courses ce samedi après-midi entre les chocolats et les jouets et d’avoir souri à l’enfant qui rêvait en rêvant pour lui d’un truc un peu plus grand encore.
C’est drôle, c’est bizarre. D’avoir préparé des sablés dorés pour régaler mes enfants et amis et d’avoir souri en leur offrant mes biscuits d’Avent sans les gaver de grands discours ni de bons sentiments.
C’est drôle, c’est bizarre. D’avoir préparer mes appréciations et mon conseil de classe de demain soir au creux de mon dimanche, juste à côté de ma crèche, et d’avoir souri en pensant à Lui à chaque encouragement.

C’est drôle, c’est bizarre. Et je souris souvent de ma vie au-dedans qui aimerait coller encore davantage à ma vie au dehors. Et comme j’aimerais parfois ne plus trouver ni drôle ni bizarre que Jésus soit mon meilleur ami.

Cheminer.

On y est. Mes santons sont là, Marie porte ses rondeurs sur un petit âne gris conduit par un Joseph aux allures trop tranquilles.
Ils sont sur le chemin.
Et je vais avancer chaque jour avec eux. C’est sans doute un peu drôle, sûrement un peu bizarre ce chemin-là. Il faudra trouver les mots pour qu’au-delà de la drôlerie, de la bizarrerie, je puisse raconter le bon, le beau, le simplement joli.

à demain.  🙂

 

Encore un…

Encore un Avent, encore un…

Les points de suspension ne lui vont pas bien à cette petite phrase. L’exclamation devrait être de mise tellement ce temps compte, tellement ce temps me nourrit, tellement je l’aime ce temps-là.

Encore un Avent, encore un !

Pourtant l’exclamation sonne un peu faux. Non pas à cause de mon Eglise toujours tourmentée, non pas à cause d’un monde déboussolé, non. Mais parce qu’au creux d’un hiver qui ne ressemblera sans doute pas à ceux de mon enfance, Il viendra de la même façon pourtant.

Sans exclamation.
Dans le silence.
Dans le presque rien.
Sans tambour ni trompettes.

Il viendra entre les paillettes et les chocolats sans qu’on lui prête beaucoup d’attentions, dans les parfums de fête et de dindes aux marrons sans qu’on sache plus très bien qui Il est, et dans les musiques entêtantes des galeries marchandes et des rues animées, saura t’on entendre Sa Voix ?

Mais Il viendra.
Encore une fois.

Encore un Avent, encore un.
Et je L’attends.
J’attends l’attente bien davantage.
Parce que c’est elle qui fait silence, dans le presque rien, sans tambour ni trompettes.

Une fois encore, je vais venir L’attendre ici, avec vous. Et avec une immense joie même si je sais déjà que le temps étriqué me fera parfois regretter ces mots-là.  😉
Mais chaque fois, vous raconter ici un peu de mon Avent, oui, chaque fois, je le sais, cela a été une immense joie.

Cette année, je… Ah… il faut que je vous raconte un petit quelque chose.

Depuis toujours, je L’attends avec la crèche, avec ma crèche, avec les crèches.
Je les aime passionnément.
Celle qu’enfant, j’installais dans du papier froissé comme les roches d’une petite grotte faite pour Lui, celle que plus tard je préparais pour mes propres enfants au pied d’un sapin enguirlandé d’or et de rouge, celles d’autres pays que je découvre chaque fois avec ravissement, celles trop kitsch du trop, celles très émouvantes du peu, celle que mes élèves ont hâte de poser au cœur du collège, celle que mes amis paroissiens installent dans nos églises, celle de Mimi faite de laines de toutes les couleurs, celle que depuis plus de dix ans j’ai le plaisir d’agrandir de santons venus de Bretagne. Oui, je les aime passionnément.

Alors cette année, c’est auprès de mes santons et ceux d’ailleurs peut-être que, chaque soir, je viendrai trouver un peu d’inspiration.

Avec la crèche. Un Avent, encore un.

à dimanche prochain les amis,

Corine

Je fais comme si

Ce n’est pas que je fais semblant, Jésus, Tu sais, mais je crois que depuis pas mal de temps je fais un peu comme si.
Comme si ça allait.
Comme si ça allait bien.
Le p’tit coin prière, le caté au collège, la famille, les amis de la paroisse, la chouette paroisse, les amies religieuses, les amis prêtres, en vrai, c’est comme si tout allait bien.

Ça ne va pas pourtant.
Cette Église. Mon Église. La tienne, dis, la tienne aussi.
Elle est moche, bien moche, bien amochée même.

Ce n’est pas que je fais semblant non, mais ça fait des mois, même plus longtemps que ça, que le dégoût s’est insinué, que l’abject s’est répandu, que ça ne ressemble pas à ce pourquoi je suis là, au-dedans.

Il ne m’a jamais touchée le très moche, Tu le sais bien Toi qui m’as entourée de regards tellement bienveillants qui m’ont appris à prier,
de mains tellement respectueuses qui, tournant les pages de leur Bible, m’ont fait avancer sur ton chemin,
d’amitiés tellement précieuses qui ont fait grossir mon cœur dans la Foi.
Vers Toi.
Je ne sais pas très bien, Tu sais, où je serais sans eux.
Loin de Toi peut-être.

Ce n’est pas que je fais semblant non, et j’ai lu tous les témoignages du rapport de la Ciase. Tous. Jusqu’à m’en brûler les yeux, jusqu’à l’envie de vomir, jusqu’à l’insomnie.
Il n’y a pas de repos dans l’horreur.

Ce n’est pas que je fais semblant non, et ça continue.
Ça n’arrête pas de continuer.
C’est comme une plaie ouverte qui fait dégouliner tout son pus.

Comment peut-on guérir de ça ?

Je fais comme si.
Mon coin prière, mon caté au collège, mes amis de paroisse, ma chouette paroisse, je fais comme si tout pouvait exister encore, pareillement.
C’est presque facile parfois, Tu sais, parce qu’ autour ça ne change pas grand chose, tout le monde s’en fiche des histoires d’Église aujourd’hui, des scandales, c’est même un sacré argument pour la condamner définitivement. Je ne peux pas les blâmer. À la place de ceux qui sont loin, de ceux qui s’en fichent, de ceux qui ne l’aiment pas mon Église, je serai la première à cracher dessus.
C’est presque facile au dehors.
Mais au-dedans.
Si Tu voyais au-dedans.
Tu vois, dis ?
Ma prière hurle en silence dans son coin,
mon caté lit tes évangiles et ne parle surtout pas d’Église,
ma paroisse, ma chouette paroisse, elle, elle parle, elle s’attriste, je crois même qu’elle pleure et elle essaie de continuer mais le cœur n’y est pas comme avant. Et les amies religieuses, et les amis prêtres. Mon Dieu.
Mon Dieu. Ne nous abandonne pas.

Je fais comme si.
Non.
Plus vraiment.

Il y a des voix, justes, qui parlent encore, qui continuent de parler, qui montent. Puisses-Tu nous aider à les faire entendre. Dis…

 

 

Drôle de temps

 

– On a combien de temps, madame ?

La question fuse souvent avant même que je ne commence à présenter un exercice de conjugaison, un atelier d’écriture, un texte à découvrir. La question se répète au fil des heures, des évaluations, des leçons. Parfois même, dotée d’un chronomètre qui s’affiche dans un coin de tableau, j’ai l’impression d’exercer un peu de mon pouvoir, non sur eux – jamais, mais sur ce temps qui défile. Et, à force de le saucissonner en tranches d’exercices, le rendre presque docile.

Mais le temps ne l’est pas.

La question s’est figée, suspendue à nos lèvres, lorsque nous avons appris en ce début d’année que ce trop jeune papa était condamné. Combien de temps encore pour que cette tumeur le… ? La question rougit de son indécence, on voudrait ne pas pouvoir la poser. Parfois même, les souvenirs si proches, les photos si vivantes donnent l’impression qu’on s’est trompé. Et, à force de vouloir oublier, rendre le temps qui reste un peu plus doux.

Mais le temps ne l’est pas.

La question rythme les écrans, attrape les nouvelles, écrase notre insouciance. Depuis combien de mois déjà ? Et ça fait combien de temps que cette guerre a commencé ? C’était avant l’été, dis…, c’était quand ? On ne sait plus très bien. La question s’insurge devant des images, des phrases ou des chiffres, on voudrait qu’elle réponde c’est fini, enfin. C’est fini. Parfois même, on ose espérer, on se surprend à des hypothèses stratégiques, on jouerait presque aux petits soldats. Mais, eux, ils ne jouent pas. Ils meurent. Et, rien ne semble pouvoir apaiser ce temps nouveau.

Et ce temps ne l’est déjà plus.

Je repense parfois à ce temps pour tout, pour chaque chose.
Je continue la vie comme je l’aime, j’essaie. Remplie d’enfants, de rires, de peines à consoler, de joies à chanter. Et, quelquefois, l’espace d’un instant, je peux arrêter le temps. Oui, je peux. Non pas ce temps qui défile sans compter mais celui des larmes, tout près et des cris, pas très loin.

Je repense à ce temps pour chacun, pour tous.
Ma grande fille s’est mariée, des petites filles naissent autour de moi, Anne-So me rappelle un déjà vieil Avent en retrouvant un vieux texte d’ici, dans ses mains déplié.

Je souris.

Et, sous la pluie d’automne, Dieu me murmure de souffler encore un peu de lumière sur les heures, les minutes, les secondes, de souffler la vie sur ce temps tout gris.

Pluie d’étoiles.

Et le temps m’écoute, un instant.

 

Nouvel épisode !

Petite pensée pour ceux qui viennent ici sans passer par les réseaux… et j’en connais ! – ça fait même plaisir, merci.  🙂
Donc, nouvel épisode de Pépites et papillotes ce matin qui vous raconte des salades. Pas trop.
L’expression de l’épisode: fatiguer une salade.
Et des bricoles avec.  😀

Pour écouter, regardez à gauche de cette page (sur ordi) et dans le menu (sur portable), c’est facile: les nouveaux épisodes apparaissent toujours ici.

Avec cette saison, je tente le rythme d’un nouvel épisode chaque premier mercredi du mois, ça devrait bien m’aller et j’espère que cela vous permettra de me retrouver pas trop souvent et avec plaisir 😉

Bonne écoute pour cette nouvelle saison, à bientôt sur au bord de mon chemin, aussi.

Corine

 

Retour du petit podcast

Il suffit de presque rien…, on le sait bien, c’est comme un refrain cette histoire-là.

Il suffit de presque rien, une petite phrase, une belle tablée, quelques encouragements et voilà, les idées restées en sommeil pendant toute une année décident de se réveiller.
Et puisque j’en parlais ici il y a peu – avant-hier je crois – peut-être qu’il suffit aussi de donner une chance au temps… 😉  Ne pas le laisser nous déborder, ne pas croire qu’on n’en a pas quand , comme moi, on a la chance infinie d’en avoir encore, oser lui faire une place pour ce qui nous plaît,  ce qui nous enrichit…gratuitement !  😉

Laisser une chance au temps, c’est le cas des petits textes écrits ici pour le plaisir des partages.
C’est le cas des petits textes enregistrés sur Pépites et papillotes pour le plaisir d’autres partages.
Lecture ou écoute, écrire toujours, et prendre le temps, simplement, de laisser là ce que j’aime.

Merci au temps de me laisser apercevoir ce nouveau clin Dieu, merci aux petits encouragements reçus, et à cette semaine – demain ou après-demain , tout près – pour un nouvel épisode de Pépites et papillotes. 🙂

Ce temps perdu

Il est là. Il est là ce moment des vacances où je perds un peu le fil du temps.

J’ai demandé trois fois déjà cette semaine – mais quel jour on est ?
J’ai cherché autant de fois – mais quel jour c’était déjà ? – ce jour où l’on  a croisé Bernard qui nous a parlé de l’Italie, celui où j’ai préparé un grand plat de tomates farcies, celui où j’ai acheté un nouveau stylo plume – sans doute pour me raccrocher un peu au temps le stylo plume.

Pourtant, je perds le fil du temps. Je laisse les heures disparaître entre les lignes de mes lectures, je laisse le temps s’étirer au long d’une plage, je laisse les minutes oublier que j’ai des amis qui viennent déjeuner. Ce n’est pas comme d’habitude les invitations de l’été. On a déposé la pile d’assiettes au bout de la table, on mettra le couvert ensemble, peut-être qu’on mangera dehors si on en a envie. On pourra même continuer à préparer le repas, tout n’est pas vraiment prêt, c’est presque mieux.

 

Je perds un peu le fil du temps. Les repas commencent à une heure trop tardive, on s’attarde encore à table avec un café supplémentaire. Et si on partait marcher maintenant, on rangera plus tard.
J’oublie les habitudes, celles que j’aime. Oh bien sûr, ce serait mentir que de dire que je n’ai pas organisé le temps. Si, je l’ai fait. Avant. Mais il a décidé de me surprendre et de se faire oublier, dans ce moment-là, à mi-chemin des deux mois d’été, entre un début rempli d’un mariage d’amour et une fin qui me redira que c’était drôlement bien.

Je perds le fil du temps. J’oublie les dimanches et leurs messes, je lis mes évangiles dans le désordre des jours, parfois je ne les lis pas et je regarde le ciel comme si je me cherchais des excuses. Mais je m’en fiche, c’est bien d’être avec Dieu comme ça.

Il est là ce moment des vacances.
Je sais qu’il ne dure jamais longtemps. Je sais qu’il sera rattrapé par mes habitudes, par ce qui nous met au monde, par ce qui fait nos vies.

Il est là en attendant, précieux, osant faire déborder le temps de petits riens qui ressemblent à la vie qu’on voudrait tout le temps, peut-être, c’est ce qu’on se dit, c’est ce qu’on croit. Et c’est bien.

Main dans la main

 

Je ne sais pas très bien faire ma petite prière.
Ni celle du soir, ni celle du matin d’ailleurs. J’ai bien appris pourtant. Le silence, les mercis, les pardons, les s’il te plaît. Le chemin qui prend du temps pour aller jusqu’au fond de son cœur, les mains qu’on rapproche, les paupières qui se ferment. Mais je ne sais pas très bien cette petite prière-là. Je crois même que je fais un peu semblant quand j’essaie.
Peut-être que c’est à cause du verbe faire, peut-être qu’elle ne me ressemble pas. Parce que, pour vous dire la vérité, ma petite prière, je n’ai pas vraiment l’impression de la faire.

Je la touche des doigts lorsque je caresse les pages de mes livres.
Je la sens sur ma peau quand le vent trop fort fait frissonner mon matin.
Je l’entends dans les bonjours amis et les bons mots d’enfants.
J’y goûte même sur les crêpes dorées à la fin des journées, dans les pots de confiture où je laisse traîner la cuillère.
Je la regarde dans les blessures et les sourires autour.

C’est pas de la poésie à deux balles non. Ma petite prière, je ne la fais pas.
Peut-être bien parce que je Le sais là, tout à côté, très près, pas loin, à bien vouloir me donner la main. Tout le temps.
C’est ça oui et ma petite prière, elle est là quand moi aussi je veux bien attraper La sienne.

“Et Dieu qui ressent nos vies”

Le beau continue d’accrocher de jolis moments à mes heures. Je ne vais pas vous en priver.

Ça commence en classe de 6è. Ce matin.
Enfin, ça commence en classe de 6è avec ce texte qui me sert de transition entre le chapitre sur les textes de créations du monde, textes fondateurs, et le chapitre suivant sur la création poétique.

Ce texte donc.

« La Création »

Et Dieu se promena, et regarda bien attentivement
Son soleil, et sa Lune, et les p’tits astres de son firmament.
Il regarda la terre qu’il avait modelée dans sa paume,
Et les plantes et les bêtes qui remplissaient son beau royaume.
Et Dieu s’assit, et se prit la tête dans les mains,
Et dit : « J’suis encore seul ; j’vais m’fabriquer un homme demain. »
Et Dieu ramassa un peu d’argile au bord d’la rivière,
Et travailla, agenouillé dans la poussière.
Et Dieu, Dieu qui lança les étoiles au fond des cieux,
Dieu façonna et refaçonna l’homme de son mieux.
Comme une mère penchée sur son p’tit enfant bien-aimé,
Dieu peina, et s’donna du mal, jusqu’à c’que l’homme fût formé.
Et quand il l’eut pétri, et pétri et repétri,
Dans cette boue faite à son image Dieu souffla l’esprit.
Et l’homme devint une âme vivante,
Et l’homme devint une âme vivante…

Marguerite Yourcenar, « La Création », recueilli dans « L’Ancien et le Nouveau Testament », Fleuve profond, sombre rivière, 1964, Éditions Gallimard

 

Et je les laisse lire, observer, réagir, écrire, surligner, colorer et dire.

Observations du texte poétique faites, rimes colorées, demande d’explication de quelques mots, explications données, repérage des anaphores, ils sont forts quand on leur donne les outils. Je souris.
Mais cette classe semble s’en tenir à la forme.
J’aimerais qu’il touche un peu au fond aussi. 🙂

J’attends encore. Vous avez autre chose à partager ?

Une main se lève. Une voix qui s’applique.

– Oui. Dans le poème, Dieu se prend sa tête dans les mains, il est seul, il a l’air triste. On ressent l’émotion je trouve. Il travaille dur. On ne sait pas s’il est content mais il travaille dur pour faire l’homme. On le ressent aussi. Un poème, c’est fort pour faire sentir les émotions.

 

J’approuve. La classe aussi. Il reprend la parole.

– Et puis là ça fait tout bizarre. Parce que l’écrivain parle des émotions de Dieu. Moi, je ne m’étais jamais demandé si un Dieu pouvait ressentir des choses, enfin des sentiments.

Je laisse le silence s’installer. J’aime beaucoup leur écoute.

Une main se lève.

– M’dame, il faut le noter ça aussi que le poète peut rendre le Dieu triste ou content ou je sais pas…enfin…peut faire que Dieu il ressent nos vies ?

 

Elle a bien dit nos vies.

 

 

Vous savez, en vrai, les élèves, ils m’agacent aussi, m’énervent un peu, me désolent parfois. Je râle comme tout le monde et j’arrive à me fâcher. Si.
Mais, au milieu de tout ça, il y a le joli de ces moments-là.

Et Dieu qui ressent nos vies. 🙂